Cette fic est dédiée à tous les amoureux du
jeu de société Les
Loups de Thiercelieux (pour les règles suivre le lien)
et particulièrement à Marie, qui, bien que complètement
barrée, est une très bonne amie et à ma petite
Sam qui m’a apporté la motivation nécessaire pour
trouver le courage de terminer cette histoire.
Bonne lecture amis lecteurs, et n’oubliez pas les feedbacks
: mark-nomad@noos.fr
Première nuit
Duncan Macleod avait voyagé depuis le crépuscule, sans
se retourner ni s’arrêter. Ce n’était que
maintenant alors que le jour était sur le point de se lever,
qu’il accepta l’idée d’avoir échappé
à ses poursuivants et consentit à ralentir l’allure.
Mais il ne ferait pas halte, pas encore. Pas alors qu’il se
trouvait dans une forêt inconnue, plongée dans l’obscurité
de la nuit. Non, il attendrait que le jour se lève. Ce n’était
plus qu’une affaire d’heure maintenant. Il saurait fournir
ce dernier effort et il savait que son cheval le ferait également.
Il lui caressa l’encolure et tira doucement sur les rênes.
Le galop se mua bientôt en trot. En absence de chemin, Duncan
devait se frayer un passage au sein d’une végétation
dense et anarchique. Une avance rendue encore plus difficile par le
manque de lumière. La lueur de la lune, pleine cette nuit-là,
perçait difficilement la barrière de branches et de
feuilles qui s’élevaient haut dans le ciel en rang serrés.
Maintenant qu’il avait ralenti la cadence, Duncan se laissait
gagner par une torpeur qu’il devait combattre à chaque
instant pour ne pas sombrer dans le sommeil. Alors qu’il fermait
une nouvelle fois les yeux, un grognement sourd se fit entendre et
le sortit immédiatement de sa léthargie. D’un
coup sec sur les rênes, il fit stopper sa monture et chercha
l’origine du bruit. A quelques mètres de là, il
vit des feuilles bouger et au-delà une ombre se mouvoir. Puis
il sentit l’odeur. Une odeur qu’il connaissait bien, celle
du sang.
L’ombre s’immobilisa dans sa direction et, entre deux
fourrés, il put apercevoir ses yeux. Deux billes d’un
bleu flamboyant semblables à deux petites flammèches
suspendues dans l’obscurité.
Duncan mit pied à terre en tirant son épée hors
du fourreau. Il fit quelques pas en direction de la silhouette surmontée
des deux yeux bleus qui le fixaient et s’arrêta. D’où
il était, il pouvait désormais entendre sa respiration
précipitée qui précéda un nouveau grognement
sourd. Il distingua une gueule striée de crocs de taille démesurée.
Immobiles tous les deux, Duncan et l’ombre se scrutèrent
mutuellement pendant un long moment. Quand les yeux s’étrécirent
et qu’un nouveau grognement se fit entendre, Duncan crut que
la bête allait passer à l’attaque. Au lieu de ça,
elle fit volte-face et disparut dans la forêt. Une fois certain
que tout danger était écarté, Duncan s’avança
à l’endroit où se tenait l’animal. Duncan
aperçut tout de suite le cadavre de l’enfant étendu
sur un tapis de mousse. Le crâne dévoré, les yeux
ouverts, il semblait regarder le ciel avec étonnement. Duncan
s’approcha et constata que les blessures correspondaient à
la taille des crocs qu’il avait aperçus. L’Immortel
soupira et se mit à réfléchir. L’enfant
devait venir d’un village situé non loin de là.
Le moins qu’il pouvait faire, était de se mettre en quête
de celui-ci et de ramener l’enfant à ses parents. Dans
un geste d’une infinie tendresse, Duncan ferma les yeux du petit
garçon. Il l’enveloppa ensuite dans sa couverture, qu’il
attacha sur son cheval Une fois achevée la sinistre besogne,
Duncan se remit en selle et poursuivit sa route.
Premier jour
Le hameau apparut à Duncan Macleod avec une étrange
soudaineté. Les premiers rayons de soleil transperçaient
désormais la forêt de part en part, lui donnant un aspect
moins inquiétant. Mais Duncan ne pouvait oublier le lourd fardeau
qui se trouvait attaché sur la croupe de son cheval. En traversant
un épais buisson de fougères, il jeta un nouveau regard
sur la couverture roulée et attachée derrière
lui, s’assurant qu’elle n’allait pas se décrocher
et qu’il n’aurait pas à récupérer
le corps horriblement mutilé au pied d’un arbre. En retournant
la tête, il faillit se faire assommer par une branche qu’il
écarta d’un mouvement brusque de l’avant-bras.
C’est alors qu’il les vit. Une dizaine de fermes faites
de bois et de torchis regroupés en cercle, autour d’une
place rudimentaire. En son centre, un groupe de paysans discutait
âprement, des éclats de voix, des sanglots, se faisant
entendre par intermittences. Macleod juché sur son cheval,
observait la scène de loin nullement pressé de se faire
remarquer. Pourtant, au bout d’un moment, l’un des hommes
releva la tête et le vit. Il recula d’un pas, sans détacher
son regard. Aussitôt, le groupe se disloqua, s’étira
en une rangé d’hommes et de femmes qui l’observaient
sans prononcer un mot. Jusqu’à ce qu’un cri s’élève,
le cri déchirant d’une femme et Duncan comprit qu’il
s’agissait de la mère.
Elle s’avança sans lui accorder un regard, les yeux fixés
sur la couverture accrochée derrière lui. Elle s’empara
des cordes et se mit à les tirer violemment jusqu’à
ce qu’elles cèdent. Puis elle agrippa la couverture et
voulut l’attirer vers elle, mais Duncan la retint fermement.
Il chercha de l’aide auprès des villageois, les suppliant
du regard de ne pas la laisser voir l’enfant dans un état
pareil, en vain. Ils demeuraient à distance, suivant la scène,
immobiles, silencieux. Duncan regarda la femme aux yeux bouffis de
larmes, maintint sa prise sur la couverture un moment puis, à
regret, dénoua lentement ses doigts. La mère qui tirait
encore sur le fardeau, perdit l’équilibre et tomba sur
le sol avec la couverture qu’elle tenait dans ses bras. Dans
la chute, un pan s’était ouvert révélant
sans ambages à la mère, le haut du crâne de son
enfant à moitié dévoré. Le hurlement déchira
le cœur de Duncan et il s’apprêtait à mettre
pied à terre pour réconforter la pauvre femme, quand
un homme sortit du bois et courut dans leur direction. Il s’agenouilla
aux côtés de la femme, posa les mains sur la couverture,
et en écarta brusquement les pans, révélant à
tous le petit cadavre mutilé. Un murmure plaintif s’éleva
du côté des villageois.
- Où l’avez-vous trouvé ? demanda l’homme
en se tournant vers Macleod, la voix pleine de colère. Où
avez-vous trouvé mon fils ?
- A quelques lieues d’ici, au cœur de la forêt. Un
loup le trainait avec lui.
Aussitôt ces paroles prononcées, le groupe de villageois
se rapprocha. Un homme, petit et gros aux yeux porcins, lui demanda
:
- Le loup ? Vous avez-vu le loup ?
- Pas distinctement, il faisait nuit et il était caché
par le feuillage. Il m’a observé un instant, je pensais
qu’il allait m’attaquer, mais il n’en a rien fait.
Il s’est enfui et en approchant de l’endroit où
il se tenait, je l’ai vu, dit-il en désignant le cadavre
d’un mouvement de tête.
L’homme se pencha vers la mère et posa délicatement
une main sur son épaule. Si la présence du cadavre lui
posa une quelconque gêne, il ne le montra pas.
- Aliénor, lui dit-il à voix basse. Viens, laisse-nous
faire. On va s’en occuper de ton petit gars.
- Non Enguerrand, dit-elle entre deux sanglots. Je ne veux pas le
laisser.
Enguerrand croisa le regard de Gauvin, le père de l’enfant
et comprit qu’il était inutile d’essayer de la
convaincre.
- D’accord, alors va avec lui et prépare-le. Ma Mahaut
va t’aider
Il se retourna et appela, d’un ton autoritaire :
- Femme !
Une femme maigrichonne au teint pâle, se précipita et
entoura la mère des épaules, tandis que Gauvin qui avait
refermé la couverture prit son fils défunt dans les
bras.
Quand ils disparurent dans l’une des maisons, Macleod demanda
:
- C’est déjà arrivé auparavant, qu’un
loup attaque un des villageois ?
- C’est rien de le dire chevalier, rétorqua un jeune
homme d’une vingtaine d’années en ricanant. Depuis
trente ans, à chaque nuit de pleine lune, les loups dévorent
l’un des nôtres.
- Trente ans ! s’écria Duncan. Mais ce n’est pas
possible, vous …
L’homme aux yeux porcins esquissa l’ébauche d’un
sourire.
- Et pourquoi cela serait-il impossible ? Vous pensiez que ces quelques
maisons ne formaient qu’un petit hameau sans importance mais
regardez bien autour de vous.
Ce que fit Duncan, et il se rendit compte effectivement de son erreur.
En y regardant de plus près, il distingua des ruines qu’il
n’avait pas remarquées la première fois car entièrement
cachées par le lierre. Il compta ainsi plusieurs dizaines de
maisons mais il devina qu’il y en avait encore d’autres
cachées plus loin. Comme ce qu’il avait pris pour une
petite colline qui se révélait être une masure
recouverte depuis bien longtemps par la végétation.
- Ce que vous aviez cru n’être qu’un petit hameau
sans importance à votre arrivée, est en fait une ville.
Thiercelieux, le plus grand point de passage de la région il
y a encore trente ans. Mais ça c’était avant que
la malédiction ne s’abatte sur nous.
- Une malédiction ? Vous ne croyez tout de même pas…
- Et comment appelez-vous ça, quand un loup vient précisément
à chaque pleine lune pour emporter l’un d’entre
nous ? Ce n’est pas naturel.
- Je l’admets. D’autant que la forêt regorge de
gibier pour ce que j’ai pu en voir et les loups ne s’aventureraient
pas à attaquer des hommes sans autre raison que la faim. Mais
de là à parler de malédiction…
- Quoiqu’il en soit, le loup reviendra cette nuit et les six
prochaines également, n’en doutez pas. Nous sommes de
simples villageois et nos existences, ainsi que celle de notre village,
toucheront bientôt à leur terme si personne ne parvient
à arrêter ce loup. Je n’ai plus beaucoup d’espoir,
mais vous êtes un chevalier et…
Macleod était sur le point de protester quand à sa dénomination
de chevalier quand un homme s’interposa.
- Hé bien, Enguerrand, le chef de ce village douterait-il de
ma capacité à débusquer le loup, qu’il
aille quémander de l’aide au premier maraudeur venu ?
- Voyons du calme Gaspard, personne ne remet en cause tes qualités
de chasseur émérite. Mais admets que toi-même
tu as été mis en échec par le loup et il ne nous
reste plus beaucoup de temps avant d’être exterminés.
Si ce chevalier peut nous venir en aide…
- Porter une épée n’a jamais fait de quelqu’un
un chevalier. Et je n’y peux rien si cette malédiction
nous oblige à dormir du coucher au lever du jour. Je ne puis
qu’essayer de débusquer le loup de jour, quand il se
cache sous sa façade humaine. Car il est l’un d’entre
nous Enguerrand, je le sais. Loup-garou c’est ainsi qu’est
nommée cette bête, homme le jour, loup les nuits de pleine
lune, dans les livres de sorcellerie.
- Gaspard, tu ne possèdes pas ce genre de livres démoniaques,
j’espère ?
- Non bien sûr, répondit le chasseur un peu trop fermement.
Mais si je dois m’attaquer à une créature du Malin,
je dois quand même obtenir des informations sur elle. Et de
toute façon, le Père s’est fait dévorer
il y a bien longtemps déjà. Personne ne peut plus me
soumettre à l’inquisition.
Il toisa Macleod des pieds à la tête puis dit d’un
ton acerbe.
- Maintenant soit, Enguerrand, tu es le chef de ce village. Si tu
veux de l’aide de ce prétendu chevalier, je ne m’y
opposerai pas mais j’ai pour habitude de chasser seul. Qu’il
fasse de même et ne vienne pas m’ennuyer.
Gaspard le chasseur s’éloigna à grands pas en
ajustant son arbalète sur l’épaule.
- Tout à fait charmant, dit Macleod en grimaçant.
- Ne lui en tenez pas querelle. Son incapacité à trouver
le loup le blesse dans son orgueil, lui qui se targue d’être
le plus grand chasseur du pays. Et à mon avis il l’est.
Sa qualité est remise en question, et il est vrai que les villageois
le voient de plus en plus d’un mauvais œil.
- Il a parlé d’une malédiction qui vous obligerait
à dormir la nuit.
- Oui. Dès que le dernier rayon de soleil a disparu à
l’horizon, nous nous endormons aussitôt quoique nous fassions
et nous plongeons dans un profond sommeil dont rien ne peut nous tirer
jusqu’à l’aube. D’un côté ce
n’est pas une si mauvaise chose. Au moins, on ne sent rien quand
le loup nous dévore. Mais cela nous laisse totalement impuissant
et nous rend incapable de le combattre. Je me dis que peut être
vous qui n’êtes pas d’ici ne serez pas soumis à
cette malédiction.
- Vous avez déjà eu des visiteurs qui n’étaient
pas sous le coup de cette malédiction ?
- Nous avons déjà eu des étrangers à Thiercelieux
oui, mais tous sans exceptions se sont endormis au même titre
que les villageois. Certains se sont même fait dévorer
la première nuit de leur arrivée au village. Les autres,
et bien les autres, je dois l’avouer, ont été
lynchés par les villageois qui les croyaient loups. Nous autres,
n’aimons pas beaucoup les étrangers, surtout ceux qui
ne parlent pas beaucoup.
- Pourtant je suis un étranger et vous me demandez de l’aide.
- C’est vrai. C’est difficile à expliquer mais
je sens que vous vous êtes différent des autres. Je me
trompe ?
Duncan aurait pu essayer de mentir mais il décida de ne pas
le faire sans pour autant dévoiler la vérité.
