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Graines
(Seeds)

Sandra McDonald
Traduit par Frédéric J.




         Janvier 1994,
         Seacouver, état de Washington.


         Faim, faim, faim. Amanda Darieux avait faim. Elle jeta un coup d’œil au coin de la rue sur l’immeuble de MacLeod et croqua un beignet au chocolat. A Seacouver, l’hiver n’avait rien de pire qu’un vent froid et un ciel gris, mais l’Immortelle songeait à quitter l’état pour aller sous des climats plus chauds et ensoleillés ; cependant elle avait un besoin à satisfaire avant tout.
         MacLeod avait intérêt à être chez lui.
         Il n’y était pas.
         « Il fait un tour à San Francisco », lui dit Richie quand elle arriva dans le bureau. Il était ravi de la voir, mais aussi un peu suspicieux, comme Amanda s’y attendait. Elle considérait Richie comme un petit jouet mignon, mais il était beaucoup trop jeune pour elle et très facile à manipuler. Pourtant il était courageux et fort, loyal, plein de bonnes intentions, à la limite du têtu et de l’effronté. Il faisait ses exercices de musculation quand son buzz l’avait interrompu, son débardeur gris en était trempé de sueur. Le dojo était plein de clients - des hommes pour la plupart - l’odeur de transpiration et de testostérone dans l’air l’excitait.
         « Que fait-il à San Francisco ? » fit-elle en sortant un paquet de chips de son manteau.
         Richie achevait de s’essuyer les bras et la poitrine avec une serviette, il attrapa une bouteille d’eau. « Un tournoi d’arts martiaux. Il voulait voir un vieux maître japonais, un ami. Il devrait rentrer demain. ».
         Amanda regarda par la fenêtre. Elle dévorait les chips et léchait le sel sur ses doigts. Ses yeux parcouraient les hommes en maillot moulant, leurs muscles fermes levant des poids, leur puissance frémissant jusque dans leurs jambes. Ils auraient tous pu faire l’affaire, mais elle voulait vraiment un Immortel, et MacLeod était à San Francisco.
         « Demain ? » demanda-t-elle.
         « C’est ce qu’il a dit. Ou peut-être après-demain. »
         « Je pourrais l’y rejoindre... » suggéra-t-elle.
         « Quelque chose ne va pas ? Des agents du FBI en maraude, de fausses plaques d’immatriculations, ce genre de choses ? » Malgré son ton moqueur, on sentait percer une nuance d’inquiétude.
         « Non non, rien de tout cela. ». Il fallait bien admettre qu’à son dernier passage à Seacouver, avant les vacances, elle avait causé pas mal de soucis à MacLeod. Amanda essayait toujours de se remettre de la perte de son mentor et amie, Rebecca Horne ; Duncan portait toujours le deuil de Tessa Noel. La dernière chose dont ils avaient besoin, l’un comme l’autre, c’était bien d’attirer l’attention d’agents fédéraux corrompus ! Mais tout s’était bien terminé en fin de compte et ils s’étaient séparés en très bons termes. Elle espérait que cette intimité était toujours d’actualité. Tout en fantasmant sur le superbe corps du Highlander, Amanda trouva une barre de céréales dans sa poche et l’ouvrit d’un coup d’ongle.
         « Dis-moi, depuis quand apprécies-tu ce genre de nourriture ? » demanda Richie avec un sourire.
         Amanda referma sa bouche autour du long bâton chocolaté et avança vers lui. Il recula instinctivement jusqu’à s’adosser au distributeur d’eau. « Pourquoi, tu en veux ? » susurra-t-elle en léchant avidement la confiserie.
         Les yeux bleus de Richie s’agrandirent. « Quoi ? »
         « Tu m’as bien comprise. ». Elle sourit et utilisa sa main libre pour tracer du doigt une ligne sur la poitrine du jeune Immortel. « Si Duncan est absent, c’est l’occasion d’apprendre à mieux se connaître... »
         Richie ouvrit la bouche, la referma, l’ouvrit de nouveau. « Oh Amanda, ne joue pas avec moi s’il te plait. C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? » Il se dégagea du coin qui le bloquait et attrapa sa serviette sur le bureau, comme pour s’en faire un bouclier. Son visage était redevenu méfiant. « C’est une blague, dis… »
         Amanda lui lança son regard le plus aguicheur. Un regard qui avait déjà fait succomber bien des hommes plus expérimentés que lui.
         « Je suis sérieuse, Richard », dit-elle. « Je ne veux pas être seule ce soir. »
         « J’ai des amis qui… » répliqua hâtivement Richie. « Qu’est ce que tu dirais d’une rencontre au hasard ? »
         « Ais-je bien entendu ? » La voix d’Amanda s’était faite basse et incrédule. Elle avança encore, la lèvre pendante, les yeux s’agrandissant sous l’affront. « Tu me refuses ? »
         Richie s’arrêta, sembla considérer la question avec grand intérêt. « Je dis juste… que ce n’est pas une très bonne idée. »
         « Qui dit ça ? » Amanda jeta le papier de sa friandise et lui mit les deux mains sur la poitrine, le repoussant contre le mur. Cette fois-ci, il fit moins d’efforts pour s’échapper. « Duncan ? Je ne lui appartiens pas, pas plus qu’il n’est à moi. Ca doit être clair pour tout le monde. »
         Richie ne répondit pas. Il était toujours adolescent, se souvint-elle, par l’âge comme par l’apparence. Quand il aura trois ou quatre cents ans, il regrettera sans doute son allure gamine figée à jamais, mais pour l’instant Amanda trouvait que cela avait son charme. Elle se serra plus fort contre lui, et senti sous ses vêtements qu’au moins une partie du jeune homme n’était pas opposée à sa suggestion.
         « Ca se passe entre toi et moi », dit elle au sens propre comme au figuré, en glissant une main entre sa peau chaude et sa ceinture élastique tandis que de l’autre elle lui prenait le menton. Elle pressa sa bouche ouverte contre la sienne, ses formes rondes contre sa poitrine ferme ; il se tendit, son cœur s’accéléra, leurs langues se rencontrèrent.

