GAZ. 1727 Methos, en ce temps-là, se promenait en Europe, sous le nom de Giovanni Buono di Parma, que les Anglais traduisaient par John Good of Parma, les Allemands par Hans Gut von Parmenstück, et les Français par Jean Bon de Parme. Il remontait d’Italie, justement, et tenait, après s’être arrêté une semaine à Lyon pour y goûter une excellente nourriture, à honorer d’une visite le descendant de son ami Dom Pérignon. Il avait connu l’abbé en 1692, peu d’années après que celui-ci eut mis au point son procédé de gazéification du vin blanc de Champagne. Il avait encore le souvenir de ce breuvage rafraîchissant qui conciliait les avantages du vin avec ceux de la bière. Le petit neveu du génial ecclésiastique, Charles Pérignon, vivait avec sa soeur dans une belle demeure dans les environs d’Epernay. Methos fut accueilli chaleureusement. On lui prépara une chambre, on le fit dîner. Adélaïde, la sœur de Charles, dévorait l’hôte des yeux. Elle proposa de terminer le repas par une bouteille de champagne. On la servit, mais Methos sentait une réticence de Charles. Adélaïde ne pensait qu’à saouler le bel étranger, Charles pensait à la malédiction qui pesait sur cette bouteille. Après tout, pourquoi ne pas la boire, une fois de plus ? Charles la déboucha délicatement, et servit le vin dans les coupes. Et glou. Le lendemain, Methos se réveilla et retrouva ses amis fébriles. Il les pressa de question, et ils finirent par avouer : la bouteille qu’il avait laissée vide à l’office le soir était à nouveau intacte, comme si elle n’avait jamais été ouverte. Et cela faisait trois ans que cela durait. Cela dit, ils n’avaient jamais eu de problème avec le champagne, qui était excellent et qui ne provoquait aucun trouble. Mais c’était inquiétant. Quel mauvais plaisant leur jouait ce tour ? Un esprit ? Methos rit et proposa de la boire à nouveau le soir même. Et ce qu’on fit. Il eut beau jeter la bouteille vide sur un tas de feuille mortes derrière la maison, le lendemain ils la retrouvèrent pleine et fermée sur le buffet. Le soir, ils la burent encore et Methos la cassa sur les pavés de la cour. Le lendemain, elle était là, immobile et intacte, qui les narguait. On fit ce soir-là encore un repas bien arrosé. Methos voulut qu’on mélangeât cette fois-ci au clair champagne un alcool plus fort qui se mariait bien et qu’on appelait le " pousse-rapière ". Ils allèrent se coucher l’enclume derrière les yeux. Adélaïde faillit se tromper de chambre, Methos riait comme un gros bêta. Le lendemain, Methos s’aperçut qu’on lui avait dérobé son épée. La cherchant partout dans la maison, il entra dans la grande salle à manger et fut sidéré par ce qu’il vit. La bouteille était au fond, sur une console, et son épée juste devant. Quand il commença à marcher vers elle, elle se mit en mouvement, sans qu’aucune main visible ne la touchât. Elle volait dans l’air et semblait prendre l’Immortel pour cible. Il se mit à courir dans la pièce en criant. L’épée cherchait à l’atteindre tout en protégeant la bouteille, qu’une dizaine de mètres séparait de lui. À ses cris Charles et Adélaïde accoururent, mais ils ne purent aller plus loin que le seuil de la pièce, tant l’épée furieuse les menaçait, tout en continuant à courir après Methos. Adélaïde courut dans le couloir des chambres, et redescendit avec un sabre de marine qu’elle avait décroché du mur. Elle le jeta à Methos qui se mit à croiser le fer avec la présence invisible. Mais, manifestement, l’épée était dirigée par la bouteille immobile. Et, aussi étonnant que cela pût paraître, c’était le plus redoutable ennemi qu’il ait jamais connu, car l’arme n’était pas limitée par les possibilités réduites des mouvements d’un bras humain, elle évoluait dans l’espace avec une aisance, une variété de mouvements et une rapidité totales. Methos ne pouvait du reste que parer les coups avec le sabre car comment percer la panse d’une bouteille qui se trouve à sept ou huit mètres ? Il voyait le moment où il allait y laisser la tête. Perdre pour un verre de trop ! Acculé au vaisselier, il se défendit de toutes ses forces et frappa l’épée comme un fou, si bien qu’elle recula de plusieurs mètres. Il ouvrit alors en grand une porte basse du buffet et s’accroupit contre elle, comme s’il s’apprêtait à y entrer. Mais il gardait les yeux fixés sur son épée immobile à cinq mètres de lui, vers le plafond. Elle orienta sa pointe vers lui, préparant l’estocade. Il était ramassé sur lui-même, prêt au choc. Au moment où il la vit partir vers lui comme une flèche, il se jeta de côté et l’épée traversa