- Non. C’est d’accord Enguerrand je vous aiderai du mieux
que je le pourrai. D’abord dites-moi quelles sont les victimes
privilégiées des loups. Les enfants ?
- Comme le petit Gaëtan vous voulez dire ? répondit-il
en se signant. Non justement. Il est impossible de savoir qui il tuera
la prochaine fois. Il s’attaque sans distinction aux hommes,
aux femmes et aux enfants.
Le soleil était maintenant haut dans le ciel et tandis que
le brouillard était en train de dissiper Macleod aperçut
la silhouette d’un château perché au sommet de
la colline qui jouxtait le village. Enguerrand avait du suivre son
regard, car il dit :
- Le château de notre seigneur Clovis de Thiercelieux. Il y
vit avec sa femme et ses deux enfants. Mais nous ne le voyons plus
guère. A vrai dire, depuis le temps, ils sont peut être
déjà tous morts.
- Tués par le loup, vous voulez-dire ?
- Oui. Le château n’a pas été épargné.
Plusieurs serviteurs du seigneur sont morts, dévorés
par le loup.
- J’aimerai monter les voir.
Enguerrand haussa les épaules..
- Je ne vois pas en quoi leur sort peut vous importer mais si vous
y tenez. L’enterrement du petit aura lieu en début d’après-midi.
- J’y serai.
Macleod emprunta le chemin qui menait à la colline. Bien vite,
le tranquille sentier se transforma en une montée ardue et
harassante. Lorsqu’il arriva à hauteur de la première
muraille et qu’il s’arrêta un instant, Duncan sentit
toute la fatigue, qui avait refluée avec la découverte
du cadavre de l’enfant, s’abattre à nouveau sur
lui. En atteignant le pont-levis, il fut accueillit par le croassement
d’un corbeau perché sur l’un des merlons du rempart.
En s’avançant vers le porche, une rafale de vent vint
souffler dans les arbres. Macleod leva la tête en direction
du corbeau. Penché en avant, il l’observait de ses yeux
noirs. Mauvais présage se dit-il avant de chasser bien vite
cette idée de la tête. Il n’était pas homme
à adhérer aux superstitions de toutes sortes. Il ne
croyait pas à cette histoire de malédiction et surtout
pas à celle d’un loup surnaturel qui viendrait dévorer
un villageois toutes les nuits de pleine lune depuis trente années.
Ce genre de fables n’étaient plus monnaie courante dans
les grandes villes, mais il comprenait que dans des endroits reculés
comme Thiercelieux, entouré d’une profonde forêt
et surveillé par un aussi lugubre château, les esprits
puissent encore se laisser aller à croire aux superstitions
les plus folles.
Macleod longea une arche étroite et sombre et déboucha
dans une cour. Il faisait face au logis, le bâtiment principal.
Sur sa droite, un peu plus loin, il reconnut les écuries, qui
jouxtaient la conciergerie et les enclos pour animaux. L’endroit
était désert. A terre, s’accumulaient divers objets
de toutes sortes, allant du simple bol de l’indigent au plastron
d’un garde, et qui semblaient avoir été abandonnés
sur place au cours d’une fuite car l’on n’avait
pas pu tout emporter.
Macleod tourna la tête en direction du logis, en entendant un
écho provenant de l’intérieur du bâtiment.
Il gravit les quelques marches qui y menaient, se glissa dans l’entrebâillement
de la lourde porte qui en gardait l’entrée et pénétra
dans une grande salle qu’une longue table de banquet parvenait
à peine à remplir. Encastrés dans le mur à
sa droite, de fins vitraux éclairaient à moitié
la pièce. Dans les coins, étaient empilés des
meubles, le plus souvent endommagés. L’atmosphère
était âcre, gorgée d’une poussière
qui vous piquait la gorge et les yeux. Sur la table, s’amoncelaient
des assiettes, des verres et des plats dont certains contenaient encore
de la nourriture qui, à l’odeur, avait commencé
à pourrir. De derrière une cruche, apparut un rat qui
se faufila entre la vaisselle, grignota un morceau de poulet, avant
d’en arracher un gros bout et de sauter de la table pour disparaître
dans une fissure du mur.
Les bruits venaient d’une pièce adjacente, plus petite
et plus confortable. Une tenture représentant une scène
de chasse était accrochée sur le mur du fond, au-dessus
d’un massif buffet de bois. Au centre de la pièce trônait
une femme dans un fauteuil. La tête baissée, le menton
contre la poitrine, elle semblait dormir profondément. Duncan
s’approcha.
- Ma Dame ?
La femme lui répondit par un ronflement sonore, s’agita
quelques secondes dans son sommeil, changeant de position, avant de
s’immobiliser à nouveau en silence.
- C’es inutile lui répondit une petite voix derrière
lui.
Duncan ne l’aperçut pas immédiatement. Il dut
s’approcher d’un pas, pour distinguer la petite fille
assise en tailleur dans un coin de la pièce, masquée
par l’obscurité. Elle tenait une poupée de tissu
entre ses bras.
- Depuis que Bernadette est morte, Mère ne se sent pas très
bien.
- Bernadette ?
- Sa dame de compagnie. Mère l’aimait beaucoup. Pour
se consoler, elle boit beaucoup de vin.
Duncan avait effectivement remarqué la cruche et le gobelet
posés sur le guéridon à côté du
fauteuil. Et l’odeur du vin qui émanait de la châtelaine
ne lui avait pas échappé non plus.
Duncan allait demander à la petite fille si elle était
seule, quand un garçon entra dans la pièce. Avançant
en pas chassé, une épée de bois tendue devant
lui, il chassait un dragon ou dieu sait quel autre ennemi invisible.
Se sentant observé, le garçon s’arrêta de
jouer. Il regarda Duncan avant de lancer un cri d’admiration.
- Vous êtes un chevalier n’est-ce-pas ? demanda-t-il sans
regarder Duncan. Son regard était attiré par l’épée
qu’il portait à la hanche.
- En quelque sorte, répondit Duncan amusé par l’enthousiasme
du garçon.
L’enfant était plus âgé que sa sœur,
il devait avoir une dizaine d’années déjà.
Une masse de cheveux sales recouvrait des yeux d’un bleu profond,
pétillants de vitalité.
- C’est une vrai épée, constata t-il en considérant
avec dédain sa piètre épée de bois car
elle n’était qu’un jouet pour enfant.
- Oui, fit une voix forte. Et celle-ci aussi est une vraie.
Un homme de haute stature, le bas du visage mangé par une barbe
hirsute, se tenait, l’épée à la main, sur
le pas de la porte.
- Adrien, emmène ta sœur, j’ai à discuter
avec cet homme.
- Mais Père, commença à répliquer le jeune
garçon.
- Obéis, Fils !
La voix tonna et Adrien ne demanda pas son reste pour s’exécuter.
- Je ne vous veux aucun mal Monseigneur, dit Duncan avec solennité.
A l’entente de son titre, le seigneur de Thiercelieux se détendit
quelque peu, même s’il n’abaissa pas son épée
pour autant.
- Je viens d’arriver au village ce matin, j’ai ramené
le corps d’un enfant, dévoré par un loup.
- Un enfant ? répéta le seigneur d’une voix étranglé.
Son visage se décomposa sous les yeux de Duncan.
- Le fils d’Aliénor et de Gauvin ? Le petit Gaëtan
?
- Oui.
Le seigneur se passa une main sur le visage. Il semblait réellement
affecté par la mort de cet enfant, ce qui ne manqua pas d’étonner
Duncan qui avait toujours connu des seigneurs qui malmenaient leurs
serfs et ne leur portaient que peu de considérations.
- Racontez-moi, dit-il dans un souffle.
Ce que fit Duncan.
- Les pauvres, fit le seigneur quand il eut terminé son récit.
Oh je sais ce que vous vous dites. Comment un seigneur peut-il être
bouleversé par la mort de ses serfs ? Ce ne sont pas que des
serfs pour moi. Je les considère comme mes enfants. En échange
des impôts qu’ils me versent, j’ai juré de
leur offrir ma protection. Et je me sens coupable de ne pas avoir
été en mesure de le faire. Je suis comme eux, impuissant
face à la malédiction qui s’est emparé
de Thiercelieux.
- La malédiction ? Vous y croyez vous aussi ?
- Venez, lui dit le seigneur. Je vais vous montrer quelque chose.
Duncan le suivit jusque dans la salle du banquet. Le seigneur le mena
devant la cheminée et lui indiqua, un bouclier circulaire de
couleur pourpre sur lequel se découpait une tête de loup
blanc à l’œil rouge placé au milieu d’une
spirale de quatre griffes noires.
- Ceci est le blason de ma famille. Le blason de Thiercelieux.
- Un loup ?
- Oui. Et je ne crois pas que cela soit une coïncidence. Enguerrand
vous a-t-il raconté l’histoire de la malédiction
?
- Non.
- Cela s’est passé il y a quarante ans. Un étranger
arriva au village de Thiercelieux. La légende raconte que c’était
un homme inquiétant que les villageois craignaient. La première
nuit de son arrivée, une fille du village fut violée.
Aussitôt, les villageois se retournèrent contre l’étranger.
Ils l’attachèrent à un poteau et avant d’enflammer
le bûcher, l’étranger aurait tenu ces paroles :
« Malheur à vous villageois pour l’injustice que
vous vous apprêtez à commettre. Que s’abatte sur
vous ma malédiction en payement de votre manque de clairvoyance.
Avant de périr dans vos flammes, je vous le dis, ma vengeance
ne trouvera le repos que lorsque tous ceux qui m’auront placé
sur ce bûcher ainsi que leur descendance, auront péri
jusqu’au dernier. » Bien sûr les villageois hésitèrent,
mais leur colère était trop forte et l’étranger
périt dans les flammes. Plus tard, un garçon de La Couarde
, le village voisin, avoua son forfait. Il ne fut pas puni, les villageois
de Thiercelieux et de la Couarde préférant oublier toute
cette sombre histoire. Mais l’histoire se rappela à eux
par la force des choses. Moins d’une semaine plus tard, un villageois
qui était parti chercher du bois dans la forêt revint
au village, livide et apeuré. Il était passé
près de l’endroit où avait été enterré
les restes cramés de l’étranger. La tombe était
ouverte et le corps avait disparu.
- Disparu vous dites ? Duncan qui ne croyait pas aux malédictions
commença à se demander si elle n’avait pas un
fond de vérité après tout. Et si cet étranger
avait été un Immortel ? Et si c’était lui
qui, depuis trente ans, assassinait tous ces villageois par simple
désir de vengeance ? Cela semblait peu crédible, même
le plus cruel des Immortel n’irait pas demeurer quarante ans,
dans une forêt obscure uniquement pour assouvir sa vengeance.
Et puis il n’avait pas rêvé, c’était
bien un loup et non un homme qu’il avait aperçu cette
nuit. Malgré tout, l’écossais ne parvenait pas
à s’ôter cette idée de la tête.
- L’étranger a-t-il réapparu ?
- Non jamais. Personne ne l’a plus jamais revu. D’ailleurs,
le village l’oublia bien vite car la paix régna pendant
un long moment. Ce n’est qu’au bout de dix années
que le loup fit son apparition et que les premiers villageois furent
dévorés.
Le seigneur de Thiercelieux leva les yeux vers son blason.
- Je pense, que cet étranger connaissait nos armes et que le
sort qu’il nous a jeté y fait référence.
Comme une sorte de message : « vous périrez par vos propres
armes ». Je pense aussi que c’est pour cela que les villageois
se méfient de moi. Incidemment ils jugent que de par mon blason,
je pourrais être le loup. Je ne peux pas les condamner pour
cela. Ils s’imaginent que je ne souffre pas moi-même de
cette situation car plus personne ne monte au château, mis à
part Gaspard qui chasse pour mon compte et me ramène du gibier.
Mais regardez plutôt autour de vous l’état déplorable
dans lequel se trouve mon château. Tous les domestiques sont
morts. Il ne me reste plus que mon épouse abrutie par l’alcool
et mes deux enfants. Et nous sommes là à nous languir,
attendant que le loup vienne nous dévorer les uns après
les autres.
- Pourquoi ne partez-vous pas ?
Le pauvre seigneur esquissa un sourire sans joie.
- Ce serait trop simple. Cela aussi fait partie de la malédiction.
Tous ceux qui demeurent à Thiercelieux ne peuvent en partir
ou, s’ils le font, ils ressentent très rapidement le
besoin irrépressible d’y retourner. Ne voyez-vous pas
l’ironie de la chose ? Nous sommes prisonniers de notre propre
village attendant que le loup vienne nous délivrer de notre
sentence. Nous payons pour les pêchés de nos pères.
Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Je me
dis finalement que c’est dans l’ordre des choses. Quoiqu’il
en soit, vous êtes vous aussi prisonnier de Thiercelieux désormais.
Duncan l’ignorait car il avait déjà offert son
aide aux villageois et n’avait donc même pas pensé
à s’en aller. Car il était de ces hommes d’honneur
qui ne se dédisent jamais une fois leur parole donnée.
- J’ai promis à Enguerrand que je les aiderai à
combattre le loup.
- D’autres que vous ont déjà essayé et
ils ont tous échoué.
Il regarda Duncan droit dans les yeux.
- Pourtant, j’ai le sentiment que si quelqu’un peut réussir,
c’est bien vous. Je vous le souhaite en tout cas. Je nous le
souhaite. Comment m’avez-vous dit que vous vous appeliez déjà
?
- Duncan Macleod, répondit-il un peu surpris par le changement
soudain qu’avait pris le tour de la conversation.
- Hmm, Macleod. N’est-ce pas là un nom d’anglois
? demanda Clovis le visage sévère.
- Ecossais
- Les anglois sont les ennemis naturels de la France.
- Les anglois sont également les ennemis naturels de l’Ecosse,
expliqua Macleod avec une fierté toute patriotique.
- Alors, cela fait de nous des amis je suppose, répondit le
seigneur.
Et pour la première fois, un sourire sincère et franc
s’inscrivit sur son visage fatigué et creusé par
les peines qui s’étaient abattues sur lui.
