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Epicentre
(Epicenter)

Sandra McDonald
Traduit par Frédéric J.




         Notes de l’auteur :

         Les personnages ne m’appartiennent pas, pas plus que la série télévisée. Aucun profit n’est tiré de cette histoire. Merci à Rysher Entertainement et les autres ! Cette histoire est classée en PG-13 à cause d’une petite scène que Methos ne m’a pas laissé enlever, et parce qu’il ne porte aucun vêtement dans le premier paragraphe. Il y a des éléments issus de mon univers alternatif (consulter les notes de fin pour plus de détail). Merci beaucoup à Janette92 pour ses corrections et ses excellents suggestions. Questions, commentaires, soucis, pinaillages et bouquets de fleurs... C’est pour moi. J’espère que vous apprécierez.




- 1 -




         Le grondement d’un tremblement de terre, léger mais distinct, éveilla Methos. Il ouvrit les yeux sur sa petite chambre inondée de soleil, perdu comme cela lui arrivait parfois dans les méandres de sa mémoire, sans pouvoir se souvenir de qui il était, de ce qu’il faisait ou de l’époque à laquelle il vivait. L’odeur des échappements de voitures par la fenêtre, les voix d’enfants et de leurs parents dans la rue parlant anglais et le rythme d’un morceau de rock résonnant depuis un appartement voisin l’aidèrent à s’y retrouver. Le tremblement de terre, faible murmure de printemps, se dissipait déjà. Heureux que le monde qu’il connaissait ne s’achève pas aujourd’hui, il se tourna sur le ventre, son oreiller dans les bras, laissant la brise caresser son corps nu.
         Ses rêves le ramenèrent à Thira, qu’un volcan soudainement éveillé faisait disparaître dans la mer. Le temps avait heureusement atténué ses cauchemars, images fanées débarrassées de la douleur et de la peur qu’elles inspiraient. Le ciel noircit, la traînée de feu avançant lentement, presque avec tristesse. Récemment, durant les derniers siècles, ses rêves se concentraient sur les fleurs blanches qu’Arete portait tressées dans ses cheveux et sur ses doigts lui effleurant le visage tandis qu’ils se reposaient, sur une côte étincelante de Méditerranée. Elle lui revenait à présent, son visage illuminé par une lumière intérieure qu’il avait recherché en toutes les femmes depuis, tandis qu’elle lui murmurait à l’oreille des passages de l’Odyssée.
         Il s’éveilla de nouveau en milieu de matinée, ne se souvenant que vaguement du petit séisme. Il se doucha, déjeuna de toasts beurrés et de céréales, puis passa quelques temps en ligne à rechercher un nouveau livre. Le calendrier indiquait le premier mai. Le décompte des jours et les jours fériés avait beaucoup changé au cours de la vie de Methos, mais le 1er mai avait été autrefois Beltain, il marquait le début d’un été imprévisible. Pour le fêter correctement, il aurait dû attendre la tombée de la nuit pour dresser un grand bûcher au sommet d’une colline, trouver un bois sacré, faire cuire une galette avec les derniers grains de la récolte précédente et sacrifier un druide. Mais il n’avait pas rencontré de druide depuis l’an 324. Pour compenser, en plaisanterie personnelle qu’il n’avait pas l’intention de partager, il invita le favori de ses descendants de Celtes à dîner dans un excellent restaurant du parc.
         Duncan MacLeod avait bonne mine. Il sortait ce temps-ci avec une adorable mortelle et semblait épanoui, autant grâce à son bronzage qu’à son flirt. Le printemps avait toujours été la haute saison de l’amour. C’est durant l’été de l’an 596 avant J.-C. que Methos avait rencontré et épousé une prêtresse nommée Melishika, il était alors citoyen d’un empire depuis longtemps disparu. Il se souvenait avoir flâné avec elle au milieu des fleurs des immenses jardins suspendus de la plus belle cité de l’époque. Duncan MacLeod, né bien trop tard pour avoir connu Babylone, rougit quand Methos lui fit remarquer à quel point il était visiblement amoureux.
         « Ne craint pas l’amour. » tança Methos, attendri, de la même façon que Melishika l’avait autrefois gentiment réprimandé.
         « Je n’en ai pas peur. » protesta MacLeod avec un sourire.
         « Je sais. » A une table derrière le Highlander, un vieil homme et sa compagne dînaient, dans un silence presque parfait, liés par un attachement et un amour plus fort que le temps. Methos tenta de s’imaginer avec Melishika à leur place, mais il n’y parvint pas. La prêtresse était morte et l’Immortel n’aurait jamais l’air aussi âgé. Il reporta son attention sur son ami. « Mais tu as peur de les perdre. »
         Le sourire de MacLeod disparu de ses lèvres mais pas de ses yeux. Il était de trop bonne humeur pour se laisser atteindre par la philosophie incisive de Methos. « Sans doute. » admit-il avant de boire une gorgée de sa limonade fraîchement pressée. « Ce ne sont peut-être que les risques du métier. »
         Un grondement sourd détourna l’attention de Methos. « Ce doit être le contrecoup. » murmura-t-il.
         « Le contrecoup ? »
         « Tu n’as pas senti le tremblement de terre ce matin ? »
         « Non, je n’ai pas remarqué. » MacLeod se concentra sur les verres, les assiettes et les couverts disposés sur la nappe blanche. Rien ne bougeait. « Je ne sens rien maintenant non plus. »
         « Tu es sûr ? » Methos posa le bout de ses doigts au bord de la table. Bien qu’il percevait toujours le grondement dans sa tête, ses sens physiques ne lui donnaient aucune confirmation. Il fronça les sourcils et se concentra sur ce qu’il ressentait vraiment. Cette étrange sensation à la base de son crâne n’était pas sans rappeler un buzz signalant la présence d’un autre Immortel. Elle ne résonnait pas de la même façon, mais ce picotement le long de sa colonne vertébrale...
         MacLeod se pencha en avant. « Que se passe-t-il ? »
         Le contrecoup disparu, comme un écho perdu dans un canyon tortueux. Comme le grondement de la destruction de Thira avait finalement disparu de sa mémoire consciente, de même que les doigts d’Arete sur sa peau.
         « Rien. » dit Methos.
         MacLeod n’avait pas l’air convaincu, mais il ne discuta pas. Le serveur apporta l’addition, que Methos paya avec la monnaie actuelle. Beltain, semblait-il, lui avait offert quelque chose de nouveau, le laissant s’interroger sur les intéressantes et troublantes implications de séismes perçus de lui seul.



***



         Richie était content que le dojo soit vide en ce lundi matin. Lorsqu’il faisait de la boxe ou de la musculation, il aimait avoir d’autres personnes autour de lui, essentiellement pour la camaraderie et la conversation, mais aussi un peu pour le plaisir de se montrer. L’escrime, c’était différent. Le combat à l’épée attirait trop de questions et d’attention, et c’était bien trop important dans ses plans de vie à long terme pour être pris à la légère.
         Il s’entraînait à parer et attaquer avec sa rapière, affrontant un adversaire imaginaire très fort et compétent. Kern, peut-être, à présent mort mais qui avait autrefois causé une belle frayeur à Richie. Martin Hyde, dont la tête aurait du lui revenir. Mako, au besoin, bien que le jeune homme évitait de penser à sa première victime. Il préférait de toute façon un opposant réel à ceux de son imagination ou de sa mémoire, et attendait que MacLeod revienne de son déjeuner avec Methos pour profiter de quelques heures de pratique intensive.
         Richie espérait que Methos ne reviendrait pas avec MacLeod. Depuis qu’il avait découvert la véritable identité d’Adam Pierson, il se sentait timide et gauche en présence de l’ancien Immortel. Vingt-deux ans contre cinq mille ne laissaient pas beaucoup de points communs. Il pensait toujours que Methos n’avait pas de temps à consacrer à quelqu’un qu’il devait considérer comme un bébé.
         Richie travailla jusqu’à être couvert de sueur, les muscles échauffés, le souffle régulier, et s’arrêta en sentant l’approche d’un autre Immortel.
         Mais ce n’était pas tout.
         Une chaleur inconnue submergea l’arrière de sa tête. Puis la température grimpa jusqu’à des milliers de degrés, poignard d’agonie brûlante planté dans son crâne si profondément que ses yeux en jaillirent presque de leurs orbites. Il senti vaguement sa rapière échapper des doigts gourds de sa main droite et cliqueter sur le plancher. Un ordre écrasant, inarticulé mais compris par chaque atome de son corps, lui fit immédiatement céder le contrôle de sa volonté et de ses membres, avant que la douleur ne fissure sa santé mentale.
         Une petite part paniquée de son esprit s’accrocha à sa conscience tandis que quelqu’un d’autre déplaçait son corps vers le bureau du dojo. Il s’arrêta devant la fenêtre et sentit ses mains s’étaler sur la vitre. Son corps aurait pu se défenestrer, se décapiter sur les lames de verre sans qu’il puisse rien faire pour l’en empêcher. Peut-être respirait-il – il n’aurait su le dire – mais cela aussi était une fonction dont son corps lui refusait le contrôle, le privant de tout pouvoir sur lui-même.
         Richie se concentra sur deux personnes qui se tenaient à l’angle de la rue, car l’une d’elle le lui ordonnait. La femme était petite et un peu ronde, la peau olivâtre, les cheveux bruns et des yeux qui semblaient immenses et noirs dans sa vision déformée. A ses côtés se tenait un homme à la peau couleur de noix, assez petit aussi, les cheveux bruns-roux. Malgré sa faible taille, il semblait à Richie immense et démesuré. Il ne pouvait peser plus que le jeune homme, mais son poids mental l’écrasait comme une presse de cinq tonnes sur les raisins de l’été.
         Dans les yeux de cet homme, Richie lut des arbres divinisés, une rivière verte plongeant dans une vallée luxuriante, et une flèche perdue dans les profondeurs obscures d’une grotte de montagne.
         La vision de Richie se réduisit à un brouillard gris ponctué de noir, mais il lui sembla que la femme lui faisait un signe de tête, tout à la foi appréciateur et malveillant.
         Il perdit alors connaissance et s’effondra sur le sol.