la porte du buffet, qu’il saisit aussitôt par un coin et referma brusquement. La pointe sortait, la garde était dans le meuble. Methos se leva et marcha lentement vers la bouteille. Et un doute l’effleura : ce mal de tête qu’il ressentait le matin en la voyant, ce n’était pas les excès de la veille qui lui étaient ainsi rappelés, c’était le signe de l’immortalité de cette bouteille ! Sans doute le pousse-rapière mélangé au champagne hier soir avait fait d’elle la plus redoutable des escrimeuse. Il comprit alors qu’elle ne renoncerait pas. Et en effet, il entendit un bruit formidable derrière lui, l’éclatement de la porte du buffet. L’épée jaillit dans une nuée d’échardes et s’éleva vers le plafond. Methos savait qu’en une ou deux secondes elle allait le repérer, le viser et le transpercer ou le décapiter directement. Il courut, se jeta à terre dans une roulade au moment où elle passait en rase-mottes au-dessus de lui, et pendant qu’elle allait faire son demi-tour dans un angle de la pièce, il se releva, bondit et attrapa la bouteille de la main gauche, fit une autre roulade pour éviter de justesse la deuxième attaque en piqué, et en se rétablissant, il ajusta un coup vif de son sabre sous le goulot et décapita le collet de verre. L’épée tomba inanimée. Methos était à genou. Le champagne jaillit de la bouteille, tournoya dans la pièce comme les vagues de l’océan. Une force irrésistible poussa Methos à ouvrir la bouche et le champagne s’y engouffra dans un grondement de tempête. Les bulles était d’une puissance indescriptible. Cela lui parut interminable. Supérieur à soixante-quinze centilitres. Il s’effondra sur la parquet. Charles et sa soeur le portèrent inanimé sur son lit. Adélaïde demanda à son frère d’aller chercher un broc d’eau fraîche pour pouvoir baigner son front trempé de sueur. Pendant qu’il était sorti, elle en profita pour embrasser l’évanoui à pleine bouche. Le goût du champagne était très présent mais elle ne détestait pas. C’était la tradition familiale. Methos revint souvent les voir. Surtout Adélaïde. Il ne comprit jamais le phénomène qui avait concentré la puissance d’un Immortel dans une bouteille de champagne. Car il ignorait qu’elle avait été traversée par un quicquening, seize ans plus tôt, lors du combat de deux Immortels ivres, au fond d’une cave. Toutes les autres bouteilles avaient éclaté. Sauf celle-là, que le vainqueur serrait dans ses bras comme un enfant chéri. Rob. _____________________________ Gaz 2 Janvier 2002 Sachez qu'en 1976, Ebenezer Krazuck, immortel à peine âgé de 144 ans, subit un revers de fortune au moment de "changer de vie" et d'identité. Il fut contraint, pour se refaire un compte en banque, de travailler comme livreur de boissons. Il n'y a pas de sot métier. Cependant, alors qu'il roulait avec son camion sur une route du Wisconsin, il percuta le camion d'un confrère endormi qui livrait des tôles d'acier. Une partie de ce chargement mal arrimé passa par-dessus la cabine, glissa comme des cartes à jouer sur un tapis vert. La cabine du camion de Krazuck fut découpée en tranches, et avant même que son moteur cale, Ebenezer était décapité sur son siège en skaï. Unlucky. L'autre chauffeur, n'étant pas immortel, perdit toutes ses dents, eut les deux jambes cassée et le sternum enfoncé, et se retrouva pensionné à vie lorsqu'il put enfin marcher 5 mois plus tard. Mais c'est une autre histoire, et vous devinez bien que le quickening (accélération, Beschleunigung...) fut perdu. Enfin, pas pour tout le monde, car apparemment, le gaz des boissons peut retenir l'énergie des Immortels. Ainsi un chargement considérable de canettes de bières, intactes, devinrent immortelles. Seule un goulot brisé permet d'en venir à bout. Ce que Methos ne cherche pas à faire, loin de là! Tombé par hasard sur une partie du chargement miraculeux dans un self, Methos le racheta au bistrotier héberlué. Il y avait là de la Budweiser, de la Carlsberg et d'autres brassages. Methos organisa des quickening de bière dans sa cuisine pour transférer des énergies dans d'autres marques. Il avait trop de Bud... il put faire des Douglas, des Kilkennys (yes, kill Kenny!), des Fraoch' immortelles pour l'ami Duncan... Et voilà le secret du frigo enchanté de Methos. Buvez en décapsulant gentiment, respectez le verre qui se recycle, pas la peine de rincer les bouteilles, ç'est auto-nettoyant et auto-remplissant. Ah bon sang! la belle vie... Le nombre de canettes qu'on a pu siffler, c'est pas croyable... Bon voilà pour la belle histoire. À bientôt! Richard Verne, alias Rob.