- Sachez que vous serez toujours le bienvenue chez Clovis de Thiercelieux,
aussi modeste que soit devenue ma demeure désormais.
Après s’être séparés à l’entrée
du château, Duncan redescendit seul le chemin de terre qui menait
au village. Lorsqu’il arriva sur la place, la cérémonie
en l’honneur du pauvre petit Gaëtan était sur le
point de commencer. Le père du garçon et le jeune homme
d’une vingtaine d’années qui lui avait déjà
adressé la parole portaient le linceul dans lequel l’enfant
avait été enveloppé, suivis des autres villageois,
la mère du petit, en larmes, à leur tête. La cérémonie,
sobre, n’en fut que plus émouvante. En l’absence
de membre du clergé, ce fut Enguerrand qui prononça
l’oraison funèbre. Duncan en profita pour observer les
villageois avec attention, ce qu’il n’avait pas eu loisir
de faire lors de son arrivée au village. Il y avait Enguerrand
donc, accompagné de sa dame Mahaut, Gauvin et Aliénor
les parents du petit Gaëtan, le jeune homme de vingt ans qui
enlaçait tendrement une jeune fille de son âge. Puis,
Duncan aperçut une femme qui se tenait en retrait, à
demi-cachée derrière un arbre. C’était
une belle jeune femme aux longs cheveux blonds bouclés qui
le regardait avec une dérangeante intensité.
- Je t’interdis d’être ici !
Aliénor venait elle aussi d’apercevoir la jeune femme
et se précipitait maintenant vers elle, les mains en avant,
tendues comme des griffes, le visage décomposé par la
rage. La jeune femme, impassible, recula. Aliénor tenta de
lui griffer le visage mais la femme repoussa ses mains d’un
mouvement de bras.
- Tu as tué mon fils, Putain du Démon ! C’est
toi qui as demandé au Loup avec lequel tu forniques de tuer
mon enfant ! Jalouse, tu as toujours été jalouse de
moi !
Gauvin entoura sa femme de ses bras puissants la faisant paraître
à nouveau si fragile. Sa colère disparut aussitôt
pour ne laisser place qu’au chagrin. Elle éclata en sanglots,
la tête posée contre la poitrine de son homme.
- Il vaut mieux que tu partes, intervint Enguerrand en s’adressant
à la jeune femme. Inutile d’accabler Aliénor d’une
douleur supplémentaire.
La jeune femme regarda tour à tour chacun des villageois dans
les yeux. Elle se tourna à nouveau vers Enguerrand et hocha
la tête. Puis, sans prononcer un seul mot, recula et disparut
dans la brume éthérée qui encerclait le village.
Les funérailles du petit Gaëtan reprirent et plus aucun
incident ne vint troubler la cérémonie. Mais tous désiraient
ardemment écourter les choses. À commencer par Enguerrand
qui dû faire l’effort de raccourcir son oraison sans pour
autant l’expédier. Une fois le corps mis en terre et
la tombe refermée, les villageois se dispersèrent en
silence à l’exception de Gauvin et Aliénor qui
restèrent au bord de la motte de terre fraichement retournée
pour dire au revoir une dernière fois à leur enfant.
- Belle cérémonie, glissa Duncan à Enguerrand
qui s’approchait de lui.
- Je vous remercie, répondit-il d’un sourire sans joie.
Depuis que le père Augustin est mort, c’est moi qui m’occupe
de tous les enterrements et j’en ai officié plusieurs
depuis. Je commence à être plutôt bon à
ce genre d’exercice, je le crains.
Le jeune homme et sa femme s’approchèrent d’eux.
Elle posa une main sur le bras d’Enguerrand.
- C’était très jolie ce que vous avez dit tout
à l’heure, Enguerrand.
Elle avait un charmant sourire mais le coin de ses yeux pétillait
de larmes qui ne demandaient qu’à couler le long de ses
joues pâles.
- Merci ma petite Jeanne, merci.
- Un joli petit couple qu’ils forment là n’est-ce
pas ? dit Enguerrand en regardant les jeunes gens s’éloigner.
Ces deux là passent tout leur temps ensemble depuis qu’ils
sont petits, impossible de les séparer plus de quelques heures.
Nul besoin d’être voyante pour deviner qu’ils finiraient
un jour par se marier. Tout le monde dans le village les surnomme
les Amoureux et, ma foi, on ne pourrait pas dire plus juste que ça
car Tanguy et Jeanne s’aiment d’un amour pur et sincère.
- Qui était cette femme qui a agressé la mère
du petit tout à l’heure ?
- Oh, il ne faut pas prendre cette altercation bien au sérieux.
Aliénor et Colombe ne se sont jamais entendues. Il y a toujours
eu une rivalité entre elles. Cela remonte au temps où
elles étaient jouvencelles. Elles étaient éprises
du même garçon et c’est Colombe qu’il a choisi.
Forcément elle a toujours été la plus belle de
toutes. Tous les garçons lui tournaient autour, Aliénor
n’avait aucune chance. Alors elle a inventé cette histoire
selon laquelle elle aurait vu Colombe forniquer une nuit avec un loup
dans la forêt. Mais tout le monde sait qu’Aliénor
était jalouse de Colombe et personne ne l’a vraiment
écoutée. D’autant que le garçon dont était
amoureuse Colombe fut dévoré par le loup peu après.
Depuis, elle reste à l’écart du village et ne
se mêle que très peu avec les autres villageois.
Macleod se mit à bailler. Sa fatigue était maintenant
si grande qu’il n’était plus en mesure de la dissimuler.
- Vous êtes harassé Chevalier. Si vous devez monter la
garde cette nuit, il faut que vous vous reposiez. Suivez-moi. Ce ne
sont pas les demeures qui manquent.
Il l’emmena jusqu’à une masure en toit de chaume,
guère différente des autres. L’intérieur
était austère. Une table de bois cernée de tabourets
occupait le centre de la pièce dans l’alignement de la
cheminée. Au fond se trouvait un grand lit de paille qui, en
son temps, avec dû accueillir toute une famille. Puis, le regard
de Duncan se posa sur un petit cheval en bois taillé grossièrement,
un jouet qui rappela de manière dérangeante que cette
masure avait été un jour, un foyer. Désormais,
tout lui apparaissait être un souvenir. La cuillère de
bois qu’une mère avait fait tourner dans un chaudron
de soupe. Le couteau que le père avait utilisé pour
dépiauter un lapin. Les petits sabots à coté
de la cheminé qui avaient accueilli les pieds d’un garçonnet
ou d’une fillette.
- C’est parfait, dit Duncan qui, au fond de lui, se jura de
passer le moins de temps possible sous ce toit.
Mais pour l’heure, la fatigue primait sur sa conscience et il
accepta l’invitation avec joie.
- On viendra vous réveiller un peu avant le coucher du soleil,
dit Enguerrand en refermant la porte.
Duncan posa ses affaires au pied du lit et s’allongea dans un
soupir de soulagement sur la paillasse. Il ferma les yeux pour s’endormir
aussitôt.
Ce fut Tanguy qui vint le réveiller.
- Chevalier, Chevalier, réveillez-vous ! Il est l’heure,
le soleil va bientôt se coucher. Il est temps pour vous d’affronter
le loup.
Duncan se releva péniblement. Il avait bien dormi mais pas
suffisamment et la fatigue était toujours là. Moins
pesante, mais toujours présente. Après avoir accroché
son épée autour de la taille, il suivit Tanguy jusqu’à
la place du village.
- Je vous ai préparé un feu, annonça fièrement
le jeune homme en lui désignant le ballet de flammes dansant
au sein d’un cercle de pierre.
Juste devant avait été disposé un tronc d’arbre
en guise de siège. On pouvait rêver plus confortable
comme installation mais cela convenait à Duncan qui avait connu
bien pire.
Il s’assit sur le rondin et s’enroula dans sa couverture.
Il remarqua alors un petit chaudron posé au bord du feu. Le
liquide à l’intérieur bouillonnait laissant échapper
des effluves appétissants.
- Enguerrand a demandé à sa Mahaut de vous préparer
ça. Elle a aussi laissé du pain et des lanières
de viande séchée.
- C’est gentil de leur part, dit Macleod se demandant au fond
de lui s’ils n’espéraient pas que le loup soit
attiré par l’odeur de la nourriture et l’attaque
lui plutôt qu’un villageois. Mais Duncan s’en voulu
de cette mauvaise pensée. Après tout il était
là pour ça : combattre le loup.
- Bon, fit Tanguy dansant d’un pied sur l’autre en scrutant
le ciel, il est temps que j’y aille. Le soleil est sur le point
de disparaître.
- Va mon garçon, dit Macleod en souriant et le jeune homme
s’éloigna en courant rejoindre sa bien-aimée dans
la sécurité toute relative de son foyer.
Le jour disparut presque aussitôt et Duncan se retrouva seul
dans la nuit, au milieu du village. L’air s’était
considérablement rafraichi et malgré la douceur du feu,
Duncan prit bien soin d’enrouler la couverture autour de lui.
Après avoir englouti son dîner, il commença à
bailler de manière irrépressible. La fatigue s’abattit
à nouveau sur lui, d’un coup, sans prévenir. Il
tenta de résister mais il ne pouvait empêcher ses yeux
de se fermer. Duncan s’endormit en apercevant les nuages se
déchirer pour laisser apparaître le cercle blanc de la
pleine lune se découper dans l’encre de la nuit. L’instant
d’après, résonna le hurlement du loup.
Deuxième nuit
La nuit était déjà bien avancée, quand
un cri aigu déchira le silence paisible qui régnait
sur le village de Thiercelieux. Mais tous les villageois étaient
endormis. Ce cri donc, nul ne l’entendit et le loup put, à
loisir, accomplir son méfait.
Deuxième jour
Lorsque Duncan se réveilla, il fut surpris de constater que
sept paires d’yeux le fixaient avec attention.
- Alors Chevalier, bien dormi ? dit la Mahaut d’un ton sardonique.
- Allons Femme ne l’accable pas trop, répliqua Enguerrand,
c’est nous qui avons eu la folie de croire qu’il pourrait
résister à la malédiction.
- Pas la folie, l’espoir rectifia Jeanne en se blottissant dans
les bras de Tanguy.
- Je vous l’avais bien dit que ce prétendu « chevalier
» ne nous serait d’aucune utilité, répliqua
Gaspard le chasseur avec morgue.
- Attendez. Ce fut Tanguy qui prit la parole, alors que du regard,
il faisait le tour des villageois. Vous n’avez pas remarqué
? Nous sommes tous là. Vivants.
- Il a raison, fit Jeanne avec fierté et soulagement. Le loup
n’a fait aucune victime cette nuit.
A peine eut-elle achevée sa phrase qu’un cri strident
se fit entendre. Il résonna dans les airs pendant un moment
avant de s’évaporer au-delà de la lisière
de la forêt.
Duncan regarda en direction du château et s’élança
aussitôt, Gaspard et Enguerrand sur ses traces. Il emprunta
le même chemin que la veille mais cette fois-ci au pas de course.
Il ne s’arrêta ni même ne ralentit un seul instant,
au contraire des deux villageois qu’il distança bien
vite. Il passa sous le porche qui délimitait l’entrée
du château, poussa la lourde porte de bois et de fer et se glissa
à l’intérieur. Il resta un moment immobile, reprenant
sa respiration. Quand elle fut suffisamment lente et silencieuse,
il perçut les gémissements qui se répercutaient
en échos de l’étage. Duncan gravit l’escalier
en colimaçon et pénétra dans un boyau obscur
que la lumière du jour éclairait à peine. Il
s’avança dans le couloir étroit et s’arrêta
à hauteur d’une porte grande ouverte. D’où
il était il pouvait déjà entrevoir les prémisses
d’une horreur à laquelle il fut pleinement confronté
en pénétrant dans la chambre de feu le Seigneur Clovis
et sa dame Guenièvre. Ils étaient allongés sur
leur lit le torse ouvert du bas-ventre jusqu’au cou. Les cages
thoraciques avaient été défoncées, les
viscères prélevées. Les bras de Clovis qui en
leurs temps portaient l’épée, avaient été
arrachées au niveau de l’épaule. Le visage de
Guenièvre, dévoré, ne ressemblait plus qu’à
un tas de chairs sanguinolentes. Les draps baignés de rouge,
les jets de sang projetés sur les murs de pierre, certains
atteignant même le plafond d’une hauteur pourtant respectable,
témoignaient de la violence de l’attaque. Duncan avait
connu maintes fois la guerre et son lot d’atrocités,
mais jamais encore il n’avait été confronté
à un tel spectacle. Il resta longtemps interdit au milieu de
la chambre, face au lit. Ce furent les exclamations horrifiées
d’Enguerrand et de Gaspard qui le tirèrent de sa torpeur.
Il réalisa tout à coup ce qu’il avait oublié.
- Les enfants.
Duncan se précipita dans le couloir et se retrouva face à
une porte entrouverte. Il la poussa lentement et sentit une résistance.
Il insista et la porte s’ouvrit. La petite Clotilde était
allongée sur son lit, mais aucune trace de sang ni même
d’une quelconque blessure sur son corps. On aurait pu croire
qu’elle dormait si ses yeux n’étaient pas grands
ouverts observant catatoniques le plafond. Duncan la secoua doucement
en l’appelant par son prénom mais n’obtint aucune
réponse.
- Je crois qu’elle a vu le loup.
La voix provenait de derrière la porte. Assis par terre dans
un coin, Adrien regardait le sol, le regard vide, les bras croisés
sur ses genoux relevés à hauteur de la taille.
Duncan s’approcha de lui.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
Adrien tourna son visage ravagé par les larmes. Il essuya un
filet de morve de la manche avant de reprendre.
- J’en sais rien. Je dormais. C’est en me réveillant
ce matin, que j’ai vu que Clotilde n’était pas
dans son lit. Je suis allé voir Père et Mère
et…
La gorge du garçon se noua et Duncan comprit qu’il se
faisait violence pour retenir un nouveau flot de larmes.
