Deux canines pour une épée


Auteur :

Alexandra. Vous pouvez m'écrire via borderlineAtiscali.fr J'attends bien évidemment tous vos commentaires ; et encore une fois la suite viendra bientôt (je l'espère) !

Si vous voulez le fichier word de ce texte, c'est ici.

Disclaimer/Crédits :

Je vis le même drame que les autres, la série Highlander et ses personnages (Methos, Joe, MacLeod et Amanda) ne m'appartiennent pas, mais elles sont propriété de Rysher. En revanche Kalya ainsi que sa lignée sortent de mon imagination, très aidée par le jeu de rôles "Vampire : la Mascarade", propriété de White Wolf. De ce jeu est issue la majorité de la terminologie vampirique utilisée ici. En aucun cas je ne cherche à faire du tort aux auteurs originaux, et je me contente de réutiliser les concepts qu'ils ont inventés.
Merci à Marie-Gwen pour sa relecture attentive et plus qu'utile, ainsi qu'à Mathieu qui m'a permis de réutiliser quelques éléments de nos proses communes.

Informations diverses :

Pour cette deuxième partie, la connaissance des personnages d'Highlander est nécessaire, mais pas suffisante : je ne saurais que trop vous conseiller d'aller vous renseigner sur les principes qui régissent le monde décrit dans "Vampire : la Mascarade". Un très bon résumé en est fait sur www.aeternus-methos.com (pub, quand tu nous tiens…). Cependant, pour faciliter la lecture, vous trouverez les détails essentiels ci-dessous.
Si vous avez du mal à imaginer ma Kalounette, ou si vous voulez en savoir plus, une page qui lui est toute dédiée est disponible sur http://borderline.chez.tiscali.fr/kalya.html

J'ai pris le parti de me placer du point de vue des deux personnages principaux, j'espère que ça ne troublera personne... J'ai aussi tenté de placer le plus de points de référence possibles, pour ne pas trop m'éloigner ni de la série ni du jeu de rôles. Evidemment, il m'a fallu adapter...


Ce que vous devez savoir, en gros, sur le monde de "Vampire : la Mascarade" :

- C'est le monde dans lequel nous vivons, à ceci près que tout y est plus sombre, plus vicieux : les ruelles abandonnées sont plus nombreuses, les coulisses du pouvoir sont encore plus pourries.
- Il existe plusieurs Clans de vampires, et chacun a ses particularités. Notamment, la maîtrise de disciplines qui peuvent sembler simplement magiques aux yeux des mortels (les facultés de se dissimuler, de lire ou de dominer les esprits). Les Clans les plus représentés et les plus connus sont au nombre de sept : Ventrues, Toréadors, Nosferatus, Gangrels, Brujahs, Tremeres et Malkavians.
- Les vampires se regroupent en deux "sectes" : la Camarilla, qui cherche à tout prix à se fondre dans la société humaine et qui cache son existence par tous les moyens ; et le Sabbat, rassemblement des vampires les plus violents et les plus fous, qui laissent libre cours à leur pulsions meurtrières.
- Dans chaque grande ville, la communauté est dirigée par le Prince, qui a autorité sur ce qui est appelé son Domaine. Il a droit de vie et de mort sur les vampires qui sont sous sa tutelle. Il est conseillé par sept anciens vampires, appelés Primogènes, chacun représentant un Clan.
- Le vampire qui arrive dans un nouveau Domaine doit se présenter au Prince ou du moins lui faire connaître son existence. C'est la première Tradition à respecter.


"J'ai déserté les champs de bataille
Les nuits que je connaissais trop bien
Je ne fais plus dans la canaille
Je suis plutôt devenu du matin."

Miossec, "Le défroqué"


Elle était rentrée rapidement à l'hôtel, incapable une fois de plus de repérer le trajet que le taxi effectuait. Pour ce matin, elle avait une excuse : bien qu'elle ait réussi à le cacher, elle était considérablement grisée par l'alcool. En montant dans sa chambre, elle faillit même trébucher sur une marche. Elle se prit à espérer que personne ne la verrait ainsi, et se demanda même comment elle avait pu donner l'illusion de la sobriété une demi-heure auparavant. Elle vérifia que les volets étaient bien clos, rajouta une couche de double-rideaux épais, et se coucha pour s'endormir d'un sommeil sans rêve.

Le soir arrivant, elle s'était réveillée, et avant toute autre chose, elle arracha les feuilles qu'elle avait noircies la veille dans son carnet, et rajouta quelques mots.

"Je me présente au Prince ce soir. Je t'embrasse."

Elle fourra le tout dans une enveloppe qu'elle adressa à son amie au Caire.

Elle se prépara rapidement et partit vers 21h15 vers un grand magasin dont on lui avait dit qu'il fermait tard. Là, elle acheta en vrac quelques affaires, dont une robe longue qu'elle s'empressa de mettre à son retour à l'hôtel. Elle s'apprêta comme pour un rendez-vous galant, et fit appeler un taxi. Quinze minutes plus tard, elle était devant le Louvre, et suivait un dédale de couloirs. Consciente de l'importance de respecter les Traditions, elle se sentait mal à l'aise d'arriver avec une nuit de retard. On la fit attendre, trop longtemps à son goût, avant qu'elle ne puisse enfin entrer dans la salle du conseil. Face à François Villon, dirigeant de la communauté vampirique de Paris, elle ne savait trop quoi dire.

Elle se présenta et dit qu'elle arrivait en ville, où elle comptait rester au moins quelques mois. Elle en demandait l'autorisation. Personne ne parlait, hormis le Prince et elle, ce qu'elle prit comme une marque de respect. Lorsque Villon lui demanda plus de détails sur ses origines et ce qui l'avait conduite dans sa cité, elle se permit de demander une audience privée. Certains regards se firent plus sombres, mais tous attendaient la réponse de celui qui avait le pouvoir de l'envoyer promener sans ménagement. Elle avait la chance d'inspirer le respect parmi ses semblables, et d'après ce qu'elle savait, Villon était un esthète, et la beauté de la jeune femme jouerait certainement en sa faveur. Le Prince accepta de la recevoir sans ses conseillers, ce qui fit naître quelques murmures rapidement étouffés. Tous se retirèrent, laissant la jeune vampire et le Prince en tête-à-tête. Elle ne tenait pas à dévoiler l'origine de sa lignée devant tant de monde, et ce qui s'était passé au Caire regardait le moins de gens possible.
En quelques mots, elle lui expliqua qu'elle était issue de cette lignée de femmes dans le sang desquelles coulait encore la rage de Seth. Les Melagynes n'aimaient pas qu'on leur rappelle leur origine, mais elles ne la reniaient pas pour autant. Elles avaient évolué de leur côté, et dorénavant, presque plus rien ne les rapprochait de ce Clan honni par tous les autres. François Villon avait l'air de comprendre, il connaissait l'existence de cette Lignée très fermée, évoluant dans l'ombre, et l'acceptait. Les évènements au Caire ne l'intéressaient que très peu, et il dispensa Kalya de les lui conter. Il acceptait sa présence dans la ville sans condition.



Methos s'éveilla tard dans la journée, la bouche pâteuse. A l'heure où les enfants goûtent, il sortait de la douche et se décapsulait une bière. Il ignorait comment occuper les quelques heures qui le séparaient de son rendez-vous. Le temps de finir sa bière, de s'habiller, de jeter un coup d'œil dehors, juste pour être certain qu'il avait bien fait jour dans les dernières heures, il avait trouvé. Il allait passer chez Joe.

Vers cinq heures trente de l'après-midi, il entra, recevant le sempiternel "C'est fermé !" du barman, actuellement caché sous le comptoir.
Il souriait en s'asseyant au bar, sur le même tabouret que la veille. Joe lui proposa un verre et s'enquit de ses activités nocturnes.

