After The Show

 

 

 
 

       Ca avait commencé dans les journaux; un petit article en dernière page, annonçant le passage de Byron à Paris. Dans un sens il était amusant de voir avec quelle désinvolture il utilisait encore ce nom, sans crainte aucune d'attirer l'attention. D'un autre côté, c'était beaucoup moins drôle. Ce n'était pas le bon moment, tout simplement. MacLeod était là aussi, et il risquait de ne pas apprécier ses petits jeux. En temps normal ça n'aurait eu aucune importance.
       Mais Methos était avec MacLeod, et Byron était son ami. Il y avait assez de Guetteurs de ma connaissance à Paris, ravis de me faire essayer leurs nouvelles acquisitions informatiques ou de trouver un compagnon de jeux à leurs enfants le temps d'une soirée, pour me permettre de suivre la situation. Et les nouvelles n'étaient pas bonnes. Il vint un moment où ce qui allait suivre devint évident. Il vint un moment où il fut temps pour moi d'entrer dans le jeu.
       Il fut surpris de me voir, assis sur un muret, l'attendant à la sortie de la salle de concert. Je l'ai accompagné jusqu'au night-club de Maurice, sans un mot. De toute façon, ce que je pouvais lire en lui dépassait tous les mots. Il avait toujours trouvé le visage de Duncan MacLeod trop lisible, il pensait qu'un Immortel devrait mieux savoir dissimuler ses sentiments. Pourtant, ce soir là, c'était lui qui flanchait. Lui auquel cinq mille ans d'une existence difficile avaient si bien appris à mentir avec son corps.
       Il se reprit cependant avant d'entrer dans le club: ce que j'avais pu voir, il ne permettrai à personne d'autre de l'entrevoir. Nul autre ne saurait, il en avait toujours été ainsi. Il me remercia d'un regard pour avoir été à ses cotés le temps du trajet, et me laissa là, petite silhouette rapidement engloutie par l'obscurité.
       Il ne me restait que deux options, et l'une d'entre elle était impensable. Mais dans son appartement vide la situation paraissait plus angoissante encore. Je me servis quelques verres; je n'aurais pas ce luxe plus tard, il me faudrait être lucide. Et qu'importe les millénaires, quand on a un corps d'enfant encore, l'alcool est peu clément. Qu'importe d'être mort à dix-huit ans quand la faim et les privations de votre enfance vous en font paraître quatorze: le corps impose alors ses limites et vous prive de ce genre de réconfort.
       Une à une les chaînes défilèrent sur la TV, égrenant au fil des heures leur chapelet de futiles absurdités. Ce zapping incessant et abrutissant me permit de retarder le moment où il me fallut bien reprendre contact avec la réalité, de ne pas penser à ce qui passait quelque part dans Paris...

 
        Il est rentré tard. Il ne fut pas si surpris de me trouver là. Au fond de lui il s'y attendait. Cette résonance particulière entre nos deux esprits, qui parfois faisait de nous une unique personne , et parfois nous repoussait comme les pôles semblables de deux aimants, ce lien mystérieux qui nous unissait depuis des siècles le lui avait soufflé. Son regard passa de moi à la bouteille de whisky qui l'attendait sur la table. Il avait un choix à faire; ce n'était pas le plus difficile qu'il ait eu à faire cette nuit là. Il se laissa tomber sur le fauteuil et, doucement, enfoui son visage dans mon pull avant d'être secoué de sanglots. Des sanglots sans larmes: après quelques milliers d'années il vient un temps où les larmes sont plus difficiles à trouver et où elles ne sont réservées qu'à quelques moments particulièrement important. Il n'y avait pas grand chose à faire; juste être là et comprendre.
       Il avait eu tant de choix à faire ces derniers temps. Il lui fallait sans cesse souscrire aux exigences difficiles qu'avait MacLeod, sacrifier à cette unique et nouvelle amitié toutes les anciennes. Silas, Kronos, Byron...
        Quand viendra mon tour?

 

          Jaouen

Octobre 1998