- … je les ai vu. J’ai crié, aussi fort que j’ai
pu, tellement j’avais peur. Clotilde était allongée
par terre. Avec ses yeux ouverts, j’ai compris qu’elle
n’était pas seulement évanouie. Je pouvais plus
supporter de voir ça, alors j’ai porté Clotilde
jusqu’à son lit et je suis resté avec elle dans
la chambre. Je savais pas quoi faire, j’osais plus sortir. J’ai…
j’ai rien pu faire pour les aider. Je dormais, j’étais
juste à côté et je les ai même pas entendus…
je les ai même pas aidé.
Duncan entoura les épaules du garçon avec son bras.
- Tu n’as rien à te reprocher. Tu n’aurais rien
pu faire de toute façon. Je trouve moi que tu as été
très courageux au contraire.
- Qu’est-ce qu’elle a Clotilde ? Elle va se réveiller
hein ?
- Je suis sûre que oui, répondit Duncan qui n’en
était pas si sûr que ça. Adrien je vais te laisser
ici un moment, mais je vais revenir. Je serais juste à côté,
tu n’as rien à craindre, d’accord ?
Adrien hocha la tête.
Duncan sortit de la chambre et rejoignit Enguerrand qui attendait
dans le couloir. Le chef du village était blême.
- Où est Gaspard ?
- Dans la cour, il cherche des traces. Par Dieu, vous avez-vu ce carnage
?! Je suis né à Thiercelieux, j’y ai vécu
toute ma vie et aussi loin que je m’en souvienne il ya toujours
eu des attaques du loup. J’ai vu beaucoup de dévorés
donc mais exceptée la mort du Père Augustin, je n’ai
jamais vu quelque chose d’aussi horrible que ça. On dirait
qu’il s’est littéralement acharné sur eux.
- C’est aussi ce que j’ai pensé. Ecoutez Enguerrand,
on ne peut pas laisser ces deux enfants ici. La petite est inconsciente
et je n’arrive pas à la réveiller. Elle a besoin
qu’on s’occupe d’elle ainsi que de son frère.
Et ce que vous pensez que Mahaut…
- … sera contre. Je vais être franc avec vous Chevalier,
les villageois ne portaient pas le seigneur et encore moins sa dame
dans leur cœur. Leur mort ne les émouvra pas alors ne
comptez pas sur eux pour qu’ils acceptent de s’occuper
de leurs enfants.
- Enfin Enguerrand, il faut bien que quelqu’un les garde !
- Vous pouvez toujours demander à Colombe. Cette fille est
bizarre. Elle ne se mêle pas trop aux autres villageois, qui
le lui rendent bien d’ailleurs. C’est une marginale. Je
me dis qu’elle pourrait accepter de prendre les enfants de notre
défunt seigneur rien que pour le plaisir d’embêter
les autres villageois.
- Alors c’est ce que je vais faire. Aidez-moi à trouver
un chariot, la petite ne peut pas bouger et je doute que le garçon
soit en état de marcher.
Duncan et Enguerrand se retrouvèrent dans la cour. Ils ne virent
nulle part Gaspard. S’en doute se trouvait-il dans la forêt
aux abords du château.
Ils trouvèrent ce qu’ils cherchaient sous une arche,
caché sous un amoncellement d’objets. Il s’agissait
d’une petite charrette, pas trop lourde, qui pouvait aisément
être tirée par un homme en l’absence d’animal
de traie. La roue était cassée mais Enguerrand y remédia
rapidement. Avec d’infimes précautions, ils placèrent
la petite Clotilde dans la charrette puis installèrent Adrien
à ses côtés. Il n’avait plus prononcé
un mot depuis que Duncan lui avait parlé. Il se contentait
de regarder devant lui, apathique.
Enguerrand se mit à tirer la charrette sur le chemin. La descente
fut difficile car la pente était ardue et il devait faire un
effort supplémentaire pour retenir, avec sa seule force, le
poids de la charrette qui ne demandait qu’à lui rouler
dessus. Duncan, quand à lui, avait préféré
prendre les devants et aller voir Colombe avant l’arrivée
d’Enguerrand et des enfants. Colombe habitait une petite chaumière
isolée des autres à l’extrémité
du village, à la lisière de la forêt. La jeune
femme était assise sur un banc, semblant attendre quelque chose
ou quelqu’un.
- Je vous souhaite la bienvenue Chevalier dit Colombe. Son sourire
était un peu forcé mais ne manquait pas de charme. Apportez-vous
de bonnes ou de mauvaises nouvelles ?
- Le Seigneur de Thiercelieux et sa Dame sont morts. Ils ont été
dévorés par le Loup.
- Oh. Je suis navré de l’apprendre.
- Vous n’en avez pas vraiment l’air.
- Vous auriez préféré que je me mette à
pleurer, à crier en me roulant par terre ? Ce n’est pas
mon genre. Et puis ces gens n’étaient rien pour moi.
- Il était votre Seigneur. Et de ce que j’ai pu en voir,
je ne pense pas que c’était un mauvais homme.
- Non, mais il se souciait peu de ses serfs mis à part leur
réclamer les corvées et faire valoir ses droits de Seigneur.
- Si je suis venu vous voir Colombe, c’est pour vous demander
si vous accepteriez de vous occuper de leurs enfants. Ils ont vu leurs
parents morts et la petite est tombée dans l’inconscience
sous le choc.
- C’est d’accord.
- Vous acceptez ?
- Bien sûr, ils ont beau être les enfants du Seigneur
de Thiercelieux, ils demeurent des enfants. Ils ont besoin de quelqu’un
à leurs côtés, maintenant plus que jamais. Je
m’occuperai d’eux.
- Je suis heureux de l’apprendre et je vous en remercie. D’ailleurs
les voilà.
En effet c’est un Enguerrand soufflant comme le bœuf qui
aurait du se trouver à sa place qui apparut au détour
du chemin. Adrien se tenait debout à l’intérieur
de la charrette, il regardait en direction de la maison.
Enguerrand s’arrêta à quelques mètres d’eux.
Il lâcha la charrette avec un indicible soulagement et se pencha
en avant, se tenant les cuisses tout en aspirant de grandes goulées
d’air. Duncan aida Adrien à descendre de la charrette.
Colombe s’approcha de lui, se baissa à sa hauteur et
le prit tendrement dans ses bras. Aussitôt l’enfant se
laissa aller et sanglota. Duncan porta Clotilde à l’intérieur
de la chaumière et la posa sur le lit.
Après s’être assuré que les enfants ne manqueraient
de rien, il repartit en compagnie d’Enguerrand en direction
du château afin de récupérer les dépouilles
du seigneur et de sa dame et leur offrir une décente sépulture.
Enguerrand accepta la tâche sans rechigner. Après tout,
seigneur ou paysan, tout le monde avait le droit de retourner à
la terre. C’était chrétien. Mais quand Macleod
lui demanda de réunir tous les villageois en vue de l’enterrement,
il protesta, arguant que personne ne se déplacerait pour accompagner
le seigneur dans sa dernière demeure. Ce fut l’argument
de Macleod, selon lequel les enfants devaient pouvoir leur dire adieu
qui l’emporta.
Enguerrand avait fait du bon travail. Mis à part la petite
Clotilde, toujours plongée dans l’inconscience, tout
le monde s’était réuni au cimetière autour
du trou béant dans lequel Duncan avait posé feu Clovis
et Guenièvre de Thiercelieux. Pour autant, on pouvait lire
sur le visage des villageois qu’ils ne s’étaient
pas déplacés de leur plein gré. Aliénor
et Gauvin semblaient absents, perdus dans la douleur d’avoir
perdu leur fils. La Mahaut regardait la fosse d’un air condescendant.
Gaspar se dandinait d’un pied sur l’autre impatient d’en
finir et de reprendre ses recherches dans la forêt. Les Amoureux
s’enlaçaient plus préoccupés l’un
par l’autre que par les défunts. Colombe, les mains posées
sur les épaules d’Adrien, n’avait d’yeux
que pour l’enfant. Même Enguerrand était pressé
d’en finir. Son homélie fut courte, dépourvue
de chaleur. Il lut maladroitement la Bible du Père Augustin
dans un latin approximatif. Les villageois se séparèrent
bientôt avec un soulagement à peine dissimulé.
Colombe resta un moment encore avec Adrien. Duncan les observait à
distance quand Aliénor s’approcha de lui.
- La Mahaut m’a dit que vous aviez confié les enfants
de feu notre seigneur à cette Putain du Diable ! cracha-t-elle
en désignant Colombe. Grave erreur que vous faites-là
Chevalier. Elle a couché avec le loup, je l’ai vu quand
nous avions quinze ans. Une nuit, je me suis réveillé.
Nos maisons se faisaient face et je l’ai vu déambuler
dans la nuit, vêtue simplement de sa chemise de nuit. La garce
a marché jusqu’à l’orée de la forêt.
Il l’attendait là, tapie dans les buissons. La Bête,
un gigantesque loup. Elle a fait glisser son vêtement le long
de son corps et nue elle est entrée dans la forêt pour
se donner à l’animal. Vous verrez, bientôt le loup
dévorera les enfants. Ce sera elle qui les lui aura livrés.
Et ce sera votre faute, Chevalier. Votre faute !
Gauvin s’approcha de sa femme qui devenait hystérique.
Il la prit par les épaules et l’éloigna doucement
mais avec fermeté. D’évidence, Aliénor
avait sombré dans la folie. Pour autant son discours avait
troublé Duncan d’une façon qu’il ne parvenait
pas à expliquer. Il leva les yeux et vit que Colombe le regardait
fixement. Son regard était difficile à interpréter.
Finalement, elle baissa les yeux en secouant tristement la tête
et, tenant Adrien par les épaules, retourna avec l’enfant
jusqu’à sa chaumière.
Macleod retourna au château sur les lieux du massacre. Il examina
les chambres, le couloir, les escaliers, alla jusque sur les remparts
mais nulle part, il trouva un quelconque indice qu’aurait pu
laisser le loup, une indication de la direction qu’il aurait
pu prendre en quittant le château et qui aurait permis de retrouver
sa trace. De son promontoire, Duncan embrassait du regard la forêt.
Il aperçut Gaspard et décida de le rejoindre. L’accueil
du chasseur ne fut pas des plus chaleureux.
- Ah c’est vous. Le Chevalier. Je vous avais dit de ne pas me
déranger durant la chasse.
- Ne vous inquiétez pas, je ne vous gênerais pas. Je
suis chasseur moi-même. Je suis retourné au château
tout à l’heure. Je n’ai trouvé aucun indice
laissé par le loup. Pas un poil, pas une trace de sang qu’il
aurait pu laisser après son forfait. Et de votre côté
aux abords du château ?
- Pareil. Rien du tout. C’est à n’y rien comprendre.
A moins que…
- A moins que ?
- A moins que le loup ait toujours été dans le château.
- Que voulez-vous dire ? Non, vous ne pensez tout de même pas
que ça pourrait être un des enfants. Adrien ou…
Clotilde ? Mais elle est inconsciente.
- Ce pourrait être une ruse pour nous berner. Endormir notre
suspicion. Et à la nuit tombée elle se transformera
pour continuer son œuvre.
- Franchement Gaspard, j’ai beaucoup de mal à y croire.
- Je ne dis pas que c’est elle le loup, juste que c’est
une possibilité. Ce dont je suis certain, c’est que le
loup se cache sous les traits d’un villageois.
- Oui je me souviens vous avoir entendu parler de loup-garou hier.
Gaspard regarda attentivement Duncan, sembla le scruter du regard.
Après un long moment, il soupira.
- C’est vrai que vous avez l’œil du chasseur. Alors
de chasseur à chasseur je vais vous faire une confidence. Lorsque
le Père Augustin était encore en vie, il m’avait
montré certains livres traitant du Malin et de ses créatures.
Le loup-garou est un démon qui se cache sous les traits d’un
homme le jour. Mais dès la nuit tombée, et sous peu
que la lune soit pleine, il se transforme en un gigantesque loup mû
par une faim dévorante que seule la chair humaine peut assouvir.
Quand le Père Augustin fut lui-même dévoré
par le loup, j’ai récupéré ses livres afin
de pouvoir les étudier. Mais ne comprenant pas le latin, ils
ne me sont pas, je le crains, d’une grande utilité.
Duncan n’ajouta pas un mot. Il suivit quelques temps encore
Gaspard dans la forêt, repassant dans sa tête l’idée
que le loup pouvait être un villageois. Cette idée lui
semblait absurde et pourtant elle commençait à faire
du chemin dans son esprit. Voyant que les recherches demeuraient vaines,
Duncan se sépara de Gaspard et retourna au village. Il avait
des remords de s’être endormi la nuit dernière,
aussi décida-t-il de se reposer jusqu’au coucher du soleil
afin d’être aussi éveillé que possible au
moment où il devrait monter la garde. Après avoir demandé
à Tanguy de venir le réveiller juste avant la nuit,
comme la veille, il retourna à sa demeure et, à son
grand étonnement, s’endormit sur la couche peu de temps
après s’y être étendu.
Troisième nuit
Comme prévu, Tanguy le réveilla peu avant le crépuscule.
Duncan regagna son poste de garde, près du tronc d’arbre
et de sa marmite de soupe. Ce soir là pourtant, il décida
de ne pas y toucher, craignant que le ventre plein favorise son endormissement.
Au lieu de cela, il vida la marmite qu’il remplit d’eau.
Après l’avoir fait bouillir, il ajouta des grains noirs
qu’il avait rapporté d’un de ses lointains voyages
et qui avaient pour propriété d’exciter le corps
de manière à le maintenir éveillé. Il
but plusieurs gobelets de cette exotique boisson et attendit. Malgré
quelques heures de résistance, Duncan sentit irrémédiablement
le poids de la fatigue s’abattre sur ses épaules. Son
corps tout comme son esprit lui semblait de plus en plus lourd. Ses
membres étaient gourds et sa vision devenait de moins en moins
nette, comme si, à chaque mouvement de tête qu’il
effectuait, il fallait un délai à ses yeux pour transmettre
l’information. Alors que Macleod était sur le point de
sombrer dans le sommeil, un bruit sourd se fit entendre dans une des
masures du village.
Duncan se redressa aussi vite qu’il le put, et se releva maladroitement.