"On a fait un petit tour, et elle est passée chez moi.
- Tu plaisantes ?
- Moi, jamais.
- Non, je ne croirai pas qu'elle est venue comme ça chez toi. Tu lui as au moins fait du chantage. Seulement je ne vois pas ce qui pourrait la motiver à ce point...
- Mon charme naturel, c'est évident ! Et le fait que j'aie fui devant la présence d'un autre Immortel.
- Qui ? On le connaît ?
- Je n'en sais rien, je ne me suis pas attardé. Mac n'est pas passé te voir, hier ?
- Non.
- Alors c'était quelqu'un qui n'était pas forcément pacifique, et j'aurais été ennuyé de me faire défier devant elle.
- Oui, je comprends, ce genre de chose nuit à ton image.
- Tu peux médire, mais j'ai passé la nuit avec elle quand même...
- Tu m'étonneras toujours...
- Nous avons beaucoup parlé."

Joe ne put retenir un éclat de rire.

"Non, je suis désolé, mais depuis tout à l'heure, tu te pavanes en me faisant croire monts et merveilles, et là...
- C'est toi qui as cru tout seul ! Nous avons passé une très bonne nuit, et je vais la chercher à son hôtel tout à l'heure.
- Pour faire quoi ?
- Je n'en sais rien, le rendez-vous est à 23h. A une heure pareille, on ne peut même plus manger ailleurs que dans un MacDo !
- Emmène-là danser !
- Danser ? Où veux-tu que je l'amène danser ? Elle n'aime peut-être pas danser. En tout cas, moi je n'aime pas ça. S'il y a bien un truc que je n'ai pas appris durant mes 5 millénaires de vie, c'est danser.
- Tu pouvais juste me dire que mon idée ne te plaisait pas.
- Eh bien elle ne me plaît pas. Je veux me faire valoir un minimum.
- Te faire valoir ? Eh bien mon vieux, je t'ai rarement vu aussi volontaire pour te rendre ridicule aux yeux d'une femme.
- Je m'ennuie, que veux-tu.
- Elle va adorer entendre ça… non, je t'assure, c'est exactement le genre de motivation qui fait céder les femmes…
- Oui, bon, il y a un peu plus que la nécessité d'enrayer mon ennui. Elle est plutôt jolie…
- Pour sûr, c'est une vraie bombe, cette charmante demoiselle !
- Mais arrête un peu de me couper ! Tu veux que je m'explique, mais tu me coupes tout le temps. Donc, elle a une silhouette irréprochable, et malgré ce qu'elle raconte, elle n'a pas du tout l'air de sortir de sa campagne. En plus, nous avons eu pas mal de sujets de conversation très intéressants, et je sens qu'elle me cache quelque chose. Tant que je ne saurais pas quoi, je chercherai.
- Toi aussi, tu lui caches quelque chose. Et pas qu'une.
- Moi, c'est différent. Je ne peux pas m'amuser à dire à tous ceux que je rencontre : Hé, bonjour, moi c'est Methos, j'ai 5000 ans, je suis un Immortel, je vous paie un verre ?
- Surtout que tu ne paies jamais aucun verre.
- Ceci est un détail, Joe !
- Parle pour toi."

Quelques instants passèrent, durant lesquels Methos plongea le nez dans sa bière, et Joe se mit en tête de finir de monter un nouveau joint sur la robinetterie de l'évier.

Finalement, Methos ressentit un buzz salvateur. A cette heure-ci, dans cet endroit, il y avait un maximum de chances pour que ce soit MacLeod. Et comme chaque fois que Methos pariait avec lui-même, il avait gagné.
Pendant plus d'une heure, ils discutèrent tous les trois. Duncan leur apprit qu'Amanda avait dû partir pour New York rapidement, elle avait reçu un coup de fil qui l'avait un peu alarmée. Apparemment ce n'était rien de trop grave, une patrouille de police s'était intéressée à l'un des endroits où elle cachait le fruit de quelques menus larcins.
Joe ne put s'empêcher de faire allusion à la rencontre de Methos et d'une belle étrangère la veille au soir, et le plus vieil Immortel encore en vie dut à nouveau s'expliquer en long, en large et en travers, pour que ses propos ne soient pas mal interprétés.
Enfin, vers 19 heures, Methos eut une idée qu'il qualifia de pas trop mauvaise, à savoir manger, puisque depuis son réveil il n'avait vécu que de bière fraîche. En parfait homme de maison, il alla faire des courses, et prépara tranquillement, mais avec ambition, un tiramisu aux fruits qu'il mit au réfrigérateur pendant qu'il s'occupait de ses crevettes à l'aigre-douce.
A 21 heures, tout était prêt, et il mourrait de faim. Négligemment, il alluma la télévision, et s'installa sur son canapé avec un paquet de chips au vinaigre et sa troisième bière de la journée.



Sitôt l'entretien terminé, elle reprit un taxi vers l'hôtel. Elle avait un bon quart d'heure de retard, et elle trouva Methos dans le salon de l'entrée. Elle avait Soif, se sentait un peu faible, mais elle savait faire semblant. Elle s'excusa de son retard, bien consciente, dit-elle, que la soirée des gens normaux ne commence pas à 23h30. Plus confuse encore, elle désigna la robe qu'elle portait.

"Il faudrait que j'aille me changer, vous ne croyez pas ?
- Vous êtes superbe, là-dedans…
- Merci, mais je n'y suis pas trop à l'aise. Désolée de vous demander ça, mais vous pourriez encore… oh, et puis non, vous n'avez qu'à monter avec moi, vous avez assez attendu seul pour ce soir."

Methos préférait monter, en effet, puisque attendre dans le hall de cet hôtel assez mal décoré avec tous ces gens insipides lui avait été assez pénible.
En arrivant dans la chambre, la première chose qu'il remarqua fut le gros tas de sacs issus d'un seul et même magasin de vêtements. Sacs qui avaient été pleins, et dont le contenu était éparpillé sur le lit. Kalya choisit rapidement un pantalon noir et un léger pull écru, qu'elle alla enfiler dans la salle de bain. Elle défit le chignon qu'elle s'était fait à la va-vite avant d'aller au Louvre, et élimina une partie de son maquillage. Elle reprit ses grosses chaussures, ainsi que son sac noir, toujours aussi rempli, dans lequel elle rajouta le carnet qu'elle avait laissé traîner sur la table basse. Visiblement plus à l'aise dans son nouvel accoutrement, elle attrapa Methos par le bras, comme celui-ci avait fait la nuit précédente, et l'emmena hors de l'hôtel.

Ni l'un ni l'autre n'avaient de réelle destination, et visiblement, c'était Methos qui avait la responsabilité de les guider. Pour qu'elle évite de remarquer qu'il l'emmenait vers un nulle part, il se décida à relancer la conversation. Ce soir, elle n'était visiblement pas très en forme, mais elle s'efforçait de discuter avec lui. Au bout de quelques temps, il se décida à lui demander ce qui n'allait pas. Elle haussa les épaules, lui sourit et dit simplement "J'ai eu un début de soirée assez éprouvant. C'est peut-être le décalage horaire qui m'achève !" Il n'était pas persuadé que le décalage horaire ait quoi que ce soit à voir avec son état, mais il n'en dit rien. Il se trouva tout à coup bien plus préoccupé par l'endroit où ils se retrouvaient. Un cul-de-sac. A regarder les rues, ils avaient dû beaucoup marcher, le quartier n'avait pas autant d'éclat que le précédent. Cela s'avérait très ennuyeux, puisque cela prouvait que Methos n'avait aucune idée du chemin qu'il voulait leur faire prendre. Il avait passé bien des années à Paris, et c'était toujours le même problème : il ne comprenait rien à l'agencement des rues.
Il se tourna vers la jeune femme à son bras, haussa les épaules à son tour, et s'excusa.