         Quinze minutes plus tard, Methos et Duncan rentrèrent de leur déjeuner. Ils ressentirent la présence d’un autre Immortel en arrivant au dojo, mais il n’y avait aucun signe de Richie. MacLeod grimaça en découvrant la rapière de son ancien élève abandonnée sur le sol, luisant dans un rayon de soleil.
         « Richie ? » appela-t-il.
         Après une courte recherche, ils trouvèrent le jeune Immortel gisant mort dans le bureau. Methos ne remarqua aucune blessure, mais tandis que MacLeod examinait doucement son protégé, la tête du jeune homme bascula de côté, révélant une traînée de sang noir coulant de l’oreille gauche.
         « Qu’a-t-il bien pu se passer ? » demanda le Highlander, crispé.
         Methos empoigna les chevilles de Richie, remerciant le vingtième siècle pour l’invention des ascenseurs. « On le découvrira bientôt. » répondit-il, pragmatique.
         Il emmenèrent Richie à l’étage et l’installèrent dans le lit de MacLeod. Methos ne voyait pas ce qui l’empêcherait de ressusciter, mais il mit presque deux heures à se relever de sous la couverture.
         Richie s’éveilla avec la désagréable sensation d’être observé. Il ouvrit les paupières et découvrit Methos penché au-dessus de lui. Le vieil Immortel sourit. « Tu es revenu. »
         « Mmmh. » lâcha Richie en guise de confirmation. Il ne se souvenait pas s’être assoupi et ne voyait pas pourquoi Methos le dévisageait ainsi. Sa tête lui faisait l’effet d’un fruit trop mûr et tavelé, le battement de son propre cœur résonnait comme un tambour de jungle, menaçant de fendre ce fruit en deux.
         MacLeod apparut derrière Methos. « Comment te sens-tu ? »
         « Pas terrible. » répondit Richie. Son cou était raide et son oreille gauche douloureuse. MacLeod l’aida à s’asseoir puis alla lui chercher un verre d’eau. Methos s’assis sur le bord du lit, l’observant avec le même calme égal qui semblait marquer tout ce qu’il faisait.
         « Te souviens-tu de ce qui s’est passé ? » demanda Duncan en revenant.
         Richie commença par secouer la tête, puis y réfléchit. Il but un peu d’eau. Encore mortel il aurait aussi avalé un cachet d’aspirine, mais là il se sentait déjà mieux. « Je m’entraînais en t’attendant. » dit-il lentement. « Puis... je ne sais pas. Je me suis réveillé ici. »
         MacLeod lui raconta comment ils l’avaient trouvé.
         « J’ai pas mal étudié pour mes examens de la semaine prochaine. » admit Richie. « Mais je ne pense quand même pas avoir travaillé au point de me faire exploser le cerveau. »
         Duncan ne trouva pas cela très drôle. Il regarda Methos. « Cela aurait-il pu arriver ? Un caillot, une hémorragie cérébrale, quelque chose dans ce genre ? »
         Methos frémit. « Je n’en sais rien. Je n’ai jamais rien vu de tel. Richie, tu es sûr de n’avoir pas été attaqué ? De n’avoir combattu personne ? »
         Richie secoua doucement la tête de gauche à droite. Sa migraine s’était dissipée et son cou ne semblait plus vouloir casser en deux. « Je ne suis certain de rien, je ne me souviens pas... »
         Les deux aînés l’étudièrent. Richie commença à rougir. « Je ne mens pas ! » s’écria-t-il.
         « Bien sur que non. » le calma MacLeod. « Comment te sens-tu maintenant ? »
         Methos savait qu’il était toujours difficile pour un mentor de laisser partir un élève, mais il était heureux que MacLeod s’occupe toujours de ce garçon. Les dossiers des Guetteurs lui avaient appris l’adoption – informelle et essentiellement tacite – de Richie par Duncan et Tessa avant que le jeune homme devienne Immortel. MacLeod lui en avait aussi raconté de rares anecdotes. Pendant un instant, Methos aurait souhaité se souvenir de son premier mentor plus que quelques impressions, images trop émoussées par le temps pour s’en rappeler vraiment. Un homme dans une grande plaine dévastée. Une aube d’espoir et une promesse. Un serment prêté.
         « Ca va. » disait Richie. « Un peu confus. »
         Les yeux de Duncan se rétrécirent. « Tu veux t’entraîner ? »
         « Non merci. » répondit le jeune homme d’un ton las. « Je pense que je vais rentrer à la maison, j’ai beaucoup de révisions à faire. »
         « Tu te sens capable de rentrer chez toi ? »
         « Oui oui. Souhaite-moi bonne chance en histoire américaine. »
         MacLeod sourit faiblement. « Bonne chance. » dit-il, mais son sourire disparu en même temps que Richie. « Tu penses que ça va aller ? » demanda-t-il à Methos sans cacher ses doutes.
         Methos répondit « Je pense qu’on verra bien. »

         Une semaine plus tard, Methos revenait de faire ses commissions, les bras chargés de deux sacs de courses et d’un film loué, parlant d’extra-terrestres exilés sur Terre. Pouvoir se procurer les légumes, la viande, le pain, les gâteaux, la bière, les timbres-poste, les journaux, un appareil photo et des films dans le même magasin ne cessait de l’étonner. Les hommes du vingtième siècle voulaient du confort, mais ils ne savaient pas l’apprécier. Methos posa les sacs débordants sur le plan de travail et consulta l’heure. Presque quatre heures, à temps pour l’une de ses émissions favorites. Il alluma la télévision et zappa jusqu’à trouver un documentaire sur les rudes déserts de sable en Egypte.
         « Je me souviens de quand il pleuvait dans ce désert. » dit Methos au commentateur invisible de la télévision. De grands rideaux de pluie tombaient des cieux anciens, les vents battaient les terres habitées comme les désertes. Il avait prit son premier quickening sous l’une de ces tempêtes, vers 2530 avant J.-C., là où son ami le pharaon construisit plus tard le Grand Sphinx en hommage.
         La télévision ne lui prêta aucune attention. Le documentaire, comme la plupart de ce qui concernait l’Histoire, continuait à diffuser ses erreurs et ses approximations.
         Methos rangea ses courses et s’assis pour regarder le héros moderne MacGyver construire un planeur avec une paire de ski, trois cerfs-volants et du scotch. La brise tiède de la fin d’après-midi incitait l’Immortel à sortir se promener quand MacLeod téléphona, porteur d’une mauvaise nouvelle.
         « Richie a disparu. » dit-il.

         Richie habitait dans un petit quartier d’immeubles de trois et quatre étages, plutôt tranquille. Il avait vécu quelques temps du côté ouest, mais ce nouvel appartement était plus proche de l’université. A en juger par les multiples couches d’autocollants sur les boites aux lettres de l’entrée, la plupart des logements recevaient de nombreux résidents, souvent temporaires. Richie vivait seul dans un studio sous les combles, disposant d’une sortie de secours sur le toit, au cas où un Immortel malveillant se présenterait.
         Methos avait de bons souvenirs d’Universités autour du monde, et de meilleurs encore de la vie d’étudiant. Le studio de Richie lui en rappelait certains. Des boites de carton en guise d’étagères, de vieux meubles à la limite de tomber en morceaux, des affiches de films et de voyages. Sur une carte du monde, des punaises rouges indiquaient ses voyages – limités selon le standard de Methos, mais Richie avait des siècles devant lui pour arranger cela s’il ne perdait pas la tête. Les enceintes stéréo du jeune homme étaient plus grandes que son réfrigérateur, une extravagance que Methos constatait souvent chez les jeunes. Son bureau près de la fenêtre était couvert de livres, de cahiers et de papiers, témoignant d’un lourd emploi du temps d’études et de bachotage. Son ordinateur était resté allumé, un écran de veille y faisait défiler des dessins de Dilbert.
         MacLeod désigna un pot de carton plein de glace fondue et de sirop. « Je suis venu hier midi pour faire prendre une pause à Richie dans ses révisions. Nous avons ramené la glace en rentrant. »
         L’emballage était devenu mou, il fuyait sur un tas de notes dont il brouillait l’encre. Methos ne voyait pas l’importance d’une glace à la vanille fondue, ou était-ce de la noix de pécan ? « Richie n’est pas spécialement un maniaque du rangement, Duncan. Cela justifie-t-il de s’alarmer ? »
         MacLeod fronça les sourcils de plus belle. « Je suis passé aujourd’hui parce que nous devions aller courir dans le parc. Sa porte n’était pas fermée, ses clés, son portefeuille et son épée, tout est resté ici. J’ai appelé son professeur d’histoire, Richie à manqué son dernier examen ce matin. »
         « A-t-il eu un problème comme la semaine dernière ? »
         MacLeod secoua la tête. « Pas de perte de conscience, pas de trou de mémoire. Mais il ne souvient toujours pas de ce qui s’est passé au dojo dimanche dernier. »
         « Et maintenant tu crois que quelqu’un a pris sa tête ? »
         « Je ne sais pas quoi penser. »
         Ils furent saisis simultanément par la sensation d’un Immortel en approche. La main de MacLeod se porta à la garde de son épée. Richie entra en sifflotant, sain et sauf, il sursauta presque en les remarquant devant la fenêtre.
         « Bon sang Mac ! » s’écria-t-il. « Ca t’amuse de filer des attaques cardiaques aux gens ? »
         Le soulagement et l’irritation percèrent dans la voix de Duncan. « Richie, où étais-tu passé ? »
         Richie les dévisagea, ahuri. « Ben je suis sorti faire un tour, pourquoi, qu’est ce qui ne va pas ? »
         « Faire un tour où ? » demanda doucement Methos.
         Richie ouvrit la bouche, mais il ne répondit rien. Sa surprise grandit et envahit ses traits. Il ne pouvait se le rappeler et le leur dit. Il s’effondra sur son canapé, inquiet.
         « Depuis combien de temps suis-je... sorti ? » demanda-t-il faiblement.
         « Tu te souviens du film ? » dit MacLeod.
         « Oui, tu m’as fait voir... un truc en français. »
         « C’était il y a bien plus de vingt-quatre heures. »
         Richie se frotta les yeux. « Qu’est ce qui m’arrive ? »
         « Je l’ignore. » admit MacLeod en cherchant une explication dans les yeux de Methos.
         L’ancien était plongé dans es souvenirs des siècles passés. « Je n’en sais rien non plus. C’est peut-être un problème médical curieux que ton corps n’a pas encore arrangé. Ou bien c’est psychologique. »
         « Tu veux dire que je déraille ? »
         « Je ne sais pas. » répondit calmement Methos. Les jeunes paniquaient souvent facilement. Il se rappela curieusement d’Alric, mais ne s’attarda pas sur les ressemblances de Richie avec ce garçon mort depuis mille six cent ans.
         Soudain, MacLeod se tourna vers la fenêtre, ses mains pressées contre ses tempes, le visage crispé d’une étrange douleur.
         Et Methos ressentit le bourdonnement qui n’était pas un tremblement de terre.
         MacLeod approcha de la vitre. « Là. » dit-il, la voix tendue. Methos le rejoignit et découvrit deux silhouettes dans la rue en contrebas. Un homme et une femme.
         Il connaissait cette femme.




