LA PROMESSE

 

Marie-Gwen

 

 

Note de l’auteur : Cette fic a été longue a écrire puisqu’elle m’a pris 4 ans ! Elle n’est que le premier volet d’une future trilogie. En cela, La Promesse est, vous le verrez, une histoire très classique dans l’univers Highlander puisque, pour poser les bases de l’histoire, elle colle délibérément aux standarts « romantiques » de la série. J’espère cependant qu’elle vous plaira puisque la suite devrait être moins consensuelle. En tous cas, que vous aimiez ou non, faites-moi part de vos impressions à marie.gwenAfree.fr

NB : Cette histoire prend place dans un Univers alternatif qui ne prend pas en compte le dernier épisode de la saison 5 ni la saison 6 …

Merci à Hélène, beta lectrice de la première heure, ainsi que Isa et Matthieu.

 

 

Chapitre 1

 

Il faisait nuit noire, mais la lumière des lampadaires était réfléchie à l'infini par les milliers de gouttelettes qui recouvraient les rues. La pluie avait commencé quelques heures auparavant, à la tombée du jour, et déjà les caniveaux charriaient une grande quantité d'eau noire, salie. C'était une pluie glacée, pénétrante, et il semblait à Lee-Ann que chaque goutte la transperçait de part en part. Elle marchait maintenant depuis près d'une heure, ses jambes engourdies ne faisant plus que répondre mécaniquement, un pied après l'autre, un pas à la fois. L'eau collait ses cheveux à son visage puis ruisselait sur son cou jusque sous son pull complètement détrempé.

 

 "Encore un effort, pensa-t-elle, il ne doit plus être très loin ce maudit dojo".

 

Mais comment trouver la bonne rue et reconnaître cette façade qu'elle n'avait vue qu'en photo, à cette heure et avec cette pluie qui n'en finissait pas, l'aveuglant et la frigorifiant à la fois ? Son bras gauche replié contre elle-même, elle se rendit soudain compte que le froid avait au moins eu pour effet d'atténuer les élancements de sa blessure. Elle aurait pu essayer de voir un médecin à son arrivée à l'aéroport mais cela l'aurait retardée, et elle devait absolument le trouver avant qu'on ne la rattrape. Il faudrait donc bien que le bandage rudimentaire qu'elle s'était fait l'autre nuit tienne jusqu'à son arrivée. Depuis ce terrible instant où la folie de ce monstre l’avait à nouveau rattrapée, et depuis qu’elle avait pris la décision de venir à Seacouver préparer sa "mission", Lee-Ann était dans une sorte d’état second, agissant comme un robot. Avec un seul objectif en tête et cette douleur sourde mêlée de haine au creux du ventre.

Elle tourna à droite au coin de la rue. Il lui semblait qu'elle ne trouverait jamais l’endroit qu’elle cherchait. Au moins était-elle sûre d'avoir atteint le bon quartier. Malheureusement, elle ne pouvait pas non plus se permettre de demander son chemin : personne ne devait savoir où elle était, il ne fallait pas qu'il la retrouve avant qu'elle soit prête à l'affronter. De toute façon, les rues étaient désertes à l'exception d'un ou deux passants pressés se hâtant sous leur parapluie.

 

"Pourvu qu'il accepte de m'aider, pensa-t-elle. "Oh, Sam, j'espère que tu ne t'étais pas trompé sur lui !".

 

Une immense vague de chagrin la submergea alors que le visage de celui qu'elle avait tant aimé s'imposa dans son esprit. Mais elle se força à transformer sa douleur en haine qu'elle utiliserait pour sa vengeance. Pour l'heure, il lui fallait continuer à avancer, encore et encore, malgré la pluie...

 

* * *

 

            MacLeod appuya sur "play" et s'assit bien confortablement dans son fauteuil préféré, un verre de whisky à la main, un bon livre dans l'autre.

 

 "Avec cette pluie dehors, se dit-il, rien de tel qu'une bonne veillée au coin du feu".

 

On était juste à la sortie de l'hiver, et le soleil ne semblait pas pressé de faire fondre les dernières neiges sur les sommets ni de faire fuir les nuages lourds de pluie qui assombrissaient encore souvent la ville, comme c'était le cas ce soir. Alors que les premières notes de musique s'échappaient du CD, MacLeod songea une fois encore combien il était dommage que Joe ne fasse pas enregistrer les merveilleux morceaux qu'il composait et jouait avec le groupe.

 

"Il faudra bien que ce vieil entêté se laisse convaincre un jour ou l'autre", se dit-il.

 

Sirotant son whisky, MacLeod se plongea dans la lecture du roman historique qu'il tenait : il adorait voir comment les mortels imaginaient le passé et ce qu'ils croyaient en savoir. Même s’il devait admettre que, bien souvent, l'Histoire dans l'histoire était retransmise très fidèlement : lui-même avait plusieurs fois été surpris de voir que certains événements auxquels il avait assisté avaient été relatés aussi précisément que s'il l'avait fait personnellement.

            Il en était là de ses réflexions lorsqu'un bruit sourd lui parvint. Cela semblait venir d'en bas. On aurait dit que quelqu'un avait donné un coup violent à la porte du dojo. Le bruit ne se répéta pas mais MacLeod décida tout de même de descendre jeter un coup d'œil. Il ne prit pas la peine d'emporter son katana avec lui puisqu'il n'avait ressenti la présence d'aucun Immortel : il ne devait s'agir que du vent qui avait précipité quelque chose contre la porte. Mieux valait aller voir tout de suite si un quelconque dégât devait être réparé.

Il comprit en sortant de l'ascenseur : une bourrasque avait tout simplement ouvert la porte violemment, et la pluie entrait maintenant abondamment par rafales dans le hall d'entrée. Il devrait peut-être songer à verrouiller cette porte la nuit, mais il ne jugeait pas cela nécessaire en règle générale. Un rôdeur ne trouverait rien d'intéressant ici à moins de monter à l'étage où Mac se ferait un plaisir de l'accueillir. Quant aux Immortels, il leur était bien difficile de dissimuler leur approche, même en plein sommeil. Et si un ou deux vagabonds se glissaient parfois à l'intérieur en hiver pour passer la nuit, MacLeod n'y voyait aucun inconvénient majeur.

Il crut d'ailleurs que c'était précisément le cas en apercevant la forme couchée dans l'entrée. Fermant rapidement la porte et la bloquant avec le verrou, il s'agenouilla ensuite près du corps recroquevillé et trempé. Le retournant, il constata qu'il avait affaire à une jeune femme, mais ses vêtements, même mouillés, ne semblaient pas ceux d'une sans-abri. C'est alors qu'il remarqua la tache plus sombre sur le flanc et la manche gauche de l'inconnue. Il souleva le pull ruisselant mais ne trouva aucune trace sur son torse. Il dénuda alors son bras et découvrit juste au-dessus du coude un bandage imbibé de sang qui révéla une blessure sans doute infligée par une balle quelque temps auparavant. Le projectile ne l’avait apparemment que frôlée, laissant cependant une entaille assez profonde. La cicatrisation semblait avoir commencé mais un choc ou un effort avait rouvert la plaie qui saignait maintenant abondamment. Il n'en fallait pas plus à MacLeod pour se sentir impliqué et, prenant la jeune femme dans ses bras, il remonta au loft pour la soigner.

 

"Voici qui fera ricaner Methos une fois de plus", songea-t-il en l'étendant sur le divan.

 

* * *

 

            Lee-Ann sentait les mains de Sam posées sur elle, elle entendait sa voix chaude lui parler doucement, lui dire combien il l'aimait, elle l'entendait rire et goûtait ses baisers. Ils venaient de fêter l'anniversaire de Sam dans ce petit chalet isolé au creux des montagnes irlandaises qu'ils habitaient depuis quelques mois. Mais ce refuge n'avait pu leur servir de cachette bien longtemps. Comment avaient-ils pu se croire à l'abri ? Jamais Karl n'abandonnerait, elle le savait maintenant. Soudain un coup de feu éclata et le cauchemar recommença : la fuite, le sang, la mort... Oh, Sam !

            S'éveillant brusquement de cette semi-inconscience, Lee-Ann s'efforça de chasser de son esprit les souvenirs qui la tourmentaient et jeta un coup d'œil autour d'elle. Elle était étendue sur un divan, sous une couverture chaude et sèche, dans ce qui semblait être une usine ou un entrepôt transformé en loft. L'appartement était meublé très simplement, mais avec goût.

 

"Restez allongée" lui dit une voix comme elle essayait de se lever.

 

Tournant son regard vers la droite, elle aperçut alors celui qu'elle était venue trouver, debout dans la cuisine, en train de verser le contenu d'une casserole fumante dans une tasse qu'il lui apporta ensuite.

 

"Duncan MacLeod du clan MacLeod" dit-elle, plantant son regard dans le sien, et MacLeod ne sut vraiment s'il s'agissait d'une question ou d'une simple constatation.

 

"Je suppose donc que ce n'est pas un hasard si je vous ai trouvée à ma porte" répliqua-t-il sur le même ton.

 

Baissant les yeux sur sa tasse, Lee-Ann ne répondit pas, se contentant de boire lentement la soupe brûlante qu'elle contenait. Le breuvage semblait réchauffer son corps entier, se diffusant dans chacun de ses membres jusqu'à la pointe de ses orteils. Elle se rendit compte alors que ses vêtements mouillés avaient disparu et qu'elle ne portait qu'un long sweat-shirt sous la couverture posée sur elle.

 

"Vous étiez trempée, lui dit MacLeod en guise d'explication, et il fallait bien que je soigne votre bras".

 

Lee-Ann réalisa en effet que le bandage semblait refait à neuf et fit mine de lever le bras : une vague de douleur l'irradia, remontant jusqu'à l'épaule.

 

"Ne le bougez pas, reprit MacLeod, attendez que les anti-inflammatoires fassent effet. Puis-je vous demander maintenant ce qui vous amène chez moi ? Et tout d'abord, vous semblez me connaître tandis que je ne sais même pas qui vous êtes. Vous devez bien avoir un nom ?"

 

            Lee-Ann se demanda brusquement ce qu'il avait fait de son passeport qui contenait le peu d'argent qui lui restait et la photo de Sam. Etait-il resté dans la poche arrière de son jean, MacLeod ne l'ayant pas remarqué, ou bien l'avait-il rangé ailleurs ? Et dans ce cas, n'avait-il réellement pas pensé à y jeter un coup d'œil pour savoir à qui il avait à faire. D'après ce qu'elle savait de lui, peut-être ne s'était-il tout simplement pas autorisé à le faire. Quoi qu'il en soit, Lee-Ann n'avait pas l'intention de lui cacher son identité. Civile du moins.

 

"Je m'appelle Lee-Ann O'Donnell, répondit-elle, et je suis venue pour apprendre à me battre".

 

MacLeod dévisagea avec surprise cette femme d'une trentaine d'années : ses yeux verts le fixaient fièrement, comme pour le défier. Mais il sentit quelque chose derrière cet air déterminé qui n'était, à n'en pas douter, qu'une façade. Ses cheveux légèrement bouclés et coupés juste au-dessus des épaules étaient presque secs et Duncan remarqua pour la première fois qu'ils n'étaient pas châtains mais tiraient plutôt vers le roux.

 

"O'Donnell, se dit-il, elle doit avoir des origines irlandaises."

 

Il n'avait en effet remarqué aucun accent typique, même si son intonation ne lui semblait pas américaine non plus... Peut-être aurait-il dû examiner le passeport qu'il avait trouvé dans le pantalon de l'inconnue, mais il avait préféré s'occuper d'elle en premier lieu. De plus, il n'était pas dans ses habitudes de violer l'intimité d'autrui, même dans de telles circonstances.

Malgré ses yeux cernés, son visage grave aux pommettes hautes et à la bouche pleine était d'une beauté certaine et lui rappela, de par ses traits fins, presque aristocratiques, celui des françaises sous la révolution. Elle n'était pas de ces beautés froides qui le laissaient indifférent. Le regard de défi qu'elle lui lançait renforça son impression de feu intérieur que son charme laissait poindre. Il avait pu également remarquer, puisqu'il l'avait déshabillée puis revêtue de son sweat-shirt, les longues jambes et le ventre plat.

Etant donné qu'elle connaissait son nom, son origine et qu'elle désirait apprendre à se battre, MacLeod se douta qu'elle savait également qui il était réellement. Il décida donc de jouer franc jeu avec elle : ce n'était sûrement pas pour prendre quelques cours de self-défense qu'elle avait choisi son dojo.

 

"Et pourquoi désirez vous vous battre ?" répondit-il, prenant place dans son fauteuil face au divan.

 

"Cela ne vous regarde pas," répliqua-t-elle sèchement. Puis elle ajouta, radoucie, "Je suis désolée, je... je ne peux pas vous le dire... Pas pour l'instant".

 

Baissant les yeux de nouveau, elle termina la soupe tiède et posa la tasse sur la petite table devant elle, prenant garde à ne pas trop solliciter son bras blessé.

 

"Je suppose également que ce n'est pas la peine de vous demander qui vous a tiré dessus", reprit MacLeod, un brin ironique.

 

"Ecoutez... ,"commença Lee-Ann.

 

"Non, vous, écoutez-moi : il est tard, vous êtes fatiguée, Dieu sait combien de temps vous avez marché pour trouver cet endroit ; vu votre état, je pense que vous n'avez pas pris de taxi... Alors nous en resterons là pour ce soir. J'ai une chambre prête à côté : vous allez dormir ici et nous verrons tout cela demain. Je suppose que de toute façon vous n'avez pas où dormir non plus".

 

Lee-Ann ne répondit pas.

 

"Tu avais raison Sam, un vrai chevalier servant," pensa-t-elle alors que la mélancolie semblait vouloir l'envahir de nouveau. "Mais je crois qu'il va accepter. Oui, je crois qu'avec son aide, je pourrai te venger Sam. Et je le tuerai."

 

* * *

 

            Lee-Ann s’éveilla en sursaut, tremblante et trempée de sueur. Depuis cette terrible nuit, le même cauchemar ne cessait de la hanter. Elle revoyait Sam, revivait leur fuite éperdue, les coups de feu, son sang... Le soleil était déjà haut dans le ciel : elle avait dû dormir longtemps. Elle se força à reprendre ses esprits et à chasser les mauvais rêves.

 Son passeport était posé sur la table de chevet, quelque peu déformé par la pluie de la veille mais, en dehors de cela, apparemment intact. MacLeod ne semblait pas l'avoir ouvert puisque les pages étaient encore collées entre elles, l'encre ayant à certains endroits déteint. Les quelques dollars pliés étaient également là où elle les avait laissés, ainsi que la photo de Sam, mais Lee-Ann ne la regarda pas. Pas encore. Il était trop tôt.

            Cette simple pensée rappela à elle la douleur et le chagrin. Une fois de plus, elle s'efforça de transformer sa souffrance en la froide haine qui lui donnerait la force nécessaire pour ce qui allait devenir son combat. Et cette haine grandissait de jour en jour semblait-il.

            Elle se leva et trouva MacLeod dans le séjour-cuisine, préparant du café.

 

"Vous trouverez des vêtements dans la salle de bains, lança-t-il par-dessus son épaule. Je crois qu'ils vous iront".

 

            L'eau aussi chaude qu'elle pouvait le supporter, et prenant garde à ne pas mouiller son bras blessé, Lee-Ann resta un long moment sous la douche, évacuant ainsi les restes de sa fatigue de la veille et des rêves de la nuit. Puis, s'enroulant dans une serviette posée à côté, elle jeta un oeil aux vêtements qu'il avait sorti : un jean bleu et une tunique à manches longues, blanche, et très douce. Ils étaient en effet à sa taille. Elle réalisa alors que ces habits avaient peut-être appartenu à Tessa : elle se souvint de la tristesse dans le regard de Sam lorsqu'il lui avait raconté la mort quelques années auparavant de celle qui avait été la compagne de MacLeod pendant 12 ans, et de la compassion qu'ils avaient tous deux ressenti pour cet Immortel condamné à voir tous ceux qu'il aimait mourir avant lui. Les larmes lui vinrent aux yeux en songeant qu'elle-même était bien mortelle et avait cependant assisté à la mort de celui qu'elle aimait plus que tout. Chassant cette pensée de son esprit, elle retourna dans le séjour où MacLeod buvait son café, assis dans le fauteuil qu'il occupait la veille. Une autre tasse bien chaude attendait Lee-Ann sur le plan de travail à côté de l'évier.

            Elle la prit et vint s'asseoir dans le canapé, face à MacLeod. Elle avait décidé de ne pas lui dévoiler qui elle était réellement, de ne lui parler ni de Sam ni de Karl. Il ne semblait pas pour l'instant avoir remarqué la cicatrice à l'intérieur de son poignet droit. Il lui faudrait tout de même réussir à le convaincre de devenir son maître d'armes. En piquant sa curiosité peut-être.