"Je suis confus, je crois que je nous ai perdus.
- Décidément, vous n'êtes pas très doué pour vous diriger.
- La nuit je n'emprunte généralement que des rues que je connais, et on ne peut pas dire que mes errances soient très nombreuses.
- Vous faites des aller-retour entre votre appartement et le bar, c'est ça ?
- C'est très mesquin !
- Osez dire que ce n'est pas vrai !
- Il fut un temps où j'allais à l'Opéra en très bonne compagnie, mais malheureusement…
- …la compagnie que je vous offre n'est pas assez bonne pour que vous fassiez un effort d'orientation ?
- Pas du tout, c'est juste que l'Opéra m'ennuie.
- Au moins, vous avez essayé. Remarquez, il m'ennuierait sûrement, si j'y allais.
- Vous voulez que je vous y emmène ?
- Vous venez de dire que vous n'en aviez pas envie.
- Oui je l'ai dit, mais qui sait, c'est peut-être beaucoup mieux maintenant ?
- Je doute que ce genre de chose évolue si vite. D'ici une cinquantaine d'années, peut-être. Vous voulez que je vous dise ?
- Allez -y.
- Si on sortait de cette rue sordide ?
- Oui, évidemment."

Ils se retournèrent, revinrent sur leurs pas. Au bout de quelques instants, Kalya murmura quelques mots, sans s'arrêter. "Nous sommes suivis." Methos fit mine de lire quelque chose sur la vitrine d'un commerce abandonné, et vit qu'en effet, ils étaient talonnés par quelques jeunes gens.
"Alors ?" demanda la jeune Egyptienne
"Ils sont cinq, je ne suis pas persuadé que ce soit nous qu'ils suivent.
- Réveillez-vous, il n'y a que nous dans cette rue.
- Je ne vois pas ce qu'ils pourraient vouloir…
- Si c'est comme chez moi, ils veulent s'amuser, de préférence en emmerdant le monde. Ca passe par récolter quelques billets chez le couple qu'ils ont vu passer devant eux. Continuons à marcher.
- D'après ce que j'ai vu hier soir, votre porte-feuille est plein, non ?
- Il y a quelque chose que vous n'avez pas regardé chez moi, hier ?
- Je ne crois pas. Qu'est-ce qu'on fait ?
- Il n'y a visiblement pas de rue trop fréquentée dans le coin. Quelle heure est-il ?
- Bientôt minuit et demie. De ce que je sais, il devrait quand même y avoir des gens !
- Pas en semaine, et même, ils ne feraient rien. Je vous trouve très naïf, tout à coup. Vous savez vous battre ?
- Un peu. Vous pensez que je leur ferais peur avec une épée ?
- S'ils ont quelques couteaux, oui. S'ils sont plus lourdement armés par un miracle quelconque, ils vous riront au nez."

Elle hésitait sur la conduite à adopter. S'ils approchaient trop près d'un quartier fréquenté, les cinq hommes les rattraperaient, et elle risquait de mettre en danger d'autres gens. Mais les affronter ici ferait obligatoirement naître pas mal de question chez Adam. Oh, qu'elle avait soif… Tant pis, elle trouverait bien quelques excuses, et elle l'assommerait au bon moment. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il saurait se défendre.
Elle lui attrapa le bras et serra un peu plus fort. Il l'entendit l'avertir. "On va s'arrêter. Tâchez de vous défendre du mieux possible, j'ai combattu pire."
Puis elle se retourna, figée. Elle put les observer, évaluant leurs chances de s'en sortir sans trop de problèmes. En effet, ils étaient cinq. Absolument pas du genre jeunes désœuvrés, ils faisaient plutôt figure de supporters de foot dont l'équipe avait été malchanceuse pendant la dernière décennie. Au minimum. Deux d'entre eux avaient encore des bouteilles de bière en main. Nul doute qu'ils s'en serviraient. Ces deux-là avaient le crâne rasé, mais rien de plus distinctif. Elle leur donnait à tous entre 20 et 30 ans. Celui qui apparaissait comme le leader était le plus âgé, évidemment. Ses deux mains étaient derrière son dos, ce qui inquiéta un peu Kalya. Ils ne semblaient pas très forts, et leur épaisseur venait sans nul doute plus de la bière que leur musculature. Ils devaient être un peu ivres, ça faciliterait les choses. Avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, Methos demanda : "Qu'est-ce que vous voulez ?" Le chef répondit avec un sourire faussement innocent. "Partager un peu de bonheur. C'est vrai, quoi, on a pas tous les jours l'occasion de se faire plaisir." Methos avait compris. Le porte-feuille était accessoire. Sa compagne lui demanda de traduire, ce qu'il fit avec une hésitation.
Le visage de Kalya se crispa, non pas de peur, mais dans un sourire fielleux. "Qu'ils viennent." Qu'ils en aient à son argent ne la gênait pas trop. Mais qu'ils veuillent la toucher, ça, elle ne supportait pas. Elle jeta son sac derrière elle, au pied d'un mur, et avança d'un pas.

"Adam, vous pouvez traduire ?
- Euh, oui, mais vous pensez que c'est le moment ?
- Dites leur qu'ils vont pouvoir toucher.
- Pardon ?
- Allez-y !"

Et il traduisit. Quatre des hommes eurent un sourire à la fois mauvais et niais. Le cinquième, en retrait, ne la quittait pas des yeux. Lui savait qu'elle ne se laisserait pas faire.
Elle continuait à avancer. Arrivée à deux mètres du groupe, elle attendit. Aucune voiture n'était garée dans la rue étroite, personne ne voyait rien. Une fois encore, elle eut une pensée pour qu'Adam s'en sorte sans trop de problèmes. Elle ferma les yeux un instant. Pendant lequel deux des assaillants s'approchèrent et tentèrent de la toucher. Au moment où elle ouvrait les yeux, ses mains se refermaient sur celles des deux hommes. Elle souriait, calme.
D'un geste, elle balança l'un d'eux dans le caniveau, et déboîta l'épaule de l'autre en le repoussant d'un coup de pied sans lui lâcher la main. Il criait de douleur quand l'un de ses amis se jeta sur Methos, encore interdit par ce que la jeune femme venait de faire. Il se rendit compte de la situation quand son nouveau copain explosa sa bouteille contre le mur, la brandissant devant lui. L'Immortel ne voulait sortir son épée qu'en cas d'urgence, et il para quelques attaques simples. Plusieurs coupures apparurent sur ses avant-bras, mais rien de grave. Pendant ce temps, Kalya continuait de se battre avec le sourire. Elle sentait qu'elle faiblissait peu à peu, mais ces ennemis étaient providentiels pour se refaire une santé. L'autre bouteille fut cassée, mais elle ne servit pas longtemps à son propriétaire, Kalya l'ayant rapidement agrippée et envoyée à l'autre bout de la rue. Ils étaient trois à se relayer pour la mettre à terre, et Methos, tout en se défendant, remarqua qu'elle avait asséné à peine quelques coups à chacun avant de les mettre K.O. Il avait suffi d'une seconde de distraction pour que son adversaire trouve une faille dans sa défense. La bouteille lui transperça la poitrine, exactement au mauvais endroit. Methos sentit qu'il allait mourir encore une fois quand il brisa la nuque de l'homme face à lui, étonné par ce qu'il venait lui-même de faire. Le plus vieux des Immortels vit ce qu'il ne voulait pas voir. Le cinquième homme, qui n'avait pas bougé, avait sorti une arme. Il avait tiré sur Kalya alors qu'elle envoyait le dernier combattant à terre. Deux étaient évanouis, le troisième geignait, la tête à hauteur du caniveau. La jeune Egyptienne sentit l'intense douleur au niveau de son foie au moment où elle se ruait sur celui qui avait tiré. Deux secondes plus tard, il était mort. Elle se dirigea vers Methos, très mal en point.
"Vous êtes touché ?
- Oui, pas au bon endroit." Il souleva sa main, écartant le pan de son manteau. La blessure apparut, juste au niveau du cœur. Kalya ne savait quoi faire. Elle ne pouvait pas l'emmener à l'hôpital, ils n'avaient pas de temps. Elle n'avait aucun droit de le laisser mourir, mais elle ne pouvait pas l'aider. Il prit la parole, essoufflé.
" Ne vous inquiétez pas pour moi, je ne mourrai pas longtemps.
- Je ne sais pas comment vous aider...
- Vous ne pouvez rien faire. Je vous assure, laissez-moi mourir.
- Mais ça va pas !?
- Si je vous le dis, c'est que j'ai une raison. Donnez-moi quelques minutes, et ne vous inquiétez pas plus que ça."