         Soudain, il se souvint d’où il était, que le dojo n’était qu’à quelques mètres, qu’il était de notoriété publique que Duncan et Amanda étaient ensemble, et qu’il ne devrait pas se trouver ici, dans ses bras. Il la repoussa doucement.
         « Oh mince. » Dit-il en se léchant les lèvres. « Amanda, ne fait pas ça… »
         Cette fois son refus la mit en colère. « Qu’est ce qui te prend ? Je suis trop vieille pour toi, c’est ça ? Toute ridée et desséchée ? A moins que tu n’aimes pas les femmes qui savent ce qu’elles veulent. Ou alors je me suis complètement trompée, ce sont les femmes en général que tu n’aimes pas ? »
         Il se vexa un instant, avant de rétorquer avec une fermeté quelque peu rougissante « Inutile de m’insulter. Tu connais le chemin de la sortie. »
         Puis il disparut dans les vestiaires ou ailleurs, en tout cas loin d’elle. Amanda s’adossa au mur, sentant son propre cœur ralentir, le goût faiblissant dans sa bouche.
         Bon sang.
         Et elle avait toujours aussi faim.




***




         Elle s’était dit qu’elle pourrait bien attendre le retour de Duncan, que ses hormones patienteraient bien jusque là, mais son envie ne se calmait pas et elle devait la satisfaire. Amanda décida de réessayer de convaincre Richie. Elle se rendit chez lui à la nuit tombée, mais il n’y était pas et elle dut crocheter sa serrure. Elle parcourut le petit appartement du regard, avec ses affiches de sports, de voyages ou de films, la vaisselle sale empilée dans l’évier et le mobilier d’occasion. Quel que soit le salaire que lui versait Duncan, ce n’était visiblement pas assez. Elle se laissa tomber sur le lit défait. Il n’avait pas dû laver ses draps récemment, car elle pouvait le sentir, jeune, fort et viril dans le coton bleu élimé. Elle extrait de sous le lit deux numéros de Penthouse, les parcourut d’un regard alangui et critique avant de les rejeter de côté.
         Elle se rendit alors au dojo.
         De la rue elle remarqua qu’une lumière brillait toujours dans le bureau, bien que les escaliers comme le hall fussent plongés dans l’obscurité. Elle monta, un sixième sens l’avertissant de ne pas faire de bruit ; une fois en haut elle aperçu à travers les portes vitrées Richie et trois silhouettes, au milieu de la pièce obscure. Le jeune Immortel était facile à repérer, il était à genoux avec les mains attachées dans le dos.
         Il avait dû la sentir, mais ne lança même pas un regard dans sa direction. Quelques mots des malfrats filtraient sous la porte.
         « Dis-nous où est MacLeod. » ordonna la plus grande des ombres. « Et on te tuera rapidement. »
         « Allez vous faire foutre » répliqua Richie.
         Le grand le gifla sauvagement, l’envoyant sur le plancher. Les deux autres se mirent à rire.
         « Fais gaffe », prévint l’un d’entre eux. « Si tu lui casse la mâchoire, il ne pourra plus nous dire où est MacLeod ».
         Ce à quoi le troisième rétorqua « Mais non. Si on la casse, il suffira d’attendre que ce monstre surnaturel guérisse, puis on la lui brisera à nouveau. »