Avant même qu'elle n'ouvre la bouche, il se leva et, s'approchant d'elle, lui fit signe de retirer sa tunique. Une bande propre, des compresses et un antiseptique étaient posés sur la table basse, et Lee-Ann comprit qu'il voulait renouveler son pansement. Sans mot dire, elle passa précautionneusement le vêtement au-dessus de sa tête et étudia MacLeod tandis qu'il défaisait le bandage de son bras. Elle l'avait bien sûr déjà vu au cours d'une mission avec Joe, mais elle ne l'avait jamais approché de si près. Il y avait effectivement cette grande douceur dans son regard dont Sam lui avait parlé, cet air calme, de force tranquille, mais également de volcan endormi, prêt à se réveiller. Il y avait aussi quelque chose d'animal en lui, une certaine grâce féline dans ses gestes et sa façon de se mouvoir.

Lui-même l'observa en coin. Elle ne bougeait pas, immobile, presque tendue alors qu'il imbibait une compresse de désinfectant et l'appliquait doucement sur la plaie. Elle ne broncha pas au contact de la solution malgré la brûlure infligée par l'alcool, mais MacLeod senti son bras se raidir et sa mâchoire se serrer.

 

"Elle cherche à m'impressionner, se dit-il, ainsi qu'à m'intriguer. Sans doute pour que j'accepte de l'aider sans qu'elle ait besoin de me fournir d'explications. Peu importe, je finirai bien par gagner sa confiance".

 

De toute façon, MacLeod avait décidé d'aller jusqu'au bout de cette affaire dans laquelle il était impliqué, semblait-il, avant même qu'il ne la rencontre.

 

"Que me caches-tu Lee-Ann O'Donnell ?", questionna-t-il mentalement, "Et en quoi suis-je lié à tout cela".

 

Le saignement de la veille avait été stoppée par le nouveau pansement et la cicatrisation allait pouvoir se poursuivre. MacLeod saisit la bande propre et l'enroula avec un savoir-faire de secouriste autour du bras de Lee-Ann. Comme elle enfilait à nouveau le pull, il remarqua pour la première fois son poignet droit et la cicatrice presque circulaire juste sous la paume. Suivant son regard, Lee-Ann s'empressa de la recouvrir avec la manche de la tunique.

MacLeod se rassit ensuite dans son fauteuil pour terminer son café. Il étudiait silencieusement Lee-Ann, attendant qu'elle veuille bien lui en dire un peu plus.

 

"Etes-vous prêt à m'aider ?", lui demanda-t-elle tout de go.

 

"Vous me demandez si j'accepte de vous apprendre à vous battre ?" répondit MacLeod. "Très bien, mais, quelle technique de combat suis-je sensé vous enseigner ?", ajouta-t-il après un moment, curieux.

 

Lee-Ann se leva et s'approcha de la cheminée à droite du divan. Elle saisit à deux mains, malgré son bras blessé, le katana de MacLeod posé sur le manteau, se retourna lentement vers lui et, plantant à nouveau son regard dans le sien, répondit :

 

"Je veux apprendre à me servir de ça".

 

"Nous y voilà !", songea MacLeod.

 

Il ne faisait maintenant aucun doute dans son esprit que Lee-Ann en avait après un Immortel. Mais pour quelle raison ? Et pourquoi était-elle venue demander à MacLeod de l'initier ? Elle le fixait avec la même expression de défi de la veille, et il décida de lui poser la question.

 

"Parce que vous êtes le meilleur", répondit-elle sans sourciller.

 

Un léger sourire se dessina sur les lèvres de MacLeod.

 

"Parce que je suis le meilleur ?", répéta-t-il, s'approchant d'elle. Il retira délicatement le sabre des mains de Lee-Ann et le replaça là où elle l'avait trouvé sur la cheminée.

 

"Et qu'est-ce qui peut bien vous faire croire que je suis le meilleur ?", reprit-il, amusé.

 

"Oh, mais votre réputation n’est plus à faire, et vous le savez, Duncan MacLeod du Clan MacLeod", lui rétorqua Lee-Ann.

 

Comme MacLeod ouvrait la bouche pour répliquer, elle ajouta rapidement, le fixant une fois de plus de son regard déterminé :

 

"…Ecoutez MacLeod, je sais pertinemment que rien, absolument rien ne justifie que vous acceptiez. Il n'est pas dans mes habitudes de tendre la main, mais vous êtes à l'heure actuelle le seul vers lequel je puisse me tourner. J'ai réellement besoin de votre aide MacLeod, même si pour l'instant je ne peux vous expliquer pourquoi. Pas encore..."

 

Elle s'interrompit, attendant la réaction de MacLeod, mais son visage ne reflétait rien de ce qu'il pouvait penser à cet instant. Se pouvait-il qu'il refuse ? Mais après tout, pourquoi accepterait-il... Il la dévisagea ainsi sans mot dire pendant de longues secondes, puis ses traits se détendirent, ses lèvres s'étirèrent en un demi sourire, et, se dirigeant vers le porte-manteaux pour enfiler son pardessus, il répondit :

 

"Bien. Je dois sortir, j'en ai pour une heure ou deux. Reposez-vous pendant ce temps-là. Nous reparlerons de tout ça à mon retour."

 

Refermant la porte du monte-charge, il appuya sur le bouton et fit un signe de la main tandis que l'élévateur s'ébranlait vers le rez-de-chaussée, laissant Lee-Ann debout dans le séjour, un air de grande perplexité sur le visage.

 

* * *

 

MacLeod avait bien l'intention de tirer cette histoire au clair.

Tout d'abord, il décida d'aller glaner quelques informations auprès de Joe. Le secret de Lee-Ann était en rapport avec les Immortels, cela ne faisait plus aucun doute maintenant. Et puis, il y avait ces noms, Sam, et Karl, que Lee-Ann avait prononcé cette nuit. Des rêves avaient dû venir la hanter car il l'avait entendue à plusieurs reprises parler ou même pleurer pendant son sommeil, et appeler ces deux noms tour à tour. Il n'avait osé la réveiller, mais il sentait que Lee-Ann était en proie à des sentiments intenses et contradictoires. MacLeod ne connaissait aucun Sam ou Karl, du moins aucun qui puisse être lié d'une façon ou d'une autre à cette jeune irlandaise qui avait fait irruption chez lui la veille pour chercher du secours, mais peut-être que Joe pourrait le renseigner.

Il arriva au pub et poussa la porte, enlevant ses lunettes de soleil pour permettre à ses yeux de s'habituer à la semi-pénombre qui régnait toujours dans les lieux. Joe n'était pas au bar mais il y trouva Mike qui s'occupait généralement du pub en son absence.

 

"Salut MacLeod !", lança-t-il à l'adresse du Highlander.

 

"Salut Mike ! Joe est là?"

 

"Je suis désolé Mac", répondit Mike tandis qu'il rangeait les verres derrière le comptoir, "mais Joe est parti en Europe il y a trois jours pour une mission spéciale. Je n'ai aucune idée de la date de son retour..."

 

"Une mission spéciale ? Mais je croyais que Joe était MON guetteur, Mike !", répondit MacLeod avec un large sourire, "il me fait donc des infidélités ?".

 

"Ah, désolé Mac, mais je ne peux rien te dire ! De toute façon, je ne sais pas moi-même de quoi il retourne. Joe m'a appelé mercredi en me demandant de bien vouloir m'occuper du bar car il partait en Europe quelque temps, mais je n'en sais pas beaucoup plus. Je lui demande de t'appeler dès son retour si tu veux."

 

"D'accord Mike, on fait comme ça", répondit MacLeod en reprenant le chemin de la porte. Il était à l'évidence inutile d'insister, Mike ne lui dirait rien de plus. "A bientôt !" ajouta-t-il avec un geste de la main en sortant.

 

Tout en remettant ses lunettes sur son nez, MacLeod réfléchit à ce que Mike lui avait dit. Joe parti en mission spéciale en Europe, une mission apparemment quelque peu confidentielle qui plus est, tout cela l'étonnait un peu de la part de son vieil ami. Il n'était pas dans ses habitudes de cacher des choses à MacLeod, même en ce qui concernait les guetteurs... "Bah, après tout, se dit-il, cela n'a peut-être aucun rapport avec moi, alors pourquoi Joe viendrait-il me parler d'une chose qui ne me regarde pas ?"

 

Remontant dans sa voiture, il décida de passer voir Methos. Peut-être pourrait-il l'aider à trouver des réponses à propos de Lee-Ann. Malheureusement, le plus vieil Immortel non plus ne semblait pas être chez lui.

 

"Eh bien tant pis, se résigna MacLeod, je me passerai d'eux pour l'instant."

 

Il ne manquerait cependant pas de leur en toucher un mot dès que l'un ou l'autre serait de retour à Seacouver.

En attendant, il lui fallait s'occuper de Lee-Ann. Puisqu'elle voulait apprendre à se battre, il lui enseignerait le maniement de l'épée. Mais il comptait également essayer de gagner la confiance de la jeune femme  pour l'amener à s'ouvrir à lui et livrer le secret qui la hantait.

 

* * *

 

            Restée seule, Lee-Ann s'assit sur le canapé, se demandant quelle pourrait bien être la décision de MacLeod. Sa réaction était surprenante, et elle ne savait qu'en penser. Se pourrait-il qu'il refuse ? Elle ne le croyait pas vraiment, mais sa conduite la laissait perplexe et quelque peu désemparée. Peut-être aurait-elle dû se tourner plutôt vers Joe... Non, il lui fallait couper tout lien avec les guetteurs pour l'instant. Mieux valait qu'ils la croient morte. Si personne ne savait où elle était, alors personne ne serait en mesure de le révéler, de gré ou de force. Et puis, elle avait promis à Sam d'aller trouver MacLeod. Il connaissait suffisamment le Highlander pour prévoir sa réaction et savoir qu'il accepterait d'aider Lee-Ann, quelle qu'en soit la raison. Ses derniers mots avaient été pour que Lee-Ann lui fasse le serment de demander la protection de Duncan, et elle avait tenu parole. Mais Lee-Ann s'était également fait une promesse à elle-même : elle vengerait Sam, coûte que coûte. Même si elle devait y laisser la vie, elle n'aurait de répit avant d'avoir eu la tête de Karl. MacLeod deviendrait non seulement son protecteur comme l'avait souhaité Sam, mais également son maître d'armes.

 

            Ses réflexions avaient une fois de plus ramené à elle le souvenir de Sam, et elle se leva pour chasser ses pensées et ne pas céder place au chagrin. Elle savait que le temps finirait par panser ses plaies et que la douleur s'estomperait finalement, mais pour l'instant la souffrance qui l'étreignait depuis cinq jours était si forte qu'elle en avait du mal respirer.

 

            Lee-Ann décida donc de s'occuper, et elle entreprit en premier lieu de faire le tour du propriétaire. Après un rapide coup d'œil à l'étage, elle descendit au dojo. Là, elle ne trouva que quelques tatamis, de grands bâtons de bois utilisés pour l'entraînement au kendo et un vieux sac de punching-ball. Des espaliers contre le mur du fond, et le bureau vide de MacLeod à droite. Saisissant un des bô, elle s'employa à le manier de son bras valide, mais manquait de dextérité. Elle-même était entraînée à quelques techniques de combat, notamment grâce à l'enseignement de Sam qui excellait dans presque toutes les sortes de boxe. Lee-Ann avait une préférence pour la boxe française, la savate, que son père pratiquait également.

 

Elle tenta de se concentrer sur le bâton, le faisant tournoyer autour d'elle d'un rapide mouvement du poignet, mais son geste manquait de fluidité. Elle faisait dos à la porte et ne vit donc pas MacLeod entrer sans bruit dans le dojo. Il s'arrêta sur le seuil et l'observa quelques instants avant de lui lancer :

 

"Eh bien, je vois que vous ne perdez pas de temps ! !"

 

Surprise, Lee-Ann se retourna brusquement, en position de défense, brandissant le boken devant elle comme pour parer une éventuelle attaque. Reconnaissant MacLeod, elle abaissa le sabre et répondit, furieuse et gênée de s'être ainsi laissée surprendre :

 

"Comme vous voyez..."

 

Elle se retourna vers le mur pour remettre l'arme à sa place et vint rejoindre MacLeod dans le monte-charge pour regagner l'étage. Ce dernier l'observa en coin : elle était légèrement essoufflée par l'effort, et sa poitrine se soulevait à un rythme rapide. Quelques gouttes de sueur perlaient sur son cou et son front que Lee-Ann essuya d'un revers de la main, écartant les mèches rebelles qui retombaient devant ses yeux. MacLeod prit soudain conscience de la certaine attirance qu'il éprouvait pour la jeune femme, et détourna son regard d'elle, gêné.

 

Arrivés au premier, elle releva elle-même la barrière de bois et alla prendre place dans le canapé sans mot dire. MacLeod sortit de l'ascenseur, et Lee-Ann remarqua seulement alors les paquets qu'il tenait à la main. Il alla en poser un sur le plan de travail de la cuisine et, gardant les deux plus gros, il rejoint Lee-Ann et les lui tendit avec un sourire :

 

"C'est pour vous. Il me semble avoir pris les bonnes tailles, j'espère que cela vous conviendra."

 

Lee-Ann ouvrit le sac et en sortit, médusée, un jean, un pantalon de toile noire, un jogging, plusieurs tee-shirts de forme et de couleurs différentes, un sweat-shirt, un plus petit sac contenant des sous-vêtements et, pour finir, une brassière et un short d'une grande marque sportive. Le second paquet contenait une paire de baskets blanches et une paire de chaussures de marche.

 

"Nous verrons plus tard pour le reste, mais c'est tout ce dont vous aurez besoin pour l'instant."

 

Lee-Ann le dévisageait sans mot dire. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : MacLeod acceptait de l'aider. MacLeod lui rendit son regard et lui sourit une fois de plus. D'un geste, il balaya les mots que Lee-Ann cherchait et, se dirigeant vers la cuisine, ajouta d'un ton léger :

 

"Nous partons cet après-midi pour commencer votre entraînement, mais en attendant, j'ai une faim de loup, pas vous ?"

 

* * *

 

 

Chapitre 2

 

MacLeod engagea le 4x4 dans le petit chemin qui disparaissait presque entièrement sous les broussailles et manœuvra le plus délicatement possible pour éviter branches et nids-de-poule. Lee-Ann était endormie depuis presque une demi-heure. Son sommeil semblait paisible, et sachant quelle nuit agitée elle avait passé, il préférait ne la réveiller qu'au dernier moment

 

Ils arrivèrent enfin au chalet et MacLeod gara la voiture à l'arrière de la petite maison, là où elle serait le moins visible. Il serra le frein à main, éteignit les phares puis se tourna vers Lee-Ann. Sa tête reposait sur son épaule contre la ceinture de sécurité et ses cheveux détachés recouvraient son visage. MacLeod tendit la main pour écarter les mèches tombant sur son front mais Lee-Ann s'éveilla à ce moment-là, alertée par la soudaine absence de mouvement du véhicule. MacLeod retira sa main vivement, gêné sans savoir pourquoi de son geste avorté.

 

"Nous sommes arrivés?" demanda-t-elle d'une voix légèrement ensommeillée.

 

"Exact !" répondit MacLeod, ouvrant la porte du 4x4 pour sortir. "Vous allez voir, un véritable petit coin de Paradis blotti dans les bois. Confort, tranquillité, et...entraînement !",  ajouta-t-il avec un sourire comme il lui ouvrait la portière côté passager et lui tendait la main pour l'aider à descendre.

 

            Au lieu de cela elle sauta prestement du marchepied et fit quelques pas, jetant un coup d'œil autour d'elle. Le soleil était en train de se coucher mais les dernières lueurs du jour étaient suffisantes pour embrasser du regard le paysage alentour. Le chalet était aux trois quarts bordé par la forêt de pins et autres conifères dont la sève répandait un parfum suave. Lee-Ann inspira profondément : l'odeur était très différente de celle de la nature européenne qu'elle connaissait bien et affectionnait tant. Quelques grillons hardis entonnaient déjà leur chant nocturne, tandis que les oiseaux lançaient leurs derniers trilles comme pour se souhaiter bonne nuit.

 

            La face avant de la maison, tournée vers l'ouest, donnait sur un plateau formant un promontoire sous lequel s'étendait un lac, encaissé dans une petite vallée. Les derniers rayons du soleil disparaissant derrière la montagne se reflétaient dans les eaux calmes du lac, offrant à Lee-Ann un magnifique spectacle pour son arrivée. MacLeod la rejoignit sur le promontoire. Il ne se lassait jamais d'admirer le soleil s'évanouissant ainsi derrière la crête de la colline pour aller répandre sa chaleur et sa lumière vers d'autres contrées.

 

            Une légère brise se leva à l'instant précis où le dernier rayon se fondait dans les eaux obscures, laissant finalement place aux ténèbres pour quelques heures, et Lee-Ann frissonna sous le gros pull emprunté à MacLeod. Celui-ci esquissa une fois encore un geste vers elle, comme l'entourer de son bras, mais Lee-Ann fit demi-tour et retourna vers la voiture avant même qu'il n'ait terminé son mouvement.