Au moment où il sombrait dans l'inconscience, il se dit que décidément, il aurait préféré lui annoncer son immortalité autrement.
Elle le vit mourir. Quoi qu'elle fasse maintenant, elle ne pouvait plus rien pour lui. Cette façon qu'il avait eu de traiter tout cela à la légère la dérangeait, elle imagina même qu'il pourrait être vraiment mort. Ses pensées lui semblèrent tout à coup complètement idiotes : évidemment qu'il était mort. Mort parce qu'elle n'avait pas su bien réagir. Et si cette indifférence qu'il avait affichée cachait simplement… une habitude ? Comment pouvait-on prendre l'habitude de mourir ? C'était vraiment de plus en plus absurde, cette histoire. Une fois encore, elle se dit qu'elle n'avait pas d'autre choix que de s'occuper d'elle avant toute chose. Elle attrapa l'un des hommes encore en vie, et vérifiant que personne ne traînait dans le coin, lui ouvrit la gorge avec les dents. Elle but quelques instants, hésita, puis décida qu'il paierait pour les autres. Elle le tua rapidement. Elle l'avait presque vidé, mais elle devait laisser assez de sang pour que la police ne s'inquiète pas plus que ça. S'arrachant de lui à regrets, elle cicatrisa la plaie qu'elle venait d'ouvrir. Comme à son habitude, elle trouva une bonne solution : disons qu'il était mort d'une balle dans le ventre. Un instant, elle se trouva très drôle. Elle alla attraper l'arme de celui qui avait tenté de la tuer, et tira dans le cadavre. Le cœur ne battait plus, et l'hémorragie serait limitée. Elle replaça l'arme au côté de son propriétaire, et s'attaqua à l'homme un peu plus loin, celui qui couinait encore. Elle le leva, but un peu, puis versa une partie de son sang sur la blessure trop sèche de son ex-camarade. A moins d'une analyse ADN, c'était crédible. Elle jeta un dernier coup d'œil, et estima qu'elle avait fait un bon travail.
Elle allait mieux, et il fallait qu'elle enlève cette saleté de balle qui était restée coincée dans ses entrailles. Elle se releva difficilement, et s'assit à côté de Methos. Elle lui posa la main sur le cou, espérant un miracle, mais ne trouva aucun pouls. Sa blessure était couverte de sang, mais heureusement l'hémorragie était terminée. Elle n'aurait jamais dû l'approcher. Elle écarta un peu plus le manteau, déchira le pull autour de la blessure pour voir l'étendue des dégâts. Le tesson de bouteille avait fait plusieurs entailles en cercle, dont une qu'elle évaluait à environ cinq centimètres de profondeur. Elle fit un effort pour se maîtriser, mais après tout s'il était mort, il ne lui reprocherait rien et s'il ne l'était pas, il n'en mourrait pas plus. Inconsciemment, elle posa ses lèvres sur la blessure. Ce n'était pas ce à quoi elle s'attendait. Son sang avait un goût délicieux, jamais elle n'en avait bu de pareil sur un humain. Elle se laissait aller quand elle crut perdre la raison. Elle avait parfois des images de ses victimes, mais là, elle vit le visage de dizaines, de centaines d'hommes et de femmes en une seconde. Elle vit des lieux, des époques que personne hormis les Anciens n'avaient pu connaître. Avec une grande difficulté, elle s'arracha de la blessure et se mit debout. La tête lui tournait, et rien à voir avec le peu d'alcool qui traînait dans ce qu'elle avait bu.
Elle faillit s'écrouler à côté de lui, et se retint à un lampadaire. Son ventre la brûlait, elle se souvint de la balle. Elle serrait si fort que ses mains s'écorchaient sur la surface granitée. Son corps ne savait pas comment réagir au sang qu'elle avait bu, et elle sentait cette faille en elle, dans chacune de ses veines. Elle se rendit compte qu'elle tremblait et de mauvais souvenirs lui revenaient en mémoire. Souvent, elle avait ressenti cette frénésie s'emparer d'elle.
En une seule fois, elle avait pris le goût de ce sang si puissant. Elle griffait la peinture du réverbère, et tout à coup détesta être en pleine lumière. Elle aurait brisé l'ampoule de ses propres mains. Elle appuya son front contre la surface rugueuse, ferma les yeux, elle voulait se contrôler un peu mieux, elle ne pouvait pas retourner vers lui. Elle devait oublier cette délicieuse sensation, la saveur de l'expérience, de la force et du savoir. Seules les fois où elle était en manque, elle avait autant voulu sentir la drogue couler en elle. Comme chaque fois que son corps devait s'habituer à une nouvelle substance, il lui faisait subir le martyre. En une seconde, elle prit appui sur le lampadaire, et se propulsa au-dessus du sol. Ses doigts traversèrent la coque de verre pour venir broyer l'ampoule qui l'aveuglait. En reposant les pieds à terre, elle avait la main en sang, mais elle était calmée. Elle avait expulsé une partie de la douleur qui lui rongeait le corps. Elle se laissa glisser à terre et se prépara à souffrir une fois encore. Deux doigts plongèrent dans la blessure. Elle se retint de hurler alors qu'elle cherchait la balle du bout des ongles. Enfin, elle la coinça et la ressortit.
En jetant le morceau de métal dans le caniveau, elle s'inquiéta du sort de celui qu'elle appelait Adam. Sa propre blessure saignait toujours, d'un ruissellement léger mais ininterrompu. Elle dut faire un effort pour réduire le flux sanguin. Elle fut tentée de vider un des deux agresseurs encore en vie, mais préféra se contenter de celui qui avait attaqué l'Immortel. C'était bien moins agréable ; le sang était encore chaud mais boire sur un mort n'avait rien de merveilleux. Pourtant, il lui permit de resserrer la blessure, stoppant la perte de sang. Elle ramassa son sac, puis chercha de nouveau le pouls de Methos. Toujours rien. Les gens ne meurent pas en promettant de revenir, habituellement ! Et ce sang qui gouttait par terre. Elle ne pouvait même pas aider sa blessure à se refermer. Son propre sang serait un poison pour lui, et finir de le tuer ne lui serait d'aucune utilité. C'est alors qu'elle remarqua la longue épée qui était accrochée à la doublure du manteau. Elle en testait le tranchant quand Methos revint à lui.

Il la fit sursauter en reprenant sa respiration. Il pouvait enfin bouger, et il vérifia l'état de sa blessure. Elle n'était pas encore refermée, mais elle saignait bien moins et semblait moins profonde. Le cœur s'était réparé, et battait à peine plus vite que la normale. Il tourna la tête, et trouva Kalya assise à son côté, son pull écru maculé de sang. Elle avait posé sa main sur la blessure, et avait visiblement attendu son réveil.