         Amanda se baissa sous les panneaux vitrés et longea le hall jusqu’à la sortie des vestiaires. A l’aide d’une fine tige tirée de son manteau, elle manipula la serrure qui s’ouvrit rapidement, se glissa dans la pièce et parcouru les rangées de casiers. Il régnait une forte odeur d’antiseptique et de savon, ses pieds glissaient sans bruit. D’autres rires se faisaient entendre de l’extérieur. Un cri aigu de Richie. Amanda se força à ne pas accélérer le mouvement. Trop de précipitation pourrait lui faire commettre une erreur et leur coûter leurs têtes à tous les deux. Elle ouvrit le placard d’entretien et y trouva un tuyau de quelques mètres enroulé sur une étagère à côté de l’évier. Elle en vissa une extrémité au robinet, laissa traîner l’autre à terre, puis ouvrit l’eau en grand.
         Se dirigeant alors vers les douches, elle les alluma aussi en grand sur l’eau chaude et en dirigea le flux vers le sol. Deux des Chasseurs vinrent voir ce qui se passait. Elle embrocha le premier d’un coup d’épée expert au travers de l’estomac. L’autre voulu la frapper, mais elle l’esquiva et le heurta de côté, l’envoyant se cogner contre le mur. Il fit feu de son revolver au hasard, le tir retentit violement dans la pièce carrelée, manquant d’assourdir Amanda. Elle revint à l’attaque et assomma l’inconnu, le bruit que fit sa tête en s’écrasant au sol indiquant qu’il ne serait plus une menace.
         La plancher s’inondait, Amanda vacilla sur ses pieds. Dehors, le troisième chasseur l’appela.
         « Eh, vous, qui que vous soyez. » cria-t-il. « Amenez-vous avant que je coupe la tête du gamin. »
         Amanda repositionna souplement le tuyau de manière à arroser le plancher du dojo. Elle compta ensuite jusqu’à cinq, en priant pour que le chasseur ne mette pas sa menace à exécution, puis s’avança dans la pièce, d’un pas tranquille, son épée pendant paresseusement à sa main droite.
         « Je ne pense pas que nous ayons été présentés. » dit-elle. « Vous ne semblez pas très amical. »
         Le Chasseur avait traîné le jeune Immortel avec lui, une main agrippée à ses cheveux, l’autre pressant la rapière de Richie contre sa gorge. La lame mordait la chair, y traçant une ligne sanglante. Il avait été violenté, sa chemise portait des traces des coups. Ses yeux bleus, tout à la fois effrayés et furieux, étaient rivés sur Amanda. Il gardait la mâchoire serrée pour ne pas laisser échapper la moindre plainte ou le moindre cri de douleur.
         « En effet, je ne suis pas l’un de vos amis. » grinça l’homme.
         Amanda lui sourit.
         « Si vous le dites. A ce propos, vos collègues… Vous feriez bien d’aller les aider, ils sont en train de se noyer. Je leur donne encore trente secondes avant qu’il ne soit trop tard pour espérer les ranimer. »
         Elle mentait, ils étaient déjà morts.
         Le chasseur tira la tête de son otage encore plus en arrière et renforça la pression de la lame. Richie faisait de gros efforts pour ne pas se débattre. « Alors allez les sauver. »
         « Ca, c’est votre boulot » répliqua Amanda.
         « Dans ce cas je prend sa tête maintenant et je vais les aider. Vous serez bien trop occupée pour m’arrêter. Et quand vous serez à genoux, je prendrais la vôtre. »
         « C’est une option, en effet » reconnu Amanda, sa voix restant claire et joviale. « Mais avez-vous remarqué toute cette eau par terre ? Vous avez bien dû apprendre les précautions d’usage en cas de Quickening : ne pas rester les pieds dans l’humidité, ne pas se mettre pas entre des pôles métalliques, vous savez, tout ça. Les notions élémentaires d’électricité. Parce que si vous coupez sa tête maintenant, autant vous jeter dans une baignoire avec un appareil électrique allumé. »
         Les yeux du chasseur s’agrandirent. « Vous bluffez. »
         « Vous mourriez pour le vérifier ? »
         Il dégagea la rapière en entaillant le cou de Richie au passage et la plongea dans le flanc de son otage avant de jeter le jeune homme sur Amanda. Elle s’y attendait et le laissa tomber pour pouvoir arrêter le chasseur. Il était rapide et fort, mais elle eu tôt fait de coincer la tête de son adversaire entre ses genoux et de lui rompre le cou.