Il avança un pied devant l’autre en titubant, empruntant
une voie non pas droite mais en zig zag. Il arriva enfin devant la
maison emplie de tristesse d’Aliénor et de Gauvin. D’un
geste imprécis, il s’empara de son épée,
manquant de basculer en arrière sous son poids et poussa la
porte de la maison. Sa vision, brouillée par la fatigue, ne
permit à Duncan que d’entrapercevoir l’horreur
de la scène. Le loup était campé de ses quatre
pattes sur la couche d’Aliénor et Gauvin, le museau plongé
dans les entrailles d’Aliénor. En entendant, le grincement
de la porte, le loup tourna la tête avec une célérité
qui fit sursauter Macleod. Le loup replaça le morceau de chair
dans sa gueule ensanglantée avant de l’avaler et se jeta
sur Duncan. Tous deux, passèrent dans un fracas de bois déchiqueté
à travers la porte et roulèrent dans la boue. Duncan
leva son épée pour parer les attaques du loup, mais
il était trop faible pour maintenir son emprise sur la garde.
D’un coup de gueule, le loup le désarma sans difficulté.
Tout ce que Duncan voyait lui apparaissait comme dans un brouillard.
Il sentait qu’il ne pouvait lutter contre la rapidité
du loup, quand ses gestes à lui s’effectuaient avec une
lenteur affligeante. Ce n’est qu’au prix d’un suprême
effort, qu’il parvint à se détacher de la pesante
étreinte de l’animal. Convaincu de sa trop grande faiblesse,
Duncan s’éloigna en direction de la forêt, espérant
à la fois gagner du temps et éloigner le loup du village.
Mais il suffit à l’animal de trois bonds pour parvenir
à sa hauteur et se jeter à nouveau sur lui. Sa gueule
plongea sur le flanc gauche de Duncan qui hurla de douleur en sentant
la morsure. Sa main chercha du côté de sa hanche droite
et trouva la garde de son coutelas. Sa latitude de mouvement étant
limitée, Duncan, avec le reste de force qui lui restait, plongea
la lame effilé où il put. Ce fut au tour du loup de
hurler de douleur. Il s’éloigna de Duncan d’un
mètre ou deux et se retrouva campé sur ses pattes arrières,
regardant dans sa direction, les babines retroussées sur des
crocs acérées d’une taille phénoménale.
Macleod, pressentant l’animal prêt à bondir, s’empara
de la branche la plus solide espérant que le bout serait suffisamment
biseauté et, au moment où le loup se jeta sur lui, ficha
la pointe dans le poitrail de l’animal en le faisant basculer
derrière lui. Duncan, qui avait donné toutes ses forces
dans cet ultime effort, glissa à terre. Il eut tout juste le
temps de se retourner et de voir le loup précipité dans
un ravin. Ses vêtements en lambeaux, le corps ensanglanté
dévoré de toutes parts, Duncan sentit la vie le quitter
lentement. Dans son passage vers le trépas, il fut accompagné
tout du long, par l’orbe livide de la lune qui l’observait
entre la cime des arbres.
Troisième jour
Aux premières lueurs de l’aube, une ombre blanche apparut
aux côtés du corps sans vie de Duncan. C’était
une belle femme recouverte d’un voile blanc que le soleil rendait
lumière.
Elle s’agenouilla avec grâce et, d’une main douce,
caressa le ventre du guerrier écossais. Puis sa main passa
sur le flanc au niveau de la blessure. Ses doigts fins pénétrèrent
à l’intérieur de la plaie sanglante. La main ressortit
d’un coup sec, un long éclat de bois entre les doigts.
La main en sang reprit sa place sur le ventre du Highlander et d’une
voix douce et ferme à la fois, la femme prononça ces
mots :
- Vis, Duncan Macleod du clan des Macleod.
Le corps de l’Immortel se cabra violemment, ses yeux et sa bouche
s’ouvrirent d’un même mouvement. Après une
longue inspiration douloureuse, Duncan resta allongé un long
moment. Ce n’est qu’après avoir retrouvé
une respiration normale, qu’il se rendit compte de la présence.
Ses yeux la reconnurent tout de suite mais il fallut plus de temps
à son esprit pour se faire à l’idée qu’elle
était là, devant lui.
- Cassandra ?
- Bonjour Duncan, dit-elle en offrant sa main pour l’aider à
se relever. .
Ses yeux bleus acier croisaient ceux de Duncan. Comme à son
habitude son regard était impénétrable. Un mince
sourire s’afficha sur ses lèvres mais Duncan n’aurait
su dire si c’était réellement un sourire de joie.
- Qu’est-ce que tu fais ici ?
- La même chose que toi Duncan, aider le village de Thiercelieux,
le sauver de sa malédiction.
- La malédiction ? Toi aussi tu y crois ?
- Je n’y crois pas Duncan, elle existe. Elle est l’œuvre
d’un puissant sorcier.
- Un Immortel ?
- Un dénommé Roland Kantos qui a décidé
de se venger du village de Thiercelieux après avoir subi leur
courroux il y a des décennies.
- Oui, c’est le genre d’histoire que m’a raconté
le seigneur de Thiercelieux. Comment agit cette malédiction
? Il a crée un loup avec sa magie ?
- Non, il a fait bien pire. Viens avec moi.
Cassandra, d’un pas assuré, descendit au fond du ravin.
Là, gisait le corps d’un homme nu. Au milieu de sa poitrine,
se dressait une branche d’arbre. Macleod n’eut aucun mal
à le reconnaître.
- Gauvin ? C’était lui le loup ?
- Je ne pense pas qu’il soit le seul. Vu le rythme des décès
ces dernières années, je pense qu’il en existe
encore au moins un, peut être deux.
- Pourquoi ne te sers-tu pas de ta magie pour les débusquer
?
- La magie de Kantos est très puissante, surtout en ces lieux
hantés par sa malédiction. Mes pouvoirs sont amoindris,
demeurer ici m’épuise. Je dois m’éloigner
quelques temps pour me ressourcer, c’est pour cela que tu es
là.
Duncan recula d’un pas, la regarda d’un air soupçonneux.
- Attends une minute Cassandra. C’est à cause de toi,
ces hommes qui me poursuivaient n’est-ce pas ? Ils t’ont
servi de rabatteurs pour m’amener ici.
- Pardonne-moi Duncan mais le temps me manquait et c’était
le moyen le plus rapide et le plus facile à mettre en œuvre
pour te faire venir.
Duncan était sur le point de protester quand Cassandra se figea.
Totalement immobile, elle regardait dans le vide. Duncan scruta ses
yeux. Les pupilles d’ordinaire bleus avaient pâli pour
devenir presque blanches.
- Tu dois rentrer au village.
Duncan sursauta en entendant la voix de Cassandra. Une voix rauque
et éraillé qui semblait venir d’outre tombe. Peu
à peu, les pupilles de la sorcière retrouvèrent
leur couleur originelle. Elle se tourna vers Duncan.
- Quelque chose de terrible va se produire là-bas, si tu pars
tout de suite peut être pourras-tu l’empêcher.
Cassandra tendit une fiole à Duncan.
- Cet élixir te permettra de demeurer éveillé
durant la nuit et de trouver le loup. Dès que j’aurais
recouvré toute ma puissance, je reviendrais t’aider.
Maintenant va Duncan le temps presse.
Duncan s’élança en direction du village. Dans
sa course, il prit le temps de jeter un coup d’œil en arrière.
Cassandra avait disparu.
- Mahaut est le loup.
Gaspard le chasseur avait prononcé ces mots d’un ton
calme mais d’une voix forte et ferme.
Il se tenait sur la place du village entouré des autres villageois.
Même Colombe était présente. En face de lui, Mahaut
écumait de rage.
Dès l’aube, chacun était sorti de sa masure et
tous s’étaient regroupés. Ils avaient tout d’abord
constaté l’absence d’Aliénor et de Gauvin,
puis celle du chevalier. Ils découvrirent à la demeure
d’Aliénor et de Gauvin, la porte défoncée
et le corps de la villageoise éventrée sur la couche.
Nul effroi dans cette découverte pour aucun d’entre eux,
qui étaient depuis longtemps blasés. Tout de suit, ils
avaient échafaudé un scénario sur ce qui s’était
passé. Gauvin était parti avec le chevalier dans la
forêt afin de débusquer le loup ou du moins des indices
et se venger. C’est alors que Gaspard avait fait sa révélation.
- Cela fait longtemps que je te soupçonne Mahaut, reprit Gaspard.
C’est ton silence qui en premier m’a donné à
douter de toi. Pour les autres, c’est simplement dans ton caractère,
mais moi je crois que tu as peur de révéler ta véritable
nature si tu parles. Et pour les rares fois où tu t’exprimes
c’est pour médire sur autrui. J’y vois là
une machination pour faire porter les regards ailleurs que sur toi.
Enfin, cela fait bien longtemps que j’observe tes allées
et venues dans la forêt…
- Fourbe !!! Comment oses-tu ?! Les accusations que tu me portes,
tu peux les faire peser sur toi. Diable que tu es de m’accuser
sans raison pour détourner l’attention. C’est toi
le démon. Explique-nous donc pourquoi toi le grand chasseur
tu n’as jamais réussi à attraper le loup, même
pas à trouver le moindre indice sur son identité ?
- Toi, explique nous ton acharnement jadis contre feu le Père
Augustin. Il m’avait parlé de toi, de tes absences fréquentes
lors des offices, de ton attitude dédaigneuse à son
égard. C’est lui qui, le premier, m’a ouvert les
yeux sur ton trouble comportement. Et lui n’était pas
loup, puisqu’il fut tué par ce dernier.
- Parlons-en du Père Augustin. Peut-être pourrais-tu
nous montrer l’envers de ta paillasse ? Et alors nous expliqueras-tu
ce qui traine des livres démoniaques que la sainte Eglise réprouve
dans la détention comme dans la simple lecture ?
Gaspard rougit et tenta de se trouver une contenance afin de masquer
son trouble.
- J’impose un vote de lynchage au village et pour toutes les
raisons que j’ai énumérées, je vote Mahaut.
Enguerrand soupira.
- Gaspard es-tu si sûr de ce que tu affirmes qu’il faille
y imposer un vote de lynchage ?
- Je suis sûr de mon fait et nul ne me détournera de
mon idée. Mahaut est le loup.
- Alors soit, votons. Tanguy ?
- Si j’avais le choix, je ne voterai ni contre l’un, ni
contre l’autre car aucun n’a su apporter d’éléments
convaincants. Mais puisque je dois choisir, je vote contre Mahaut
qui est moins utile au village que le chasseur.
- Je vote comme mon Tanguy, ajouta Jeanne en caressant le torse de
son époux.
Enguerrand se tourna vers Colombe et tout le monde retint son souffle
car la parole de celle que l’on surnommait la Louve était
suffisamment rare pour être significative. La réponse
pourtant fut des plus laconiques.
- Je vote contre Gaspard.
Les yeux de Mahaut semblèrent étinceler.
- Moi aussi je vote contre Gaspard.
- Trois voix à deux contre Mahaut, calcula Enguerrand. Etant
chef, ma voix compte double et c’est donc ma décision
qui l’emportera. Je vote pour le lynchage de Gaspard.
- Maudit sois-tu Enguerrand, toi et ta femelle démoniaque.
Soyez-tous maudits !!!
Enguerrand tira sa dague de sa ceinture et d’un coup vif et
précis éventra Gaspard.
- Non !
Tous se retournèrent et aperçurent le chevalier émergeant
des profondeurs de la forêt. Gaspard profita de ce moment d’inattention
et des dernières forces qui lui restait pour lever son arbalète.
La tête de Mahaut partit vers l’arrière avec une
vitesse surprenante. Mais ce fut le craquement de l’os, au moment
où le carreau perçait le crâne de la Mahaut, qui
resta dans la mémoire de tous les villageois. La dame d’Enguerrand
s’effondra au sol. Ce dernier poussa aussitôt un cri de
bête enragée. Il se jeta sur le chasseur qu’il
acheva de plusieurs coups de couteaux. Duncan le sépara de
Gaspard tandis que ce dernier gisait à terre le ventre tailladé
de part en part.
- Bande d’idiots ! s’écria Macleod, c’était
Gauvin le loup qui a tué Aliénor.
Et Duncan d’expliquer les événements de la nuit
en omettant volontairement de parler de Cassandra. Lorsqu’il
eut fini, tous regardèrent en silence les corps de Mahaut et
Gaspard qui gisaient à un mètre l’un de l’autre.
Duncan pouvait sans peine deviner la pensée de chacun et il
décida de l’exprimer à voix haute.
- Maintenant qu’ils sont morts, on ne saura jamais si l’un
ou l’autre était réellement un loup.
Vous êtes si peu, ce village est au bord de l’extinction
et vous trouvez encore moyen de vous battre entre vous. Vous avez
cédé à la peur et voilà le résultat.
Tout ce qu’il vous reste à faire maintenant, c’est
espérer que le loup gise à nos pieds.
Duncan se retira en silence laissant aux villageois le soin d’enterrer
leurs morts.
Il se rendit à la masure de Colombe, visiter les enfants.
Il trouva la petite Clotilde, étendue sur le lit, toujours
dans un état catatonique. A ses côtés, Adrien
veillait sur elle.
- Vous avez tué le loup ? demanda le petit garçon plein
d’espoir en levant ses yeux bleus sur Macleod.
Duncan lui posa une main sur l’épaule en signe de réconfort.
- Ne t’inquiète pas mon garçon, vous êtes
en sécurité ici toi et ta sœur. Colombe est gentille
avec vous ?
- Oui, elle est bien bonne. Père disait toujours que les habitants
de Thiercelieux étaient de braves gens.
Duncan sourit.
- Tu peux être fier de ton père, c’était
un homme bon.
Colombe apparut dans l’encadrement de la porte et l’espace
d’un bref instant, l’ombre de la jeune femme apparut comme
menaçante à Duncan.
- Je suis venu rendre visite aux enfants. Aucun changement pour la
petite ?
- Non, répondit Colombe. Mais je ne m’inquiète
pas, elle se réveillera le moment voulu. Il lui faut juste
un petit peu de temps.
- Je l’espère. En tout cas je vous remercie d’avoir
accepté de vous occuper d’eux.