Le regard assez inquiet, elle demanda d'une voix qu'elle voulait la plus assurée possible.
"Ca va, vous ?
- Je revis." Il désigna l'endroit de sa blessure d'un mouvement du menton. "C'est profond ?
- Pas trop, non, la balle a juste traversé le côté. Rien de précis n'a été touché. Vous voyez, ça ne saigne presque pas.
- Très joli. Vous attendez depuis longtemps ?"
Ce détachement… oui, c'était bien une habitude qu'il avait là. Elle voulait savoir pourquoi… pourquoi il ne l'avait pas prévenue, pourquoi il n'était pas mort, pourquoi il traitait une résurrection comme un incident… elle se contenta de répondre. Si elle ne voulait pas répondre à des questions embarrassantes, elle ferait mieux de ne pas en poser.
" A peine quelques minutes.
- Vous pensez que vous pouvez vous lever ?
- Ca devrait aller, mais je m'inquiète plus pour vous. Pourquoi vous ne vous êtes pas vraiment défendu ?
- J'ai essayé !
- Pas assez. Vous aviez ça." Elle désignait l'épée, toujours à la même place.
- "Je n'aime pas l'utiliser contre n'importe qui.
- Vous m'en direz tant. Vous préférer mourir et ressusciter en pleine rue ?
- Presque. Vous avez faim ?
- Plus ou moins.
- Moi oui. Ca vous dirait un délicieux repas réchauffé au micro-ondes ? J'avais préparé des crevettes aigres-douces.
- Jamais goûté.
- C'est l'occasion. On se lève ?
- Vous d'abord."

Ils se remirent à marcher, lentement, puis à une allure plus normale au fil des minutes. Ils restèrent silencieux un long instant. Ils arrivèrent enfin à une station de taxis. Kalya pressait son sac sur son pull pour camoufler le plus possible la tâche de sang, et Methos avait refermé son manteau. Le temps leur parut long, mais au moins, ils n'avaient pas à faire d'efforts. Methos était étonné : lorsqu'il mourrait, il était censé se réveiller en pleine forme. Cette fois, il se sentait bien trop faible pour la blessure qu'il avait subie. Il sentait sa tension basse, avait l'impression d'avoir été vidé de ses forces.
Kalya, quant à elle, profita du répit que lui offrait le voyage pour commander à sa blessure de se refermer entièrement. Elle se sentit plus faible, mais c'était le prix à payer. Elle n'avait pu s'empêcher de mentir sur son état de santé. Comment lui dire qu'elle était allée rechercher la balle et que dix minutes après, tout était réparé ? Quoi qu'il en soit, elle espérait qu'il ne poserait pas trop de question. Lui aussi avait deux-trois choses à lui expliquer. Elle jeta un œil à l'état de son ventre. Quelle idée avait-elle eu de mettre un vêtement clair ! Le noir était si pratique dans ce genre de cas. Heureusement que les ténèbres ambiantes n'avaient pas permis au chauffeur de les regarder avec attention, il les aurait certainement laissés rentrer à pied.

Vers une heure et demie, ils arrivèrent chez Methos. Cette fois, celui-ci ne prit pas la peine de cacher quoi que ce soit, et il jeta négligemment son manteau sur le trône en bois.
Kalya ne savait pas trop où se mettre, elle ne voulait pas s'asseoir. Elle se trouvait moins faible qu'elle ne l'aurait cru après un tel combat, et elle se contenta de s'adosser à un mur en regardant Methos sortir le plat asiatique du réfrigérateur. Il hésita entre le micro-ondes et un réchauffage conventionnel à la poêle, puis décida que réchauffé doucement, c'était quand même meilleur. La lumière crue de l'appartement les avait tous les deux éblouis, et ce n'est qu'en se rapprochant de Kalya qu'il remarqua des traces sur son cou.

Methos s'approcha, posa son pouce sur le cou de la jeune femme et frotta doucement, comme s'il cherchait à effacer quelque chose. Elle comprit qu'elle aurait dû faire plus attention. Elle se décala d'un pas, et demanda où était la salle de bain. Une fois face au miroir, elle dut se rendre à l'évidence : elle avait bu très salement, et sur son cou s'étirait tout un réseau de lignes de sang séché.
Sans un mot, elle fit couler un peu d'eau, et effaça les traces brunâtres. Elle fit de même pour la légère ombre qui ornait ses lèvres. Jamais il n'aurait dû la voir ainsi. En relevant la tête, elle le vit appuyé au chambranle de la porte. Elle voyait bien qu'il hésitait à parler. Elle-même n'en avait pas très envie. Elle se retourna, et fit quelques pas dans sa direction.

Elle s'était immobilisée face à lui, à une cinquantaine de centimètres. Son regard le défiait, elle attendait sa décision. Il se contenta d'une proposition.
"Si vous voulez, vous pouvez prendre une douche.
- Merci. Je me sentirai mieux. Je ne serai pas longue."
En partant, il ferma la porte derrière lui, et alla s'allonger sur son lit.

Cette nuit avait été riche en évènements, mais il s'en serait passé. La peau de son cou avait été si froide au toucher. Même si la nuit était fraîche, une sortie nocturne n'avait pas ce genre d'effets. Des femmes qui avaient les mains froides, il connaissait. Mais le cou... Il se prit à se demander si tout son corps était ainsi glacé. Qu'il regrettait que tout se soit déroulé ainsi... Il se serait volontiers passé de cette séance de révélations forcée.
Il entendait couler l'eau de la douche, et se rendit compte que lui non plus, n'était pas dans un très bon état. En enlevant son pull, il vit que la déchirure avait été agrandie. C'était irréparable, maintenant. Un si beau pull, tricoté avec amour par une irlandaise. La vie était injuste. Il se servit de l'évier pour nettoyer le sang autour de ce qui avait été sa plaie. Il ne put s'empêcher de mettre de l'eau partout, y compris sur son pantalon. Bon, puisqu'il fallait se changer, il allait se changer. Il lança le pantalon sur son lit, et ouvrit le coffre qui lui servait d'annexe au placard. Il trouva un autre pull, plus fin, anthracite, qu'il jeta lui aussi sur son lit. Il fut tôt rejoint par un pantalon propre.
Methos soupira en refermant le placard, et se rendit compte qu'il se baladait en caleçon au moment où il vit Kalya sortir de la salle de bain.

Elle avait enfilé ses sous-vêtements, son pantalon, mais avait hésité pour le pull. Il était encore humide de sang, et risquait d'annuler tous les effets bénéfiques de cette douche bien chaude. Alors elle s'était décidée à sortir en plaquant la serviette contre sa poitrine, se préparant à demander quelque chose pour se couvrir.
Elle fut rassurée en voyant qu'elle n'était pas la moins vêtue. Pourtant ce n'était pas le sentiment qui prédominait en elle à ce moment précis. Il avait un corps fabuleux ! Elle se rendit compte que ses yeux avaient dû s'agrandir quand il attrapa rapidement son pantalon. Elle baissa la tête et se détourna.

"Désolée.
- Ce n'est rien, j'aurai dû prévoir.
- Vous me dites quand vous êtes présentable ?
- Au point où j'en suis, je pense que je ne choquerai plus personne."

Elle relevait la tête au moment où il enfilait son pull. Il se dirigea vers la cuisine, pour voir où le plat en était. Ca semblait correct.

"Je peux vous demander une faveur ?
- Bien sûr.
- Vous auriez un truc que je puisse enfiler, mon pull est définitivement ruiné. Ne vous inquiétez pas, la blessure est propre.
- Vous voulez quoi ?
- Ca dépend de ce que vous proposez. Sauf si j'ai le droit de déambuler comme ça, mais je doute que ça égale votre prestation de tout à l'heure."

Elle affichait un sourire moqueur. Elle était vraiment surprenante, cette fille. Elle se montrait très pudique, et la seconde d'après, elle proposait de se balader à moitié nue. D'après ce qu'il voyait, Methos aurait sans hésitation voté pour la deuxième option, mais si elle demandait de quoi se couvrir, il aurait été honteux de refuser sous un prétexte aussi intéressé. Il ouvrit de nouveau le placard, tentant de trouver quelque chose dans laquelle elle ne nagerait pas de trop. Il trouva un pull gris, et lui montra.