         Elle rampa alors vers Richie qui agonisait les yeux grands ouverts, son sang se mêlant à l’eau sur le sol détrempé. D’un geste de son épée, Amanda dégagea celle de Richie. Il tressaillit de douleur mais pu quand même concentrer son regard vers elle.
         « Content que tu sois revenue… » lâcha-t-il.
         « Moi aussi » répondit-elle en lui caressant le front. « Tout va bien, c’est fini. Meurs tranquille, je nettoie tout ce bazar. »
         Il hocha doucement la tête et perdit connaissance.




***




         Amanda passa un coup de téléphone, coupa l’eau des douches et de l’évier, trouva une serpillière. Dawson arriva au dojo plus vite qu’elle ne l’attendait, il avait amené trois gaillards qui emportèrent les corps des Chasseurs sans même lui jeter un coup d’œil.
         « Je les connaissais. » soupira Dawson. « C’étaient de bons Guetteurs. »
         « Ne le prend pas mal, Joe, » dit Amanda « mais maintenant ce sont surtout de bons cadavres. »
         Joe indiqua du menton Richie, assis dans le bureau, enveloppé dans un grand kimono qu’Amanda avait trouvé dans le vestiaire. « Comment va-t-il ? » demanda le vieil homme.
         Amanda donna un dernier coup d’éponge sur le sol. En y repensant elle aurait dû laisser le ménage aux hommes de Joe. « Les Guetteurs lui foutent les boules et des Chasseurs viennent d’essayer de le tuer. Vas le lui demander toi-même. »