- 2 -




         « Vous deux, restez là. » ordonna Methos. Ce n’est qu’en arrivant dans l’escalier qu’il réalisa qu’ils le suivaient de toute façon. Les jeunes de nos jours n’avaient vraiment plus aucun respect pour leurs aînés. La rue était encombrée de la circulation de l’après-midi, le ciel teinté de rose, et Methos se glissa entre deux files de voitures pour atteindre l’endroit où il avait vu Octavia. Se laissant guider par son instinct et le grondement s’atténuant dans son cerveau, il s’engagea dans la plus proche allée jusqu’à une petite rue, puis une autre ruelle derrière un centre commercial où se côtoyaient restaurants, banques et boutiques.
         Il distança MacLeod et Richie et se retrouva seul en s’arrêtant brusquement en voyant Octavia et son compagnon monter dans une récente Cadillac de luxe.
         C’est l’homme qui retint le plus l’attention de Methos. C’était un indien d’Amérique du sud, et c’est de lui que venait cette inimitable impression de séisme.
         Leurs yeux se rencontrèrent.
         Methos dégaina son épée.
         « Ne soit pas ridicule. » lui lança Octavia en latin avant de s’installer au volant et de démarrer en trombe.
         Methos bondit hors de sa trajectoire. Il ne faisait aucune doute qu’Octavia l’aurait écrasé, mais il savait qu’il n’était pas son objectif principal. MacLeod et Richie venaient d’arriver à l’entrée de la ruelle, et bien qu’ils aient largement eu le temps de s’écarter, il sembla à Methos que Richie se jetait délibérément sous les roues de la Cadillac.
         L’impact le jeta en l’air, il retomba plus loin sur le bitume, le corps désarticulé en un tas informe de chair et d’os.
         MacLeod réagit rapidement. Il traîna le corps de Richie dans la petite rue avant qu’un témoin ou un badaud le découvre. Le temps que Methos le rejoigne, il cachait son jeune ami dans l’entrée d’un immeuble en serrant le corps sanglant contre sa poitrine.
         « Va chercher ma voiture. » dit-il à Methos. « Amène-la par derrière. On emporte Richie au dojo. »
         Methos ne bougea pas.
         « Qu’y a-t-il ? » demanda MacLeod, énervé. Il semblait secoué. « Tu préfères le trimballer le long des rues dans cet état sans étonner personne ? »
         Methos regardait le corps de Richie. « Il s’est jeté devant elle. »
         La mâchoire de MacLeod se crispa. « Tu ne peux en être certain. »
         « Qu’as-tu vu ? » demanda calmement Methos.
         « La voiture l’a renversé. Que veux-tu dire ? »
         Le Highlander ne raisonnait pas logiquement. Il était toujours difficile de voir un ami mourir, même s’il ressuscitait de toute façon. Methos préféra attendre avant de revenir sur ce sujet. Il alla chercher la Thunderbird, la conduisit prudemment jusqu’à la cachette où MacLeod se cachait toujours avec Richie, et les ramena tous deux au dojo.
         Le crâne de Richie était fendu, sa mâchoire et ses hanches brisées, sa peau glacée ; il resta étendu sur le lit de MacLeod pendant trois heures. Le Highlander disait que d’habitude il revenait à la vie plus rapidement que cela. Methos n’exprimait pas son inquiétude, mais se disait que la traînée de sang coulant de son oreille gauche devait être en rapport avec sa guérison retardée.
         Richie ressuscita enfin, totalement désorienté. Methos en profita pour lui demander pourquoi il s’était jeté devant la voiture d’Octavia.
         « Il ne l’a pas fait. » lança MacLeod depuis la cuisine.
         « Je devais le faire. » marmonna Richie, en se tenant la tête dans les mains.
         Duncan ne dit plus rien.
         « Pourquoi devais-tu le faire, Richie ? » continua Methos.
         « Pas le choix... La flèche, je ne pouvais... » Il se tut, leva les yeux vers Methos. Sa confusion se dissipait. Son corps, en se remettant, balayait ses premières réponses instinctives. En dix minutes, il était totalement rétabli, tant physiquement que mentalement. Il se souvenait d’avoir passé la matinée avec Duncan, acheté de la glace, et s’être attelé à ses études après le départ du Highlander. Puis de son réveil dans ce lit.
         « Je vais devoir te racheter des draps... » s’excusa Richie.
         « On sera quitte si je sais ce qui se passe. » Répondit MacLeod, non sans douceur. « Tu ne te rappelle pas nous avoir parlé chez toi ? La poursuite dans les ruelles ? Ton saut devant la voiture ? »
         Richie secoua la tête. « Je disjoncte, hein ? » demanda-t-il, la mine sombre. « Le premier Immortel à devenir fou. »
         « Tu ne serais pas le premier. » dit fermement Methos. Il ne pensait pas que Richie puisse revendiquer être le premier à quoi que ce soit, mais il se retint de l’ajouter. « Nous n’avons la preuve de rien pour l’instant. Duncan, qu’as-tu ressenti à l’appartement de Richie ? Simplement un autre Immortel ? »
         MacLeod leur servit trois bières et s’installa sur une chaise en regardant gravement Methos. « J’ai effectivement perçu l’un des nôtres, et puis... quelque chose de plus puissant que ce que j’ai jamais ressenti. Et toi ? »
         « Pareil. »
         « Alors, qui était cette femme ? Tu la connais, n’est-ce pas ? »
         « Elle s’appelle Octavia. » Methos observa Richie, mais il ne réagit pas à ce nom.
         « Et puis ? » demanda MacLeod.
         Methos leur raconta qu’Octavia avait été sa voisine à Constantinople en l’an 378. Elle avait alors tout juste deux cent ans, il se souvenait très bien d’elle, se tenant près du muret entre leurs jardins, dans une robe couleur de soleil, avec des bracelets d’or et une broche de pierres précieuses dans les cheveux. Elle était alors l’une des femmes les plus riches de l’empire romain. Son mari mortel était un ami de Methos et un général dans l’armée de l’empereur Valens. Quand il mourut à la bataille d’Adrianople, Octavia quitta définitivement la ville.
         Constantinople s’était appelée Byzance, on disait maintenant Istanbul. Adrianople se nommait désormais Erdine. Aucun de ces noms n’évoquaienent quoi que ce soit à Richie, et Methos nota mentalement que l’enseignement des universités modernes comportait des failles. MacLeod, né plus d’un millénaire après la bataille d’Adrianople, demanda quel en avait été l’objet.
         Methos ne voulait pas entrer dans des détails sordides. Il ne se rappelait que trop bien du bain de sang et de l’horreur de son armée taillée en pièces, dans une plaine côtière autrefois fertile, face à vingt mille violents guerriers Goths. Valens, cet idiot, n’aurait jamais du les envoyer sans renforts de Rome. Mais Methos avait depuis longtemps pardonné son vieil ami pour cette erreur.
         « C’est un peu compliqué. » se contenta-t-il de répondre, en mentant juste un peu. « Des histoires avec les Visigoths, tout ça. »
         « Les Visigoths... » le visage de Richie s’éclaira tandis qu’il trouvait un repère. « Tu veux dire, comme les Vandales et les Huns ? »
         « Les Visigoths et les Huns étaient des ennemis mortels. » rétorqua Methos.
         Richie se renfrogna.
         Methos pensait qu’il était inutile de lui en parler maintenant. Les Huns et les Vandals, les Visigoths et les Ostrogoths, tous étaient poussière à présent, même si certains de leurs gènes avaient survécu dans des millions de Slaves, d’Allemands, de Turques et d’autres descendants. Mais à l’époque ils étaient extrêmement importants pour lui, comme pour Octavia et son mari, et comme pour Alric. Maintenant n’était qu’une notion très relative.
         « Et l’autre ? » demanda MacLeod.
         Methos n’avait aucune idée de qui était le compagnon d’Octavia. Il ne savait pas non plus où elle était ni comment la trouver. Il allait devoir chercher des informations chez les Guetteurs. En attendant, étant donné les circonstances inhabituelles, il fut décidé que Richie resterait avec MacLeod, il coucherait sur le canapé. Les deux aînés convinrent discrètement que mieux valait ne pas quitter le jeune Immortel des yeux.
         En aparté, Methos conseilla à MacLeod de prendre garde à sa tête.
         « Richie ne m’affrontera pas. » réfuta Duncan.
         « Tu ne sais pas ce qu’il peut faire. Lui-même ne sait pas ce qu’il a fait pendant les dernières vingt-quatre heures. Tu dois t’attendre à tout. »
         Le visage de l’Ecossais s’assombrit, mais il ne protesta pas. Ils avaient vu, l’un comme l’autre, de trop nombreux mentors tomber devant leurs élèves. Si le moment venait de se battre contre Richie, il ne prendrait pas en compte les préférences des Immortels. MacLeod gagnerait probablement, mais rien n’était jamais certain.
         « Je connais Octavia. » ajouta Methos. « Si elle impliquée, ce n’est pas bon signe. »
         MacLeod scruta son regard. « Tu caches quelque chose. »
         « Je te raconterai plus tard. »

         Le Guetteur d’Octavia la croyait quelque part au Brésil, mais sur le conseil d’Adam Pierson il chercha sa piste à Seacouver. Richie fini de passer ses examens, il s’entraînait au dojo tous les jours et ne souffrit plus de disparition ou de perte de mémoire.

         Une semaine plus tard, tandis que Methos regardait fasciné MacGyver construire un récepteur radio avec du chewing-gum, du fil dentaire et une canette de soda, Jorgen Tommsen lui téléphona. C’était son Viking immortel préféré. Vers l’an 975, ils s’étaient tenus tous deux, saouls et en braillant, à l’extrême bord de la falaise d’un fjord haut de huit cent mètres, pendant qu’une tempête hivernale les criblait de glace et de grêle en une chaotique symphonie. Cela s’était mal terminé, pour autant que Methos s’en souvienne, mais heureusement le rendez-vous que Jorgen lui proposait ne faisait mention ni de fjord ni d’autre lieu élevé.
         En revanche, il concernait Octavia.
         « J’aimerai inviter quelqu’un d’autre. » dit Methos. « Il s’appelle Duncan MacLeod. »
         « Le Highlander, » grogna Jurgen. « J’en ai entendu parler. Quel âge a-t-il ? »
         « Un peu plus de quatre cent ans. »
         Jorgen hésita. « D’accord, mais pas le très jeune. Il ne doit même pas savoir que tu viens, ni même que je suis en ville. »
         Pas Richie.