"Ca irait ?
- Oui, c'est parfait. Cashmere, en plus.
- Vous avez l'oeil.
- L'habitude. J'apprécie ce qui est beau."

La jeune Egyptienne sourit de façon équivoque et se détourna là-dessus, laissant un Methos un peu déconcerté. Soit sa mort l'avait troublé au-delà de la moyenne, soit elle le draguait. Il abandonna en allant mettre la table. Du coin de l'oeil, il la vit laisser glisser la serviette à terre pour enfiler le pull.

"Je peux aider ?
- Vous voulez bien enlever la poêle du feu ?"

Elle s'exécuta, la posant au milieu de la table basse, sur un dessous de plat qui ressemblait étrangement à un canard. Elle voulut vérifier, et souleva de nouveau la poêle. Son sourire en disait long.

"Il ne vous plaît pas, c'est ça ?
- Oh non, je n'ai rien dit.
- Mais vous l'avez pensé si fort... J'aime bien ce dessous-de-plat, on me l'a offert.
- Vous avez des amis avec un grand sens de l'humour, dites-moi !
- Moquez-vous, je serai curieux de voir tout ce qui peut traîner chez vous."

Elle se trouva l'air stupide avec la poêle en main, et la reposa.
Elle s'assit sur un des coussins et fit un geste évasif de la main.

"En ce moment, c'est plutôt gravats et compagnie.
- Vous faites des travaux ?" Il la servit, avant de remplir sa propre assiette, et de s'installer à son tour.
- "On nous y a un peu obligées. De nouveaux amis à moi ont trouvé très amusant de démolir la moitié du rez-de-chaussée.
- Ca arrive souvent ?
- Pas vraiment, je voulais aider une jeune femme russe, et je l'ai emmenée chez moi pour qu'elle puisse fuir ses poursuivants. Ils l'ont trop vite retrouvée, et ils n'avaient pas l'air prêts à discuter. C'est très bon, votre truc.
- Merci. Ils vous ont attaquée au lance-roquettes, au moins ?
- Je n'ai rien vu, on était en train de sortir de la villa par derrière. Mais on les a retrouvés plus tard, et visiblement, ils n'avaient que des fusils-mitrailleurs. Les plus gros dégâts, ils les ont faits à mains nues..." Elle réfléchit. "Ah non, certains avaient des cimeterres... De vrais boeufs. C'était lamentable à voir. Ils n'ont pas tenu longtemps. En plus, ils étaient laids... c'est honteux de laisser traîner des gens avec une tête pareille.
- Vous étiez seule avec votre amie pour faire face à tout ça ?
- Oh nooon, on les attendait dans un endroit où je savais que nous serions aidées.
- Ca me rassure."

Ils laissèrent un instant passer.
"Et vous, qu'est-ce que vous faites dans la vie pour vous balader avec une épée ?
- Représentant en épées ?
- Trouvez autre chose.
- Je me doutais bien que ça ne vous conviendrait pas, comme réponse." Entre deux bouchées, il tenta : "Si je vous disais que je suis immortel, ça provoquerait quoi, chez vous ?
- Pas grand-chose. Immortel comment ?"

Décidément, cette conversation était de plus en plus surréaliste. Rien de ce qu'il lui disait ne la mettait mal à l'aise, ou ne l'étonnait. Mais après tout, si ce qu'elle avait dit était vrai, elle ne devait vraiment pas être normale non plus. La blessure refermée, l'indifférence feinte face à tout ce qu'elle voyait, entendait ou disait.

"Immortel comme très vieux.
- Ca ne m'aide pas, je connais des gens très vieux aussi. C'est quoi très vieux pour vous ?
- Et pour vous ?
- On ne va pas s'en sortir, si vous voulez jouer aux devinettes.
- Dites-moi juste un nombre, un âge. Un âge de très vieux."

Elle réfléchit réellement, posant ses couverts le temps de compter sur ses doigts dans un geste très enfantin.

"Chez moi, très vieux, ça serait huit, neuf cents ans.
- C'est pas mal. Vous avez raison, c'est aussi ma notion de très vieux.
- Alors dites-moi, puisque j'ai gagné !
- Cinq mille."

Si elle avait pu, elle se serait étranglée. Le jeune homme qu'elle avait en face d'elle, qui avait préparé ce délicieux repas -il faudrait qu'elle prenne la recette- lui annonçait qu'il avait cinq mille ans. "Vous vous moquez de moi ?" Pourtant, elle le croyait.

Il finit tranquillement son assiette, secouant la tête.
"C'est rare de trouver quelqu'un qui ne dit pas 'cent ans' pour 'très vieux'. Ce n'est pas la réflexion de quelqu'un de normal, sans vouloir vous offenser...
- Et je suis persuadée que vous savez de quoi vous parlez. Je suis entourée de gens assez anormaux, je dois l'admettre.
- Comme qui ?
- Ca vous regarde ?
- Presque." Son demi-sourire ne le quittait pas, elle voyait bien qu'il espérait la faire céder.
" Je n'en suis pas sûre. Disons qu'il m'arrive de fréquenter des plusieurs fois centenaires...
- L'amie avec qui vous habitez ?
- Vous êtes très énervant à insister comme ça.
- Je sais, mais tant que vous répondez, je continue !" Il s'interrompit, songeur. Il avait planté son regard dans le sien, tentant de deviner elle ne savait trop quoi. "Ce que je ne comprends pas, c'est que vous, vous n'êtes pas immortelle. Qu'est-ce que j'ai ressenti, alors ?
- Peut-être qu'il y a plusieurs formes d'immortalité, que vous n'avez pas le monopole...
- Je serais curieux de voir ça... vous allez m'expliquer ou faut-il encore que je pose une vingtaine de questions ?" Il avait parlé doucement, mais il avait réellement envie de comprendre.
"Je ne suis pas certaine que vous ayez envie de le savoir." Elle s'était renfermée, l'air plus sombre. Elle ne le regardait plus dans les yeux, pourtant, ce n'était pas de la honte qu'il lisait sur son visage.
- "C'est à moi d'en décider.
- Vous y tenez vraiment ?" Elle avait relevé la tête, le défiant maintenant du regard.
- "Oui. Vous savez ce que je suis, je veux savoir ce que vous êtes. C'est une sorte d'échange."

Elle soutenait son regard, essayant de le dissuader. Elle ne voulait pas lui dire. Elle n'en avait même pas le droit. Pourtant, il avait raison : elle savait ce qu'il était, même si cela paraissait invraisemblable. Elle devait lui dire. Sa réaction lui faisait peur, mais elle était consciente qu'il ne la laisserait pas en paix tant qu'il ne saurait pas. Autant crever l'abcès. Elle parla sans le regarder, le regard porté dans le vide, le visage fermé.

"Je suis ce que certains appellent une Damnée. J'ai été Etreinte il y a 8 ans. Depuis ce jour, j'appartiens à une lignée qui s'appelle les Melagynes. Pour résumer, le folklore me qualifie de vampire."

Elle croisa à nouveau son regard, cherchant une réaction. Lui ne l'avait pas quittée des yeux, et cet aveu semblait être une vraie souffrance. Elle exigeait une réponse qu'il ne savait pas formuler. Il accusait le coup. Et décida de briser le silence qui s'installait.

"Ca me convient. Les Melagynes, vous dites ? Les femmes noires ? Pourquoi ?
- A l'origine la lignée ne recrutait ses membres que parmi les femmes issues d'Afrique. On s'est étendues au Moyen-Orient, un peu en Asie. A ce qu'il paraît, certaines Etreignent même des blanches, mais ça reste rare, et ce n'est pas de leur faute mais les Infantes sont rejetées. C'est comme ça qu'on appelle les jeunes vampires.
- Vous venez d'Afrique, mais vous avez un nom grec ? C'est bizarre, non ?
- Qu'est-ce que j'en sais ? Il faut croire que les Grecs ont été les plus persuasifs."