         Dawson boitilla jusqu’au bureau. Amanda vit les deux hommes échanger quelques mots, le plus âgé poser une main sur l’épaule du jeune qui ne se dégagea pas. Encore quelques mots et Joe ressortit.
         « Prends soin de lui », dit-il à Amanda, un mélange de tendresse et de tristesse dans la voix, avant de se traîner avec sa cane vers la sortie du dojo.
         Amanda se retourna pour voir Richie dans l’encadrement de la porte, il semblait encore souffrir de ses blessures. Ce devait être le cas, supposa-t-elle, car s’il était physiquement guéri, certaines plaies étaient plus profondes que les os et la peau.
         « Je veux rentrer chez moi » se plaignit-il.
         « C’est en haut que tu vas » dit-elle fermement. « Tu ne peux pas te balader dans la rue dans cet état. Allez, viens. »
         Dans le loft de Duncan, elle le poussa dans la salle de bain, le déshabilla en détournant les yeux et le poussa sous la douche.
         Il en sortit peu après enveloppé dans le peignoir de Duncan. Il semblait un peu remis du choc et était moins pâle.
         Amanda le fit asseoir avec elle sur un coin du lit du Highlander.
         « Tu es gelé » dit-elle en passant un bras autour de ses épaules.
         Son regard était fixé sur quelque chose qu’elle ne pouvait voir. « Les salauds », dit-il. « Pourquoi ne nous laissent-ils pas tranquilles, tout simplement ? »
         « Je n’en sais rien » répondit-elle sincèrement.
         « C’est moi qui aurait dû les tuer » lâcha-t-il, alors que la colère montait en lui et qu’il échappait à son étreinte pour faire les cent pas dans la pièce. « J’aurais dû prendre mon épée et la planter dans leurs petits cœurs de merde. »
         Pendant plusieurs minutes il se défoula ainsi, déchargeant verbalement toute l’adrénaline accumulée dans la soirée mouvementée, pendant qu’Amanda écoutait patiemment. Quand il eut fini, elle alla à lui, le prit dans ses bras, lui fit respirer son parfum.
         « Je sais » dit-elle.
         Il s’agita légèrement mais ne se déroba pas. Amanda glissa une main le long de son dos, remonta sur son cou, à la base de son crâne. Elle l’embrassa doucement, sans la rage pressante de l’après-midi, le bras du jeune homme autour d’elle se raffermit.
         « Je ne comprends pas » dit-il, les yeux fermés, tremblant sous les baisers qu’elle posait sur ses sourcils, ses joues son menton. « Amanda, pourquoi ? »
         « Pourquoi pas ? »
         Il secoua la tête, n’était pas encore prêt à l’accepter, la fixa droit dans les yeux. « Mais… »
         « Il n’y aucun problème… Le voudrais-tu, Richard, si cette nuit était la dernière de ta vie ? »
         « Oui. » répondit-il aussitôt.
         « Et bien alors ! » s’écria Amanda sans jouer la comédie. « Tu aurais pu mourir ce soir ; j’aurais pu mourir, moi. Demain est trop loin pour qu’on s’en soucie ».
         Elle prit sa main et l’entraîna vers le lit. Le regard du jeune homme allait de la couche à l’Immortelle, le doute réapparu sur ses traits.
         « C’est le lit de Duncan », protesta-t-il. « Toi et lui, lui et d’autres… Ce serait trop bizarre. »
         En souriant, Amanda en fit glisser le dessus de lit et l’étala sur le tapis persan à leurs pieds, puis disposa quelques coussins pour plus de confort.
         « Ca, ce n’est que le plancher de MacLeod. » dit-elle.
         Elle enleva sa robe, sous laquelle – en femme pratique – elle ne portait rien. Un léger courant d’air la caressa, mais c’était les mains du jeune homme qu’elle voulait à la place.
         « Encore un problème ? »
         Richie sourit. « Aucun ». Il s’avança, la prit dans ses bras et ils roulèrent ensemble sur le sol.




***




         Il était tout ce qu’elle avait souhaité et attendu. Bien sûr, il était jeune, enthousiaste et sans doute un peu pressé, mais à la troisième fois elle lui apprit à ralentir, prolonger, apprécier, puis laisser aller. Il était très désireux de la satisfaire, ce qu’elle trouvait agréablement surprenant. S’il n’était pas aussi expert que Duncan ou autant à même d’anticiper ses attentes, ce n’était pas faute d’essayer.

         Au moment le plus tendre, il flatta sa poitrine, traça un chemin de baisers de sa gorge à ses hanches, explora chaque morceau de sa bouche. En échange, elle promena sa langue sur tous les points sensibles, le caressa doucement. Il ne connaissait que deux positions, elle doubla son répertoire. Elle le fit gémir de plaisir, rire et murmurer son nom. Au bout de la cinquième fois, il était épuisé, gisait à plat ventre à ses côtés, haletant et en nage, les yeux fixés sur elle.
         « Je ne me lève plus avant une semaine », lâcha-t-il.
         « C’est ce qu’on va voir. » répliqua Amanda, les cheveux ébouriffés, la peau moite. Elle se lova contre lui et passa la main sur ses muscles dorsaux bien dessinés. « Je te croyais très endurant... »
         « Pas tant que cela. Mais pour vous, madame... »
         Une fois de plus, et elle fut heureuse.