         Methos résuma la situation à MacLeod avant qu’ils rejoignent Jorgen à un cimetière dans les collines. La lune était pleine et basse sur l’horizon. L’endroit aurait été parfait pour la cérémonie de Beltain. Jorgen était semblable au souvenir qu’en avait Methos – immense et de forte carrure, les cheveux épais et blonds, une poigne à briser la pierre. Sa force et sa lenteur l’ayant toujours handicapé à l’escrime, il devait plus sa survie à son intelligence qu’à autre chose.
         Jorgen et MacLeod se dévisagèrent attentivement à la lueur de la lune, au cas où ils devraient s’affronter un jour. Puis ils s’assirent tous entre les pierres tombales bien entretenues et l’herbe rase en se faisant passer une bouteille de brandy, tandis que le Viking leur racontait son histoire.
         « L’année dernière, sur une période de deux semaines, six Immortels disparurent de la région de Los Angeles. Tous assez jeunes – le plus âgé était un comptable de cinquante-six ans, et le plus jeune un braqueur de voiture des quartiers est, Immortel depuis seulement deux semaines. Ils ont tous quitté leur emploi, leur famille, leur foyer, laissant même des plats sur le feu. »
         Methos se remémora la glace de Richie en train de fondre sur le bureau.
         Jorgen continua. « L’un d’eux était mon élève, Jason Colby. J’ai passé des mois sur de fausses pistes avant de le découvrir dans une maison près de Julian, en Californie. Ton amie Octavia était là, Methos, ainsi qu’un autre Immortel très puissant. »
         « Nous l’avons vu. » intervint MacLeod.
         « Tous les disparus étaient là, en tout cas je pense, je n’ai vu que deux autres en plus de Jason. » reprit Jorgen. « Octavia et le voleur de voitures – il s’appelait Raul Basulta – faisaient les courses. Personne d’autre ne quittait la maison ou le terrain. Je savais que je devais entrer dans cette maison pour découvrir ce qu’il s’y passait, mais la veille du jour où je devais passer à l’action, ils se sont tous volatilisés. Tous sauf Jason. »
         Jorgen s’interrompit un instant, se préparant pour la partie la plus pénible de son histoire. « Jason m’a provoqué en duel. Il ne semblait pas me reconnaître et m’a affronté avec l’épée que je lui avais donnée, et rien de ce que j’ai pu dire ne sut le convaincre de cesser. Il m’aurait tué, j’en suis sûr. J’ai du prendre sa tête. »
         Il se couvrit le visage de ses mains. « J’ai pris sa tête. » répétait-il, comme s’il ne parvenait toujours pas à se faire à cette idée.
         Methos ne dit rien. Le chagrin méritait ses instants au même titre que l’amour. MacLeod but encore un peu de brandy, fixant vaguement le sol derrière eux.
         Jorgen se ressaisit. « J’ai trouvé dans la maison les restes des cinq autres Immortels. Ils avaient tous été décapités, mais pas récemment – j’aurais vu les quickenings. Je pense qu’ils ont été tués un par un, de façon échelonnée. J’ai aussi trouvé des indices me menant à Rio de Janeiro. Il est apparu qu’en 1991, neuf Immortels ont disparu sur une période de quatre mois. Même tranche d’âge – très jeunes. Mêmes circonstances – plutôt mystérieuses. »
         « Quelle est ta théorie ? » demanda MacLeod. « Tu crois qu’Octavia et son ami les ont kidnappés et tués pour le plaisir ? »
         Jorgen secoua la tête. « Je pense que c’est plus compliqué que ça. A mon avis, d’une façon ou d’une autre, Octavia et son ami influencent les actions des jeunes. Un genre de domination mentale si tu veux. Quelque chose faisait agir Jason de cette façon. Ça les attire comme des aimants. Aucun des Immortels de Los Angeles ou ceux du Brésil ne semblaient se connaître. Le seul point commun qu’ils avaient avant de disparaître était leur immortalité. »
         « Du contrôle psychique ? » soupira MacLeod. « Je n’y crois pas vraiment. »
         Methos émergea de ses propres pensées et souvenirs. « Quelque chose a poussé Richie à se jeter devant cette voiture, l’a fait disparaître toute une journée, lui a fait perdre la mémoire. »
         « Votre ami est revenu. » dit Jorgen. « Ce n’est pas habituel. Est-il vraiment lui-même ? »
         « Ca oui, Richie est inimitable. » dit MacLeod avec un demi sourire.
         « N’a-t-il pas eu de comportement étrange ? » insista le Viking.
         « Non. »
         Jorgen avait l’air déçu. « Si cela avait été le cas, j’aurais pensé qu’il était toujours sous le contrôle d’Octavia. »
         « Tu crois qu’elle et son ami peuvent plier d’autres Immortels à leur volonté, mais tu n’as aucune preuve. Je n’ai jamais rien entendu de pareil. »
         Jorgen lui lança un regard méprisant et demanda « Methos, qu’en penses-tu ? »
         L’ancien attrapa la bouteille. « Quand Octavia était ma voisine à Constantinople, il y a quinze siècles, elle voulait que je lui enseigne tous les mythes et légendes que je connaissais sur notre race. L’une de ces histoires la fascina pendant des mois. Je lui ai raconté qu’un jour, vers 1300 avant J.-C., je vivais dans la capitale hittite, Hattusa. Presque plus personne ne se souvient d’eux à présent, mais les Hittites rivalisaient de puissance avec l’Empire égyptien, et Hattusa était l’une des plus grandes villes de ce siècle. Enfin, toujours est-il qu’on parlait alors d’un Immortel nommé Larbarna, capable de contrôler les esprits. Je n’en ai plus jamais entendu parler depuis, mais Octavia a voulu en savoir plus, et elle s’est lancée dans ce que je considérais être une quête absurde. »
         « A la recherche de quelqu’un capable de contrôler les esprits Immortels. » dit sombrement Jorgen.
         « Que comptes-tu faire ? » demanda Macleod.
         « Continuer à chercher Octavia et son ami. »
         « Les Guetteurs peuvent avoir des informations. » suggéra Methos. « Surtout sur des disparitions de jeunes Immortels. Je t’aiderai Jorgen, par tous les moyens dont je dispose. »
         « Moi aussi. » renchérit MacLeod. « Je n’aime pas l’idée que quiconque puisse nous contrôler. »
         Quand ils se séparèrent dans le cimetière, Methos demanda à Jorgen ce qu’il faisait à Los Angeles. Le Viking frissonna et répondit d’un ton parfaitement neutre « Ce que tout le monde fait à LA : garçon de café et scénariste. »

         L’après-midi suivante, Methos avait obtenu quelques réponses. Les Guetteurs avaient bien remarqué les disparitions en Californie, mais n’avait pas fait le lien entre elles. Leur couverture brésilienne n’était que partielle, mais l’un de leurs hommes avait marqué la disparition de son Immortel d’un point d’interrogation. Le Guetteur d’Octavia, sermonné pour avoir perdu la trace de son Immortelle, indiqua qu’elle avait vécu quelques temps avec les Indiens Ureau-Wau-Wau, sur le plateau brésilien de Rondovia.
         Methos ne connaissait ni l’endroit ni la tribu, mais il commença immédiatement ses recherches. Il passa aussi de longues heures à tourner dans la ville avec MacLeod, cherchant l’impression de séisme, mais ils ne retirèrent de ces tentatives rien de plus que des courbatures et de la frustration.
         Trois jours après, Richie disparut à nouveau.



***



         Richie et Duncan étaient allés voir à la séance du matin le nouveau film d’Arnold Schwarzenegger. Un choix du jeune homme, auquel MacLeod avait consenti de mauvaise grâce et à la condition de choisir lui-même le suivant. Au comptoir de la confiserie, Richie acheta du popcorn, des nachos, du soda et des bonbons. MacLeod le regardait, stupéfait.
         « Je savais déjà que tu avais un estomac en acier trempé, » dit-il tandis qu’ils rejoignaient deux sièges près du couloir, dans la salle obscure. « Mais j’ignorais que tu en avais deux. »
         « C’est juste en attendant qu’on aille manger en sortant. » répondit joyeusement Richie.
         Les bandes-annonces commencèrent à défiler. Richie tâtonna autour de lui et dit « Oups, j’ai oublié les serviettes. Je reviens. »
         Dans le hall toujours bondé, Richie empoigna quelques serviettes en papier. Soudain, une chaude poussée naquit à l’arrière de son crâne, avec une horrible impression de familiarité. Cela lui était déjà arrivé deux fois, une au dojo quand il l’attendait après son déjeuner, l’autre à son studio. Il s’était attelé à de sérieuses révisions en histoire américaine, en compagnie d’un gros pot de glace, quand la douleur l’avait transpercé, exigeant une reddition immédiate.
         Cette fois, il jura de résister. Il ne laisserait pas Octavia et Xan le reprendre, ne retournerait pas à la maison dans les collines, où les autres Immortels, visages pâles et voix terrifiées, parlaient de servir de cobayes, de sujets de laboratoire. Il s’accrocherai à ces bribes de mémoire assez longtemps pour prévenir Mac, et trouverai un moyen de refuser à Xan le contrôle de son esprit.
         Mais la douleur augmenta encore, atteignit un niveau bien au-delà du supportable, et il succomba.
         Il quitta le cinéma et, suivant ses instructions, traversa la ville jusqu’à un hôtel bon marché près de la gare. Octavia savait exactement où il devait aller. Une fois sur place, il traversa le lobby délavé de l’hôtel, monta à l’étage et s’arrêta à une porte près de la sortie de secours.
         Il la défonça, non sans briser son épaule par la même occasion, mais sans ressentir la douleur, d’autant qu’elle se ressouda en quelques secondes.
         Martin Hyde était assis sur une chaise, il nettoyait son épée. Il se leva à l’apparition de Richie. Son regard était froid et cruel, ravi de la rencontre, son ton condescendant.
         « Je vois que le gamin en redemande. » ricana Hyde. « J’ai pourtant cru que tu avais compris la leçon, en Espagne et en France. »
         Richie ne se souvenait que trop bien de la terreur que Hyde lui avait infligé, d’abord en massacrant ses amis à Madrid, puis en le pourchassant à travers l’Europe pour finir par le faire emprisonner en France, espérant le torturer avec une peine à vie. Mac avait dit qu’il s’était occupé de ce salaud, mais il n’était pas toujours complètement franc.
         « On verra bien qui va prendre une leçon aujourd’hui. » lança Richie. »
         Leurs épées se rencontrèrent. Le combat les mena hors de la chambre, dans les escaliers, sur le toit de l’hôtel. Martin Hyde était loin d’être aussi doué que le prétendait MacLeod, et Richie ne reçut qu’un ou deux petits coups avant de planter sa rapière dans la poitrine de l’autre Immortel. Il l’en retira et d’un grand geste souple, lui trancha la tête.
         Le quickening le frappa avec la puissance d’une tornade, balayant une partie du contrôle d’Octavia et de Xan. Quand il put penser de nouveau, il se découvrit à genoux, couvert de sueur, tremblant sous les éclairs faiblissants. Il avait un mal de crâne qui ne tarderait sans doute pas à tourner en migraine, et la tête de Martin Hyde à quelques centimètres faillit lui faire vider son estomac.
         Il devait voir Mac. Il devait tout lui dire, avant d’oublier à nouveau.




