- Salut, gamin.
- Salut, cher vieux machin.
- Tu prends quelque chose?
- Attends. Je vérifie si j'ai ma carte.... Ouais. Une bière. Pression.
Ce que tu as pris m'ira.
-
-
- Tu m'inquiètes.
- Je t'inquiète?
- Oui. C'est effrayant, ce sourire scotché à ton visage.
- Je ne souris pas. A peine.
- Tu as l'air heureux.
- Moi?
- Oui. J'en suis fort ému.
- Tu dérailles, mon vieux. Combien de bières avant celle ci?
- Elle s'appelle comment?
- Hein?
- Comment s'appelle t'elle?
- Pourquoi y aurait-il une "elle"?
- C'est évident.
- Pourquoi pas un "il"?
- Non, avec eux, tu as l'air plus soucieux, plus sombre.
- Ridicule.
- Comment ça?
- Il n'y a aucune contrainte, avec eux. Ca dure tant que ça dure. Pas
de crainte du qu'en-dira-t'on à cause de l'age, pas de mariage à
cacher, pas d'enfant à élever. Pourquoi diable aurai-je l'air
plus sombre?
- Je l'ignore, c'est ainsi. Tu te renfermes, tu rumines, je l'ai vu assez souvent.
- Foutaises. Je n'ai rien d'un bovidé.
- Et elle, elle t'aime?
- Pardon?
- L'élue de ton coeur, elle t'aime?
- Qu'est-ce que ça peut faire? Voilà bien le genre de trucs dont
je me soucierais si je l'aimais. Ce qui n'est pas du tout le cas.
- Tes yeux brillent quand tu parles d'elle. C'est étrangement charmant.
- Tu n'as rien de plus intéressant à faire?
- Elle t'aime, tu l'aimes, qu'attends-tu?
- Je ne l'aime pas.
- Ce n'est sans doute pas une passion dévorante, certes, mais tu l'aimes.
- Je...
- Je te connais suffisamment.
- Nonsense.
- Où est-elle?
- C'est pas si simple.
- Est-ce jamais simple?
- Avec elles surtout. Elles n'ont...
- Rien de différent. Tu t'obstines, mais ça n'a pas à être
différent.
- C'est absurde.
- Le monde a changé. Ce qui se vivait caché auparavant est presque
la norme. Profites en.
- Je suis trop vieux pour changer.
- On n'est jamais trop vieux. Saisis ta chance, amuses toi! Carpe diem!
- Je ne sais pas... Je ne saurais pas faire.
- Tu as peur?
- Oui. Je crois.
- De quoi?
- Je ne sais pas. De moi... D'elle. De ce qui pourrait se passer. Du monde.
De tout.
- Tu m'effrayes, vraiment.
- Encore?
- Oui. Il m'a fallu trois mille ans pour découvrir que tu étais
d'une affligeante banalité.
- C'est pathétique.
- Toi?
- Non, toi.
- Ah?
- Tu peux parler. Joe m'a tout dit.
- Sur quoi?
- Une vraie midinette. On aurait dit un pré-ado se préparant à
affronter son premier rendez-vous.
- I'm an *actor*, darling.
- Tu parles. Quel intérêt aurais-tu eu à agir ainsi?
- Joe! I'll have the same again. And one for the kid, who seems... to have reached
drinking age a couple of weeks ago if you're willing to believe his ID card.
Anyway, Joe... you and I need to talk.
- Tu te défiles.
- Tu fais bien jeune, pour quelqu'un de vingt-et-un an. Des problèmes
de croissance?
- Je suis resté jeune d'esprit. Visiblement, je ne suis pas le seul.
- Bah.
- Ca, c'est de la réplique qui tue. Quelle maestria dans ta prose, quelle
éloquence!
- C'est étrange, non?
- Hein?! Quoi?
- Après toutes ces années, ces siècles plutôt...
C'est toujours la même chose.
- Non, c'est chaque fois différent.
- Oui, aussi. Toujours nouveau.
- Il faudrait un mode d'emploi.
- Tu souris, encore.
- Fadaises.
- Si tu veux. N'empêche, tu souris.