         Au-delà de la fenêtre, le monde était sombre et très calme, elle se demanda quelle heure il était. Sa faim était calmée à présent et ne tarderait pas à se transformer en quelque chose de nouveau. Richie n’en ferait pas partie. Elle déposa un baiser sur sa joue. Il s’étira dans son sommeil, ses traits avaient une expression de paix, sans doute grâce aux doux rêves qu’Amanda lui avait apportés. Il portait d’anciennes cicatrices derrière les jambes, des traces de son enfance difficile, qu’elle suivi du bout des doigts. Elle ignorait quelle mère pouvait abandonner un petit sans défense, mais tous les Immortels étaient des enfants trouvés. Elle s’assit et chassa ces sombres pensées, puis couvrit son amant pour ne pas qu’il ait froid dans le courant d’air, se rhabilla et glissa hors de la chambre, avec à la main ses chaussures, son manteau et son épée.


         Elle monta dans sa voiture et fit route vers le nord, s’arrêtant en chemin à deux stations services pour faire le plein de bonbons, de barres chocolatées, de beurre de cacahuètes et de bouteilles de Pepsi Light. Elle conduisait d’instinct, cherchant juste à s’éloigner autant que possible de la ville et de Richie. Le temps la rattrapait. Vers midi elle atteignit un motel au pied des montagnes, avec des bungalows éparpillés jusqu’à la rivière dans une forêt de pins.
         Le couple qui prit une chambre juste devant elle avait deux nourrissons et un enfant de six ans. Le patron de l’hôtel, un homme jovial dans la quarantaine, faisait risette aux bébés.
         « Hélène et moi essayons d’en avoir depuis des années » confia-t-il alors qu’il remplissait le registre et leur tendait les clés. « Un jour... »
         Amanda n’avait pas réservé, mais il restait de nombreuses chambres disponibles. Elle choisit la plus éloignée vers la forêt et demanda une liste de tous les restaurants de la région qui livraient à domicile.

         Pendant plusieurs heures, elle ne fit rien de plus que rester allongée dans l’immense lit de sa chambre en regardant la télévision. Elle commanda et engloutit deux pizzas et trois cartons de cuisine chinoise. Sa robe devenait vraiment trop étroite. Lorsque au-dehors l’obscurité fit place à la lune, elle se déshabilla et prit le chemin de la montagne. Les broussailles et les pierres entaillaient ses jambes nues de toutes part, mais elle guérissait si vite qu’elle ne s’en rendait même pas compte.
         De temps à autre, affamée, elle engloutissait une pleine poignée de terre humide et la mâchait furieusement.

         Elle n’avait pas de plan, pas de pensées définies, se guidait uniquement par un instinct presque animal. Quand le moment vint, elle se dressa au centre d’une clairière, les mains tendues vers le ciel. Elle attendit, crispée, la poitrine, les hanches et le ventre distendus, tandis que le vent la fouettait de feuilles mortes, que les animaux nocturnes se taisaient et que des nuages masquaient la lune.
         C’est alors que le quickening se déclencha.

         Chaudes vagues d’argent bleuté, les décharges d’énergie transformèrent Amanda, la transfigurèrent, lui arrachèrent des cris tandis que se brisaient les eaux et que coulait le sang. Un quickening qui venait d’elle-même, apogée d’un cycle secret qui se perpétuait depuis des milliers de siècles.
         Un quickening qui l’accouchait d’un bébé.
         Lorsque ce fut achevé, que les bois furent à nouveaux calmes et que les grillons, les chouettes et les feuilles murmuraient au-dessus d’elles, Amanda et sa fille reposaient au sol.




***




         Le nouveau-né tétait avidement. Amanda la regarda à la lumière de la lune, alors que d’anciens souvenirs enfouis refaisaient surface. Ce n’était que pendant ces heures privilégiées qu’elle pouvait se rappeler de ses autres enfants, nés comme celui-ci. Seul cet instant, qu’elle nommait ironiquement le « Mothering », lui permettait se souvenir de tout, de retrouver la conscience du rôle que toutes les femmes Immortelles devait jouer un jour ou l’autre.