Elle avait terriblement besoin de se lever, mais elle n'osait pas bouger. Elle s'attendait à pire, comme réaction.
"Au fait, c'est votre vrai nom, Adam ? C'est bizarre pour un gars qui a cinq mille ans !"

Il lui laissait cette chance de dévier la discussion, et puisque c'était la nuit des révélations… autant tout dire.

"Non, originellement on m'appelle Methos, mais Adam ça suscite moins de questions.
- Methos ?.. J'aime bien. Ca veut dire quelque chose de précis ?
- Oh, rien de bien glorieux.
- Je vois… je vous préviens, je trouverai bien quelqu'un pour me traduire.
- Arrêtez, cette menace me pétrifie !
- Vous n'avez pas connu un truc qui s'appelle la galanterie, et qui dit qu'on ne doit pas se moquer des femmes ?
- T-t-t, à mon époque, ça n'existait pas.
- Oui, ben à ce compte-là, l'électricité non plus, et l'ordinateur, c'est juste pour faire la déco !
- J'attends avec impatience la galanterie envers les hommes..." dit-il en débarrassant.

Lorsqu'il eut fini, une question s'imposa dans son esprit. Il vit que Kalya s'était levé, et qu'elle se tenait face à la baie vitrée, regardant la nuit. Elle avait les bras serrés contre sa poitrine, comme si elle avait froid. Il ne put s'interdire de venir à elle, et de poser ses mains sur la taille fine de cette si belle jeune femme. Il l'avait tour à tour ressentie moqueuse, attirante, dangereuse. Maintenant, elle semblait perdue. Elle avait eu un tressaillement alors qu'il la touchait. Elle ne souhaitait pas refuser son contact. Elle ne savait plus ce qu'elle voulait, elle aurait aussi bien pu le gifler que s'abandonner dans ses bras. Alors elle fit comme elle avait toujours fait. Elle resta de marbre, le laissant choisir. Elle le regretta aussitôt, mais c'était si facile. Tant de fois, les hommes avaient décidé à sa place, et elle avait apprécié de ne pas avoir à choisir. Le plus souvent elle n'était avec eux que par intérêt, elle ne s'était jamais vraiment attachée, et ce soir n'allait pas faire exception à la règle. Quand elle s'attachait, elle perdait. Pourtant, elle faillit frissonner quand il fit glisser ses mains pour lui encercler la taille. Elle reprit ses esprits et le masque d'indifférence qu'elle se devait d'afficher. Il décida de briser le silence d'une voix qu'il espérait apaisante.

"Je peux poser encore une question ?
- Si vous voulez.
- Qu'est-ce qui est vrai, dans ce qu'on dit sur vous ?
- Ce qui est le plus crédible. Le sang, la vie la nuit. Cette forme d'immortalité qui est différente de la vôtre.
- Ce qui m'étonne, c'est que vous agissez comme quelqu'un de vivant. Vous buvez, mangez...
- Ce n'est pas très réglementaire. Nous sommes peu, et j'ai la chance d'être encore assez jeune pour que ça ne se remarque pas trop. La très grande majorité d'entre nous, d'après ce qu'on m'a dit, ne peut rien ingérer d'autre que le sang. On ne peut rien digérer, par contre. C'est détruit, tout simplement. Ne me demandez pas comment. Je n'ai pas besoin de respirer, mais je sais le faire. Je n'ai besoin que de très peu de choses, mais je donne l'illusion.
- Je pense que vous avez besoin de plus de chose que vous ne voulez bien le croire. Vous regrettez de m'avoir parlé ?
- Et vous ? Vous regrettez de l'avoir entendu ?
- Non, ça m'aide à comprendre.
- Ca vous aide à comprendre quoi ?" Elle se crispa d'un coup, il sentit qu'elle se libérait de son étreinte. "Que ma vie est faite de gens que je saigne ? Que je n'ai droit à pas grand chose ? Je ne pense pas que vous puissiez comprendre.
- Vous oubliez qui je suis. Cinquante siècles, ça aide à connaître les gens. Croyez-vous que je n'ai pas vu de choses horribles, durant tout ce temps ? Que je n'en ai pas fait ?
- Vous ne tuez pas pour vivre, sauf ces petites crevettes que vous mangez pour séduire les étrangères de passage." Elle tenta un vague sourire, mais elle n'y croyait pas.
"J'ai tué bien plus de gens que vous n'en tuerez jamais. Moi aussi, je tue pour vivre, et je sais que ce n'est pas ce qu'il y a de plus amusant.
- Pourquoi devriez-vous tuer pour vivre ?
- Je ne suis pas le seul au monde à être immortel. Nous sommes sûrement plusieurs centaines, et nous sommes pris dans ce qui est appelé le Jeu. Depuis des millénaires, nous sommes destinés à nous battre les uns contre les autres, jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un.
- Mais quand vous en tuez un, il n'y en a pas d'autres qui viennent ?
- Il en naît tout le temps, il en meurt aussi. Je ne sais pas combien de temps ça durera. Depuis 5000 ans que je suis là, je n'ai pas réussi à percer les mystères qui régissent notre vie. Le Jeu a commencé avant moi, et il finira après moi, malheureusement.
- Pourquoi est-ce qu'il ne doit rester qu'un seul Immortel ?
- Je n'en sais rien. C'est comme ça.
- C'est idiot. En plus si vous avez des amis comme vous, vous ne les tuez pas !
- Non. D'autres s'en chargent, et je les regrette. Je sais que nous finirons tous par mourir un jour, mais je sais aussi qu'aucun de nous n'est content de partir, aussi longtemps qu'il ait vécu.
- C'est à cause de ça, l'épée ? Et c'est ça que vous fuyiez hier ?
- Oui. L'épée, c'est le seul moyen de nous tuer.
- C'est barbare.
- L'époque où nous sommes apparus devait être barbare...
- Combien d'Immortels avez-vous tué ?
- Je n'en sais rien. Depuis longtemps, je me suis écarté du Jeu, j'évite de tuer qui que ce soit. J'ai parfois dû manquer à la parole que je m'étais faite, mais j'y étais obligé. Ou je me sentais obligé. - C'est possible, ça ? Personne ne vient vous défier ?
- Si. Parfois j'ai pris leur tête, parfois j'ai attendu que quelqu'un le fasse à ma place, parfois j'ai fui.
- Vous avez pris leur tête ? Vous les décapitez ?
- C'est la seule façon d'en finir.
- C'est pire que ce que je pensais. C'est vraiment sale.
- Sale ? Ce n'est pas la réaction à laquelle je m'attendais.
- C'est bête à dire, mais on m'a appris à tuer proprement. J'évite de mettre du sang partout, moi môssieur !"

Enfin, elle s'était décidée à sourire. Il la sentait plus détendue. Elle se laissa faire quand il la fit se retourner. Son sourire était pâle, mais il était là. Elle paraissait tellement forte, elle était tellement belle que jamais il n'aurait pu imaginer la voir si vulnérable. Elle sembla lire dans ses yeux quand elle accentua son sourire.

"Alors, on n'a rien à répondre, quand on est accusé de tuer ses ennemis salement ?
- Absolument rien. Pour toute défense, je dirai que je n'ai pas le choix. Et que c'est vous qui étiez la plus sale en revenant ce soir !
- Ca ne compte pas, comme argument !" Elle se détacha de lui, allant s'asseoir en tailleur sur le bord du lit. "Et vous n'avez jamais tué que des Immortels ?
- Pourquoi ?
- Simplement pour voir à quel point on se ressemble.
- J'ai tué des mortels aussi, et je le regrette.
- Beaucoup ?
- Trop.
- Ca ne veut rien dire, ça.
- Oui, beaucoup. Plus que vous ne pourriez l'imaginer." Il avait planté son regard dans le sien et tentait de sourire, mais elle sentait qu'il n'y croyait pas. Elle voulut détendre l'atmosphère.
- "OK, j'abandonne. Vous êtes beaucoup plus méchant que moi. Pourtant, comme ça, on ne dirait pas, je vous rassure.
- Merci, je me donne du mal !
- Quand vous dîtes que vous avez cinq mille ans, c'est approximatif ?
- Oui. En réalité, je ne sais pas vraiment quel âge j'ai. Mes premiers souvenirs sont de cette période.
- Donc vous pourriez être encore plus vieux ?
- C'est possible, mais pas de beaucoup, je pense.
- On ne sait jamais ! Et vous êtes beaucoup à être aussi vieux ?"