 

            Elle prit ses quelques affaires dans le coffre, suivie de MacLeod qui se dirigea ensuite vers la porte du chalet. C'était une construction en bois simple, de plain-pied, entourée de trois quarts par une terrasse de planches brutes que les éléments avaient, au fil des années et malgré l'avancée du toit, fini par détériorer. Duncan déverrouilla la porte et la précéda à l'intérieur, allumant la lumière. Lee-Ann entra alors dans un petit vestibule qui devait également servir de remise car deux immenses étagères remplies de bocaux et vivres diverses tapissaient le mur. Elle imagina soudain MacLeod préparant conserves et confitures l'été venu, un tablier blanc tâché de jus de mûres autour de la taille, et ne put réfréner un sourire.

Une porte se présentait à sa gauche, que le Highlander ouvrit sur une petite cuisine. Tout comme le reste de la maison, celle-ci était en bois et très simplement aménagée : à sa gauche, sous la fenêtre, un évier, une vieille gazinière et un réfrigérateur. À sa droite, une simple table, deux chaises et un petit buffet. La cloison qui lui faisait face présentait une large ouverture sur toute la partie supérieure, ne séparant ainsi qu'à moitié la cuisine du séjour. Elle suivit MacLeod dans la pièce principale qui formait un L puis dans un petit couloir sur la droite.

 

"Salle de bain", annonça-t-il laconiquement en désignant la première porte à gauche. Il en ouvrit une deuxième quelques pas plus loin, alluma la lumière, et invita Lee-Ann à entrer.

 

"Et votre chambre", ajouta-t-il. La pièce ne comprenait qu'un large lit sur lequel Lee-Ann déposa son sac, une table de chevet et une imposante armoire rustique.

 

"Ce n'est pas le grand luxe mais..."

 

"C'est parfait MacLeod", l'interrompit Lee-Ann, se tournant vers lui. "Vraiment parfait", ajouta-t-elle avec un sourire.

 

"Bien !", lui répondit-il en souriant à son tour, "Je vais chercher le reste des affaires. Faites comme chez vous."

 

Il fit demi-tour et Lee-Ann se dirigea vers la porte-fenêtre à droite. Elle ouvrit les battants, poussa les épais volets dont le bois gémit plaintivement et sortit sur la terrasse. Les planches craquaient sous ses pieds. Le promontoire sur lequel ils avaient admiré les derniers rayons du soleil était à quelques pas, et elle pouvait deviner les eaux noires du lac en contrebas. Il faisait nuit maintenant, et le ciel sans nuage au-dessus des montagnes était constellé d'étoiles. Accoudée à la rambarde, elle dirigea son regard vers le firmament, et il lui sembla un instant apercevoir parmi les astres le visage de Sam lui souriant. Fermant les yeux, elle inspira profondément et chassa la vision de son esprit. Un grincement derrière elle la fit sursauter et, se retournant, elle vit sur sa droite MacLeod ouvrant les volets de sa chambre.

 

"Profitez-en pendant qu'il est temps", lui dit-il, la rejoignant sur la terrasse. "Les nuits sont encore fraîches, mais d'ici quelques jours les moustiques nous rendrons la vie impossible, vous verrez !"

 

            Elle sourit une fois de plus, de ce sourire empreint de la tristesse que MacLeod espérait déjà voir disparaître.

 

"Vous voulez manger quelque chose?", demanda-t-il. "Il y a de..."

 

"Non, ça ira, je vous remercie. Je crois que je vais aller me coucher, si vous n'y voyez pas d'inconvénient..."

 

"Non, vous avez bien raison, dormez, car demain commence ce pour quoi vous êtes venue me trouver, et je peux vous dire que vous allez être servie !", répondit-il avec un air malicieux. "Bonne nuit.", ajouta-t-il avant de se diriger vers sa fenêtre.

 

"MacLeod !"

 

"Oui ? "dit-il en se retournant vers elle.

 

Elle le fixa un instant sans mot dire, ses yeux verts plongeant dans ceux du Highlander de cet air à la fois déterminé et fragile qu'il ne tarderait pas à connaître.

 

"Merci, MacLeod", reprit-elle finalement d'une voix douce.

 

Il ne répondit pas, se contentant de hocher la tête avant de regagner sa chambre.

 

Lee-Ann rentra dans la sienne. Elle ne referma pas les volets, et entrebâilla la porte-fenêtre de façon à laisser passer un mince filet d'air. Elle n'aurait sûrement pas froid sous l'épaisse couverture de Patchwork recouvrant le lit. Sans prendre la peine de défaire son sac, elle enfila l'un des tee-shirts achetés par MacLeod et se glissa entre les draps avant d'éteindre la lumière. Elle espérait que sa fatigue lui permettrait de plonger rapidement dans un sommeil sans cauchemar. Mais le même rêve revint à nouveau la hanter.

 

* * *

 

"Lee-Ann? Lee-Ann, tu es là?"

 

"Par ici Sam!" l'entendit-il répondre joyeusement.

 

Sam contourna la maison et aperçut Lee-Ann à l'orée de la forêt, sur le petit sentier menant à la rivière.

L'apercevant à son tour, elle lui sourit, levant la main pour lui faire signe. Spike gambadait autour d'elle, sa queue fouettant l'air avec enthousiasme, et il se mit à japper en apercevant son maître qui se dirigeait vers eux sur le chemin les ramenant à la maison.

 

"Où étais-tu?", demanda Sam, inquiet, "je t'ai cherchée partout!"

 

"Je suis seulement partie faire une promenade, Sam. Nous sommes descendus à la rivière. Allons, ne t'inquiète pas, Spike était là tu sais, en bon chien de garde!" Elle se baissa pour passer ses bras autour du cou du berger allemand et le gratter énergiquement entre les oreilles.

 

"Et puis regarde, elles sont jolies, non?", ajouta-t-elle avec son plus beau sourire, brandissant un bouquet de fleurs sauvages multicolores.

 

"Lee-Ann...", répondit Sam en la prenant dans ses bras. "Lee-Ann, tu sais bien que Spike n'est qu'un chien. Il ne pourra rien si..."

 

"Je sais!", l'interrompit-elle, se dégageant brusquement de son étreinte, "mais rien ni personne ne pourra rien s'il nous retrouve Sam, tu le sais. Nous fuyons déjà, allons-nous devoir également nous terrer dans un blockhaus pour le reste de nos jours?", ajouta-t-elle, les yeux remplis de larmes de rage et d'impuissance. Elle jeta violemment les fleurs au loin, se détournant de lui.

Sam l'enlaça à nouveau, malgré sa résistance, la serrant fort tout contre lui, et lui murmura à l'oreille :

 

"Je sais Lee-Ann, pardonne-moi, je suis désolé, j'ai eu peur...Chut, tout va bien, tu as raison, personne ne nous trouvera ici...Chut...", Il la berça tendrement jusqu'à ce qu'elle s'apaise, et ils retournèrent ainsi l'un contre l'autre vers la petite maison.

 

Huit heures plus tard, Sam mourait dans ses bras.

 

* * *

 

Une délicieuse odeur de café frais et de bacon grillé tira Lee-Ann du sommeil dans lequel elle avait fini par sombrer au lever du jour.

Elle était restée éveillée une partie de la nuit après le cauchemar, craignant une fois encore de se rendormir pour le revivre à nouveau. Elle n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, mais une lumière éclatante baignait la chambre, signe que le soleil brillait déjà depuis quelque temps.

Elle enfila une vieille robe de chambre trouvée dans l'armoire aux côtés d'une paire de draps et de linge de toilette et sortit pour rejoindre MacLeod dans la cuisine.

 

"Bonjour !" lui lança-t-il. "Bien dormi ?"

 

"Comme un bébé" répondit Lee-Ann sans croiser son regard.

 

            Il savait qu'il n'en était rien car il l'avait à nouveau entendue gémir et parler pendant son sommeil, mais il préférait ne pas lui en faire part. L'inconscient devait parfois traiter seul de problèmes que la raison préférait ignorer, ou oublier.

 

Il avait sorti la table et les chaises sur la terrasse de façon à pouvoir profiter du soleil matinal pour le petit-déjeuner et y disposa deux assiettes garnies d'œufs brouillés au bacon. Tandis que Lee-Ann prenait place, il alla chercher deux tasses de café et deux verres de jus de fruit.

 

"Rien de tel qu'un petit-déjeuner consistant pour démarrer une journée d'entraînement!" déclara-t-il en s'asseyant à son tour.

 

            La tête rejetée en arrière, les yeux fermés, Lee-Ann laissait les rayons caresser son visage.

 

"Quel est le programme ?", demanda-t-elle, se tournant vers le Highlander.

 

"En premier lieu, un peu d'endurance, que je vois ce dont vous êtes capable...", répondit-il avec un air mystérieux. "De plus, il faut laisser du temps à votre bras. Tenue recommandée : shorts et chaussures de marche !"

 

            Lee-Ann termina son café mais se contenta de quelques bouchées d'œufs brouillés. Elle retourna ensuite à l'intérieur pour se doucher et se préparer. Lorsqu'elle se fut habillée, son bras bandé de neuf, elle retrouva MacLeod sur la terrasse. Les cheveux du Highlander étaient, comme à l'accoutumée, ramenés en arrière en une simple queue-de-cheval. " Un catogan " corrigea-t-elle mentalement.

Lee-Ann quant à elle avait opté pour de courtes nattes, afin de dégager sa nuque pour ne pas souffrir de la chaleur. On était au premier jour du printemps, la journée s'annonçait belle, et elle ne doutait pas que la balade proposée par MacLeod lui ferait bientôt apprécier avec gratitude la fraîcheur des sous-bois.

Rien ne lui permettant de camoufler la cicatrice de son poignet, elle avait décidé de ne plus s’en soucier. Il ne faisait de toute façon aucun doute que MacLeod l’avait à présent remarquée, et continuer à la dissimuler ne pourrait que faire naître des soupçons. Elle aviserait en temps et en heure s’il décidait de la questionner à ce sujet, ce dont elle doutait fort cependant.

 

"Prête?", lui demanda-t-il en lui tendant un sac à dos léger contenant de l'eau et des provisions pour la journée.

 

"Allons-y!"

 

Elle emboîta le pas de MacLeod qui se dirigea vers l'est, à l'opposé du promontoire dominant le lac, empruntant un petit sentier qui s'enfonçait dans la forêt.

La légère brise faisait bruisser les jeunes feuilles des arbres et berçait les cimes des pins. Le chemin commença à monter au bout de quelques centaines de mètres, et MacLeod continua à le suivre. La terre était humide, meuble, tapissée d'aiguilles de conifères, offrant ainsi une résistance élastique idéale sous leurs semelles. La côte se révéla bientôt de plus en plus raide, et le sentier ne devint plus qu'une trace qui s'effaça peu à peu parmi les rochers. L'ascension se fit plus lente et plus difficile, mais Lee-Ann continuait de suivre de près MacLeod qui progressait avec aisance, prenant appui ici ou là pour escalader un talus ou enjamber une dépression.

 

Ils marchèrent ainsi toute la matinée sans échanger un seul mot. MacLeod s'arrêtait parfois pour tendre la main vers une branche ou le sol, doigt tendu, et Lee-Ann découvrait alors un écureuil, un pic-vert, ou l'empreinte d'un orignal dissimulée sous le feuillage.

Seul le pépiement des oiseaux les accompagna jusqu'à la mi-journée, où, arrivés sur un haut plateau, ils s'assirent enfin pour déjeuner. La vue était encore plus magnifique que celle dont avait profité Lee-Ann la veille, offrant un panorama de vallées aux lacs encaissés et de montagnes à la végétation dense et verdoyante sous les premiers rayons de soleil du printemps.

 

MacLeod l'observa en coin, tandis qu'elle mouillait un pan de son tee-shirt avec un peu d'eau de sa gourde pour se rafraîchir le visage. Elle ne s'était laissée distancer à aucune reprise, le suivant pas à pas malgré le rythme soutenu et la progression difficile. Elle devait bien savoir que c'était un test, et elle comptait apparemment le passer avec succès, tout comme elle avait cherché à impressionner MacLeod auparavant. Et il devait bien admettre qu'elle s'en tirait haut la main. À part la blessure de son bras, elle était en effet en excellente condition physique et ferait une remarquable élève. Elle se révélait donc un véritable challenge à tous points de vue pour MacLeod, et il lui tardait de commencer pour de bon l'entraînement afin d'évaluer son potentiel réel.

 

Il ne s'était pas rendu compte qu'il avait gardé les yeux rivés sur elle le temps de sa réflexion, et elle le dévisageait maintenant perplexe, scrutant son visage pour tenter d'y lire le reflet de ses pensées, tandis que la légère brise qui se levait faisait voltiger sur son front les quelques mèches échappées de ses tresses.

 

MacLeod retourna à son sandwich et Lee-Ann dirigea à nouveau son regard vers l'horizon. Le ciel était d'un bleu lumineux, parsemé çà et là de petits nuages blancs semblables à quelques moutons égarés. Le silence de MacLeod faisait partie de l'entraînement, devina-t-elle, mais elle n'était pas fâchée de cette tranquillité muette - et complice.

 

Ils reprirent la route au bout d'une heure, passant rapidement sur l'autre versant de la montagne pour amorcer une descente non moins fatigante que l'escalade du matin car plus périlleuse. MacLeod progressait avec prudence, effectuant chaque pas avec soin, et Lee-Ann, attentive, posait ses pieds à l'endroit même où le Highlander laissait une empreinte invisible. Au bout de deux heures de marche, le clapotis de l'eau se fit entendre faiblement, et ils atteignirent bientôt un ru étroit serpentant entre les arbres et les rochers pour dévaler la montagne. MacLeod le suivit sur environ un kilomètre avant de faire signe à Lee-Ann de s'arrêter. Il mit un doigt sur ses lèvres avec un sourire pour lui intimer la plus grande précaution, et, la prenant par son bras valide, la mena sans bruit à quelques pas. Ils s'accroupirent et MacLeod tendit la main vers le bas. Le visage de Lee-Ann s'éclaira à son tour.

 

Le petit ruisseau s'élargissait rapidement devant eux jusqu'à former une vaste étendue d'eau. Un barrage de branchages retenait la progression du courant sur le bas de la pente, tandis qu'en contrebas une série de petits bassins se succédaient les uns aux autres avant que le cours d'eau ne reprenne sa route le long des flancs boueux du versant. Quatre petits lacs se succédaient ainsi en paliers réguliers de taille décroissante, séparés les uns des autres par la même construction de bois mort empêchant l'eau de poursuivre sa course trop rapidement vers le bas du coteau. Lee-Ann réalisa alors que la plupart des arbres alentour avaient été abattus, formant une clairière hérissée de souches et de branches taillées par le petit rongeur aux dents longues qui avait décidé de s'installer ici.

 

Le castor avait bâti sa hutte au milieu du premier bassin.

 

Lee-Ann et MacLeod demeurèrent immobiles et silencieux un long moment, les yeux rivés sur le minuscule ouvrage. Lee-Ann n'aurait su dire combien de temps ils restèrent ainsi accroupis sans bouger, mais un léger frémissement fini par agiter les eaux calmes, non loin de demeure du castor. Une onde concentrique se propagea lentement, tandis qu'au centre apparaissait un petit museau curieux, bientôt rejoint par les yeux et les oreilles qui formèrent ainsi la tête du petit animal qu'ils guettaient depuis leur arrivée. Nageant silencieusement, le castor contourna l'îlot de sa tanière et s'y hissa. Prenant appui sur ses pattes arrière et sa queue musclée, il se redressa, museau tendu, pour humer l'air. Malgré la distance, Lee-Ann et MacLeod pouvaient distinctement voir frémir ses moustaches tandis qu'il tournait la tête de droite à gauche, attentif. Il se figea soudain, tous ses sens en alerte. En un mouvement vif, il leur fit face, et Lee-Ann aurait pu jurer qu'en cet instant ses petits yeux bruns rencontrèrent directement les siens. Il conserva la pose quelques instants, juché sur son arrière-train, puis plongea brusquement pour disparaître sans bruit dans les eaux paisibles.

            Sans un mot, MacLeod lui effleura le bras, donnant ainsi le signal du départ. Ils reprirent leur chemin, silencieux. Ce ne fut que lorsqu'ils atteignirent une clairière plus dégagée que Lee-Ann réalisa que le soleil amorçait déjà sa descente vers les collines. La lumière commença à diminuer alors qu'ils arrivaient au pied de la montagne, et lorsqu'ils atteignirent enfin le chalet, ce fut pour voir disparaître les derniers rayons à l'horizon. Lee-Ann s'approcha du promontoire pour observer à nouveau les ultimes instants du coucher de soleil. MacLeod l'y rejoignit.

 

            Lee-Ann conserva le silence, attendant que le Highlander prenne la parole. Au bout de quelques minutes, il finit enfin par parler :

 

"Je m'occupe du dîner, si vous voulez aller prendre une douche ou vous reposer..."

 

"Merci", répondit-elle. "Je crois en effet qu'une bonne douche fraîche me fera le plus grand bien", ajouta-t-elle en souriant, se dirigeant vers l'entrée de la maison.