- C’est moi qui vous remercie de me les avoir confiés.
Duncan sortit de la maison et Colombe le suivit.
- Comment ça se passe dans le village ?
Enguerrand a emporté le corps de sa Mahaut avec lui. Tanguy
s’est occupé de Gaspard.
- Bien, quand à moi, je vais aller récupérer
le corps de Gauvin.
- Vous allez enterrer un loup au village ?
- Je n’ai aucune certitude sur le fait que Gauvin savait qu’il
était un loup et qu’il avait conscience de ses agissements
durant la nuit. N’oubliez pas qu’il a tué sa dame
et son propre fils. J’ai beaucoup de mal à croire qu’il
ait pu commettre ces meurtres de sa propre volonté. Pour ma
part, il est une victime au titre de tous les autres villageois et
cela considéré, il est de notre devoir de lui offrir
une digne sépulture.
- Et bien, si telle est votre vœu Chevalier, faites à
votre guise, répondit Colombe qui rentra dans sa maison.
Duncan se rendit dans la forêt à l’endroit où
il était mort la nuit dernière, là où
il avait retrouvé Cassandra. Comme il s’y attendait,
il ne trouva aucune trace d’elle. Il descendit le long de la
ravine jusqu’au corps de Gauvin qui gisait toujours à
la même place. Après l’avoir enveloppé dans
un linceul, Duncan le mit sur son dos et, ainsi chargé, ramena
son fardeau jusqu’au cimetière. Là, il retrouva
Tanguy qui achevait d’enterrer Gaspard. A l’étonnement
de Duncan, le jeune homme ne fit à l’instar de Colombe
aucune réflexion. Au contraire, il aida Macleod dans sa tâche.
Il ne fallut pas plus d’une heure à Duncan et Tanguy
pour mettre Gaspard le chasseur en terre. En début d’après-midi,
Jeanne les rejoignit pour la cérémonie. Comprenant,
au bout d’un long moment, que ni Enguerrand, ni Colombe ne viendraient,
Duncan se décida à officier. Sans bible sous la main,
il fit appel à sa mémoire et récita quelques
passages en latin que le frère Paul lui avait appris durant
son séjour au monastère. Ses mots étaient hésitants
et sa voix, peu assurée, ne laissait pas transparaître
de réelle émotion. Réalisant bien vite que toute
tentative d’offrir un dernier hommage décent à
Gaspard était vaine, Duncan décida d’écourter
la cérémonie. Tanguy et Jeanne rentrèrent chez
eux et Macleod quitta le cimetière pour se rendre à
l’église. L’édifice, abandonné depuis
la mort de Père Augustin, s’était rapidement délabré
faute d’entretien. Lierre sur les murs, oiseaux nichés
dans la toiture, toiles d’araignées dans les recoins
; la nature avait repris ses droits. Duncan remonta l’allée
centrale et fit face à l’autel où le Père
sermonnait ses brebis égarées. Il ne perdit pas de temps
à s’apitoyer sur les morts et se mit à chercher
ce dont il avait besoin. Il ressortit bientôt de l’église
avec une vingtaine de carillons et de la corde. Sur le chemin du retour,
il aperçut Enguerrand. Caché derrière un arbre,
il le vit qui disposait des fleurs sur la tombe de sa Mahaut. Discrètement,
Duncan passa son chemin.
Arrivé sur la place du village, Macleod constata que la nuit
était sur le point de tomber et que Tanguy avait préparé
son poste de garde. Il s’assit contre le tronc d’arbre
devenu au bout de trois nuits tellement familier. Dans le village
régnait un silence assourdissant. Tous les villageois étaient
rentrés laissant Duncan seul face au loup. L’Immortel
sortit de sa besace la fiole que lui avait donnée Cassandra.
Le liquide, d’où émanait une pâle luminescence,
était d’un blanc laiteux. Alors que les derniers rayons
de soleil disparaissaient derrière la cime des arbres, Duncan
déboucha la fiole et but une grande gorgée d’élixir.
Il attisa ensuite le feu en rajoutant des branchages, s’emmitoufla
dans sa cape et attendit.
Quatrième nuit
Quand il fut convaincu que la nuit était tout à fait
tombée et que tous les villageois étaient profondément
endormis, Duncan quitta son poste de garde et s’en alla dans
le village. Devant chaque porte, il tendit une corde à laquelle
était attaché un carillon. Il fit de même, à
intervalles réguliers en bordure du village. Ainsi, que le
loup vienne de l’extérieur ou de l’intérieur
du village, il serait prévenu de son arrivée.
La veille à la même heure, il luttait contre le sommeil
juste avant que Gauvin, sous sa forme de loup, ne fasse son apparition.
Cette nuit pourtant, Duncan était tout à fait éveillé.
L’élixir de Cassandra marchait donc. Cela ne l’étonnait
pas vraiment, mais au fond de lui, il regrettait de ne pas s’être
endormi. La nuit, le village était encore plus lugubre que
de jour. Et jamais de sa vie autant qu’en cet instant, il ne
s’était senti aussi seul. Duncan attendait devant le
feu, tendant l’oreille à l’affût du moindre
son de clochette. Son épée était posée
contre le tronc d’arbre, prête à l’emploi.
Macleod essayait de s’imaginer le calvaire des villageois de
Thiercelieux. Durant des années, à l’approche
de la pleine lune, ils savaient que des voisins, des amis, des parents,
peut être leurs propres enfants seraient dévorés.
Et à mesure que le temps avançait, le nombre des villageois
s’amenuisait. Ils n’étaient plus que six désormais,
plus assez pour former un village. Mais Duncan avait juré qu’il
défendrait le village de Thiercelieux et il n’avait pas
l’intention de se dédire de sa parole.
Duncan leva les yeux vers le ciel et vit qu’il commençait
à s’éclaircir. Il poussa un soupir de soulagement.
La nuit était passée sans qu’aucun loup n’apparaisse.
Il repensa à Gaspard et à Mahaut et se demanda lequel
des deux avait été le second loup en fin de compte.
Réalisant que cette question resterait définitivement
sans réponse, il chassa cette idée de sa tête.
Juste avant le lever du jour, Duncan refit un tour dans le village
et récupéra toutes les cordes et tous les carillons
qu’il avait posés à la tombée de la nuit.
Puis, il se réinstalla à son poste de garde. Assis sur
le tronc d’arbre, les mains appuyées sur le pommeau de
son épée, pointe posée contre le sol, il attendit
le réveil des villageois.
Quatrième jour
Enguerrand fut le premier à le rejoindre sur la place du village.
Il avait le visage fermé, le regard dur. Il ne prononça
pas un mot et Duncan ne chercha pas à le faire parler.
Les Amoureux les rejoignirent peu de temps après. Comme à
leur habitude, ils étaient serrés l’un contre
l’autre. Ils souriaient, heureux d’être ensembles.
Mais Duncan pouvait lire au fond de leurs yeux, l’inquiétude
qui étaient la leur. Ils savent qu’ils sont au bout du
chemin pensa-t-il. Si le second loup n’est pas mort la veille
ils seront tous condamnés. Mais ça n’arrivera
pas, j’y veillerai.
Ils attendirent enfin Colombe. Le visage de Duncan, plus détendu
depuis le lever du jour, s’assombrit à nouveau en constatant
qu’elle ne venait pas.
Duncan se leva et, suivi d’Enguerrand et des Amoureux, se rendit
chez Colombe.
La petite Clotilde était allongée, perdue dans son sommeil
catatonique. Adrien lui sanglotait, assis dans un coin de la pièce.
- Où est Colombe ? lui demanda Duncan en s’agenouillant
à ses côtés.
- C’est de ma faute, lâcha Adrien entre deux sanglots.
C’est de ma faute si elle est sortie. Avant de me coucher, je
lui ai dis que j’avais soif. Elle est allée tirer de
l’eau au moment où le soleil se couchait et elle est
jamais revenue.
Duncan caressa la tête de l’enfant.
- Ce n’est pas de ta faute Adrien. Tu n’as rien à
te reprocher, d’accord ? Je vais aller la chercher. Toi, tu
vas rester avec Jeanne et Tanguy pendant ce temps.
Il se tourna vers les Amoureux qui approuvèrent d’un
signe de tête. Duncan sortit de la masure. Arrivé au
puits, il ne trouva nulle trace de Colombe autour de la margelle.
Il enflamma une étoffe qu’il jeta dans le puits et regarda
au fond.
- Le puits est à sec, dit Enguerrand en arrivant dans son dos.
- Où a-t-elle pu aller chercher de l’eau alors ?
- Il y a un étang tout près de sa maison, je me dis
qu’elle a pensé pouvoir faire l’aller retour avant
d’être surpris par la nuit.
- Allons-y.
Duncan et Enguerrand retournèrent vers la maison de Colombe
et s’engouffrèrent dans la forêt. En approchant
de l’étang, ils découvrirent un morceau d’étoffe
déchiré accroché à un buisson. Duncan
redoubla l’allure. D’un mouvement sec de l’avant-bras,
il écarta des hautes herbes qui lui barrait le passage pour
se trouver nez à nez avec le spectacle le plus horrible qu’il
lui ait été donné d’assister dans sa longue
existence. Sur tout le pourtour de l’étang, la végétation
était rouge, maculée de sang. Mais pis encore étaient
les morceaux d’os et de chair qui jonchaient le sol.
Au milieu de cette désolation trônait, à demi-enfoui
dans la terre humide, le seau utilisé par Colombe pour récolter
de l’eau.
- De la bouillie, il en a fait de la bouillie.
Enguerrand hocha la tête.
- Il a fait pareil avec le Père Augustin. Un véritable
massacre. A l’époque on s’est dit que le loup voyait
dans le Père un ennemi naturel et qu’il s’était
acharné sur lui. Mais je ne vois pas pourquoi il a fait pareil
avec Colombe.
- D’autant que vous la soupçonniez tous d’être
un loup.
- Oui c’est vrai, se résigna à répondre
Enguerrand d’un ton coupable
- Elle aura payé cher la démonstration de son innocence.
Baignés d’un silence de mort, Duncan et Enguerrand contemplèrent
la sinistre scène qui s’offrait à leurs yeux.
Duncan finalement rompit le silence.
- Retournons au village. Récupérez un sac qui nous servira
de linceul. Tachons au moins d’offrir un digne enterrement à
ce qui reste de cette pauvre enfant.
- Et vous ?
- Moi, une tâche plus difficile m’attend. Je dois l’annoncer
à Adrien.
Mais lorsqu’il arriva à la maison de feu Colombe, il
trouva Adrien assis au bord du lit de sa sœur, qui lui caressait
les cheveux.
- Le loup, fit Adrien sans se retourner.
Duncan ne répondit rien à cela car il n’y avait
rien à répondre.
Aussi pénible que fut cette besogne, Duncan et Enguerrand
s’en acquittèrent avec dévouement. Après
quelques heures d’un travail consciencieux effectué dans
un silence emprunt de recueillement, les abords de l’étang
furent totalement nettoyés. A la main, Enguerrand portait le
sac qui contenait les restes de Colombe. Il pesait à peine
vingt kilos, le reste ayant été emporté par le
loup pour être dévoré plus tard.
Vint ensuite l‘enterrement. Enguerrand avait repris sa place
d’officiant. Dans ses mots, on pouvait entendre les regrets
d’accusations infondées portées uniquement par
des rumeurs. Et, parce qu’Adrien assistait à la cérémonie,
il mit en avant la compassion et la bonté de la jeune femme.
Après un long moment de silence, Tanguy, Jeanne et Enguerrand
laissèrent Duncan et Adrien seuls devant la tombe.
- Qu’est-ce qu’on va devenir maintenant Clotilde et moi
?
- Je vais m’occuper de vous Adrien. Ta sœur et toi vous
n’avez rien à craindre. Viens rentrons, la nuit est en
train de tomber.
Duncan ramena Adrien auprès de Clotilde à la maison
de Colombe. La petite fille, toujours plongée dans un état
catatonique, paraissait dormir paisiblement. Duncan coucha le garçon
auprès de sa sœur. Il dut le rassurer longuement avant
qu’il ne s’endorme.
En silence, il quitta la maison qu’il ferma à double
tour. Comme la veille, il disposa à l’entrée des
maisons et à la lisière de la forêt, les cordes
surmontées de carillons. Quand il eut fini, la nuit était
tout à fait tombée. Duncan s’empressa de sortir
l’élixir de Cassandra et d’en boire une gorgée.
Cinquième nuit
Duncan passa le plus clair de cette nuit à marcher dans le
village, passant entre les maisons, en évitant son système
d’alarme. Mais du crépuscule à l’aube, il
eut beau tendre l’oreille, il n’entendit nul carillon
qui aurait pu l’alerter de la présence du loup. Alors,
comme la veille, tandis que le soleil réapparaissait peu à
peu dans le ciel, Duncan récupéra cordes et carillons.
Il retourna chez Colombe et fut rassurer de voir les enfants sains
et saufs.
Cinquième jour
En retournant sur la place du village, il croisa Enguerrand qui sortait
tout juste de chez lui.
- Alors Chevalier, avez-vous occis le loup cette nuit ?
- Non, la nuit a été calme. Vous avez vu Tanguy et Jeanne
ce matin ?
Enguerrand secoua la tête.
- Allons voir, fit Duncan.
- Comment vont les enfants ? demanda Enguerrand chemin faisant.
- Bien. Adrien dort toujours et Clotilde ne s’est toujours pas
réveillée.
En arrivant chez les Amoureux, ils purent constater que la maison
était intacte.
C’est bon signe pensa Duncan, ils ont simplement voulu rester
plus longtemps au lit.
Tous ses espoirs moururent d’un seul coup, quand il poussa la
porte de la maison.
Jeanne était assise sur le lit aux côtés de Tanguy.
Le jeune homme gisait sur la couche, éviscéré.
Jeanne, qui tournait le dos aux nouveaux arrivants, sanglotait.
- Pardonne-moi mon Tanguy, pardonne-moi. Je ne voulais pas te faire
ça, je ne voulais pas. Mais j’ai pas pu m’en empêcher,
c’était plus fort que moi.