- 3 -




         Dans la chambre de Hyde, Richie trouva une poignée de sacs en plastique destinés à la lessive. Il enveloppa la tête dans une serviette de la salle de bain et la fourra dans plusieurs épaisseurs de plastique. Puis, emportant son macabre fardeau, il sauta dans un bus pour le dojo. La salle de sport était bondée, de nombreux hommes et femmes tiraient sur des poids, s’échauffaient sur les tapis, frappaient les punching-balls. Les fenêtres étaient grandes ouvertes sur l’air tiède de la fin d’après-midi, le ciel commençait à s’assombrir.
         Il ressentit un autre Immortel en grimpant au loft par l’escalier arrière, mais y trouva Methos, et non Duncan, en train de regarder la télévision. Methos le dévisagea et se leva du canapé.
         « Qu’est-ce que tu fais, Richie ? »
         « Où est Mac ? »
         « Il te cherche partout, tu as disparu du cinéma. Tu t’en souviens ? »
         « Je dois lui parler. » Richie savait qu’il devait s’ouvrir à Methos, mais n’était pas certain que le vieil Immortel comprendrait. Ce devait être MacLeod. Ce devait être son mentor, pour que Richie puisse se tenir près de lui et lui plonger sa rapière dans le corps...
         Horrifié, il réalisa qu’Octavia et Xan étaient toujours présents dans son esprit, ils essayaient toujours de le contrôler. Des éclairs fulgurants ricochaient dans son crâne. Il tenta de former les mots que Methos devait entendre – Xan, la maison sur Mersey Drive, la flèche – mais il ne put que fourrer son paquet dans les mains de son aîné.
         « C’est Martin Hyde, » lâcha-t-il. « Je pense. Tu dois m’aider... »
         Methos posa le sac sur le comptoir de la cuisine et le déballa soigneusement. Il commença à se douter de ce qu’il contenait en voyant la serviette imbibée de sang. Cinq mille ans lui avaient cependant laissé le temps de maîtriser ses nausées, et il acheva de sortir la tête avec un calme appliqué.
         Ce n’était pas Martin Hyde, dont Methos avait lu le dossier clôt quelque temps plus tôt.
         C’était Jorgen Thommsen.
         Pendant de longues secondes, Methos ne pu détacher le regard de sa macabre découverte. La vie d’un Immortel, se dit-il vaguement, est trop souvent mélangée à l’ordinaire – un comptoir de cuisine, un évier, un bloc de couteaux inoxydables – juxtaposés à l’horreur. La tête d’un ami, séparée du reste de son corps. La peau était encore tiède. Il enfonça ses ongles dans la paume de ses poings, hors de la vue de Richie.
         « Qui as-tu dit que c’était ? » il voulait entendre les mots de Richie.
         « Martin Hyde. » murmura Richie.
         Methos couvrit d’une serviette propre la tête de Jorgen, ses yeux clos, son visage. Il se tourna ensuite vers Richie. « Assieds-toi. »
         « Je dois trouver Mac. » insista le jeune homme.
         « Je sais, mais tu dois aussi te reposer. »
         En approchant Richie du canapé, il le frappa à la nuque avec la première chose qui lui tomba sous la main, une petite sculpture en bronze représentant un homme et une femme, réalisée autrefois par Tessa.
         Une fois le jeune homme inconscient, Methos le poignarda calmement dans le cœur.
         MacLeod n’avait dans son loft ni corde, ni chaînes, ni menottes. Methos s’arrangea avec quelques cravates de soie trouvées dans l’armoire. La mode avait bien changée depuis cinq mille ans, mais Methos n’était pas d’humeur à se souvenir de l’évolution des cravates depuis les foulards et les écharpes. Il traîna Richie jusqu’au radiateur contre le mur, l’y adossa et lia ses poignets sur les côtés. Il pensa appeler Macleod sur son portable, mais voulait Richie pour lui tout seul à son réveil.
         La mort avait été simple, cela ne prit que quelques minutes à Richie pour inspirer profondément et tirer sur ses liens. Son regard était toujours trouble et la confusion se lisait sur ses traits, mais aucune nouvelle traînée de sang de son oreille ne vint s’ajouter à celles, sèches, qui avaient du couler plus tôt. Methos plaça ses mains de part et d’autre du visage de Richie pour le forcer à le regarder.
         « Richie, où est Octavia ? »
         « Grande... maison. » grommela le jeune homme. « Banlieue. »
         « Où ? »
         « Mer...sey. Mer... sey Drive. » Les yeux de Richie se fermèrent, puis se rouvrir, cette fois nets et concentrés. Methos savait qu’il n’obtiendrait plus d’information. Le plus jeune tira sur ses liens, confus et apeuré.
         « Que se passe-t-il ? »
         Methos s’assis sur le sol. « De quoi te souviens-tu ? »
         « J’étais au ciné. Puis... oh non, pas encore. Je ne sais plus. »
         « Tu as pris la tête d’un Immortel. Et tu l’as ramenée ici. »
         Richie le dévisagea, incrédule. Puis son regard se porta sur la serviette dans la cuisine, posée sur quelque chose qui n’était pas une boule de bowling.
         « Qui ? » demanda-t-il, la voix fendue d’effroi. Si Methos lui annonçait qu’il avait tué Duncan, il ne pensait pas pouvoir le supporter.
         « Il s’appelait Jorgen Thommsen, c’était un ami. »
         Richie tira sur ses poignets fixés au radiateur. « Et ça ? C’est pour te venger ? »
         Pour la première fois depuis très longtemps, Methos s’accorda le luxe de la colère. D’un ton glacé, il lâcha « Si j’avais voulu prendre ta tête, je n’aurais pas besoin de faire ça. »
         Richie ne répondit pas, mais il ne tressaillit pas non plus.
         Aussi rapidement qu’il était venu, son courroux cessa. Il était inutile de blâmer le gamin pour ce qu’il avait fait sous l’emprise d’Octavia. La perte de Jorgen était marquée au fer rouge, il faudrait du temps avant qu’il puisse se souvenir du Viking sans voir avant tout sa sinistre fin, dans l’évier de MacLeod. Il se frotta les yeux et reprit, embarrassé. « Richie, d’une façon ou d’une autre, Octavia et son ami te contrôlaient. Je ne peux laisser cela se reproduire. Tu pourrais faire quelque chose que je regretterai. »
         Richie détourna les yeux. « Alors peut-être que tu devrais prendre ma tête. Ne... ne laisse pas Mac devoir s’en occuper. »
         « Ce n’est pas encore nécessaire. Je pense que quand tu meures, le lien est rompu. C’est arrivé dans la ruelle et ici. Dans les premières minutes après ton réveil, tu t’en souviens en partie. Tu as parlé d’une maison sur Mersey Drive. »
         Le jeune Immortel réfléchi, puis secoua la tête. « Je ne m’en rappelle pas. »
         « Cet homme, mon ami, essayait d’arrêter Octavia. Il a dit que son complice est un Indien, d’une tribu brésilienne, les Ureau-Wau-Wau. »
         Le regard de Richie se perdit dans le vague, puis il murmura « La flèche. »
         « Quelle flèche ? »
         « Je me souviens... d’une flèche. Tirée dans une grotte. Mais je ne sais ni où ni pourquoi. J’ignore ce que cela signifie. »
         Methos archiva mentalement cet indice pour plus tard. Ils restèrent assis en silence, dans le loft éclairé par une seule lampe, perdus dans leurs pensées. Quand ils ressentirent un Immortel approcher, Methos empoigna son épée. Il ne pensait pas que ce fut Octavia ou Xan – aucun signe de séisme – mais ne voulait prendre aucun risque.
         MacLeod entra, vit Richie attaché au radiateur et l’objet sous la serviette dans la cuisine. Il regarda Methos comme si le vieil Immortel était devenu fou.
         « Bon sang mais qu’est ce qui se passe ? »
         Methos lui raconta tout tandis que Richie gardait le silence. Quand il eu fini, le visage de Duncan était grave et tendu.
         « Alors que fait-on maintenant ? » demanda le Highlander.
         « Ca me semble évident, » répondit Methos. « Je vais à Mersey Drive pour trouver Octavia. Tu restes ici avec Richie, il est trop vulnérable pour qu’on le laisse seul. Si Jorgen avait raison... » il jeta un coup d’œil involontaire à la table de la cuisine, « Plus tu es jeune, plus tu es contrôlable par Octavia et Xan. Je suis le plus âgé, c’est donc moi qui ai le plus de chances. »
         « Pas dans un combat à l’épée. » indiqua MacLeod.
         Methos leva un sourcil. « Je ne suis pas mauvais à ce point, merci. »
         Duncan secoua la tête. « Ce doit être moi. Laisse-moi essayer. Si j’échoue, nous aurons une seconde chance avec toi. Mais si tu échoues, il ne reste aucun espoir. »
         « Non, Jorgen était mon ami. »
         MacLeod l’attrapa par les épaules. « C’est toi qui me dis toujours de ne pas laisser mes émotions troubler mon jugement. Suis tes propres conseils et vois la logique ! Laisse-moi y aller en premier. Si je ne reviens pas, alors tu iras. »
         « Mac a raison, Methos. Reste ici. » lança Richie depuis son coin.
         Methos se tourna vers lui. « C’est toi qui parle ou c’est Octavia ? »
         Peut-être laissait-il réellement la mort de Jorgen l’affecter outre mesure, pour être aussi cruel. Richie grimaça et détourna les yeux, la main de MacLeod tomba de son épaule. L’ancien Immortel prit une profonde inspiration. « D’accord, tu as raison. Je veux y aller pour de mauvaises raisons. J’attendrai ici. »
         MacLeod se mit en route quelques minutes plus tard, le visage déterminé, sans peur aucune. Il reçut les souhaits de bonne chance de ses amis d’un léger hochement de tête.
         Après son départ, Richie se trémoussa sur le plancher, tira sur les liens de ses poignets.
         « C’est trop serré ? » demanda Methos.
         « Non, je suis juste... impatient. Combien de temps crois-tu que nous devrons patienter ? »
         « Je ne sais pas. »
         « Peux-tu... » commença Richie, avant de s’interrompre.
         « Quoi ? »
         Le jeune Immortel rougit. « Peux-tu me parler ? Raconte moi comment était le monde ? Je suis sensé prendre des cours d’histoire ancienne à la rentrée. Ca me donnerait des bases... »
         Methos s’installa sur le sol à côté de lui. « Le monde de l’époque était en bonne partie comme celui de maintenant. » dit-il lentement. « Hommes et femmes, enfants, amants, amis, ennemis. Petits tracas quotidiens, bonnes surprises. Morts stupides et inutiles. Grands exploits, réduits en poussière par le temps. Politique et guerres... Seuls les détails changent. »
         « Ils ont quand même dû changer pas mal, hein ? »
         « Infinies variations sur les mêmes thèmes. » répondit Methos. A sa surprise, il admit « Un monologue se débite constamment dans ma tête, comparant le présent au passé. C’est parfois assez ennuyeux et j’aimerais pouvoir le faire cesser. Je vois souvent... des visages, qui me rappellent des gens d’antan. »
         Intrigué, Richie releva la tête. « Je te rappelle quelqu’un ? »
         Methos prit son temps pour répondre. « Te souviens-tu quand nous avons parlé des Visigoths, de la bataille d’Adrianople ? »
         « Oui. »
         « Les Visigoths fuyaient les Huns – qui envahissaient leurs terres dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Allemagne – et vinrent demander asile à Rome. Les Romains leur octroyèrent, mais ils prirent des centaines de leurs fils en otage pour s’assurer la coopération des familles. Les otages vécurent confortablement, dans des familles d’accueil romaines, allant à l’école, apprenant les langues, l’histoire et les techniques. Octavia et son époux avaient l’un de ces jeunes otages chez eux, un garçon de quatorze ans nommé Alric. Il devint un fils pour eux, et je m’y attachais tout autant. »
         « Malheureusement, pour de nombreuses raisons, l’alliance ne fonctionna pas, et les Goths se rebellèrent. Ce fut la bataille d’Adrianople, que les Romains perdirent. Ils le reconnurent et se replièrent sur Constantinople. Le traité de paix promettait en autre aux otages Goths de l’or et des terres. Ils les ont en fait tous réunis dans le forum et les ont massacré jusqu’au dernier sous le soleil. Alric était parmi eux. »
         Alric s’était méfié de l’offre. Octavia, endeuillée par la perte de son mari, l’avait convaincu de se rendre tout de même au forum. Methos, en tant que l’un des généraux ayant survécu, lui assura aussi que ce n’était pas un piège.
         Il avait tort. Quand il revit Alric, le garçon était mort, une flèche dans le cœur et une autre dans l’œil gauche.
         Octavia n’avait pas été la seule à se détourner des Romains après cela.
         « Merci. » dit Richie à la fin de l’histoire. « Ça me réconforte, Methos. »
         L’ancien voulait se vexer mais en fait il sourit de nouveau. « Je n’ai pas dit que tu finirais comme Alric. »
         « Mais tu trouves que je lui ressemble. »
         « Il était rude et costaud, un peu têtu, avec l’art d’attirer les problèmes. Oui Richie, tu lui ressembles. C’est pourquoi... »
         « Pourquoi... quoi ? »
         « Il m’est parfois pénible d’être près de toi. »
         Les traits de Richie s’adoucirent. « Merci. Je pensais... Je pensais simplement que tu ne m’aimais pas. »
         Methos secoua la tête. « Aussi bizarre que cela puisse paraître, si je ne t’aimais pas, tu ne serais pas attaché à ce radiateur. »
         Richie sourit. « Merci d’autant plus. »
         Puis il tressaillit.
         « Pas encore. » murmura-t-il. « Oh Methos, ne le laisse pas recommencer... »
         « Quoi ? » demanda Methos en sachant pertinemment de quoi il s’agissait. Il pouvait voir les sillons que creusait la douleur sur le front du jeune Immortel, la tension dans son corps tétanisé.
         Richie crispa ses paupières. « Je n’ai que quelques... secondes. » lacha-t-il. « Va à Mersey Drive. Elle est là avec Xan... d’autres Immortels... cobayes. Alarmes et câbles... caméras.... duel à mort. Et merde... »
         Il se tut. Quand il ouvrit les yeux, son regard traversait Methos sans le voir. La douleur et la confusion avaient quitté ses traits. Il tira de plus belle sur ses liens, secouait ses bras, sans que rien dans son expression ne trahisse la souffrance et sans que ses yeux indiquent une prise consciente de décisions.
         Methos contemplait horrifié les mouvements de Richie devenir plus violents. Du sang jaillit de son oreille. Le radiateur tremblait en faisant grincer le métal. Methos bondit vers la cuisine, empoigna un couteau et trancha les liens avant que Richie se déboîte l’épaule ou arrache le convecteur du mur.
         Le jeune Immortel roula sur le sol en haletant, puis il se leva. Il voulu attraper sa rapière posée sur le buffet, mais l’épée de Methos l’en empêcha.
         Richie le regarda, puis fixa ses yeux sur la pointe de la lame posée contre sa poitrine. Il se dégagea alors, fila vers la porte et disparu dans la nuit.
         Methos le suivit.