 

Lorsqu'elle revint dans le séjour, vêtue du jean délavé et d'un tee-shirt blanc, pieds nus, ses cheveux encore mouillés libres sur ses épaules, MacLeod finissait de dresser la table.

Une flambée était allumée dans la cheminée, et Lee-Ann réalisa que si la journée avait été belle et chaude, cette première soirée de printemps était encore assez fraîche pour justifier agréablement un bon feu. Une appétissante odeur provenant de la cuisine où mijotait une marmite rappela soudain à Lee-Ann qu'elle était affamée.

Tandis que MacLeod prenait son tour dans la salle de bain, elle s'assit dans l'un des confortables fauteuils face à l’âtre et repensa à l'agréable balade qu’avait été cette première journée d’entraînement. L’effort et le grand air avaient eu comme effet d’éloigner pour quelques heures les souvenirs qui la taraudaient. Lee-Ann espérait avoir été à la hauteur des espérances du Highlander, et se demandait bien ce que MacLeod lui réservait pour le lendemain. Lorsqu’elle lui posa la question alors qu’ils passaient à table, il sourit.

 

"Eh bien, étant donné que vous semblez posséder toutes les qualités requises - endurance, équilibre, souplesse - pour maîtriser la discipline que vous désirez apprendre, nous pourrons dès demain passer à l’étape suivante pour voir ce que vous savez faire en la matière. D’après le peu que j’ai vu hier, vous semblez déjà connaître quelques techniques de combat, non ?"

 

"Oui, je pratique un peu, la savate surtout. C’est mon père qui me l’a apprise".

 

"La boxe française ? C’est un art martial très intéressant et très complet. C'est aussi un de mes préférés. Votre père était français ?"

 

"Non, irlandais, mais j'ai vécu en France pendant un certain temps..."

 

            Elle se tut, baissant les yeux comme pour signifier qu’elle n’en dirait pas plus sur ce sujet - pour ce soir du moins. MacLeod se demanda soudain si son père était l’un des deux hommes qu’elle avait appelés à plusieurs reprises dans son sommeil. Sam peut-être, Karl n’étant pas un prénom aux consonances irlandaises. Encore une bribe d’indice dans cet enchevêtrement incompréhensible de renseignements qu’il commençait à glaner à propos de la jeune femme.

 

"Vous parlez donc français, je suppose ?" lui demanda-t-il dans la langue de Molière.

 

"Bien sûr, c'est une langue que j'adore !" répondit-elle dans un français impeccable, sans même une pointe d'accent.

 

            Ils bavardèrent ainsi en français pendant le reste du repas, tout en prenant garde l’un comme l’autre à ne pas aborder de sujets trop personnels. Lee-Ann lui parla cependant de son entraînement au combat, sans mentionner que c’était Sam qui avait parfait sa technique à la mort de son père.

Elle devait admettre que MacLeod se révélait un excellent cuisinier : le dîner était délicieux. Lee-Ann insista ensuite pour faire la vaisselle, et, tandis que le Highlander restait lire au coin du feu, elle préféra aller se coucher.

            Cette nuit-là, elle dormit d’un sommeil sans rêves.

 

* * *

 

Elle s’éveilla aux prémices de l'aube le lendemain et s’habilla rapidement. Elle s’arrêta dans la cuisine pour une tasse de café, mais y renonça finalement, se sentant légèrement nauséeuse rien qu’à l’odeur de l’arabica se répandant dans la pièce. Elle se dit que cela devait être lié aux antibiotiques pour son bras, et, empruntant la veste de survêtement de MacLeod accrochée dans l’entrée, sortit dans l’air humide du matin. Le soleil ne se lèverait pas avant de longues minutes, mais déjà la luminosité ambiante était suffisante pour y voir clair.

Elle ne savait pas à quelle heure MacLeod avait fini par se coucher, et elle avait décidé de commencer l'échauffement sans lui. Ayant repéré le sentier qui descendait au lac, elle le suivit au pas de course. L’herbe encore humide de rosée imprégnait ses chaussures. Elle atteignit le bord du talus et descendit au ralenti la pente sablonneuse. Elle faillit tomber lorsque son pied glissa sur une motte d’herbe détrempée, mais, balançant ses bras à l'horizontale tel un funambule, elle rétablit son équilibre de justesse.

Arrivée aux abords du lac, elle reprit sa course le long de la petite plage de sable et de boue mélangés. Elle put parcourir environ deux cents mètres avant que la forêt, formant un écran plus dense, ne lui barre le passage au nord. La piste suivant le contour du lac devait bien totaliser cinq à six kilomètres, alternant rives boisées et étendues similaires à celle sur laquelle Lee-Ann se trouvait. Elle préféra ne pas continuer plus loin, et, revenant sur ses pas à petites foulées, s’immobilisa et tourna le dos au promontoire pour effectuer quelques assouplissements. La brise matinale créait à la surface de l'eau de minuscules vagues venant doucement mourir aux pieds de Lee-Ann. Elle détendit d'abord ses chevilles par de petits mouvements de rotation, puis les genoux et les cuisses, avant de passer aux bras (en douceur pour le gauche) et aux poignets. La nuque pour finir.

Enfin, fermant les yeux, elle inspira profondément, leva les bras au ciel, et demeura ainsi un long moment, étirant tous les muscles de son corps au maximum. Le soleil fit doucement son apparition derrière elle, tandis que MacLeod l'observait en silence depuis le promontoire.

 

            Lorsqu'elle remonta environ une demi-heure plus tard, elle trouva le Highlander attablé à l'extérieur comme la veille. Du café l'attendait au chaud, et elle s'en servit une tasse, heureuse que le malaise dû aux médicaments se soit dissipé.

 

"Puisque vous êtes déjà échauffée, commençons tout de suite", lui lança joyeusement MacLeod.

Il se dirigea vers le 4x4 et sortit deux bô du coffre. Il invita Lee-Ann à le suivre sur le plateau rocheux et, se postant à sa droite, tous deux face au vide, lui tendit un des bâtons. Jetant un coup d'œil de côté, MacLeod constata avec satisfaction que la jeune femme avait automatiquement adopté la position de base de la plupart des techniques de combat - jambes fléchies, espacées de la largeur du bassin, pied droit en avant.

 

"Tenez-le bien en son centre, afin d'en conserver la maîtrise et l'équilibre, puis faites-le tourner. Le mouvement doit être imprimé par le bras et contrôlé par le poignet. Allez-y, comme vous le faisiez l'autre jour".

 

            Lee-Ann répéta mentalement la manœuvre, et se mit à faire tournoyer le bô de droite à gauche, se concentrant pour conserver le rythme de MacLeod et être en synchronisation avec lui. D'un mouvement ample et lent au début, il augmenta progressivement la cadence pour parvenir à une allure plus soutenue. Lee-Ann commença bientôt à ressentir la fatigue dans les muscles de son épaule et de son bras, mais n'en conserva pas moins le rythme. Il était hors de question qu'elle arrête avant le feu vert de MacLeod. Celui-ci poursuivait le mouvement, corrigeant ses erreurs par de brèves indications. Ils furent tous deux rapidement en nage sous les rayons du soleil printanier, mais rien dans l'attitude de MacLeod ne laissait supposer que l'exercice prendrait bientôt fin.

            Soudain, Lee-Ann réalisa qu'elle ne sentait plus son bras, tout en continuant de maîtriser la rotation du bâton. Son geste se faisait plus fluide et prenait même davantage d'ampleur, comme si elle était passée en pilotage automatique. Elle comprit que c'était précisément là que MacLeod voulait en venir : l'effort exténuant et douloureux avait pour but de sublimer ses capacités pour lui permettre d'exercer un contrôle encore plus parfait sur l'arme, tout comme le plongeur trouve un second souffle au moment où il pense ne plus avoir suffisamment d'oxygène.

            Lorsque le Highlander réalisa qu'elle avait en effet atteint puis dépassé ses propres limites, il ralentit la cadence puis s'arrêta. Il lui indiqua ensuite comment reprendre sa respiration sans s'essouffler et lui fit faire quelques étirements pour chasser les crampes.

 

"Très bien, nous nous occuperons du bras gauche lorsqu'il sera tout à fait remis. Maintenant, montrez-moi un peu ce dont vous êtes capable en boxe française !"

 

            Il posa de côté les bô, se tourna vers elle, et se mit en position de défense. Lee-Ann ferma les poings à hauteur du visage, coudes à quarante-cinq degrés et bras droit en avant. Bien campée sur ses jambes, elle commença à sautiller sur place, effectuant par-là même une rotation autour de MacLeod. Il suivit son mouvement de façon à lui faire toujours face, et le combat s'engagea.

            Lee-Ann lançait des attaques que le Highlander contrait ou esquivait, sans riposter. Gauche, droite, jambe gauche, droite, droite, droite-gauche, jambe gauche à nouveau...MacLeod parait sans aucune difficulté, mais il savait que Lee-Ann n'y mettait pas toute la puissance ni la rapidité dont elle était réellement capable, comme si elle le jaugeait elle aussi.

Au fur et à mesure, elle sembla cependant prendre de l'assurance et ses attaques se firent plus vives et plus précises. MacLeod devait reconnaître qu'elle était douée, très douée même, surtout si l'on tenait compte de son bras blessé. Il savait cependant que sa motivation, qu'il supposait basée sur la haine et la vengeance, ne suffirait pas le moment venu à prendre l'avantage sur un adversaire plus puissant qu'elle, et pourrait au contraire l'entraver. De plus, il n'était pas question d'une lutte à mains nues (ni même avec des gants !), mais bien de lui enseigner le maniement de l'épée en vue d'un combat contre un Immortel. MacLeod n'avait évidemment pas l'intention de la laisser livrer une telle bataille, mais il devait faire ce qu'elle attendait de lui s'il voulait gagner sa confiance et l'amener à livrer son secret. Ce petit entraînement avait en outre pour avantage de lui permettre d'évaluer son potentiel au combat de façon générale. Et il ne s'était pas trompé la veille : elle possédait bien l'endurance, l'équilibre et la rapidité nécessaires. En revanche, elle devrait compenser sa faiblesse physique par une agilité et une souplesse supérieures. Et une technique irréprochable. Mais MacLeod ne doutait pas qu'elle en soit capable.

            Perdu dans ses réflexions, le Highlander ne vit pas venir le pied de Lee-Ann qui le cueillit sans douceur à la base du menton. Le choc le fit reculer de quelques pas, mais il retrouva rapidement son équilibre, furieux contre lui-même d'avoir relâché sa vigilance un instant. Un coup d'œil au sourire s'étalant sur le visage de Lee-Ann lui apprit que le coup n'était nullement dû au hasard : elle avait profité de cette seconde d'inattention pour exploiter une ouverture. Massant sa mâchoire endolorie, MacLeod sourit à son tour. Après tout, n'était-ce pas là ce qu'un véritable combattant devait faire en toutes circonstances ? Profiter de la moindre opportunité pour prendre l'avantage. Comment pourrait-il lui en vouloir d'avoir parfaitement réagi à sa propre défaillance. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, et ravaler son orgueil pour saluer la performance.

 

"Bravo, je vois que vous profitez de chaque occasion, c'est une très bonne chose. Même si je dois admettre que je ne suis pas fier de m'être laissé avoir. Bon, eh bien, il me semble qu'une petite pause est la bienvenue."

 

            Après quelques assouplissements et étirements pour éviter d'éventuelles courbatures, ils regagnèrent la terrasse pour un repos bien mérité. Lee-Ann était plutôt fière de sa prouesse, et elle ne pouvait s'empêcher de sourire en songeant à l'expression de totale surprise qu'avait affiché le visage de MacLeod au moment où le coup l'avait atteint. Ce dernier l'observait encore. C'était la première fois qu'il la voyait vraiment sourire sans qu'aucune ombre ne vienne voiler cet éclat de joie, et cela lui réchauffait le cœur. Qu'importe si elle riait à ses dépens, ne l'avait-il pas mérité après tout ?!

 

            Le reste de la journée fut consacré aux premiers rudiments d'escrime. MacLeod l'initia au maniement de l'épée avec un sabre de bois qui lui avait auparavant servi pour l'enseignement de Richie. Elle avait beau être douée pour se battre, cette discipline était totalement nouvelle pour elle, et MacLeod devait tout lui en apprendre. Comment tenir l'arme, la position de base, la façon d'évoluer avec une épée à la main, toutes les règles et les principes fondamentaux avant de voir feintes et passes plus élaborées. Mais après tout, Lee-Ann semblait disposée à passer le temps qu'il faudrait pour y arriver, et MacLeod se prit à espérer que de nombreuses semaines lui soient nécessaires.

 

* * *

 

 

Chapitre 3

 

Le mois d'avril arriva rapidement, et les beaux jours se firent plus nombreux et plus chauds. La détermination de Lee-Ann n'avait en rien diminué, bien au contraire. Sa haine et son désir de vengeance s'intensifiaient à mesure qu'elle progressait à l'épée. Le même souvenir habitait toujours ses rêves. Elle revivait la mort de Sam presque chaque nuit, et se réveillait parfois le matin prise de vertiges. Il lui était même arrivé à plusieurs reprises de se précipiter dans la salle de bains pour vomir sous la pression de la colère et du chagrin. Heureusement, l'entraînement intensif de MacLeod lui permettait de s'occuper pleinement et de chasser la douleur, du moins pendant la journée. La tranquillité de la forêt alentour avait également un effet bénéfique, rassurant. Tout comme la présence du Highlander à ses côtés. Il était en tous points tel que Sam le lui avait décrit, tant physiquement que moralement. Un homme mu par un code de l'honneur et un sens moral d'un autre âge, même parmi les Immortels. Et Sam ne s'était pas trompé : il était vraiment le meilleur.

Lee-Ann savait désormais qu'elle n'était vraiment en sécurité nulle part sur cette Terre, pas tant que la tête de Karl n'aurait pas quitté le reste de son corps.

Aussi comptait-elle mettre tout en œuvre pour aller jusqu'au bout de sa vengeance.

Les journées se déroulaient de façon quasi identique : échauffement auprès du lac, puis révision des acquis. L'après-midi était en général consacré à de petits duels. MacLeod variait l'environnement au maximum, afin de permettre à Lee-Ann d'être opérationnelle sur n'importe quel terrain : forêt, rochers, sable...Il engagea même un jour le combat dans les eaux fraîches du lac. Les mouvements ralentis par le sable et l'eau qui leur arrivait à mi-cuisses obligèrent ainsi Lee-Ann à modifier son approche et sa façon de porter les coups. Ils furent rapidement trempés jusqu'aux os, les jambes engourdies par le froid ; la température du lac ne devait pas excéder 10 degrés. Les gerbes de gouttes d'eau projetées par leurs éclaboussures scintillaient sous les rayons du soleil qui, fort heureusement, brillait généreusement ce jour-là. Après plus d'une heure de cet épuisant exercice, ils s'étaient assis sur le sable brun pour profiter de la chaleur, laissant le soleil sécher vêtements et cheveux leur collant au corps. La peau laiteuse de Lee-Ann semblait indifférente à l'ensoleillement, et la jeune femme conservait son teint d'ivoire malgré une exposition régulière. Les rayons du soleil faisaient cependant ressortir ses taches de rousseur, qui adoucissaient ses traits et lui donnaient l'air d'une petite fille au visage grave.

 

            Peu à peu, la méfiance naturelle de Lee-Ann et ses réticences à se confier s'amenuisèrent, et elle accepta de révéler un peu plus d'elle-même à MacLeod - du moins ce qui n'avait pas trait aux récents événements et à ses liens avec les Immortels. Elle était née il y avait bientôt 28 ans de cela dans un petit village irlandais du comté de Galway. Son père, Daniel O'Donnell, était originaire de Dublin, mais sa mère était française. Ses parents s'étant séparés lorsqu'elle avait à peine 6 ans, elle avait alors quitté l'Irlande avec sa mère et avait grandi en Auvergne. Sa mère ne s'était jamais remariée et Lee-Ann confia à Duncan qu'elle avait compris bien plus tard qu'elle n'avait sans doute jamais cessé d'aimer son mari malgré leur séparation. Ils avaient apparemment divorcé à cause des absences répétées de son père dues à son travail, expliqua-t-elle. Lee-Ann se garda bien en revanche d'avouer à MacLeod l'activité réellement exercée par son père, ce qu'elle avait découvert bien des années après. De son enfance somme toute heureuse au milieu des volcans lui restait cet amour inconditionnel pour la nature et la montagne. Mais sa mère était morte alors que Lee-Ann venait d'avoir 14 ans, et elle était retournée en Irlande vivre avec son père. À sa majorité, et après avoir obtenu son bac en Irlande, Lee-Ann revint en France pour effectuer ses études de Droit à Paris. Les accords de Maastricht sur l'Union Européenne n'étaient pas encore en vigueur à l'époque, mais Lee-Ann fut admise sans difficultés car elle possédait la double nationalité franco-irlandaise.