         Son corps se remettait déjà de l’effort qu’il avait fourni pour transformer la semence Immortelle de Richie en un bébé parfaitement formé en si peu de temps. Son utérus reprenait forme, ses hormones se réajustaient, ses muscles pelviens dilatés fusionnaient de nouveau. Quelques instants plus tard, même une autopsie n’aurait pu détecter des signes de grossesse ou d’accouchement. Quelques heures encore et l’instinct de se séparer de son enfant la consumerait. Si elle ne lui avait pas trouvé un foyer d’ici là elle serait obligée, sans même en avoir conscience, de l’abandonner dans un tas de décombres, un arrêt d’autobus ou les toilettes d’un grand magasin. L’instinct et l’oubli étaient les conditions vitales pour l’existence des Immortels, mais pour le moment elle ne ressentait qu’un profond chagrin, une grande perte.
         Amanda embrassa le front de l’enfant – sa petite tête si parfaite, couverte d’un léger duvet couleur de pêche en guise de cheveux. Bien que l’air était froid, la rémanence du Mothering les tenait au chaud. Le bébé arrêta enfin de téter, ouvrit ses immenses yeux bleus sur sa mère.
         Les yeux de son père.
         « Je devrais t’en parler » dit Amanda, « mais dans un court instant je ne saurais même plus que tu es ma fille, et ton papa ne sera jamais au courant de ton existence. »
         L’enfant fit une grimace et agita son petit poing.
         Amanda sourit. « D’accord, si tu insistes... »
         Elle lui raconta tout ce qu’elle savait de Richie Ryan, puis de ses frères et sœurs disséminés à travers le monde et à travers les siècles. « Si tu savais tout cela, comment pourrais-tu les affronter ? » murmura-t-elle en caressant sa douce peau. « Comment pourrait-il n’en rester qu’un si tu devais te battre contre ton propre père, ta sœur, ton frère, ta mère ? »

         Une décennie auparavant, alors qu’elle rendait visite à Rebecca en France, les deux femmes avaient subit ensemble un Mothering. Pendant quelques précieux moments, elles purent partager cette expérience, entendre une autre parler de cette perte et de ce chagrin, terrible merveille. Mais ce savoir disparaissait toujours...
         « Je ne me souviendrais pas de toi », murmura encore Amanda, « et tu sais, m’occuper d’un gosse n’est vraiment pas mon genre, mais je t’aimerai toujours. »

         La mère et son enfant s’endormirent à même le sol, sous la douce lueur de la lune. Quand Amanda s’éveilla, elle se demanda d’où cet enfant pouvait bien venir. Il était très tard et il faisait froid. Elle prit le bébé dans ses bras et retrouva le chemin de l’hôtel. Une fois dans sa chambre, et non sans grimacer de dégoût, elle nettoya le nouveau-né du sang et de la terre qui le couvraient puis l’enveloppa dans une grande serviette. Elle n’appréciait pas la façon qu’avait la petite de la regarder, comme si elle lui devait quelque chose. Pressée de se débarrasser de ce fardeau, elle se glissa jusqu’à la maison du gérant du motel, agita bruyamment la cloche et s’enfuit en laissant le bébé sur le seuil.
         Avant de rentrer dans sa chambre, elle prit une nouvelle serviette dans le placard d’entretient, puis se doucha et se mit au lit. Elle se leva vers midi, en grande forme. Quand elle alla rendre ses clés, des policiers interrogeaient les gens à la réception tandis que le patron de l’hôtel et sa femme jouaient avec un nouveau-né qu’ils disaient avoir trouvé abandonné pendant la nuit.
         Amanda observa le bébé. Tout rose, adorable, il avait d’immenses yeux bleus qui lui rappelaient vaguement quelqu’un, sans qu’elle puisse définir qui. Heureusement qu’elle n’avait pas l’instinct maternel, sans quoi elle aurait fondu pour celui-ci. « C’est une honte d’abandonner un môme comme ça. » dit-elle.
         Un des policiers lui demanda « Vous savez quelque chose sur ce bébé ou ses parents ? »
         « Non. » répondit l’Immortelle en toute sincérité.
         Elle leur affirma également n'avoir rien entendu ou vu d’anormal, puisqu’elle avait dormit comme un loir toute la nuit. Comme il était évident que l’enfant ne pouvait être le sien, ils la remercièrent et lui souhaitèrent bon retour à Seacouver.