***



         MacLeod réduisit son choix de grandes maisons de Mersey Drive à l’une d’elles, avec un large portail, un accès en pente et une Chevrolet dernier modèle stationnée devant l’entrée. Il imaginait les sinistres découvertes qu’il pourrait y faire. L’image de la tête de Jorgen Tommsen sur son plan de travail restait imprimée devant ses yeux, et le regard hanté de Richie faisait que MacLeod méprisait déjà Octatvia et son ami Indien.
         Les pelouses sombres ne donnaient aucun signe de vie. MacLeod sauta la clôture et s’accroupit dans l’herbe molle. Il cherchait un moyen d’entrer dans la maison quand une chaude sensation s’empara de son cou, puis explosa comme du napalm dans sa tête.
         Il se senti marcher vers l’entrée et ne pouvait ordonner à ses membres de s’arrêter. Il vit Octavia lui ouvrir la porte et ne put dégainer son épée pour l’en transpercer. Il lui demanda de la suivre et l’emmena le long d’un couloir clair et vide jusqu’à une immense cuisine, puis dans l’escalier menant à la cave. La demeure était calme et sombre, le vent s’engouffrant par les fenêtres des pièces vides faisait voleter les rideaux blancs comme les voiles de bateaux fantomatiques sur un océan de douleur.
         Il n’avait aucun contrôle conscient de son corps, aucun moyen de faire sortir les mots bloqués au fond de sa gorge, ne pouvait même plus annoncer son nom ; il était un outil, un réceptacle pour la volonté d’un autre, un pion impuissant.
         Puis le contrôle se rompit, tel un barrage libérant un flot de souvenirs et la conscience de soi. MacLeod releva la tête. Il était à genoux dans une cave à vin, encombrée d’étagères vides. Une douzaine de matelas y étaient disposés et trois Immortels le regardaient. Leur présence le submergea au début, l’empêchant de se lever, tandis qu’il tentait d’assimiler trop de choses à la fois. Si quelqu’un avait voulu sa tête à cet instant, il serait resté totalement sans défense. Mais les autres Immortels se contentaient de fixer sur lui des regards tourmentés et des visages hagards, à la lueur crue d’une ampoule nue fixée au plafond. Du sang séché s’écaillait derrière leurs oreilles gauches.
         « Qui êtes-vous ? » demanda une femme qui portait des vêtements typique du Moyen-Orient et avait les cheveux et les yeux noirs comme la nuit.
         « Duncan MacLeod du clan MacLeod. »
         « Naseem Hussein. » répondit la femme.
         Un rouquin plus revêche, paraissant la quarantaine, se présenta à son tour. « Je suis Ernie Meddins, de Clover, dans l’état de Washington. « Tu es bien mal tombé, Duncan MacLeod. »
         « Depuis combien de temps êtes-vous là ? » demanda Duncan. Il se leva et se trouva à l’extrémité tranchant d’une épée brandie par un grand noir aux yeux injectés de sang.
         « Tom Porter de Victoria, B.C. Pas de geste brusque. »
         « Je ne vais pas vous faire de mal. » dit MacLeod.
         « C’est ce que vous dites maintenant. » répliqua Naseem. « Mais ça changera. »
         « Nous étions huit avant. » ajouta Ernie Meddins en grommellent. « Nous sommes les seuls qui restent. Bienvenue au Club de l’Horreur. »
         Huit Immortels, vivant chacun à moins de cent cinquante kilomètres de Seacouver. Ils avaient tous mené une vie normale avant de s’éveiller, sans savoir comment ni pourquoi, dans cette cave. Tous avaient conservé leurs épées. La femme qui les tenait en otage se nommait Octavia, mais c’était l’Indien, Xan, qui savait les contrôler.
         « Mais pas tous à la fois, » précisa Tom Porter. « Parfois deux, trois en même temps. Ca dépend, un peu comme le traitement multi-tâches sur un ordinateur. Il peut parfois nous contrôler à plusieurs, d’autres lui demandent plus de temps et d’efforts. Il y avait un type, il est resté quelques temps, ils ne pouvaient que s’occuper de lui seul. Il a disparu depuis, on ne l’a pas revu. »
         « S’appelait-il Richie ? »
         « Oui, c’est ça. » répondit Ernie Meddins. « C’était le plus jeune, un brave garçon. »
         « Je sais. »
         Ernie était Immortel depuis quarante ans, Naseem depuis soixante et Tom Porter quatre vingt cinq. Qu’ils soient plus âgés que le groupe de Los Angeles ou du Brésil semblait de mauvaise augure à MacLeod. Certains étaient plus vieux encore, mais Xan les avait forcés à s’entretuer. Naseem avait vu les corps jetés dans un puit à l’autre bout du sous-sol. Elle se frotta les yeux en racontant cela, essuyant des larmes qui ne coulaient plus.
         « Savez-vous pourquoi ils nous font ça ? » demanda-t-elle au Highlander.
         « Parce qu’ils le peuvent. Y’a-t-il une sortie possible ? »
         « La porte est épaisse de quatre centimètres. » répondit Tom Porter. « Octavia nous donne à manger et récupère le seau qui est là. Il n’y a pas de conduits d’aération, pas de trappe, pas de fenêtre condamnée, pas de passage secret. Tu peux nous croire, ça fait des semaines qu’on est là. Personne n’entre ou ne sort sans qu’ils le décident. »
         MacLeod s’installa sur l’un des matelas vides et les interrogeant en détail sur tout ce qui était arrivé dans cette cave.
         Jusqu’à ce que la douleur renaisse dans leurs esprits, balayant toute trace de volonté propre.