 

"Et en quoi vous êtes vous spécialisée ?" lui demanda MacLeod, intrigué à l'idée de Lee-Ann plongée dans un énorme volume, disséquant les méandres de la loi au sein d'une bibliothèque obscure.

 

            Ils étaient assis sur la terrasse ce soir-là, à même les planches, une bière à la main. Le soleil était couché depuis environ une heure, et le chant des grillons ponctuait le récit de Lee-Ann.

MacLeod avait recoupé les quelques informations qu'il recueillait au fur et à mesure que Lee-Ann se confiait, et il avait maintenant acquis la certitude que la démarche de Lee-Ann était liée à une vengeance. Il avait déjà croisé sur son chemin tant d'hommes et de femmes animés par ce noir instinct : Ceirdwyn, Kristin ...

La perte de l'un des deux hommes dont Lee-Ann prononçait encore parfois le nom dans son sommeil devait être la raison de cette vengeance, et l'autre homme dont il était question était sûrement l'Immortel à l'origine du drame. Ce dernier était sans aucun doute la cible de Lee-Ann. Quant à l'homme qu'elle désirait venger, il ne s'agissait pas de son père comme il l'avait un instant envisagé puisqu'il ne se prénommait ni Sam ni Karl, mais Daniel. Lee-Ann n'ayant jamais fait mention de frère, il en déduisait que cet homme était son compagnon. A priori, il n'était pas son mari puisqu'elle ne portait pas d'alliance et s'était présentée à lui sous le nom de O'Donnell. Lee-Ann avait donc perdu un être aimé par la faute d'un Immortel, et elle désirait venger cette mort en provoquant en duel l'homme qui en était responsable pour le décapiter. Mais nombre de questions restaient encore en suspens. Lee-Ann et son compagnon étaient-ils liés aux Immortels avant le drame ? L'homme qui avait été tué était-il un des leurs ? Qui pouvait bien être l'Immortel coupable du crime ou de l'accident qui avait coûté la vie à l'autre ? Et surtout, pourquoi Lee-Ann était-elle venue le trouver lui, MacLeod ?

Une partie de ces interrogations pouvait éventuellement être résolue en trouvant l'origine de la cicatrice au poignet droit de la jeune femme : Duncan se demandait en effet si elle ne dissimulait pas un tatouage de guetteur que l'on aurait voulu faire disparaître... Certes, la méthode alors employée (la marque était sans conteste due à une brûlure) ne penchait pas en la faveur de cette hypothèse, mais MacLeod aurait aimé en avoir le cœur net.

 

            Joe aurait peut-être pu répondre à l'une ou l'autre de ces questions, mais il demeurait injoignable. MacLeod l'avait appelé à plusieurs reprises de la cabine publique lorsqu'il redescendait au village voisin pour faire quelques provisions, mais son domicile ne répondait pas, et au pub Mike lui apprit que le séjour de Joe en Europe avait été prolongé. Il n'avait aucune idée de la date de son retour.

            Methos aurait également pu lui être utile, mais ce dernier s'était comme à son habitude volatilisé depuis un mois environ. Il avait dû être pris d'une envie subite d'étudier les mœurs ancestrales des tribus aborigènes d'Océanie, ou peut-être avait-il du fuir précipitamment la ville devant un mari jaloux... On ne savait jamais ce qui pouvait passer par la tête de Methos. Il n'empêche que MacLeod avait pour une fois besoin de ses lumières de guetteur et qu'il était introuvable.

            En tout état de cause, la perte subie par Lee-Ann expliquait son désir de vengeance et ses fréquents cauchemars. Peut-être même avait-elle été témoin du drame, ce qui aurait également pu expliquer son bras blessé. La plaie était à présent complètement refermée et ne subsistait qu'une cicatrice rosâtre et boursouflée qui diminuerait avec les semaines. La meurtrissure psychologique guérirait aussi un jour, mais il savait que cela demanderait beaucoup plus de temps. Il se remémora l'immense désespoir et la terrible souffrance qu'il avait ressenti à la perte de Tessa cinq ans plus tôt. Lui-même aurait alors bien voulu pouvoir exercer une vengeance à l'encontre du coupable, mais il savait pertinemment que c'était lui, bien plus que le jeune drogué, qui était responsable de la mort de la jeune femme qu'il allait, finalement, épouser. Jamais il n'aurait dû la laisser retourner seule à la voiture avec Richie, et il était le seul à blâmer, ce qui rendait son deuil encore plus difficile.

            Mais le temps avait fait son affaire, et la blessure, même s'il savait qu'elle ne disparaîtrait jamais complètement, s'était peu à peu refermée. Il avait finalement surmonté le chagrin, comme il avait déjà eu à le faire par le passé, et il reprenait peu à peu le goût de vivre.

            Aussi avait-il décidé que son rôle auprès de Lee-Ann ne se bornerait pas à lui enseigner le maniement de l'épée, mais qu'il l'aiderait également à surmonter cette épreuve. C'est en la soutenant, en lui apprenant à survivre au chagrin et à la haine qui rongeaient son cœur qu'il lui apporterait ce dont elle avait réellement besoin. Il était bien sûr hors de question pour MacLeod de l'envoyer à une mort certaine dans un combat contre cet Immortel, mais le temps nécessaire à son apprentissage lui permettrait peut-être d'apaiser les sentiments confus qui l'animaient. Pour l'heure, il se contentait d'agir conformément aux attentes de Lee-Ann.

 

"Je suis criminologue."

 

"Pardon ?"

 

            Plongé dans ses réflexions, MacLeod avait perdu le fil de la conversation et rassembla rapidement ses esprits pour se rappeler la question qu'il venait de lui poser.

 

"Je veux dire, vraiment ?", reprit-il, penaud, lorsqu'il eut trouvé.

 

"Je me doutais que cela vous surprendrait, mais pas à ce point...", répondit-elle en souriant. "Eh bien, oui, je suis criminologue. C'est du moins ce qui est inscrit sur mon diplôme !", poursuivit-elle. "Mais je vous rassure, je n'ai pas pour autant intégré les services de Police, pas du tout. En fait, je fais principalement de la recherche. Après mon DEA de Sciences Criminelles, j'ai rédigé une thèse et passé mon doctorat que j'ai obtenu l'année dernière. Tout simplement."

 

"Et votre thèse, à quoi était-elle consacrée ?", lui demanda MacLeod, réellement intéressé.

 

"Un sujet tout à fait passionnant... L'intitulé exact était "Influence du milieu social et environnemental sur la récidive". Il en ressort grosso modo que si votre mère est alcoolique et votre père drogué ou absent, vous avez toutes les chances de finir braqueur de banques ou dealer. En tous les cas de violer la loi à plusieurs reprises, surtout si vous n'êtes pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Mais cela met également en lumière les lacunes du système répressif et surtout pénitentiaire car la prison n'est pas toujours la meilleure solution, loin s'en faut."

 

"Vous m'impressionnez", répondit Duncan sincèrement. "Votre père doit être très fier de vous !"

 

Une ombre passa sur le visage de Lee-Ann.

 

"Il est mort il y a 4 ans, avant que je ne commence ma thèse.."

 

"Oh ! Je suis désolé...". Il savait au moins maintenant pourquoi elle n'avait pas cherché réconfort auprès de son père.

 

"Ce n'est rien, vous ne pouviez pas savoir."

 

            Le silence retomba entre eux tandis qu'ils finissaient leur bière, sous le porche de la terrasse. La chaleur du jour s'était maintenant dissipée et une brise fraîche se levait, les faisant frissonner tous les deux.

 

"Rentrons", proposa MacLeod, "je vais allumer un feu..."

"Non, ce n'est pas la peine, je crois que je vais aller me coucher", répondit Lee-Ann en lui souriant. "Bonne nuit !"

 

            Elle gagna sa chambre, bientôt suivie par MacLeod qu'elle entendit entrer dans la sienne. Comme à son habitude, elle laissa les volets ouverts et entrebâilla la porte-fenêtre pour la nuit. Ses rêves étaient parfois si sombres qu'elle préférait profiter de la lumière du jour dès son réveil. Elle se coucha rapidement, remontant les couvertures jusqu'à son menton comme pour se protéger des fantômes qui la tourmentaient. Mais sans succès.

 

* * *

 

"Lee-Ann? Lee-Ann, tu es là?"

 

"Par ici Sam!" l'entendit-il répondre joyeusement.

 

Sam contourna la maison et aperçu Lee-Ann à l'orée de la forêt, sur le petit sentier menant à la rivière.

L'apercevant à son tour, elle lui sourit, levant la main pour lui faire signe. Spike gambadait autour d'elle, sa queue fouettant l'air avec enthousiasme, et il se mit à japper en apercevant son maître qui se dirigeait vers eux sur le chemin les ramenant à la maison.

 

"Où étais-tu?", demanda Sam, inquiet, "je t'ai cherchée partout!"

 

"Je suis seulement partie faire une promenade, Sam. Nous sommes descendus à la rivière. Allons, ne t'inquiète pas, Spike était là tu sais, en bon chien de garde !" Elle se baissa pour passer ses bras autour du cou du berger allemand et le gratter énergiquement entre les oreilles.

 

"Et puis regarde, elles sont jolies, non?", ajouta-t-elle avec son plus beau sourire, brandissant un bouquet de fleurs sauvages multicolores.

 

"Lee-Ann...", répondit Sam en la prenant dans ses bras. "Lee-Ann, tu sais bien que Spike n'est qu'un chien. Il ne pourra rien si..."

 

"Je sais!", l'interrompit-elle, se dégageant brusquement de son étreinte, "mais rien ni personne ne pourra rien s'il nous retrouve Sam, tu le sais. Nous fuyons déjà, allons-nous devoir également nous terrer dans un blockhaus pour le reste de nos jours?", ajouta-t-elle, les yeux remplis de larmes de rage et d'impuissance. Elle jeta violemment les fleurs au loin, se détournant de lui.

Sam l'enlaça à nouveau, malgré sa résistance, la serrant fort tout contre lui, et lui murmura à l'oreille :

 

"Je sais Lee-Ann, pardonne-moi, je suis désolé, j'ai eu peur...Chut, tout va bien, tu as raison, personne ne nous trouvera ici...Chut...", Il la berça tendrement jusqu'à ce qu'elle s'apaise, et ils retournèrent ainsi l'un contre l'autre vers la petite maison.

 

Sam ouvrit la lourde porte d'entrée et suivit Lee-Ann à l'intérieur. Spike se faufila à son tour dans l'entrebâillement pour se précipiter vers sa gamelle. Il fut déçu de trouver son bol vide et jappa doucement pour attirer l'attention de Lee-Ann. Tandis qu'elle versait le contenu d'une boîte de nourriture pour chiens dans la gamelle de Spike, elle entendait derrière elle Sam verrouiller comme chaque soir la porte en chêne à l'aide de plusieurs serrures et cadenas. Cette mesure se révélerait bien peu efficace contre Karl et ses sbires s'il les retrouvait, pourtant cette inutile précaution les rassurait.

 

Il retourna ensuite dans la pièce principale auprès de Lee-Ann et la prit de nouveau dans ses bras.

 

Ils vivaient tous deux la peur au ventre, tenaillés par la même angoisse. L'angoisse de cet homme qui tentait de les détruire depuis plus de deux ans. Si Sam craignait pour leurs vies à tous les deux, Lee-Ann elle ne se souciait que du sort de Sam, car elle savait ce qui les attendait si Karl les rattrapait. Ce qu'il lui réservait à elle n'était certes guère enviable, mais c'était la mort pure et simple qu'il destinait à Sam, et elle savait que Karl ne se priverait pas de faire durer son agonie.

 

A cette idée, un frisson la parcourut et Sam la serra plus fort. Elle sentait la chaleur de son corps tout contre le sien, son souffle sur sa nuque, et elle eut soudain terriblement envie de lui. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Sam prit doucement son visage dans ses mains et l'embrassa tendrement. Leurs baisers se firent plus passionnés tandis qu'il défaisait un à un les boutons de sa robe. Il la porta ensuite dans la petite chambre attenante et la déposa avec douceur sur le lit. Ils firent l'amour ce soir-là avec plus de tendresse et de passion que jamais, leurs gestes guidés par une ardeur empreinte de solennité, comme s'ils savaient que c'était la dernière fois.

 

* * *

 

Lee-Ann s'éveilla. La sensation des mains de Sam sur son corps était encore si douloureusement présente qu'une vague de chagrin la submergea. Elle sentit son estomac se nouer et fut prise de vertige en se levant. Elle parvint à contenir son malaise et à refouler sa peine. Ses larmes ne couleraient pas. Pas tant qu'elle n'aurait accompli son devoir. C'était une autre promesse faite à elle-même tandis qu'elle berçait tendrement le corps sans vie de Sam cette terrible nuit qui hantait encore ses rêves.

Heureusement, le soleil déjà levé l'aida à retrouver ses esprits.

Depuis leur arrivée au chalet à peine un mois plus tôt, ils n'avaient connu que de rares jours de pluie, pendant lesquels ils étaient restés à discuter près du feu. MacLeod en avait profité pour lui enseigner quelques aspects théoriques de l'escrime et du duel. Il lui avait raconté sa rencontre avec Connor, son mentor, avait relaté sa propre initiation, puis il lui avait appris comment il était devenu à son tour le maître d'armes d'autres jeunes immortels jusqu'à Richie. "Vous êtes la première mortelle à qui je transmette ce savoir", lui avait-il confié ce jour là, et Lee-Ann n'avait su si elle devait en être fière.

 

Elle enfila sa tenue d'entraînement, short et brassière, avant de rejoindre Duncan près du lac pour l'échauffement. Elle progressait rapidement, assimilant avec aisance les informations de MacLeod et la technique qu'il lui enseignait. Mais le Highlander savait qu'elle ne serait pas prête avant encore plusieurs mois, si elle l'était jamais, et il en était rassuré. Bien qu'elle n'ait toujours pas abordé la question des événements qui l'avaient conduite jusqu'à lui, elle se confiait plus volontiers à présent, et la relation complice qui se nouait entre eux en dépit du secret de Lee-Ann n'était pas pour lui déplaire.

Tandis qu'ils remontaient vers le chalet aux environs de midi, MacLeod ressentit la familière sensation liée à l'approche d'un Immortel, juste avant que le vrombissement d'un moteur en provenance du chemin qui montait jusqu'à leur retraite ne se fasse entendre. Il se figea un instant, puis contourna rapidement la maison pour accueillir l'arrivant.

Inquiète, Lee-Ann lui emboîta le pas. MacLeod avait sans aucun doute pressenti l'arrivée d'un Immortel... Qui pouvait être au courant de sa présence ? Son sang pulsa rapidement à ses tempes tandis que les battements de son cœur s'emballaient, mais elle n'en montra rien. Elle était en sécurité avec le Highlander, se rassura-t-elle. Mais l'était-elle vraiment ?

Une moto déboula bientôt et son cavalier freina brusquement, faisant déraper les roues de l'engin qui s'immobilisa à quelques mètres d'eux dans un nuage de poussière. MacLeod semblait déjà connaître l'identité du visiteur car il alla prestement à sa rencontre, souriant. L'inconnu enleva son casque qui révéla une tignasse blonde et bouclée, sous laquelle le visage d'un jeune homme aux traits juvéniles s'éclairait lui aussi d'un large sourire. Lee-Ann reconnu avec soulagement Richie Ryan, le protégé de MacLeod.

 

"Richie !", s'écria MacLeod en l'étreignant. "Tu es de retour ?"

 

"Mac ! Ca fait plaisir de te voir ! Je suis revenu hier, et quand j'ai vu que tu n'étais pas au dojo, je me suis dit que tu étais peut-être ici pour profiter du grand air ..."

 

            Les deux hommes s'embrassèrent de nouveaux, puis Richie se tourna vers Lee-Ann restée en retrait.

 

"Oh, mais je ne savais pas que tu n'étais pas seul Mac. Peut-être n'aurais-je pas dû débarquer sans prévenir...", ajouta-t-il en riant.

 

"Ne sois pas bête Richie ! Viens, je vais te présenter ma nouvelle recrue. Richie, voici Lee-Ann O'Donnell. Lee-Ann, Richie Ryan."

 

Lee-Ann s'avança et le cœur de Richie manqua un battement dans sa poitrine. Mais quel était le secret de MacLeod ? Elle était belle à couper le souffle ! Ses cheveux tirant sur le roux ramenés en arrière en une simple queue de cheval semblaient briller de mille reflets au soleil haut dans le ciel. Lorsqu'elle planta son regard dans celui de Richie, ses grands yeux verts lui firent l'effet d'une légère décharge électrique.

            Il rougit lorsqu'il se rendit compte qu'il n'avait toujours pas répondu à son salut et s'empressa de saisir la main tendue de Lee-Ann.

 

"Enchanté de faire votre connaissance..."

 

"Moi de même", répondit Lee-Ann avec un grand sourire, et Richie se sentit fondre.