Enguerrand entra dans la pièce, dépassa Duncan et s’approcha
de la jeune femme.
- Jeanne, ma petite, qu’est-ce qui s’est passé
?
Elle se tourna vers Enguerrand qui sursauta en voyant la bouche de
la jeune fille barbouillée de sang.
- J’ai pas pu faire autrement, je l’aimais.
Elle renifla et, d’un geste d’une surprenante célérité,
s’empara de la dague qu’Enguerrand portait à la
hanche. Avant que Duncan ne puisse l’empêcher, la lame
disparut dans le ventre de Jeanne. Enguerrand retira le couteau mais
il était déjà trop tard. Jeanne s’allongea
aux côtés de son homme. Les yeux clos, elle tâtonna
pour trouver sa main. La serrant du plus fort qu’elle pouvait
encore, elle murmura dans un dernier soupir :
- Je suis là mon Tanguy, j’arrive.
Le corps de Jeanne se détendit tout à fait et demeura
immobile pour l’éternité.
- Pardieu, j’aurais juré qu’elle était vraiment
amoureuse de lui.
- Je crois qu’elle l’était sincèrement Enguerrand.
- Mais alors, comment a-t-elle pu faire… ça ?
Enguerrand désigna le corps mutilé de Tanguy.
- Elle nous l’a dit elle-même. Elle était un loup.
Elle n’a pas pu faire autrement.
- Enterrons Tanguy et brûlons cette fille du démon.
- Non, répliqua Duncan d’une voix ferme. On les enterrera
ensemble, ici au village.
- Mais…
- De toute façon le mal est déjà fait, j’ai
également enterré Gauvin dans le cimetière, or
lui aussi était loup.
- Mais pourquoi ?
- Gauvin et Jeanne étaient autant des victimes de la malédiction
que tous les villageois qui sont morts. Quoiqu’ils aient fait,
nous ne pouvons les en tenir pour responsables. Qu’ils reposent
enfin en paix.
- Un jour, votre grandeur d’âme vous perdra Chevalier,
dit Enguerrand en soupirant.
Duncan ne répondit rien. Enguerrand enveloppa le corps de Tanguy
et Duncan fit de même avec Jeanne. Ils amenèrent tous
deux leurs lourds fardeaux jusqu’au cimetière. Au lieu
de creuser chacun une tombe, ils creusèrent un grand trou,
afin que, dans la mort, les Amoureux ne soient plus jamais séparés.
- Vous voulez chercher Adrien pour la cérémonie ? demanda
Enguerrand
- Non, je crois que ce garçon a assisté à suffisamment
d’enterrements pour le restant de ses jours. Finissons-en tout
de suite.
Enguerrand qui avait toujours la petite bible du Père Augustin
sur lui, la tira de sa poche et se mit à réciter en
latin.
La cérémonie fut brève et, pour le coup, Duncan
n’y vit aucune objection. Il en avait assez de Thiercelieux
et de tout ce sang versé. Maintenant que la malédiction
était levée, il avait hâte de partir. Il était
trop tard aujourd’hui mais, dès demain, il était
résolu à emmener Clotilde et Adrien loin de ce lieu
maudit. Pour la suite en revanche, il n’y avait pas vraiment
réfléchi, mais il se dit qu’il trouverait bien
une solution.
- C’est fini, fit Enguerrand d’un ton las. C’est
enfin terminé. Du regard, il fit le tour du cimetière
et contempla les centaines de tombes alentours. Mes amis, ma femme,
ils sont tous morts. Je suis vivant, mais la malédiction a
tout de même eu raison de Thiercelieux.
- Je suis désolé Enguerrand. Je crains de ne pas avoir
été d’une très grande aide pour ce village.
- Vous avez fait tout ce que vous pouviez. Et puis si vous n’aviez
pas tué Gauvin, qui sait ce qui serait advenu de nous ?
- Qu’allez-vous faire maintenant ?
- Plus rien ne me retient ici désormais. Ce serait folie de
toute façon de rester ici avec tous ces lugubres souvenirs,
ces fantômes. Je vais partir tout comme vous. Après je
ne sais pas, je me trouverai peut être un autre seigneur pour
qui travailler.
- Je pars demain matin avec les enfants si vous voulez vous pourrez
faire un bout de chemin avec nous. Nous ne serons pas trop de deux
pour tirer le chariot de Clotilde.
Enguerrand hocha la tête.
- Si fait, je vous accompagnerai. Après nous verrons.
Sur ces mots, Macleod et Enguerrand quittèrent le cimetière.
Ils se séparèrent. Enguerrand rentra chez lui préparer
ses affaires, Duncan retrouva les enfants chez Colombe. Adrien était
maintenant tout à fait réveillé. Lorsque Duncan
entra, il leva vers lui un regard interrogateur.
- C’est fini Adrien. Le second loup est mort.
- Qui ? demanda le garçon avec un soupçon d’inquiétude.
Duncan soupira. Il n’ignorait pas qu’il avait confié
les enfants à Jeanne la veille, mais il ne pouvait pas éluder
la réponse.
- Jeanne.
Adrien hocha simplement la tète. Ce qui n’étonna
pas longtemps Duncan. Par la force des choses, le garçon, à
peine âgé de dix ans, était déjà
blasé.
- On va quitter le village Adrien. Ta sœur et toi je vous emmène
loin d’ici.
- Quand ?
- On partira demain à l’aube. Il y a des affaires qui
te manquent ? Je peux aller au château les récupérer
si tu veux.
Adrien secoua la tête.
- Alors prépare tes affaires et celles de ta sœur.
Le temps ce jour là sembla s’étirer à n’en
plus finir. Chacun éprouvait le désir de quitter au
plus vite le village, mais tous savait qu’il faudrait attendre
le lendemain. Alors on s’occupait comme on pouvait. Enguerrand
avait décidé de renforcer les roues du chariot afin
qu’il puisse supporter le poids de Clotilde et d’Adrien
sur une longue distance. Duncan, lui, était parti en forêt
chasser du gibier. Il revint en fin d’après-midi, avec
un renard et deux lapins. Ils allumèrent un feu sur la place
du village, là où Duncan avait établi son poste
de garde les nuits précédentes. Afin de ne pas la laisser
seule, ils avaient étendu Clotilde, bien emmitouflée,
près du feu. Chacun se régala, mais le cœur n’y
était pas. Le festin se déroula dans un silence pesant.
Alors que le soir commençait à poindre, Adrien se mit
à bailler. Tandis qu’Enguerrand rentrait chez lui, Duncan
ramena les enfants chez Colombe. Cette fois, Adrien ne fut pas long
à border. Il s’endormit dès que sa tête
se posa sur l’oreiller. Duncan se plut à regarder les
deux enfants endormis. Ils étaient si paisibles, que cela en
était déchirant.
Sixième nuit
Maintenant que le danger était écarté, Duncan
appréciait la présence de la nuit. Il sortit de la maison
de Colombe et goûta l’air frais à pleins poumons.
Alors qu’il remontait la rue qui menait à la place du
village, il sentit s’abattre sur lui un sentiment de fatigue
qu’il ne connaissait que trop bien. Comment est-ce possible,
pensa Duncan, si tous les Loups sont morts et que la malédiction
est levée ? A moins que…
Duncan accéléra le pas car l’élixir était
resté dans ses affaires près du feu.
Au moment où il passa devant la maison d’Enguerrand,
la porte de celle-ci explosa dans un fracas assourdissant. Au milieu
des planches de bois brisées se dressait un Loup au poil gris
noir et aux yeux bleus étincelants.
- Enguerrand, murmura Duncan, qui luttait contre le sommeil.
Le Loup retroussa ses babines, révélant ses crocs menaçants.
Il bondit sur Duncan qui eut à peine le temps de se jeter sur
le côté. Macleod tira son épée de son fourreau
et maintint le loup à bonne distance en la pointant loin devant
lui. Duncan reculait ostensiblement en direction de la place du village,
tenant en joue le loup. La bête s’élança
à nouveau vers Macleod mais, au dernier moment, elle se déporta
sur le côté et bondit. Les réflexes de Duncan,
amoindris, ne lui permirent pas cette fois d’esquiver. Le loup
lui mordit la main qui tenait l’épée. L’Immortel
cria de douleur en lâchant l’arme. Il attrapa une poignée
de sable qu’il jeta à la gueule du Loup. L’animal
toussa, cligna ses yeux irrités. Duncan en profita pour rattraper
son épée et s’élancer en direction du feu.
A mesure qu’il courait, Duncan sentit ses jambes de moins en
moins enclines à le porter. Dieu, que la place semblait encore
loin à Macleod. Sa vision, trouble, ne lui permettait plus
de correctement apprécier les distances. Alors qu’il
n’était plus qu’à deux mètres, il
entendit le loup qui revenait à la charge. Rassemblant ses
dernières forces, Macleod se retourna au dernier moment, en
levant son épée. Le loup poussa un grognement quand
la lame lui perça le flanc. Fou de douleur il se jeta sur Duncan
qu’il cloua au sol de tout son poids. Macleod pouvait sentir
la déchirure qu’exerçaient les griffes sur la
chair de ses épaules. Se protégeant de la gueule du
loup avec la lame de son épée levée à
l’horizontale, Macleod tendit sa main libre en direction de
son sac. Du bout du doigt, il pouvait toucher la fiole d’élixir.
Incapable d’avancer plus la main, il tira sur le sac qui, en
basculant, fit rouler la fiole dans sa main. Du pouce, Duncan fit
sauter le bouchon et but d’une traite ce qui restait d’élixir.
L’effet fut immédiat. Aussitôt, Duncan sentit ses
forces revenir. D’une poussée vigoureuse, il échappa
à l’étreinte du loup. La bête s’avança
vers lui, passant de gauche à droite, en claquant des mâchoires.
Duncan, qui avait aperçut le brasero sur sa droite, s’empara
d’un bout de bois enflammé qu’il jeta sur le loup.
Atteint de plein fouet, ce dernier hurla de rage et s’enfuit,
la fourrure surmontée d’une crête de flammes.
Dans l’obscurité de la maison de Colombe, la petite
fille s’éveilla. Elle ouvrit les yeux sur un endroit
qu’elle ne connaissait pas. Elle chercha en vain dans sa mémoire,
les évènements qui avaient pu l’y mener. Elle
entendit alors un feulement. Elle vit, suspendues dans le noir, deux
cercles d’un bleu étincelant, elle aperçut l’éclat
blanc des crocs et se souvint de tout.
- A… A…A…
L’air restait irrémédiablement coincé au
niveau de sa gorge. Incapable de produire un son, elle entendit distinctement
le halètement rauque du loup qui rythmait son avancée.
D’un bond leste, il se retrouva sur le lit qui se courba sous
le poids. Il approcha sa gueule du visage de la petite fille avec
une lenteur sadique. Brusquement, la mâchoire s’ouvrit
largement, révélant deux rangées de crocs acérées.
Le cri, si long à venir, résonna enfin avec une formidable
force. Aigu, strident, désespéré, il mourut pourtant,
en même temps que la petite fille.
- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !!!!
Duncan tourna la tête en direction du cri. Il provenait de la
maison de Colombe et c’était un cri d’enfant.
- Clotilde.
Duncan se précipita. Quand il arriva dans la maison, le loup
venait de fracasser le mur du fond et s’enfuyait dans la forêt.
Un seul coup d’œil, suffit à Duncan pour voir que
la petite Clotilde était morte. N’apercevant pas Adrien,
il se lança à la poursuite du loup. Sur sa route, des
vêtements d’Adrien, déchirés et imbibés
de sang, jonchaient le sol. Duncan redoubla l’allure. Il n’aurait
su dire combien de temps dura cette course. Quand il s’arrêta
pour reprendre son souffle, le loup apparut. Profitant de la fatigue
de Duncan, il avait décidé de passer à l’attaque.
La bête se tendit vers l’avant, gueule ouverte. Elle fit
claquer ses mâchoires, tentant de mordre Macleod au bras. Mais
ce dernier esquiva et repoussa l’animal en le frappant au museau
avec la garde de son épée. Le loup recula en grognant.
Duncan en profita pour le frapper du pied sur l’encolure là
où, fourrure et chairs avaient brulées. Excitée
par la douleur, la bête se retourna subitement, mordit Duncan
et le fit tomber à terre. Duncan tenta une nouvelle fois d’aveugler
son adversaire en lui lançant une poignée de terre à
la gueule mais le loup ne s’y laissa pas prendre. Il bondit
par-dessus Duncan et atterrit sur la lame de son épée,
l’immobilisant au sol. Le loup écarta les mâchoires,
prêt à se jeter sur le visage de Macleod quand ce dernier
plongea une dague dans sa gueule et l’enfonça profondément
dans le cerveau. Le loup le regarda indécis, semblant ne pas
comprendre comment son ennemi avait pu prendre l’avantage, puis
bascula en arrière et s’écroula, sans vie. Duncan
se releva avec difficulté. Alors qu’il ramassait son
épée, il vit le corps velu du loup se transformer pour
laisser apparaître le corps nu d’un homme : Enguerrand.
Duncan soupira. Il avait échoué, il n’avait pas
réussi à tenir la promesse faite aux villageois. Thiercelieux
était mort, tous ses habitants avec lui.
Sixième Jour
L’Immortel écossais rebroussa chemin et emprunta la
direction du village. Arrivé à mi-parcours, il s’interrompit.
Il lui avait semblé entendre un bruit. Aussi ténu qu’il
fut, Duncan le réentendit au terme d’une longue période
immobile à retenir son souffle. Il en trouva la source sans
difficulté, recroquevillé, allongé à demi-nu
au pied d’un arbre. Duncan se pencha sur le jeune garçon.
Adrien était vivant mais, à l’instar de sa défunte
petite sœur, il était tombé dans un état
catatonique. Duncan le prit délicatement dans ses bras et lentement,
retourna au village. Encerclé par les brumes, plombé
par une insupportable chape de silence, jamais Thiercelieux n’avait
paru aussi lugubre. Duncan marcha entre les maisons inhabitées
jusqu’à celle qu’Enguerrand lui avait allouée
le jour de son arrivée. Il déposa Adrien sur le lit,
s’assura qu’il n’était pas sur le point de
se réveiller et retourna à la maison de Colombe. Duncan
ne s’attarda pas sur le carnage. Il s’acquitta de sa sinistre
tâche de la manière la plus efficace et rapide possible.