- 4 -




         Richie disparut dans une grande maison de style Tudor, sur Mersey Drive.
         Methos ressentait le tremblement de terre depuis six pâtés de maisons. Quand il avait fouillé la ville avec MacLeod, ils n’étaient passés qu’à une douzaine de rues de ce quartier. Il vit la Thunderbird de son ami garée non loin, mais aucun signe du Highlander. Cela ne le surprenait pas. Depuis le début, il doutait que Duncan ait beaucoup de chance de réussir, mais devait le laisser essayer.
         Il inspira profondément et avança jusqu’au portail. Il n’était pas verrouillé, mais surveillé par une caméra. Il le franchit, remonta l’allée et sonna à la porte.
         Octavia répondit, sans paraître étonnée. Elle portait une robe jaune qui rappelait douloureusement celle qu’elle portait à Constantinople, étant alors citoyenne romaine. Ses poignets et son cou étincelaient de diamants.
         « Je me demandais quand tu viendrais. » fit-elle, impassible.
         « Tu aurais du m’envoyer l’adresse, c’eut été plus rapide. »
         « Mais pas aussi efficace. Je voulais aussi le gamin et le Highlander. »
         « Maintenant, tu les as. »
         « Je vous ai tous. »
         La maison avait été louée non meublée. Les pièces sombres, presque fantomatiques, semblaient refléter pour Methos le vide de l’âme d’Octavia. Une part d’elle-même était morte à jamais dans la plaine de Traces avec son époux le général, une autre avait succombée dans le forum avec le meurtre absurde d’Alric. Il ne l’avait pas réalisé à l’époque.
         « Tu me raconteras tout avant d’essayer de me tuer ? » demanda Methos.
         « Oui. » répondit-elle dans un souffle.
         Ils traversèrent la maison, une pièce déserte après l’autre, sans même de tableaux ou de miroirs aux murs, et arrivèrent dans une grande salle de bal éclairée par des rangées de chandelles épaisses et brunes, alignées au pied des murs. Le plafond reflétait les petites flammes en une douce lumière. L’Indien était assis jambes croisées au centre du parquet, vêtu d’un simple pagne et la peau ornée de motifs ocres. De ses yeux sans fond venait le grondement de la terre, la résonance d’un Immortel trop puissant pour que Methos puisse ne serait-ce qu’imaginer le vaincre.
         Methos était condamné, comme Thira avait été perdue, comme les forces romaines à Adrianople, comme les Egyptiens contre les Hittites à la bataille de Kadesh, comme toute l’humanité.
         L’ancien cligna des paupières.
         « Je ne suis pas si facile à avoir. » dit-il.
         Octavia entra dans son champ de vision. Sa robe se gonflait légèrement sous la brise. « Parfois c’est simple, parfois il faut insister, mais certains peuvent être persuadés sans même s’en rendre compte. »
         « Pourquoi insister ? » demanda Methos à l’Indien.
         « Il ne parle pas anglais, il ne communique qu’à travers moi. »
         « Tu l’as trouvé à Rondovia, dans la tribu des Uearu-Wau-Wau. »
         « Tu m’impressionnes. Peu de gens connaissent ce peuple, ils ne sont plus que quelques centaines, et il n’en restera bientôt que poussière. »
         « Quel âge a-t-il ? »
         En passant par Octavia, des images vinrent de l’Indien, des lunes montantes et des soleils courant dans le ciel bleu au-dessus des arbres. Xan n’était pas aussi vieux que Methos pensait, à peine quelques siècles. Son don ne venait pas de son âge, mais d’une autre source. Une source sans nom, même pour lui.
         « J’ai mis seize cent ans à trouver un autre Larbarna. » continua doucement Octavia. « Mais j’ai persévéré et réussi. Nous exerçons son talent, il s’améliore de jour en jour. »
         « Il s’entraîne à contrôler de jeunes Immortels, à les plier à votre volonté ? »
         « En effet. » répondit Octavia.
         Richie sortit de l’ombre, sa rapière luisant à la lueur des bougies.
         « Tu ne m’as pas tout raconté. » reprit Methos en levant sa propre épée.
         « Qu’ai-je oublié ? »
         « Pourquoi tu le laisses te contrôler aussi. » lâcha Methos en balançant son arme à la rencontre de Richie.
         La dernière chose qu’il voulait était de tuer le protégé de MacLeod pour leur bon plaisir, mais à mesure qu’il reculait à travers la salle de bal, il réalisa qu’il n’aurait peut-être pas le choix. Les mouvements du jeune homme étaient rapides et précis, ses coups portaient. Il recelait un grand talent et avait été très bien formé. Les deux entailles que Methos reçut sur la poitrine et le bras droit lui rappelèrent que, pour Richie, il n’était sans doute qu’un ennemi comme Martin Hyde à nouveau, ou quelque autre cauchemar issu de son passé. Mais ça ne l’empêchait pas de tenter de le raisonner.
         « Richie, écoute-moi. Tu n’as pas à faire cela. »
         Richie ne répondit pas, son épée entailla la joue de Methos, faisant jaillir le sang. L’Ancien riposta d’un coup d’estoc dans son diaphragme. Ce gamin méritait une leçon de respect envers ses aînés. Il avait prit le quickening de Jorgen, Methos était en droit de se venger.
         « Non, » grogna-t-il à l’attention d’Octavia. « Tu ne m’auras pas aussi. »
         « Je n’en espère pas tant. » Elle regardait avec intérêt mais semblait déjà connaître l’issue du combat. « Mais cela ne m’empêche pas d’essayer. »
         Richie profita d’une ouverture laissée par son adversaire pour lui plonger son épée dans le flanc. Methos s’effondra, sentant sa force le quitter comme l’eau fuyant d’une canalisation percée, mais il parvint tout de même à parer l’attaque suivante. Il remonta sa lame et la retourna, fauchant Richie aux jambes et le faisant basculer à terre.
         Methos se releva en vacillant et abattit son épée en un coup que Richie para au tout dernier instant, avant de rouler de côté. Des traînées écarlates se répandaient sur le plancher. Methos lui avait tranché une artère, et la douleur avait fissuré le masque d’impassibilité du jeune Immortel. L’Ancien espérait que cela créerait un autre type d’ouverture par la même occasion.
         « Richie, résiste ! » cria Methos tandis que leurs lames se rencontraient et se frappaient en arcs mortels.
         Richie secoua violemment la tête. « Non. » lâcha-t-il. « Je ne peux pas. »
         « La flèche. » cria Methos, en repensant aux mots qu’il avait prononcés plus tôt. « En quoi la flèche est-elle importante ? »
         Richie recula vers Octavia et Xan. « Il n’y a pas de flèche. » haleta-t-il.
         « Ecoute-moi Richie. Qu’est ce que la flèche ? »
         Le jeune homme cessa soudain de combattre. Il resta immobile, laissant sa rapière lui pendre des mains, le visage blême et trempé de sueur, le sang bouillonnant toujours de sa jambe. Même le vent s’engouffrant par la fenêtre et les flammes des bougies semblèrent se figer.
         « La flèche peut être renversée. » murmura-t-il.
         Puis il plongea son épée dans sa propre poitrine.
         « Non ! » cria Octavia.
         Methos lança son bras en un grand mouvement circulaire et trancha la tête de la Romaine.
         La lueur des chandelles se mua en tornade. Methos vit Xan se lever et quitter la pièce ainsi que le visage fixe de Richie à terre, mais il ne pouvait rien faire d’autre que recevoir les vagues, d’extase autant que de douleur, qui frappaient ses bras et son dos, le traversaient jusqu’au plus profond de son être, rejaillissaient par ses jambes, revenaient à nouveau en un cycle formidable. Le quickening d’Octavia se mêla à son âme, le plongeant dans un bain acide de souvenirs et d’émotions avant de le jeter à genoux au sol, épuisé.
         Les bougies étaient toutes éteintes, mais à la lumière éthérée de la lune, il releva la tête et découvrit Xan aux côtés de son nouveau champion.
         Macleod.
         « Duncan, non... » supplia Methos. Le quickening d’Octavia, même s’il avait effacé les blessures que lui avait infligées Richie, l’avait laissé chancelant et affaibli. Ses mains tremblaient tandis qu’il ramassait son épée. Affronter MacLeod en étant au mieux de sa forme n’était déjà pas une mince affaire, et il n’était vraiment pas au mieux de sa forme. « Duncan, je t’en prie. Attaque-le, lui. »
         « Je suis Duncan MacLeod du clan MacLeod. » fut la réponse qu’il obtint. « Et toi, Kern, tu es un homme mort. »
         MacLeod avança. Kern avait tué sa compagne Sioux, Little Deer, et Methos ne doutait pas un instant que le Highlander ferait tout son possible pour tuer celui qu’il penserait être Kern, même si celui-ci était déjà mort.
         « Duncan, tu ne peux le laisser te contrôler. » s’écria désespérément Methos, en vacillant sous une douzaine de coups précis. MacLeod ne faisait que s’échauffer. Il allait jouer un peu avec lui, le fatiguerait, affaiblirait sa défense puis le décapiterait.
         « Duncan, je ne suis pas Kern ! » cria-t-il en battant en retraite, tout en portant quelques attaques pour donner bonne mesure.
         MacLeod les para facilement. « Fini, voilà ce que tu es ! »
         Methos avait espéré ne pas devoir en arriver là, mais il dégaina le 9mm dissimulé dans sa ceinture et tira quatre coups dans la poitrine de son ami. Il lui restait onze balles pour Xan. Il trichait, certes, mais de toute façon cela n’avait jamais été un combat loyal.
         MacLeod tomba à la renverse, du sang imbibant sa chemise. Ses mains griffèrent le plancher, sa bouche formait en vain des mots silencieux.
         Il mourut.
         Methos se tourna vers l’entrée. Trois autres Immortels se tenaient entre lui et Xan. Une femme en robe orientale, un grand noir et un rouquin corpulent. Tous avaient des épées, tous étaient marqués par la volonté de Xan. Methos abattit les deux premiers.
         Puis le pistolet s’enraya.
         Le noir fonça sur lui, avec peu d’expérience mais une grande détermination. Methos n’eut besoin que de trente secondes pour le feinter et l’embrocher.
         MacLeod se tourna sur le sol derrière Methos et se releva, son épée à nouveau en main.
         « Oh non, pas encore... » haleta Methos. Sa vue était brouillée par la sueur, ses mains dégoulinaient de sang. Duncan s’approcha avec la même lueur meurtrière dans le regard, comme un cauchemar qui refusait de s’achever. Il imaginait les autres se relever à leur tour, marionnettes zombies aux ordres de Xan, et savait qu’il finirait par succomber sous le nombre.
         Il avait besoin d’aide et chercha Richie des yeux, mais il avait disparu.
         Une horrible prémonition le poussa à se retourner, juste à temps pour voir Richie prendre la tête de Xan par derrière.
         Le tremblement de terre qui roulait sans cesse dans le crâne de Methos se changea alors en un séisme d’une magnitude inimaginable.