 

            Le trio se dirigea vers le chalet. Pendant que Richie relatait gaiement ses dernières aventures à MacLeod, Lee-Ann entreprit de préparer le déjeuner. Elle aimait à cuisiner et avait convaincu Duncan de prendre sa part des tâches quotidiennes. Ils passèrent tous trois à table et dégustèrent avec appétit les steaks grillés et la salade accompagnés de pain frais confectionné par la jeune femme. Elle avait eu un mal fou à trouver de la levure de boulanger à la petite épicerie du village voisin, mais avait finalement découvert son bonheur au milieu des produits diététiques et allégés !

MacLeod décida de faire honneur au repas en débouchant une excellente bouteille de Bordeaux de sa réserve. Après tout, il n'avait pas vu Richie depuis longtemps.

Après le café, MacLeod expliqua succinctement à Richie la raison de la présence de Lee-Ann.

 

"Vraiment ?", s'étonna-t-il. "Eh bien, on peut dire que vous avez fait un excellent choix. MacLeod est vraiment le meilleur professeur que vous puissiez trouver."

 

"C'est exactement ce que je me suis laissé entendre dire", répondit Lee-Ann avec un bref sourire.

 

"Parfait !", s'exclama MacLeod. "Puisque vous êtes tous deux d'accord sur ce point, que diriez-vous d'une petite mise en pratique de vos talents ? Allez, en piste ! Vous allez me montrer de quoi vous êtes capables tous les deux...", dit-il en se levant de table.

 

"Oh, Mac ! Tu n'es pas sérieux ?", protesta Richie en riant. "Je rentre à peine et voilà que tu me mets déjà à l'épreuve..."

 

            Mais il avait hâte de voir Lee-Ann à l'œuvre et c'est avec enthousiasme qu'il se dirigea vers l'esplanade où la jeune femme l'attendait déjà. MacLeod leur tendit les sabres de bois pour que Lee-Ann ne soit pas blessée accidentellement et se posta en retrait, immobile. Il n'avait pas l'intention d'intervenir, bien au contraire. Il était curieux de savoir comment ils allaient l'un et l'autre réagir aux attaques et parades qu'ils connaissaient par cœur et qu'il leur avait enseigné de façon identique. Enfin, presque identique, corrigea-t-il en souriant intérieurement.

            Lee-Ann se concentra au maximum. Elle ne voulait pas décevoir MacLeod. Richie avait bien plus d'expérience qu'elle, et il était bien sûr plus fort, mais ce petit duel n'était pas pour lui déplaire. Elle leur montrerait de quoi elle était capable.

            Le combat s'engagea. Les coups, parades et feintes s'enchaînaient avec régularité. Lentement au début, le temps pour les deux adversaires de s'observer mutuellement, puis le rythme s'accéléra. Richie reconnaissait la plupart des attaques de Lee-Ann qu'il bloquait aisément, avant d'enchaîner avec ses propres feintes.

            MacLeod n'en perdait pas une miette. Lee-Ann parvint à toucher Richie d'un coup qui lui aurait sans nulle doute profondément entaillé la cuisse si leurs armes n'avaient été de bois. Mais MacLeod observa par trois fois Richie délibérément ignorer une brèche dans la défense de Lee-Ann. à mesure que le combat progressait cependant, chacun exploita au maximum les faiblesses de l'autre, et Richie profita de chaque opportunité - de plus en plus rares - offertes par Lee-Ann. Son sabre s'abattit à deux reprises sur le bras et la hanche de la jeune femme qui encaissa sans broncher. Elle en porterait sans nul doute la marque pendant quelques jours, mais, dans le feu de l'action, elle sentit à peine les coups.

             Soudain, Richie amorça le mouvement que guettait MacLeod. Une feinte qu'il lui avait enseignée au tout début de son apprentissage, destinée à déséquilibrer puis désarmer l'adversaire. Repoussant une attaque de Lee-Ann, il fit mine de lever son arme et effectua un pas de côté. Il tourna sur lui-même, bras tendu, pour cueillir son opposant à l'épaule, et se figea...la pointe du sabre de Lee-Ann à quelques millimètres de sa jugulaire !

            La jeune femme avait apparemment anticipé sa manœuvre et avait riposté par une botte qu'il ne connaissait pas. Sans esquisser un geste, il foudroya MacLeod du regard. Voici qu'il élaborait des parades à ses propres feintes maintenant ! Le Highlander, hilare, s'avança vers eux en applaudissant.

 

"Félicitations Lee-Ann ! Vous avez été parfaite !"

 

            La jeune femme abaissa son arme, souriant à son tour, et tendit la main à Richie.

 

"Bravo à vous ! Vous auriez pu m'avoir une demi-douzaine de fois avant cela !"

 

            Richie accepta la main tendue puis tous les deux se saluèrent en bonne et due forme. MacLeod passa un bras autour des épaules de Richie.

 

"Alors, Richie, que penses-tu de cette nouvelle défense ? Intéressante, non ?"

 

"Très ! Tu n'attendais que ça, n'est-ce pas Mac ? L'occasion de me montrer que j'ai encore plein de choses à apprendre. En tous cas", ajouta-t-il en se tournant vers Lee-Ann, "vous êtes vraiment très douée! Vous avez vraiment commencé il y a à peine un mois ?"

 

"Oui, je n'avais jamais manié d'épée auparavant. Mais c'est surtout les qualités d'instructeur et la patience de Duncan qu'il faut saluer..."

 

"Arrêtons là la remise des Oscars !" dit MacLeod. "Tu restes quelques jours Richie ?"

 

"Eh, Mac, tu ne crois quand même pas que je vais repartir avant que tu ne m'ais appris ta nouvelle feinte, non ?"

 

"Parfait ! Bienvenue au camp d'entraînement MacLeod !", s'exclama Duncan en riant tandis que tous trois regagnaient la relative fraîcheur du porche pour se désaltérer.

 

            Richie prit ses quartiers dans le salon où MacLeod prépara le divan. L'après-midi touchant à sa fin, Richie et Lee-Ann dégustèrent une bière sur la terrasse. Duncan était descendu faire quelques achats au village. Richie était subjugué par Lee-Ann. Tant physiquement que par le mystère qui émanait de la jeune femme. Il avait rapidement saisi qu'elle n'était pas une conquête de MacLeod, et il se demandait pourquoi elle désirait apprendre à se battre auprès d'un Immortel.

 

"Parce que l'homme que je compte affronter est l'un des vôtres", lui répondit-elle gravement, et Richie comprit qu'elle était on ne peut plus sérieuse.

 

"Vous avez l'intention de vous battre en duel avec un Immortel ?", répéta Richie, abasourdi. "Mais pourquoi prendre un tel risque ? C'est de la folie !"

 

"J'ai mes raisons", répliqua sèchement Lee-Ann, se levant pour faire quelques pas. Son visage s'était fermé et Richie sentit qu'il ne servirait à rien d'insister. Elle n'en avait probablement pas révélé plus à MacLeod. Il se leva pour la rejoindre.

 

"Je vous demande pardon Lee-Ann. C'est vrai, ce ne sont pas mes affaires. C'est juste que..."

 

            Elle lui tournait le dos, et il eut l'impression qu'elle pleurait. Mais lorsqu'il lui effleura l'épaule elle se retourna brusquement et ce qu'il lut sur son visage n'était pas du chagrin. C'était de la haine pure, et une grande détermination.

 

"Ne vous en faites pas pour moi Richie, je sais ce que je dois faire, et je le ferai..."

 

Elle rentra vivement dans la maison au moment où le 4x4 de MacLeod apparaissait. Duncan sortit les provisions et les posa sur la table de la terrasse. Il avait vu Lee-Ann rentrer précipitamment, et décida d'avoir une petite conversation avec Richie. La façon dont le jeune homme la dévorait des yeux plus tôt dans l'après-midi ne lui avait pas non plus échappé, et il n'aimait pas ça. Quel que soit le secret de Lee-Ann, elle n'était visiblement pas prête à le révéler, et encore moins à faire face aux éventuelles avances de Richie.

 

"Que s'est-il passé ?", demanda-t-il sans douceur.

 

"Mac, je ne sais pas...Je voulais juste savoir pourquoi elle apprend à se battre, et lorsqu'elle m'a dit qu'elle avait l'intention de défier un Immortel, je n'ai pas pu m'empêcher de réagir..."

 

"Elle t'a dit ça ?"

 

"Oui, elle m'a dit que l'homme qu'elle avait l'intention de combattre était l'un des nôtres, et..."

 

            Une pointe de jalousie piqua le cœur de MacLeod. Lee-Ann ne lui avait rien révélé de tel depuis son arrivée, il avait dû parvenir à cette conclusion par ses propres déductions. Et voilà qu'elle confiait à Richie qu'elle comptait affronter un Immortel ! Mais il se contint, et, passant un bras autour des épaules du jeune homme, lui fit signe de le suivre. S'éloignant un peu, il lui raconta comment la jeune femme avait débarqué trois semaines plus tôt et ce qu'il avait réussi à apprendre sur elle.

 

"J'ai encore tenté d'appeler Joe ce soir, mais il n'est toujours pas revenu d'Europe. Je ne sais quoi penser de toute cette histoire Richie, mais Lee-Ann a avant tout besoin de calme pour se remettre du traumatisme qu'elle a sûrement subi. Ne la brusque pas, et n'essaie pas ton charme sur elle, je t'en prie !"

 

"Enfin, Mac, pas du tout...Je n'ai...Je suis désolé, je ne pouvais pas savoir !"

 

"C'est vrai, mais maintenant tu sais".

 

            Duncan rentra les provisions et prépara le dîner qu'ils partagèrent seuls tous les deux. Lee-Ann ne quitta pas sa chambre de la soirée.

 

* * *

           

Lorsqu'ils se levèrent le lendemain, Lee-Ann s'échauffait déjà près du lac. Richie et MacLeod étaient restés éveillés tard à discuter - de Lee-Ann entre autres, et ils s'empressèrent de la rejoindre.

 

"Eh bien, si le sensei vient en retard aux cours maintenant...!", plaisanta Lee-Ann à leur arrivée.

 

Elle semblait de très bonne humeur tandis qu'elle les regardait approcher, mains sur les hanches et sourire moqueur. Elle s'en voulait d'avoir réagi de la sorte la veille avec Richie et espérait qu'il ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle savait qu'il lui faudrait sans doute se confier un jour ou l'autre, mais elle n'était pas encore prête. Cependant, ce n'était pas une raison pour se laisser emporter de la sorte. Si elle voulait avoir une chance d'accomplir sa vengeance, il lui faudrait également apprendre à dominer ses émotions pour garder le contrôle d'elle-même en toutes circonstances.

Elle fut rassurée par le sourire de Richie. Tout semblait oublié.

Ils entamèrent ensemble le kata que Lee-Ann et MacLeod pratiquaient tous les matins depuis trois semaines. Richie le connaissait par cœur pour l'avoir appris aux côtés du Highlander quelques années plus tôt, et leurs gestes parfaitement synchronisés offraient un spectacle des plus saisissant et harmonieux. La grâce de Lee-Ann, la puissance maîtrisée de MacLeod et la précision de Richie semblaient se fondre et ne faire qu'un, symbolisant le combattant parfait dans l'air humide du matin.

 

L'après-midi, Richie proposa à Lee-Ann une ballade en moto. Elle hésita, puis finit par accepter, en lui faisant promettre qu'ils ne s'éloigneraient pas trop. MacLeod lança un regard appuyé à Richie, comme pour lui dire d'être prudent et discret, puis les deux jeunes gens disparurent dans un vrombissement sonore.

 

A leur retour quelques heures plus tard, MacLeod lisait tranquillement sur la terrasse. Alors qu'ils retiraient leurs casques, il entendit Richie dire quelques mots à Lee-Ann qui partit d'un rire franc et clair. La jalousie glaça une fois de plus le cœur de MacLeod qui se redressa vivement dans son siège. Il entendait rire Lee-Ann pour la première fois, mais ce n'était pas grâce à lui. La colère l'envahit, sitôt remplacée par un sentiment de honte et d'incrédulité. De quel droit pouvait-il en vouloir à Richie de réussir à égayer la jeune femme qui en avait tellement besoin ? Il se rassura en se disant que sa jalousie était liée à l'attirance physique que Lee-Ann exerçait sur lui, et se promit de ne plus se laisser égarer par son penchant envers la jeune femme.

 

"Hey Mac !", l'interpella Richie en venant vers lui. "Ta récré est finie, nous voici de retour !"

 

"Je vois ! Alors Lee-Ann, Richie ne vous a pas trop secouée j'espère ?"

 

"Eh bien, je dois dire qu'il a été très prudent..."

 

"Ah, tu vois bien Mac que je sais me tenir !"

 

"...Mais franchement, je préfère la marche à pied !", termina Lee-Ann en souriant.

 

"Quoi ?! Vraiment ?! Vous n'avez pas aimé ...?", gémit Richie, la mine défaite. "Mais je croyais..."

 

            Le rire de Lee-Ann qui s'éleva à nouveau dans le soir liquéfia le coeur des deux Immortels, subjugués.

 

"Mais non Richie, je te taquine ! C'était super, promis. Allez, pour me faire pardonner, c'est moi qui m'occupe du dîner. Restez là vous deux, je me charge de tout !"

 

* * *

 

 

 

Chapitre 4

 

Richie resta avec eux jusqu'à la fin de la semaine. Il lui avait suffi de quelques heures d'entraînement pour assimiler la nouvelle parade de MacLeod, mais il ne pouvait se résoudre à partir. Il avait espéré pouvoir lui aussi gagner la confiance de Lee-Ann dont le désespoir l'avait ému, et avoir une chance de l'aider, mais il avait finalement dû se rendre à l'évidence. Mac avait raison, elle n'était pas prête. Et puis ce n'était pas lui qu'elle était venue trouver, mais le Highlander. Il avait donc décidé de les laisser à nouveau seuls pour que les choses suivent leur cours. Il avait cependant fait promettre à MacLeod de le tenir informé de l'évolution de la situation. En retour, Duncan lui avait demandé de passer voir Joe ou Methos une fois rentré à Seacouver pour leur soutirer quelques renseignements sur la jeune femme. Le Highlander était maintenant intimement persuadé que Lee-Ann était liée de près ou de loin aux guetteurs. Et même si ce n'était pas le cas, leurs informations pourraient toujours lui être utiles. Mais il n'imaginait pas ce que Joe allait lui révéler deux jours plus tard.

 

Lee-Ann et MacLeod étaient descendus au village voisin pour l'approvisionnement. La jeune femme avait disparu dans la petite boutique de souvenirs et articles de saison pour se trouver un maillot de bain. Elle adorait nager et avait décidé que même la fraîcheur encore vive des eaux du lac ne l'en priverait pas. MacLeod profita donc de cette courte absence pour téléphoner une fois de plus à Joe. Voici maintenant près d'un mois qu'il était parti, et Duncan se demandait s'il rentrerait un jour. Il sursauta presque lorsque la voix bourrue de son vieil ami se fit entendre après la troisième sonnerie.

 

"Dawson"

 

"Joe ? Enfin rentré ?!"

 

"MacLeod ? Bonjour ! Oui, je suis rentré il y a quelques heures à peine ! On dirait que je t'ai manqué, Mike m'a dit que tu avais cherché à me joindre à plusieurs reprises...". Une grande lassitude perçait dans la voix de Joe.

 

"Oui, en effet, j'ai besoin des lumières de tes Guetteurs. Mais, et toi ? Comment s'est passé ton séjour en Europe ?"

 

"Ah, Mac, j'aurais aimé ne jamais avoir à faire ce voyage...". Il apparut soudain à MacLeod que la fatigue dans la voix de Joe n'était certainement pas due au décalage horaire.

 

"Que s'est-il passé Joe ? Tu as l'air bouleversé..."

 

"C'est une sale histoire Mac, une sale histoire. Un de nos Guetteurs a été tué et un autre a disparu, probablement mort aussi. Et le pire c'est que nous savons qui a fait cela mais nous ne pouvons rien faire : le salaud qui les a assassinés est un Immortel qui a déjà tué au moins quatre de nos agents. Ses propres guetteurs pour la plupart. Nous avons passé un mois à la recherche de notre guetteur disparu, mais j'ai bien peur qu'elle n'ait subi le même sort que son compagnon. C'est terrible Mac, je suis encore sous le choc. Je connaissais bien l'homme qui a été tué, et surtout la femme qui a disparu. Son père était un vieil ami à moi. Dieu sait ce qui lui est arrivé si ce malade a mis la main sur elle..."

 

            Avant même qu'il n'ait terminé, MacLeod avait compris que Joe parlait de Lee-Ann. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Sa mâchoire se serra et sa main se crispa sur le combiné. Il avait donc vu juste. Lee-Ann était un guetteur et c'était bien après un Immortel qu'elle en avait.

 

"Mac ? MacLeod, tu es toujours là ?". La voix de Joe parvenait de très loin jusqu'à ses oreilles, et Duncan du faire un effort pour revenir sur Terre.

 

"Oui Joe, je suis là. Joe, quel est le nom de la femme disparue?"

 

"O'Donnell, Lee-Ann O'Donnell. Pourquoi ?"