Il vint la rejoindre sur le lit, s'asseyant comme elle. Il souriait. Il lui murmura la réponse à l'oreille, comme pour une confidence. Chacun savoura les quelques secondes de cette naissance d'intimité.
"Jusqu'à ces dernières années, on était encore quatre. Mais depuis, je suis le seul.
- Vraiment ? Mais les autres, ceux qui sont un peu plus jeunes, ils sont vraiment vieux quand même !
- Oui, mais moins.
- Alors vous êtes le plus vieux ?
- C'est ce qu'on dit."

Elle sourit béatement, ouvrant de grands yeux papillonnants, et joignant ses mains sur son cœur comme pour une adoration muette.
"J'ai partagé un repas avec le plus vieil Immortel connu au monde ! Ma vie va changer !"

Il fut stupéfait par la facilité avec laquelle elle changeait de comportement. Elle se moquait ouvertement de lui, et elle semblait adorer ça. En quelques minutes, elle avait perdu dix ans.

"Vous devriez respecter les vieux comme moi !
- Certainement pas. Si je le faisais, c'est là que vous vous sentiriez vieux.
- Pas faux.
- J'ai de la pratique. Il y a une différence entre quatre cents ans et cinq mille ans, mais j'ai appris à faire plaisir aux plusieurs fois centenaires." Elle laissa passer un instant durant lequel elle parut réfléchir à quelque chose d'agréable, puis demanda, retrouvant l'expression plus sérieuse et plus naturelle qu'elle avait eue la première nuit de leur rencontre : "C'est quoi la différence entre un Immortel et un mortel ?
- Pas grand-chose, si ce n'est qu'on ne vieillit pas, et qu'on se remet plus vite des blessures. On n'est jamais malade, non plus.
- Ah oui, c'est mieux que nous, sur certains points.
- Sûrement, mais vous n'êtes pas en combats perpétuels… vous voulez une bière ?
- C'est gentil, mais ce n'est pas le genre de truc que je bois.
- Whisky ?
- Hmm… pourquoi pas ? Vous me donnez une minute ?
- Sûr."

Une fois dans la salle de bains, elle laissa couler le robinet assez fort quelques instants, profitant du bruit et de la diversion pour s'obliger à vomir dans les toilettes ce qu'elle avait mangé. Elle en était navrée, mais son estomac ne pouvait pas contenir vingt kilos de nourriture et de boisson, et contrairement à ce qu'elle avait dit à Methos, son organisme ne détruisait absolument pas ce genre de choses. Elle prit tout de même le temps de s'arranger, se passant les mains sous l'eau chaude pour les remettre à une température correcte. Une fois qu'elle eût vérifié qu'elle était plus que supportable à regarder, elle rejoignit le salon. Elle trouva l'Immortel à l'endroit même où elle était auparavant : face à la baie vitrée. Il se retourna et lui tendit son whisky.
"C'est merveilleux, une femme. Ca fait semblant de rien, mais ça se sent obligé d'être toujours séduisante.
- Ca vous remercie ! Je trouve que vous n'avez pas à vous plaindre, parce que quand on ne fait pas attention à nous, on se fait traiter de tous les noms.
- Ca n'a pas dû vous arriver souvent !
- Je compatis, c'est tout. J'aurais pu finir grosse et vieille."

Il ne put s'empêcher de la jauger de nouveau, se disant que décidément, il ne l'imaginait pas du tout grosse et vieille, et que la vie était bien faite, qui lui avait épargné ce terrible destin. Il n'avait pas besoin de repenser à toutes ces femmes qu'il avait connues vieillissantes pour savoir que ce n'était pas un sort enviable.
Elle avait fini son whisky d'un trait, puisque ce n'était pas ce qui l'intéressait le plus en ce moment même. Si elle s'écoutait, elle l'enverrait directement sur le lit. Elle décida de ne pas s'écouter. Ce qu'elle avait vu dans ses yeux, ce n'était pas du tout son image en plus grosse et plus vieille. Il pouvait avoir 5000 ans, connaître le genre humain, et savoir feindre tout et n'importe quoi, il restait un homme. Et Kalya ne connaissait rien de tel pour plaire à un homme que de l'obliger à réaliser que vous êtes quand même pas mal du tout. La lueur qu'elle avait appris à déceler dans les yeux des hommes alors qu'elle avait pour travail de leur plaire, elle l'avait incontestablement vue dans les yeux de celui qui se tenait en face d'elle. Elle se détourna, de peur qu'il la voie s'imaginant tout ce que l'on pouvait apprendre en cinquante siècles...
Les quelques secondes où leurs regards s'étaient accrochés avaient suffi à Methos pour lire quelque chose de très inconvenant dans les yeux de la jeune femme. Il en avait été étonné. Avant de savoir ce qu'elle était, il s'en serait très bien sorti. Plusieurs fois, il avait été tenté, et à chaque fois, il avait résisté. Depuis une heure il savait, et il avait toujours imaginé les vampires comme des créatures presque asexuées, même s'il connaissait le Dracula de Bram Stoker. Il n'avait jamais accordé trop de crédit à ce genre d'histoire, mais il se trouvait devant le fait accompli. Si elle pouvait manger, respirer… Tout dans son attitude suggérait qu'elle avait gardé la faculté d'avoir des relations sexuelles, mais les vampires ne les assouvissaient-ils pas dans la mort qu'ils donnaient ? Tout se brouillait dans sa tête, le pour et le contre, et il n'arrivait pas à penser à autre chose. Il restait là, immobile, comme le grand idiot qu'il était, sans pouvoir se décider.
Elle était à quelques pas maintenant, adossée à une colonne blanche.
"A quoi vous pensez ?
- Rien de précis.
- Vous mentez, et très mal, en plus. Je sais parfaitement ce à quoi vous pensiez. Ce que vous vous demandiez. Je ne vous avais pas dit que dans notre lignée, certaines ont la possibilité de percevoir les sentiments ou les pensées superficielles ?"

Il s'était rarement senti aussi mal à l'aise, et il commença à marcher de long en large dans la pièce pour dissimuler son trouble.
Cette fois, elle ne s'était pas trompée, et elle en concevait une très grande joie. Elle se demandait ce qui l'empêchait de lui sauter dessus. Ne trouvant pas de réponse adéquate, elle se dit que ce n'était pas le genre de partenaire dont elle avait l'habitude. Ces derniers temps, c'était plutôt du côté des industriels aux dents longues qu'elle traînait. Rien à voir. Une conversation limitée, des aptitudes en voie de développement, un gros compte en banque et le choix entre un corps refait à neuf tous les cinq ans et un tas de gras. La vision qu'elle avait eue en sortant de la salle de bain tôt dans la nuit lui revint, et elle eut du mal à se modérer. Elle se plaça sur son chemin, alors qu'il faisait pour la troisième fois le trajet fenêtre-cuisine. Il dût s'arrêter et était prêt à poser une question futile quand il vit quelle expression elle arborait. Elle souriait. Ce n'était pas le sourire qu'elle avait quand elle se moquait de lui, c'était le sourire d'une femme sereine, un peu troublée, parfaitement séduisante.

"On apprend quoi de beau, en cinq mille ans ?"