Myrtille.
Violet comme une myrtille. L'image s'impose à lui, incongrue. Il n'est
qu'elle. Elle le définit tout entier, lui n'existe encore qu'à
peine. Il se demande s'il est violet. En tout cas, il enfle. Il gonfle. Il
s'expand. Pas d'odeur de chocolat fondu pour rendre l'expérience autre
chose qu'extrêmement désagréable. Déconcertante.
"Charlie et la Chocolaterie". L'image vient de là,
un souvenir d'enfance. Une enfance de cinq mille ans, une broutille en comparaison
de ce qu'il a vécut par la suite. Les souvenirs reviennent, avalanche
d'images, de sons et d'odeurs. Les mots aussi, en un déferlement babelesque.
Il pense. Dans toutes les langues et dans aucune, un maelström de mots
sans origines communes. Ses connections synaptiques se reforment peu à
peu alors que ses neurones atteignent enfin une taille suffisante pour laisser
passer les influx neuronaux. Il pense.
Il se souvient. Il se souvient à nouveau de ce que sont les sentiments.
La peur, la haine, la peine, la douleur, la colère. Il sent son esprit
au bord de l'abysse, à quoi bon revivre tout ça? L'amitié,
l'amour, la joie. Après tout, ça valait le coup, non? Il se
sent rassuré, un peu Il ne peut rien faire de toute façon. Juste
attendre.
Il ne peut bouger encore, il ne voit rien, ne sent rien, n'entend rien. Ses
membres semblent absents. Pour le moment. Quelle taille a-t-il, d'abord? Quelques
microns? Des millimètres peut-être? Il enfle, les centimètres
approchent, il le sait. Et puis les décimètres viendront.
Ensuite ça ralentira. Il se souvient des livres, des cours magistraux
en amphithéâtre. Il devra attendre. Des années, des siècles,
des millénaires, des millions dannées. Atteindre enfin
les mètres peut-être, quoiqu'il doute sur la partie du processus
qui le concerne. Ca n'a jamais été fait, jamais étudié,
jamais imaginé.
Il va mourir, avant de vivre. Encore et encore. Privé d'un air qui
n'existe pas encore, alors que soleils et planètes ne sont encore qu'une
vague promesse. Il attendra. Il n'a pas le choix.
Il ne pensait pas vivre si longtemps.
Il voulait vivre, oui, mais il n'aurait jamais cru ça possible. Voir
le Big Crunch.
Et moins encore vivre un Big Bang.
Il en espèrerait presque pouvoir mourir d'ennui. C'est long, l'éternité. Surtout quand ça recommence.