***




         Amanda senti la présence de deux Immortels en arrivant au dojo, mais elle n’y vit que Richie. Il était assis dans le bureau, éclairé par les derniers rayons du soleil couchant. La salle d’entraînement était pleine de gars musclés qui cherchaient à se mettre en valeur, mais elle les ignorait ostensiblement. Richie la regardait approcher avec un mélange subtil d’affection, de méfiance et d’appréciation qui le faisait paraître particulièrement jeune et adorable.
         « Salut ! » lança-t-elle.
         « Salut. »
         « Quoi de neuf ? »
         « Bah, pas grand-chose... ». Il portait un jean délavé, un T-shirt blanc, et sortait probablement de la douche. Amanda ressentit une vague d’affection. Elle se souvenait nettement de leur nuit passée ensemble, mais n’éprouvait plus ce besoin impérieux de se jeter dans ses bras.
         « Bien »
         « Tu es partie sans dire au revoir. »
         « Oui c’est vrai » admit-elle, « mais j’ai passé une nuit super ».
         Il rit. « Oui, moi aussi. Tu étais... géniale. Epatante. J’en suis encore épuisé. »
         Amanda sourit à son tour et hocha la tête.
         « C’est impossible, mais merci quand même. Tu sais qu’on risque de ne pas recommencer avant un bout de temps, si même on recommence un jour. »
         Il opina du chef. « Oui, c’est bien ce que je me disais. »
         « Ah bon, pourquoi ? »
         « Parce que je l’ai prévenu. » intervint Duncan de la porte. Ses longs cheveux étaient attachés et il portait sous ses bras croisés le col roulé noir qu’elle préférait. Les coins de sa bouche se relevaient en un sourire et son regard avait un éclat malicieux qu’elle ne lui connaissait que trop bien.
         Amanda plissa les yeux. « Tu lui as dit quoi au juste ? »
         « Que tu es imprévisible, sauvage, étonnante. » Duncan traversa la pièce et posa une main sur l’épaule de Richie. « Avec toi, c’est au jour le jour et tu peux changer d’avis à tout instant ».
         « En effet. » avoua Amanda, sans être très sûre d’apprécier ces marques de solidarité entre eux. Elle se concentra sur Richie, qui recula en levant les mains.
         « Je n’ai rien à voir là-dedans » annonça-t-il en rougissant légèrement. « Je reste en dehors de ça si vous n’y voyez pas d’inconvénient ».
         « Si c’est ce que tu préfères... » susurra Amanda, avant d’ajouter abruptement « Vous pensez que nous pourrions tous les trois... »
         « Non ! » s’écrièrent-ils d’une même voix.
         Amanda sourit. Une pensée la traversa brièvement, comme un petit poisson argentée filant dans l’ombre d’un océan sans qu’elle puisse l’attraper. Elle ne pouvait s’en souvenir, bien sûr, mais Rebecca lui avait confié durant leurs instants privilégiés que dans les derniers mois de 1974 elle était entrée dans une phase de Mothering et avait cherché le plus proche Immortel capable de lui transmettre sa semence – Duncan MacLeod. Ils étaient à New York, l’Ecossais était saoul, Rebecca donna naissance à leur enfant dix-huit heures plus tard. Elle ne se souvenait pas d’où elle l’avait laissé, mais savait qu’il avait hérité de ses cheveux roux.
         Ni Rebecca ni Amanda ou Duncan ne pouvaient savoir que l’Immortelle avait abandonné le bébé dans une aire de repos du New Jersey, où un jeune couple sans enfant se dirigeant vers l’ouest le trouva. Ses parents adoptifs moururent dans un accident de voiture alors qu’il n’avait que deux ans, le laissant aux mains des services sociaux de Seacouver, d’où il erra entre différents foyers d’accueil jusqu’à ce que, dans sa dix-septième année, le hasard ou le destin le fit entrer par effraction dans le magasin de son père.

         Duncan avait une fois confié à Amanda qu’il lui était parfois difficile de ne pas considérer Richie comme son fils, de ne pas le traiter comme tel.
         Mais Richie était le fils de Duncan. Et depuis la nuit dernière, Richie était père, Duncan, grand-père.
         Mais ils ne s’en douteraient jamais.
         « Vous ne savez même pas ce que j’allais dire... » reprocha Amanda au père inconnu et au fils secret qui lui souriaient. Elle attrapa les clés de la voiture de Duncan sur le bureau. « Vous pensez que nous pourrions tous les trois... aller dîner quelque part ? Vous je ne sais pas mais moi je meurs de faim. »




FIN