Big
Jaouen
Jaouen20Ayahoo.com
7 janvier 2005

 

      Myrtille. Violet comme une myrtille. L'image s'impose à lui, incongrue. Il n'est qu'elle. Elle le définit tout entier, lui n'existe encore qu'à peine. Il se demande s'il est violet. En tout cas, il enfle. Il gonfle. Il s'expand. Pas d'odeur de chocolat fondu pour rendre l'expérience autre chose qu'extrêmement désagréable. Déconcertante. "Charlie et la Chocolaterie". L'image vient de là, un souvenir d'enfance. Une enfance de cinq mille ans, une broutille en comparaison de ce qu'il a vécut par la suite. Les souvenirs reviennent, avalanche d'images, de sons et d'odeurs. Les mots aussi, en un déferlement babelesque. Il pense. Dans toutes les langues et dans aucune, un maelström de mots sans origines communes. Ses connections synaptiques se reforment peu à peu alors que ses neurones atteignent enfin une taille suffisante pour laisser passer les influx neuronaux. Il pense.
      Il se souvient. Il se souvient à nouveau de ce que sont les sentiments. La peur, la haine, la peine, la douleur, la colère. Il sent son esprit au bord de l'abysse, à quoi bon revivre tout ça? L'amitié, l'amour, la joie. Après tout, ça valait le coup, non? Il se sent rassuré, un peu Il ne peut rien faire de toute façon. Juste attendre.
      Il ne peut bouger encore, il ne voit rien, ne sent rien, n'entend rien. Ses membres semblent absents. Pour le moment. Quelle taille a-t-il, d'abord? Quelques microns? Des millimètres peut-être? Il enfle, les centimètres approchent, il le sait. Et puis les décimètres viendront.
Ensuite ça ralentira. Il se souvient des livres, des cours magistraux en amphithéâtre. Il devra attendre. Des années, des siècles, des millénaires, des millions d’années. Atteindre enfin les mètres peut-être, quoiqu'il doute sur la partie du processus qui le concerne. Ca n'a jamais été fait, jamais étudié, jamais imaginé.
      Il va mourir, avant de vivre. Encore et encore. Privé d'un air qui n'existe pas encore, alors que soleils et planètes ne sont encore qu'une vague promesse. Il attendra. Il n'a pas le choix.

      Il ne pensait pas vivre si longtemps. Il voulait vivre, oui, mais il n'aurait jamais cru ça possible. Voir le Big Crunch.
      Et moins encore vivre un Big Bang.

      Il en espèrerait presque pouvoir mourir d'ennui. C'est long, l'éternité. Surtout quand ça recommence.