Il ramena le corps de la petite Clotilde au cimetière et l’enterra
aux côtés de ses parents. Cette fois-ci, il ne récita
pas d’oraison funèbre. Il se contenta de prier en silence
pour leur salut à tous, le sien compris. Dans son cœur,
la colère faisait place à la honte. La honte de n’avoir
pas pu tenir sa promesse et de laisser derrière lui un village
ravagé. Duncan retourna chez Colombe et resta un moment à
veiller sur Adrien. Il retourna ensuite dans la forêt, récupérer
le corps d’Enguerrand et l’enterra au cimetière.
Cette fois-ci, pourtant, il ne prit même pas la peine de se
recueillir. La nuit tomberait dans une heure à peine, mais
Duncan n’avait plus l’intention d’attendre. Il préférait
passer la nuit à la belle étoile, en pleine forêt
que de dormir une fois encore au village. Il ne croyait pas un seul
instant aux fantômes, mais il savait que longtemps Thiercelieux
le hanterait où qu’il aille et quoiqu’il fasse.
Macleod réunit toutes ses affaires et celles d’Adrien.
Il allongea le garçon sur son cheval et, d’un pas vif,
entraina sa monture, au plus profond de la forêt.
Septième Nuit
Alors qu’il s’avançait entre les arbres, il eut
l’impression que l’horizon se dilatait au-devant de lui,
comme si la distance à parcourir se multipliait à l’infini.
Il se retourna, aperçut à peine les dernières
maisons de Thiercelieux en lisière de la forêt et trouva
cette image réconfortante. Quelques minutes plus tôt,
il ne désirait rien de plus que de quitter le village à
tout jamais. Maintenant s’insinuait en lui le désir extrêmement
puissant d’y retourner. Duncan fit encore un pas en avant mais
il fut pris d’un vertige et s’étala de tout son
long. Epuisé par sa journée, Duncan se dit qu’il
était inutile de lutter. Il pourrait bien passer une nuit de
plus à Thiercelieux après tout.
Il installa Adrien confortablement sur un tapis de mousse, l’enveloppa
dans une couverture et entreprit de chercher du bois pour le feu.
Tout à sa tâche, il se prit à réfléchir
à la sensation étrange qu’il venait de ressentir.
Une sensation de nostalgie, qui lui laissait à croire que s’il
quittait le village, s’abattrait sur lui un désespoir
sans nom. On eut dit que Thiercelieux était vivant, mû
d’un esprit propre qui ne voulait à aucun prix le laisser
partir. C’est alors que Duncan se remémora les paroles
du seigneur Clovis de Thiercelieux. Cela aussi fait partie de la malédiction.
Tous ceux qui demeurent à Thiercelieux, ne peuvent en partir
ou, s’ils le font, ils ressentent très rapidement le
besoin irrépressible d’y retourner.
Duncan comprit mais il était déjà trop tard
- Père était un peu trop dur, Mère beaucoup trop
fade mais Clotilde, Clotilde était délicieuse
La voix d’enfant s’effaça rapidement au profit
d’un timbre grave, guttural qui, à la fin n’avait
plus rien d’humain et tout d’animal.
Duncan fit volte-face et sut aussitôt qu’il allait mourir.
Adrien bondissait sur lui sous sa forme de loup. Il s’approchait
à une telle vitesse qu’il était inutile de chercher
à esquiver. Duncan eut à peine le temps d’apercevoir
la gueule grande ouverte et d’apprécier qu’un claquement
de cette mâchoire gigantesque suffirait à le décapiter.
Alors que Duncan pensait que tout était perdu, une autre voix
se fit entendre. Douce et dure à la fois, ferme et autoritaire,
ce fut pourtant le mot que cette voix prononça qui lui conféra
toute sa puissance.
- Meurs.
La gueule du Loup était si proche du visage de Macleod, que
ce dernier put apercevoir la pupille se dilater. La mâchoire
se referma mollement sur une langue pendante et le corps du loup,
s’abattit lourdement sur le sol à quelques centimètres
de l’Immortel Ecossais.
Duncan releva les yeux et vit Cassandra, dont le corps irradiait de
magie. Peu à peu, la lueur diaphane qui la parcourait diminua
en intensité puis disparut presque totalement, ne laissant
en guise de silhouette à la sorcière, qu’un léger
voile lumineux.
- Ainsi s’achève la malédiction de Thiercelieux,
dit Cassandra d’un ton emprunt de solennité.
Duncan reporta son attention sur Adrien. Le corps du Loup était
en train de se transformer, laissant apparaître sous la fourrure
noire régressant, la peau de l’enfant. Macleod ne put
s’empêcher de glisser une main dans ses cheveux.
Il releva les yeux vers Cassandra. Le regard dur, la voix ferme, il
dit :
- Dussé-je y passer les cinq cents prochaines années
de ma vie, je retrouverai ce Roland Kantos et je lui trancherai la
tête pour ses crimes.
- Oublie ça Duncan.
La voix de Cassandra s’était faite pour l’occasion
inhabituellement douce.
- Roland Kantos est un mage extrêmement puissant. Arrêter
son œuvre maléfique est la tâche qui m’incombe.
Mais si je devais échouer, ce devoir sera alors le tien. Il
te cherche Duncan. Il a vu dans l’avenir, que tu étais
en mesure de le tuer. Cela lui fait peur et il fera tout pour empêcher
cette prophétie de se réaliser. Alors suis mon conseil
et reste sur tes gardes.
Cassandra s’éloigna dans la forêt.
- Tu pars déjà ?
- Je traque Kantos depuis des millénaires Duncan. Tu n’imagines
pas, en le poursuivant, les horreurs que j’ai pu découvrir.
En ce moment, il commet un nouveau maléfice quelque part mais
un jour je serai là pour l’arrêter. Quand à
toi, ne sois pas trop dur avec toi-même. Tu n’as pas pu
aider les habitants de Thiercelieux autant que tu l’aurais voulu,
mais ni toi, ni moi ne pouvions faire beaucoup plus. Ce qui compte
c’est d’avoir mis fin à cette malédiction.
Cassandra regarda tout autour d’elle puis croisa à nouveau
le regard de Duncan. Ses lèvres affichaient un sibyllin sourire.
- Dans quelques siècles, quand la magie noire de Kantos aura
totalement disparu, la vie renaitra en ces lieux et ce sera grâce
à toi Duncan Macleod du clan des Macleod.
Sur ces derniers mots, Cassandra disparut dans les profondeurs de
la forêt laissant Duncan seul avec celui qui fut le dernier
des loups de Thiercelieux.
Septième Jour
En fin de matinée, Duncan acheva d’enterrer Adrien.
Son ouvrage accompli, il brisa la pelle sur son genou et jeta les
tronçons dans les fourrés. Il retourna ensuite au village
pour récupérer ses affaires et son cheval. Arrivé
à la lisière de la forêt, il contempla une dernière
fois le village de Thiercelieux, la certitude au cœur qu’il
n’y remettrait jamais plus les pieds.
Il voyageait depuis une heure, quand la sensation d’une présence
alentour qui l’observait, le troubla. Duncan stoppa sa monture,
observant les environs.
- Je sais que vous êtes là. Qui que vous soyez, montrez
vous !
Une ombre s’abattit sur lui et le désarçonna.
Duncan et son assaillant roulèrent dans l’herbe sur plusieurs
mètres. Macleod parvint sans peine à se libérer
de l’étreinte. En se relevant, il découvrit avec
stupéfaction l’identité de son agresseur, toujours
allongé dans l’herbe.
- Colombe ? Mais comment ? Pourquoi ?
- Pour avoir tué mon fils, cracha-t-elle avec rage alors qu’elle
se jetait à nouveau sur lui, dague en avant.
L’Ecossais attrapa la main et la désarma, fit pivoter
la jeune femme et l’immobilisa.
- De quel fils parlez-vous Colombe ? lui demanda-t’-il la bouche
à quelques centimètres de son oreille
- Adrien, Adrien était mon fils, souffla-elle avant de fondre
en sanglots.
Duncan sentant que toute force abandonnait la jeune femme, relâcha
son étreinte et la laissa glisser à terre.
Il s’assit face à elle, attendant patiemment qu’elle
retrouve son calme et que viennent les explications.
- Aliénor disait vrai, dit-elle enfin. Une nuit, lors de mes
quinze ans, je m’éveillais, entendant un appel venant
de la forêt. Il était là à la lisière
de la forêt, qui m’attendait. C’était un
magnifique loup blanc aux yeux bleus étincelants. En rentrant
chez moi, peu avant l’aube, j’étais enceinte. En
l’apprenant, mon père eut la bonté de ne pas me
chasser. Il m’emmena dans un couvent quand mon ventre commença
à s’arrondir et m’y laissa jusqu’à
la naissance. Les nonnes ne m’ont même pas laissé
voir le bébé. Peu après je rentrai à Thiercelieux
où j‘appris que j’étais censé avoir
passé l’hiver chez des cousins éloignés.
Je pensais ne jamais revoir mon fils, mais j’aurais du me douter
que la malédiction me le ramènerait un jour ou l’autre.
Trois mois plus tard, le seigneur et sa dame présentèrent
leur premier né mais moi je compris aussitôt la supercherie.
Je compris que Clovis et Guenièvre de Thiercelieux ne parvenaient
pas à avoir de descendance car l’enfant qu’ils
présentèrent à tous était le mien. Je
le sentais au plus profond de moi. On pourrait dire qu’il s’agissait
là de l’instinct d’une mère ou de l’instinct
d’une Louve. Je le vis grandir de loin, sans pouvoir l’approcher
mais je savais aux regards qu’Adrien me lançaient qu’il
savait lui aussi la vérité sur ses origines. Contre
toute attente, la petite Clotilde naquit un an et demi après
l’arrivée d’Adrien. Je craignais alors que Clovis
et Guenièvre reportent tout leur amour sur cet enfant issu
de leurs entrailles. Mais je me trompais car Clovis, je l’appris
alors, était un homme de bien.
- Pourtant Adrien a tué ses parents adoptifs.
Colombe haussa les épaules.
- Il voulait juste que nous soyons enfin réunis.
- C’est pour cela que vous avez acceptez sans rechigner de vous
occuper de Clotilde et d’Adrien. Vous vouliez retrouver votre
fils.
Colombe hocha la tète en signe d’assentiment.
- Mais dans ce cas, pourquoi avoir simulé votre mort ?
- Adrien et moi savions que sous peu tous les soupçons se porteraient
sur moi et que je serais lynchée. Nous avons préféré
prendre les devants. La nuit, nous sommes sortis de la maison en prenant
soin de ne pas déclencher les alarmes que vous aviez mises
en place. Adrien, sous sa forme de loup, a tué plusieurs animaux
dans la forêt que nous avons par la suite déchiquetés
en morceaux afin qu’ils ne soient plus identifiables. Nous les
avons disposés tout autour du lac, avec des lambeaux de mes
vêtements. Puis, je suis resté tapie dans la forêt
tandis qu’Adrien retournait à la maison et vous mettait
sur la piste de l’étang.
Duncan resta silencieux, à la fois effrayé par l’esprit
calculateur de cette femme et impressionné par sa détermination.
- La malédiction de Thiercelieux est-elle levée Colombe
? Je veux dire, définitivement ?
- Tous les dix ans, le Loup blanc revient pour engrosser une femme
du village qui donnera naissance à un loup. Il y a quarante
ans, Enguerrand fut le premier d’entre eux, puis vint Gauvin
dix ans plus tard, Jeanne et enfin mon Adrien. Oh oui, soyez rassuré
Chevalier, dit-elle d’un ton acerbe. Par votre faute, tous les
loups ont péri et je vous maudis pour cela !
Duncan se releva, conscient que la jeune femme ne lui apprendrait
rien de plus. Mais surtout, la méchanceté dont Colombe
faisait preuve, le troublait au plus haut point. Il décida
qu’il était temps pour lui de quitter les lieux. Il enfourcha
sa monture et la fit avancer, d’un pas lent, le long d’un
chemin de terre. Bien vite, la voix de Colombe le rattrapa.
- Que votre vie soit longue Chevalier, que vous perdiez tour à
tour ceux qui sont chers à votre cœur. C’est tout
le mal que je vous souhaite, pour tout le mal que vous m’avez
fait !
Duncan arrêta son cheval et se retourna.
Colombe était assise à l’endroit où il
l’avait laissé, les yeux perdus dans le vague en direction
de la forêt.
- Qu’attendez-vous ainsi ?
- Le père de mon enfant, répondit Colombe d’un
ton neutre.
Puis, dans un murmure que Macleod ne put entendre, elle ajouta :
- Je sais qu’il va revenir.
Effrayé par la folie de la jeune femme, Macleod s’en
retourna et poussa sa monture au galop laissant derrière lui
et à jamais, Thiercelieux et ses maléfices.
Epilogue
La jeune fille se réveilla en plein milieu de la nuit. Sans
bruit, elle quitta sa couche. Vêtue de sa simple chemise de
nuit, elle sortit de la maison de son père en dépit
du froid glacial qui régnait au-dehors. Elle se faufila entre
les maisons de son village de la Couarde, marchant d’un pas
rapide, certaine de la direction à prendre. En bordure de la
forêt, elle aperçut le Loup blanc, dressé fièrement
sur ses quatre pattes, qui l’observait de ses yeux bleus flamboyants.
Il s’en retourna dans la forêt. Elle le suivit sans hésitation.
Les branches, les ronces égratignaient ses bras et ses jambes
mais elle n’en avait cure. Elle était au-delà
de la douleur, au-delà de tout. Arrivée dans une obscure
clairière, elle fit glisser sa chemise de nuit le long de son
corps de jeune femme. Nue face au loup, elle s’allongea sur
un tapis de mousse humide. Lentement, elle remonta les genoux, écarta
les jambes et, dans les profondeurs insondables de la forêt,
sous l’œil blafard de la lune pleine pour la dernière
nuit, elle s’offrit au Loup.