 

            MacLeod prit une profonde inspiration.

 

"Joe, écoute-moi Joe. Lee-Ann va bien. Elle est ici au chalet, avec moi."

 

"Comment ? Qu'est-ce que tu dis ?" l'incrédulité le disputait au soulagement dans la voix de Joe. "Elle est avec toi MacLeod ?"

 

"Oui, depuis près d'un mois".

 

"Bonté divine ! Et elle va bien ?"

 

"Oui, Joe, elle va bien. Physiquement du moins..."

 

"Bonté divine !", répéta Joe. Puis il ajouta, comme pour lui-même : "Bien sûr, quel idiot ! Nous aurions dû nous douter qu'elle ferait appel à toi. Nous avons tourné en rond pendant trois semaines..."

 

"Joe ? Joe, que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-on voulu la tuer ?", demanda MacLeod, à la fois soulagé et inquiet de voir ses présomptions confirmées.

 

"Je t'expliquerai Mac. Ne bougez pas d'où vous êtes, j'arrive. Sois prudent MacLeod, Lee-Ann est en danger. Ne dis à personne qu'elle est avec toi. Personne ne doit savoir, tu m'entends ? Je serai là dans deux heures. Bonté divine...!" répéta Joe en raccrochant.

 

MacLeod raccrocha à son tour. Les révélations confuses de Joe se bousculaient dans sa tête, mais tout s'éclairait d'un jour nouveau à présent. Il avait vu juste pour l'essentiel. Il lui restait maintenant à comprendre pourquoi, et comment... Et surtout qui était cet Immortel qui avait brisé la vie de la jeune irlandaise. Il se demanda soudain comment Lee-Ann allait réagir en voyant Dawson débarquer au chalet dans une heure ou deux : elle n'était probablement pas au courant de l'amitié qui liait les deux hommes. Il était de toute façon trop tard pour se poser la question et Duncan décida qu'il aviserait à l'arrivée de Joe.

Il n'avait pas bougé depuis la fin de son appel, la main tenant toujours le combiné du téléphone qu'il avait raccroché, et il tressaillit lorsque la voix de Lee-Ann s'éleva derrière lui.

 

"Vous téléphoniez ?"

 

MacLeod se retourna vivement, tentant de déchiffrer sur les traits de Lee-Ann si elle avait pu entendre la conversation, mais son visage ne reflétait qu'une curiosité sincère.

 

"Oui, un vieil ami qui habite la région, et que j'ai invité à dîner ce soir...Alors, vous avez trouvé votre bonheur ?", demanda-t-il en espérant qu'elle ne remarquerait pas son trouble. Il n'était pas homme à laisser paraître ses émotions, et avait appris depuis longtemps à les dissimuler sous un masque neutre, mais il semblait perdre une partie de ses moyens en présence de la jeune femme.

 

"Oh oui, mais ne comptez pas sur moi pour vous le montrer avant de l'avoir essayé pour de bon !", répondit Lee-Ann, rieuse, serrant contre elle d'un air mystérieux le sac en papier contenant son achat.

 

Le cœur de MacLeod se serra. Il lui tardait de connaître le fin mot de l'histoire, mais il appréhendait la réaction de Lee-Ann. Il préférerait mille fois ne pas avoir à lui faire revivre les récents événements alors qu'elle semblait à peine reprendre goût à la vie. Il lui sourit à son tour.

 

"Bien ! Alors rentrons, je suis sûr que vous avez hâte de profiter de cette belle journée pour nager un peu..."

 

            Il n'avait pas tort. A peine arrivée, elle se dirigea vers la salle de bain et s'empressa de revêtir son nouveau maillot. MacLeod déclina poliment son invitation à la joindre en prétextant que l'eau était encore trop fraîche pour lui à cette saison. Il espérait ainsi pouvoir discuter un peu avec Joe avant qu'elle ne revienne de sa baignade... Si son ami ne tardait pas trop cela dit.

            Lee-Ann trouva dans la salle de bain une chemise laissée par le Highlander. Décidant de lui emprunter, elle l'enfila. Elle pouvait encore y sentir l'odeur de sa peau et les effluves de son eau de toilette, et elle se sentit curieusement rassurée par cette aura masculine qui l'enveloppait. Emportant une serviette, elle sortit ensuite de la maison et se dirigea vers le lac, nu-pieds. Laissant ses affaires sur la plage, elle se dirigea vers l'eau agitée par une très légère brise. Elle avança jusqu'à ce que l'onde atteigne ses genoux, puis entreprit de mouiller progressivement le reste de son corps avant de s'immerger complètement. La fraîcheur de l'eau sur sa peau la fit délicieusement frissonner et elle sourit en elle-même. Elle ne se retourna pas, mais elle sentait le regard protecteur du Highlander qui l'observait depuis le promontoire.

Ce dernier, bien que plongé dans ses pensées, ne pouvait s'empêcher d'admirer le corps de la jeune femme se mouvant avec grâce à la surface de l'eau. Elle avait choisi un maillot une pièce, très simple, d'un gris perle qui faisait ressortir le feu de sa chevelure. Se dégageant de sa rêverie, il rentra à l'intérieur pour prendre son livre et revint s'installer sur la terrasse en attendant Joe.

Lorsque le bruit d'un moteur approchant se fit enfin entendre, il bondit de son siège pour jeter un coup d'œil à Lee-Ann du haut du promontoire. La jeune femme était à présent sortie de l'eau et répétait le kata quotidien au soleil de l'après-midi. Rassuré, MacLeod alla prestement à la rencontre de son vieil ami.

 

"Joe !", dit-il en l'étreignant, "Heureux de te revoir !"

"Moi aussi MacLeod ! Alors, où est-elle ?", demanda-t-il d'emblée alors qu'ils se dirigeaient vers la maison. Duncan ne put s'empêcher de remarquer combien Joe avait les traits tirés et les yeux cernés.

 

"Elle est là en bas, près du lac..."

 

"Seule ?". Le ton de Joe reflétait son inquiétude.

 

"Oui, seule, mais ne t'inquiète pas Joe, tout va bien, personne ne sait qu'elle est ici..."

 

"Oui, oui, tu as raison Mac, c'est juste que...Tu ne sais pas à qui elle a affaire..."

 

"Mais je compte sur toi pour tout me dire, Joe. Viens, assieds-toi, je te sers un verre."

 

"Merci Mac."

 

            Tandis que Duncan préparait un Bourbon pour son ami et se versait un Whisky, Joe s'approcha du promontoire pour observer Lee-Ann. Après un mois passé à retourner chaque pierre d'Irlande et d'Europe à sa recherche, après avoir perdu tout espoir de la retrouver un jour, il fallait qu'il la voie de ses propres yeux, saine et sauve. C'était bien elle, plus belle que jamais lui semblait-il.

            "Le salaud !" jura-t-il mentalement à l'adresse de Karl. Il revint vers la terrasse avant que Lee-Ann ne puisse l'apercevoir, et s'assit aux côtés du Highlander qui lui tendit un verre.

 

"Merci de m'avoir appelé Mac."

 

"Ce n'est rien Joe. En fait, j'essayais de te joindre depuis son arrivée..."

 

"Oui, je sais, quels imbéciles nous avons été de ne pas penser à toi... Mais nous étions tellement persuadés qu'il lui était arrivé malheur, et..."

 

"Attends Joe ! Et si tu commençais par le début. Lee-Ann est des vôtres, n'est-ce pas ?"

 

"Oui. En fait, c'est son père, Daniel O'Donnell, qui a intégré notre organisation il y a près de 30 ans. Il est devenu mon ami, et je connais Lee-Ann depuis sa naissance."

 

            Joe hésita à dire à MacLeod ce que Lee-Ann représentait réellement pour lui. Il n'avait jamais été père, et ne s'était jamais senti très proche de ses neveux et nièces. Mais Lee-Ann était la fille qu'il n'avait jamais eue. Son père et lui étaient de très bons amis, et c'est avec joie qu'il avait accepté de devenir le parrain de Lee-Ann lorsque Daniel le lui avait demandé. Il avait ainsi vu Lee-Ann grandir, jusqu'à son retour en France du moins, et avait été heureux de la revoir lorsqu'elle était revenue vivre avec son père en Irlande. Il avait été là à la mort de son père, et était depuis devenu la seule famille de la jeune femme. Mais il n'avait rien pu faire contre Karl constata-t-il amèrement. Voyant que MacLeod l'observait, attendant la suite de son récit, il interrompit le cours de ses pensées et reprit ses explications.

 

"Daniel est donc devenu des nôtres, mais Catherine, sa femme, n'a pas supporté les absences répétées de son mari. Daniel avait préféré ne rien lui dire de ses activités réelles, il voulait préserver sa famille. Catherine est repartie vivre en France avec Lee-Ann. Malheureusement, elle est morte quelques années après, et Lee-Ann est retournée près de son père en Irlande. Cette fois, il a tout expliqué à sa fille, malgré son jeune âge, et nous avons affecté Daniel à un Immortel résidant en Irlande pour qu'il puisse élever Lee-Ann. À son tour, elle a rejoint nos rangs à la mort de son père, qui entre temps était devenu le guetteur d'un allemand, Karl Hermlin..."

 

            Le cœur de MacLeod fit un bond dans sa poitrine en entendant le nom de l'Immortel responsable du malheur de Lee-Ann. Karl. Karl Hermlin. Un des noms prononcés par la jeune femme dans son sommeil. Mais il n'interrompit pas Joe et écouta la suite avec attention.

 

"Lee-Ann a alors souhaité "reprendre" l'Immortel affecté à son père, et nous avons eu la bêtise d'accepter. Mais à l'époque, nous n'avions pas encore percé à jour la vraie nature de ce malade. Je parie que tu n'en as jamais entendu parler...?"

 

"Non, effectivement, ce nom ne me dit rien."

 

"Cela ne m'étonne pas. Il n'est Immortel que depuis 1917, date de sa première mort dans les tranchées allemandes. D'après nos calculs, il avait 32 ans. Mais il n'a été recensé par nos guetteurs qu'au cours de la seconde guerre mondiale. En revanche, ce que nous ne savions pas avant que Lee-Ann ne nous le révèle, c'est qu'Hermlin, lui, connaît parfaitement notre existence, et ce depuis les années soixante. Quand elle a repris les travaux de son père sur Hermlin, elle avait à peine 25 ans et ce malade n'avait pas encore été fiché comme dangereux chez nous...Il s'était en effet le plus souvent arrangé pour trancher des têtes en dehors de notre présence puisqu'il se savait observé, et cela d'autant plus qu'il emploie des méthodes peu orthodoxes. Les règles ne signifient rien pour lui, et il s'est toujours arrangé pour les violer sans que nous puissions le savoir. C'est Lee-Ann qui a révélé sa personnalité au grand jour...mais elle l'a payé très cher..."

 

            Joe s'interrompit pour boire une gorgée de Bourbon. L'alcool se diffusa rapidement dans son organisme, le réchauffant de l'intérieur. MacLeod n'avait pas touché à son verre qu'il faisait doucement tourner dans sa main, admirant les reflets ambrés du liquide. Il attendait avec impatience la suite des explications de Joe, mais ne voulait pas brusquer son vieil ami qui paraissait bouleversé. Celui-ci s'éclaircit la gorge avant de reprendre.

 

"Lorsque Lee-Ann a prit la suite de son père, Hermlin n'a pas mis longtemps à la repérer. Et il est apparemment tombé amoureux d'elle... Il s'est en tout cas mis en tête de la séduire, et il a réussi. Lee-Ann est devenue sa maîtresse, en secret. Mais à son contact, elle a rapidement pris conscience qu'Hermlin n'était pas l'Immortel charmant et sans histoire qui l'avait séduite. Elle a pris peur et a cherché à le quitter... "

 

"Et je suppose que ce Hermlin n'est pas du genre à se laisser quitter... ", intervint MacLeod.

 

"C'est même pire que cela MacLeod", répondit Joe en hochant la tête. "Pour Karl, Lee-Ann est sienne, elle lui appartient. Comme une chose, un objet... Au début, il a donné dans le sentimental : il lui envoyait des fleurs, des cadeaux, en lui disant qu'il ne pouvait vivre sans elle, qu'elle devait revenir vers lui. Mais comme rien n'y faisait, il a décidé d'employer les grands moyens. Il a enlevé Lee-Ann une première fois et l'a séquestrée pendant plusieurs semaines en Allemagne, voulant la forcer à couper toute relation avec le reste du monde, et les guetteurs. C'est à ce moment-là qu'il a décidé "d'effacer" son tatouage, tout en laissant à Lee-Ann un souvenir impérissable de lui... "

 

            Joe se tut à nouveau et avala une nouvelle gorgée d'alcool. Il n'avait pas besoin de préciser, MacLeod avait déjà vu la cicatrice - la brûlure... Duncan réprima un haut-le-cœur en imaginant la souffrance terrible qu'avait dû ressentir Lee-Ann. Il connaissait parfaitement cette douleur pour l'avoir endurée une fois déjà., près de cent cinquante ans auparavant. Il aidait alors une esclave à recouvrer sa liberté. Mais lui n'en portait pas la marque pour toujours tel un stigmate. Joe reprit doucement la parole.

 

"Et puis il y a eu Sam. Lee-Ann et lui se sont rencontrés en France il y a un peu plus de deux ans, alors qu'elle avait semé Hermlin et ses chiens pendant quelques mois. Elle avait réussi à s'échapper et à quitter l'Allemagne où Karl la retenait prisonnière, et s'était confiée à moi. Nous avions alors mis tout en oeuvre pour la protéger et la mettre à l'abri de ce malade. Cela a fonctionné quelque temps. Mais Hermlin finissait toujours par retrouver sa trace, et il lui fallait fuir plus loin. Inutile de te dire qu'il a également vu d'un très mauvais oeil la relation de Lee-Ann avec Sam… "

 

"Mais pourquoi ne pas l'avoir éliminé alors ?" demanda MacLeod malgré lui.

 

"MacLeod, tu sais bien que nous ne faisons pas ce genre de choses, surtout depuis Horton... Mais il est bien dommage que ces deux-là ne se soient pas croisés. Quoi qu'il en soit Mac, tout ce que nous pouvions faire était attendre qu'un autre Immortel le défie et prenne enfin le dessus sur lui. Ce qui à ce jour ne s'est toujours pas produit... Karl ne respecte ni le Jeu, ni les Règles, ni rien d'ailleurs. Pourquoi s'ennuyer à combattre et risquer de perdre quand on peut facilement tricher...? Il s'est entouré de quelques gorilles fidèles qui se chargent d'abord d'abattre la proie. Il ne reste plus à Hermlin qu'à trancher les têtes. Etant donné sa récente Immortalité, il a très vite compris que c'était le meilleur moyen de survivre. Il a ainsi pris facilement un certain nombre de Quickenings qui lui ont été très utiles. Heureusement, il se contente aujourd'hui des Immortels qui le défient eux-mêmes. Et depuis trois ans, il est plus occupé à rechercher Lee-Ann qu'à prendre des têtes..."

 

"Mais que s'est-il passé en Europe Joe ?"

 

"Nous n'en savons rien, enfin pas précisément. Sam et Lee-Ann vivaient en Irlande depuis plusieurs mois, cachés dans un endroit dont peu de gens avaient connaissance. Nous avions posté des guetteurs a priori inconnus de Karl aux frontières, et le surveillions tant bien que mal. Mais il a échappé à notre vigilance assez de temps pour se rendre lui-même en Irlande. Personne ne sait comment il a su que Lee-Ann était là-bas. On pense qu'elle a été localisée l'année dernière lors de son séjour à Paris pour soutenir sa thèse. Karl devait être au courant, mais Lee-Ann voulait absolument obtenir son doctorat, et elle a insisté pour se rendre sur place. Enfin, peu importe comment, mais il a su précisément où les trouver. C'est par hasard qu'il a été repéré sur une bande de surveillance vidéo à l'aéroport de Dublin, mais cela faisait déjà 6 heures qu'il avait atterri. Nos agents ont aussitôt prévenu Lee-Ann et Sam pour qu'ils quittent la maison au plus vite, mais c'était trop tard...Quand notre équipe est arrivée sur les lieux, la maison était vide."

 

            Joe marqua une nouvelle pause, le temps de terminer son Bourbon pour se donner le courage de poursuivre. Sa main tremblait légèrement quand il reposa le verre vide sur la table.

 

"On a retrouvé le corps de Sam deux jours plus tard, en aval de la rivière près de laquelle ils vivaient. On lui avait tiré dessus. Mais aucune trace de Lee-Ann. Oh Mac, j'ai bien cru que ce salaud l'avait tué elle aussi..."

 

            Les deux hommes sursautèrent et se retournèrent d'un bloc lorsque la voix de Lee-Ann, tremblante d'une haine palpable, s'éleva derrière eux.

 

"Oh non, Joe, il ne me tuera jamais, mais moi je prendrai sa tête..."