***



         Thira avait disparu en 1500 avant J.-C., par un magnifique après-midi d’été. Methos et Arete avaient un peu forcé sur le vin au déjeuner, accompagné d’olives et de fromage, et dans un délice enivré ils avaient explorés leurs corps respectifs, enlacés dans leur chambre ouverte sur un jardin de fleurs sauvages. Methos était au milieu d’une éruption d’un genre très différent quand il réalisa que le tremblement de la maison n’était dû ni à l’habileté d’Arete ni à sa propre passion.
         L’éveil du volcan commença par faire disparaître le haut de l’île. Des dalles de la maison se mirent à pleuvoir, les fondations furent éventrées dans un bruit de tonnerre. Methos agrippa Arete et s’élança vers la mer, mais des coulées de lave couleur de sang le long des rues leur barrèrent la route. Toute l’île grondait et craquait sous leurs pieds nus. L’air devint noir et solide, envahissait sa poitrine. Le cri d’Arete jaillit avec des milliers d’autres. Quand Methos revint à lui, il flottait dans la mer, brûlé sur la plus grande part de son corps, en constante agonie tandis que le sel et le soleil torturaient sa chair à vif.
         Il dériva pendant trois jours avant que des pêcheurs le tirent de la mer couverte de cendres. Il résista, croyant dans sa fièvre de douleur et de peine qu’il finirait par mourir s’il restait assez longtemps dans l’eau, mais ils insistèrent. Il garda le deuil près d’une douzaine d’années. Les rêves s’étaient estompés depuis, mais il pensait parfois qu’une part de lui-même tremblerait toujours avec cette horrible journée, et qu’il ne ferait plus jamais confiance à la terre sur laquelle il se tenait.
         A présent, c’était cette maison qui tremblait et s’effondrait, tandis que le quickening de Xan frappait Richie comme un volcan miniature, faisant jaillir des gerbes de flammes sur les murs et s’élancer des éclairs aveuglants dans toutes les directions. Le plafond couvert de miroirs qui avait résisté à la mort d’Octavia explosa en une pluie d’étincelles de verre. Le plancher se tordit et s’éventra ; MacLeod bascula vers le sous-sol mais Methos agrippa son poignet à temps et le remonta dans la salle de bal qui dansait elle-même, s’agitait et tremblait. Ils se recroquevillèrent l’un contre l’autre sous la fureur du quickening et les hurlements de Richie.
         Puis la tempête de vie cessa, et Methos releva précautionneusement la tête. La pièce était intacte. Sa destruction n’avait été qu’une hallucination, une dernière projection mentale de Xan.
         « Tu vas bien ? » murmura MacLeod.
         « Et toi, tu es bien toi-même ? »
         Richie était effondré dans l’encadrement de la porte, trop secoué et vidé pour pouvoir ne serait-ce que leur parler. Il ne protesta pas quand Duncan lui ôta sa rapière des mains et l’enveloppa de son manteau. Les trois jeunes Immortels ressuscitèrent rapidement, confus et pleins de questions auxquelles Methos était trop fatigué pour répondre.
         MacLeod s’occupa de tout. Avec une efficacité stoïque, il les envoya tous dans la Cadillac, entassa les corps d’Octavia et de Xan au milieu de la pièce et mit le feu à la maison deux fois – l’une dans le puits où gisaient les corps de leurs victimes, l’autre à la robe jaune d’Octavia. Il conduisit alors tout le monde au dojo, où Methos l’aida à sortir des couvertures et des draps pour que les jeunes puissent dormir sur le plancher. Richie leur donnait aussi un coup de main, mais ses mouvements étaient raides et saccadés, il n’avait pas ouvert la bouche depuis leur départ.
         MacLeod repartit alors chercher sa Thunderbird. Les jeunes s’endormirent tandis que Richie restait éveillé dans le canapé-lit qu’il partageait avec Methos. Celui-ci lui demanda ce qui le perturbait.
         « C’était le plus puissant quickening que j’ai jamais pris. »
         « Et le plus puissant que j’ai jamais vu. »
         « Penses-tu... »
         « Quoi ? »
         « Penses-tu qu’il est en moi à présent, et que je vais devenir comme lui ? Que j’aurais son pouvoir ? »
         Methos se redressa sur un coude. « Le désires-tu ? »
         « Non ! » La réponse de Richie fut vive et ferme. « Je ne veux rien avoir à faire avec cette douleur. C’était comme... avoir une décharge de foudre dans le cerveau. »
         Macleod avait parlé de napalm. Methos était plutôt content que de toutes les douleurs de cette nuit, au moins celle-ci lui avait été épargnée. Il se rallongea sur son oreiller et fixa le plafond obscur. Il était fatigué, mais Richie avait besoin de dialoguer. « Parle-moi de la flèche. »
         « C’était bizarre. Depuis la première fois que Xan m’a possédé, je voyais une flèche tirée dans une grotte. Mais ce n’est pas avant que tu m’entailles la jambe dans la salle de bal que j’ai réalisé qu’au fond, la flèche était Xan et la grotte mon esprit. Et c’était encore plus curieux, mais parce que je pouvais voir la flèche, c’était comme si je pouvais la toucher. Et je l’ai fait, je l’ai retournée. »
         « Je crois que de tous ceux qu’a rencontré Xan tu es le seul qui a pu le faire. » suggéra Methos.
         « Qu’est-ce qui me rend si spécial ? »
         « Je n’en sais rien. » admit Methos, sans dire qu’à son avis, prendre la tête de Xan avait été une très mauvaise idée pour Richie. Il n’avait peut-être pas hérité ce pouvoir, mais il était en sommeil en lui, et il ne savait pas si le jeune homme serait assez fort pour le contrôler seul.
         Il aviserait plus tard. Methos lui souhaita une bonne nuit.
         « Quoi ? »
         « J’ai dit ‘Bonne nuit, Richie.’ »
         « Tu as dit Alric. »
         « Mais non. »
         Ils discutèrent pendant dix minutes avant qu’un des jeunes Immortels, la femme, se redresse et leur dise d’arrêter de se chamailler comme des gamins.
         Richie ricana. Après quelques instants, Methos aussi.
         Puis ils s’endormirent.



***



         MacGyver construisait un canot avec du carton, du fil téléphonique et une serviette des Boston Celtics. Peut-être l’engin avait-il réussi à flotter dans le bassin d’un studio, mais il n’aurait jamais pu traverser le Nil. Methos soupira. C’était le premier août, jour de la fête celtique de Lughnasa, que les Chrétiens avaient transformée en Lammas, la fête des premiers fruits. L’ancien n’avait rien prévu ; il en avait assez de célébrer des fêtes que plus personne ne connaissait.
         Quand sa sonnette retentit, il fut surpris de trouver Richie Ryan à sa porte, un carton de pizza dans les mains.
         « J’étais dans le coin. Tu as faim ? »
         Methos regarda la boîte. « Il y a des anchois ? »
         « Pas d’anchois, mais un supplément de pepperoni. »
         « Ça me va. » Methos sorti des serviettes et de la bière. Ils ouvrirent le carton sur la table du salon et regardèrent MacGyver triompher une fois de plus des méchants. Methos éteignit alors la télévision et demanda « Alors, tes rêves ? »
         Richie frissonna. « Ils reviennent de temps en temps, le même principe. La flèche, la jungle, la salle de bal volant en éclats. Mais ils s’estompent. »
         « Ils finissent toujours par le faire. N’hésite pas à m’appeler s’ils te troublent. »
         « Merci. Mac est un véritable ours quand on le réveille au milieu de la nuit. » Son visage s’éclaira. « Mais ce n’est pas pour cela que je suis venu. »
         Methos se servit une nouvelle part de pizza. « Pourquoi alors ? »
         « Je me demandais si tu pouvais m’en dire plus sur les Visigoths, le peuple d’Alric, les Huns, les Vandales, tout ça. »
         « C’est pour tes cours ? »
         « Non, la fac ne reprend qu’à la fin du mois. » Richie sourit. « C’est juste que... Je ne sais pas, ça m’intéresse. » Son sourire s’effaça et une ombre de gêne passa sur son visage. « Mais si tu ne veux pas en parler... »
         Methos se surprit lui-même. « Si, je veux en parler. Vraiment. Mais avant que je me lance dans l’invasion des Huns, dis-moi un truc. »
         « Oui... »
         L’ancien Immortel sourit. « Que sais-tu des Celtes ? »




FIN





         Notes de l’auteur :

         Il s’agit d’un univers alternatif dans lequel Richie connaît la véritable identité d’Adam Pierson et où Methos semble se souvenir beaucoup plus du passé que d’habitude. Cette histoire se situe quelque part entre la fin de la troisième saison et le début de la quatrième, ou dans un temps à part. Je n’ai délibérément pas détaillé la petite amie mortelle, mais ce n’est pas grave, elle ne reste pas longtemps.
         J’ai fait des recherches sur Babylone, Thira, les Celtes, les Hittites et Adrianople. Je suis un peu moins sûre pour les fjords, mais les Ureau-Wau-Wau existent réellement. Si vous repérez des erreurs historiques alors bravo !, vous êtes bien plus instruits que moi sur l’histoire ancienne, ce qui n’est pas étonnant.
         Si vous avez remarqué la petite scène où Methos cherche à se souvenir de son mentor, c’est un début de préparation pour une fresque de trois histoires, qui pourraient plonger loin dans le futur, jusque (gloups) au gathering final. Il y a une plaine ravagée, une promesse. C’est aussi pourquoi Richie doit prendre ce quickening, ça devient important par la suite, je crois. Je ne l’ai pas encore écrite, mais il arrive que Duncan, Methos, Richie, Amanda, Joe et les autres se matérialisent sur mon bureau et me racontent des histoires.
         Sandra
         "All experience is an arch where through / gleams that untravl'd world" - Tennyson
         « Tout expérience est une arche qui traverse / reflète ce qui se passe dans le monde. » -Tennyson


         Notes du traducteur :

         Les histoires suivantes qu’évoque ici Sandra ont depuis été écrites, et fort bien ! Il s’agit de la trilogie de « Lay Down Your Sword », également disponible en français.
         Merci à Mark pour la bêta lecture.
         Frédéric