 

* * *

 

            Lee-Ann avait entendu la voiture approcher mais n'en avait pas pour autant interrompu son kata. Il devait s'agir de l'ami de MacLeod qui venait dîner. L'après-midi touchant à sa fin, la température avait commencé à chuter et Lee-Ann avait décidé de rentrer. Après avoir renfilé la chemise de MacLeod, elle était retournée vers la maison. Elle n'avait pas reconnu la voiture de Joe qu'elle n'avait jamais vue, mais alors qu'elle s'apprêtait à entrer dans sa chambre par la porte-fenêtre, elle avait entendu les deux hommes discuter de l'autre côté de la terrasse. Elle s'était figée. Elle connaissait cette voix. "Ce n'est pas possible" avait-elle songé. Pourquoi diable Joe serait-il là à discuter avec l'Immortel dont il est le guetteur ? S'approchant sans bruit, elle s'était postée au coin du chalet et avait écouté la fin de leur conversation.

 

* * *

 

"Lee-Ann !"

 

 Joe s'était levé d'un bond malgré ses jambes.

 

"Mon Dieu Lee-Ann j'ai bien cru qu'il t'avait tué toi aussi...", répéta-t-il en faisant mine de la prendre dans ses bras.

 

Elle se recula vivement avant qu'il ne puisse la toucher. Elle était livide, ses lèvres exsangues muées en un pli amer qui lui barrait la bouche. De quel droit MacLeod l'avait-il contacté ? Car c'était bien lui qui avait appelé Joe, elle n'en doutait pas. Tous ces appels à la cabine téléphonique du village... Si elle avait soupçonné leur amitié, jamais elle ne serait venue trouver MacLeod, tout cela était trop dangereux pour Joe... Il était tout ce qui lui restait à présent.

 

"Eh bien Joe, il semble que je ne sois pas la seule à avoir brisé mon serment... ", répliqua-t-elle sèchement. Elle n'était pas seulement en colère contre MacLeod, elle en voulait aussi amèrement à Joe de lui avoir caché son amitié avec l'Immortel. Tendue, elle serrait les poings si fort que ses ongles entaillèrent ses paumes jusqu'au sang.

 

            Joe fit un nouveau pas vers elle.

 

"Lee-Ann, je t'en prie, je suis là pour t'aider... "

 

"Personne ne peut m'aider Joe, à moins de m'enseigner à couper des têtes... ". Elle avait parlé dans un souffle, à peine un murmure, tentant de contenir l'émotion qui la submergeait soudain. La présence de Joe ramenait à la surface les émotions qu'elle tentait d'enfouir au plus profond d'elle-même depuis un mois, et elle se mit à trembler.

 

            Joe tendit la main vers elle et lui effleura le bras.

 

"Lee-Ann... ", commença-t-il.

 

"Reste en dehors de ça Joe ! ", cria-t-elle en le repoussant rageusement. Des sanglots perçaient à présent dans sa voix. "Tu ne vois donc pas qu'il tuera tous ceux qui se dressent entre lui et moi, Joe ?!", hurla-t-elle. "Tous, il vous tuera tous ! Comme il l'a tué, Joe, comme il a tué Sam... !".

 

            Alors qu'elle prononçait le nom de Sam pour la première fois depuis sa mort, la froide haine sous laquelle Lee-Ann avait enfouit sa souffrance céda soudain la place au chagrin. Les larmes trop longtemps refoulées perlèrent enfin à ses yeux et coulèrent sur ses joues. Elle ne pouvait contenir plus longtemps sa douleur et laissait enfin libre cours à la peine qui étreignait son âme depuis plus de quatre semaines - une éternité. Lorsque Joe la prit dans ses bras, elle ne le repoussa pas et se blottit dans les bras de celui qu'elle appelait enfant "Oncle Joe".

 

"Oh Lee-Ann, je suis désolé... ", murmura-t-il à son oreille, la serrant tout contre lui, lui caressant la tête et la berçant tendrement pour l'apaiser, tandis que les sanglots désespérés de Lee-Ann transperçaient le cœur de MacLeod qui avait observé la scène sans un mot.

 

* * *

 

            La lumière des flammes dansant dans l'âtre illuminait le visage de Lee-Ann étendue sur le canapé aux cotés de Joe, accrochant aux reflets de ses mèches ambrées. Elle avait posé sa tête sur les genoux de son parrain qui passait tendrement une main dans ses cheveux sans mot dire, et s'était endormie, épuisée. Lorsqu'elle s'était finalement apaisée après avoir laissé éclater sa peine, Joe l'avait aidée à rentrer et MacLeod avait allumé la cheminée. Les deux hommes discutaient à voix basse, n'osant troubler le repos de Lee-Ann. Sa respiration régulière soulevait à peine sa poitrine. Elle s'était assoupie comme une enfant, une main sous sa joue, ses jambes nues à demi repliées. Elle portait encore la chemise de MacLeod, ce qui ajoutait à son air de petite fille endormie.

            MacLeod expliquait à Joe pourquoi Lee-Ann était venue le trouver et son désir de vengeance envers Karl.

 

"Elle veut prendre sa tête ?", demanda Joe, incrédule.

 

"Tu l'as entendue comme moi, Joe. Elle a l'intention de le défier, cela ne fait aucun doute."

 

"Mais c'est de la folie ! Elle ne peut pas combattre un Immortel, encore moins seule avec une épée, MacLeod !"

 

"Je le sais bien Joe, et je n'ai jamais eu l'intention de la laisser mener ce projet à terme, mais il fallait bien que je comprenne ce qui la poussait à vouloir apprendre à se battre, alors j'ai accepté de le lui enseigner... "

 

            MacLeod s'interrompit lorsqu'il se rendit compte que Lee-Ann était parfaitement réveillée. Elle le fixait intensément de ses yeux verts assombris par la colère et la douleur.

            Elle se redressa doucement et s'assit, jambes repliées sous elle.

 

"Je me battrai MacLeod", dit-elle d'une voix calme mais déterminée, "et je le tuerai, quoi qu'il m'en coûte".

 

"Lee-Ann... ", commença Joe, se tournant vers elle.

 

"Je ne peux pas continuer à vivre ainsi Oncle Joe".

 

            MacLeod fut surpris d'entendre Lee-Ann appeler Joe ainsi, mais il n'en montra rien. Certaines choses pouvaient attendre.

 

"Je ne veux plus continuer à fuir sans cesse, je dois le défier, et quelle que soit l'issue du combat, tout sera enfin fini... ". Son ton était posé, résigné mais on ne peut plus décidé.

 

"Lee-Ann, je t'en prie, tu es sous le choc", reprit Joe en prenant sa main dans la sienne. "Tu n'as aucune chance contre Karl, tu le sais, et tu ne peux sacrifier ta vie pour cette folie !"

 

"Si Joe, je le peux. Sam a bien donné la sienne pour moi, et je le vengerai, à n'importe quel prix... " Elle parlait avec un tel calme, tête baissée, le regard fixe, que Joe comprit qu'il ne servirait à rien d'insister. Sa décision était prise, et rien ne la ferait changer d'avis. Mais cela ne signifiait pas qu'il ne pouvait rien faire pour l'empêcher de commettre ce suicide. Il ignorait que MacLeod pensait exactement la même chose en cet instant précis, mais il n'en aurait pas été surpris.

 

"Je n'ai plus rien à perdre Oncle Joe, et si je dois mourir pour venger Sam, nous serons au moins réunis... "

 

"La mort de Karl ne fera pas revenir Sam, Lee-Ann, vous le savez", intervint MacLeod d'une voix douce. Elle leva les yeux vers lui.

 

"Oui, je le sais, mais à quoi bon vivre sans lui si je dois fuir Karl pour le reste de mes jours ?"

 

            MacLeod la regarda droit dans les yeux et prit une profonde inspiration avant d'affirmer :

 

"Je défierai Karl moi-même Lee-Ann, et vous n'aurez plus à le craindre, je vous le promets."

 

            Lee-Ann soutint son regard.

 

"Vous n'en ferez rien MacLeod," répondit-elle dans un souffle. "Cette vengeance est la mienne, la tête de Karl m'appartient."

 

            Duncan ne répondit pas, cela ne servirait à rien. Chacun retourna à ses sombres pensées, et le silence retomba entre eux, entrecoupé des petits claquements secs du bois se consumant dans l'âtre.

 

* * *

           

Étendu sur le divan, MacLeod cherchait le sommeil qui le fuyait. Lorsque Lee-Ann s'était finalement assoupie dans les bras de Joe, Duncan l'avait portée jusqu'à sa chambre. Puis il avait laissé son lit à Dawson et s'était installé dans le séjour. Les révélations de Joe avaient certes confirmé et complété ses suppositions, mais le problème restait entier. Quels qu'aient été les évènements qui avaient conduit à la mort de Sam, ils avaient également conduit la jeune femme à venir se réfugier chez lui pour apprendre à combattre. Combattre un Immortel qui plus est, un homme qui ne respectait ni les mortels, ni ceux de sa race, qui ne se pliait à aucune règle, ne respectait aucune loi. Et rien ne semblait pouvoir la faire changer d'avis. Il devait pourtant bien y avoir un moyen de l'empêcher de commettre cette folie. Demain, ils retourneraient à Seacouver - Lee-Ann y avait consenti à condition d'y poursuivre son entraînement - et aviseraient. D'après les dernières sources de Joe, Karl était retourné se terrer en Allemagne, probablement persuadé de la mort de la jeune femme. Il importait donc de le lui faire croire le plus longtemps possible en cachant Lee-Ann aux yeux de monde. Jusqu'à ce qu'elle renonce à son projet, ou jusqu'à ce que MacLeod lui-même se charge de lui.

            Cette vengeance appartenait à la jeune femme, il devait en convenir, cependant cet homme était l'un des siens, un Immortel comme lui, et cela lui donnait le droit de le défier pour prendre sa tête, selon les Règles du Jeu applicable à chaque Immortel. Mais le devait-il ?

            MacLeod avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête, s'agiter sur le divan, il ne trouvait ni solution, ni repos. Le visage grave et résolu de la jeune femme s'imposait à son esprit chaque fois qu'il fermait les yeux, la tristesse de son regard s'imprimait sur sa rétine comme après un flash, sa moue déterminée le poursuivait dans les méandres de son esprit et, à son insu, jusqu'au plus profond de son cœur.

 

            Dans le silence pesant du chalet, Joe avait renoncé à chercher le sommeil qui se dérobait également à lui. Il avait rejeté les draps et entrouvert la fenêtre pour aérer la chambre, mais même l'air frais de la nuit ne suffisait pas à calmer l'agitation qui bouillait en lui. La joie d'avoir retrouvé Lee-Ann saine et sauve le disputait à une rage et une rancœur presque incontrôlables envers Karl. À cause de lui, Lee-Ann avait changé. La jeune femme enjouée et rieuse qu'elle était avait, par la faute de cet Immortel aliéné, laissé la place à un être amer et triste guidé par la haine et la vengeance. Il avait détruit sa vie en prenant celle de Sam, et Joe regrettait de ne pas pouvoir faire justice lui-même. Pour l'heure il lui faudrait tenter de convaincre Lee-Ann de renoncer à sa folle entreprise. Mais comment ?

 

            Tandis que les deux hommes cherchaient en vain le sommeil, Lee-Ann, profondément endormie, revivait à nouveau le cauchemar de la mort de Sam.

 

* * *

           

Sam ouvrit la lourde porte d'entrée et suivit Lee-Ann à l'intérieur. Spike se faufila à son tour dans l'entrebâillement pour se précipiter vers sa gamelle. Il fut déçu de trouver son bol vide et jappa doucement pour attirer l'attention de Lee-Ann. Tandis qu'elle versait le contenu d'une boîte de nourriture pour chiens dans la gamelle de Spike, elle entendait derrière elle Sam verrouiller comme chaque soir la porte en chêne à l'aide de plusieurs serrures et cadenas. Cette mesure se révélerait bien peu efficace contre Karl et ses sbires s'il les retrouvait, pourtant cette inutile précaution les rassurait.

 

Il retourna ensuite dans la pièce principale auprès de Lee-Ann et la prit de nouveau dans ses bras.

 

Ils vivaient tous deux la peur au ventre, tenaillés par la même angoisse. L'angoisse de cet homme qui tentait de les détruire depuis plus de deux ans. Si Sam craignait pour leurs vies à tous les deux, Lee-Ann elle ne se souciait que du sort de Sam, car elle savait ce qui les attendait si Karl les rattrapait. Ce qu'il lui réservait à elle n'était certes guère enviable, mais c'était la mort pure et simple qu'il destinait à Sam, et elle savait que Karl ne se priverait pas de faire durer son agonie.

 

            A cette idée, un frisson la parcourut et Sam la serra plus fort. Elle sentait la chaleur de son corps tout contre le sien, son souffle sur sa nuque, et elle eut soudain terriblement envie de lui. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Sam prit doucement son visage dans ses mains et l'embrassa tendrement. Leurs baisers se firent plus passionnés tandis qu'il défaisait un à un les boutons de sa robe. Il la porta ensuite dans la petite chambre attenante et la déposa avec douceur sur le lit. Ils firent l'amour ce soir-là avec plus de tendresse et de passion que jamais, leurs gestes guidés par une ardeur empreinte de solennité, comme s'ils savaient que c'était la dernière fois.

 

            Ils étaient endormis depuis quelques heures à peine lorsque la sonnerie du pager retentit. Lee-Ann se redressa vivement dans le lit, le coeur battant. "Mon Dieu non, faites que ce ne soit qu'une erreur !" pensa-t-elle. Elle se tourna vers Sam qui était déjà debout et se dirigeait vers la commode où était posé le biper. Joe le leur avait confié lorsqu'ils étaient venus s'installer (se cacher...) en Irlande, "En cas d'urgence" avait-il dit... Sam appuya sur le bouton, arrêtant la sonnerie, et déchiffra le message inscrit sur l'écran. Quatre lettres. karl. Lee-Ann lu dans son regard que leurs pires craintes se concrétisaient ce soir. Karl les avait retrouvés...

            La panique l'envahit. Elle se leva et rejoint Sam qui la prit dans ses bras.

 

"Tout va bien Lee-Ann, ne t'inquiète pas, nous avons tout le temps de partir."

 

            Il la repoussa tendrement et prit son visage dans ses mains, la forçant à le regarder dans les yeux.

 

"Nous allons faire comme prévu Lee-Ann, et tout se passera bien."

 

            La jeune femme réprima les larmes de colère et de peur qui perlaient à ses yeux et acquiesça gravement. Ils s'habillèrent rapidement. Sam attrapa sous le lit le sac à dos contenant leurs papiers, de l'argent et quelques vêtements de rechange - tout ce qui était nécessaire à leur fuite - préparé dès le premier jour pour une telle éventualité. Ils quittèrent la maison moins de dix minutes après l'alerte du pager, Spike sur leurs talons. Mais il était déjà trop tard.

 

* * *

 

 

Chapitre 5

 

"Plus vite, tu dois anticiper le mouvement !"

 

            La rapière dansait dans les mains de Lee-Ann, mais trop lentement au goût de MacLeod. Ce dernier ne laissait aucun répit à son élève, enchaînant passes et attaques à une vitesse vertigineuse. Cela faisait plus de deux heures qu'ils s'entraînaient ainsi, et Lee-Ann était épuisée. La sueur collait ses vêtements et brûlait ses yeux fatigués. Le son métallique des lames s'entrechoquant résonnait dans le dojo désert, accompagné des invectives de MacLeod et de la respiration haletante des deux opposants.

Depuis leur retour du chalet dix jours plus tôt, le Highlander avait décidé de passer à l'étape supérieure pour l'entraînement de Lee-Ann et c'est maintenant à armes réelles que les combats se déroulaient. La douleur n'effrayait pas vraiment Lee-Ann mais l'adrénaline affluait plus abondamment dans son sang, ce qui rajoutait un peu d'intensité à leurs échanges. Pour l'heure, la fatigue gagnant, Lee-Ann commençait à commettre quelques erreurs. Les rudes remarques et critiques de MacLeod n'arrangeaient rien, et la colère envahissait peu à peu la jeune femme. Elle ne comprenait pas l'attitude de MacLeod qui semblait plus ombrageux et irascible depuis quelques jours. La difficulté des entraînements allait croissant, et il exigeait chaque jour un peu plus de Lee-Ann. Elle commençait à se demander s'il n'agissait pas ainsi afin de la décourager et de l'inciter à renoncer à sa vengeance ; c'était en effet depuis la visite de Joe qu'il avait changé. Joe. Cher Joe. Lee-Ann sentait bien qu'il était lui aussi dérouté par ses projets, mais elle n'avait pas l'intention d'abandonner.

 

"Aïe !"

 

            Le cri de Lee-Ann qui retentit dans le dojo mêlait colère et douleur. Une estafilade zébrait son avant bras droit où la lame de MacLeod l'avait entaillée. Celui-ci se dirigea aussitôt vers Lee-Ann pour examiner la plaie. Elle se recula vivement, le fusillant du regard.

 

"Ce n'est rien Duncan, je survivrai…"

 

"Lee-Ann, s'il te plaît, laisse-moi voir !"

 

"Pourquoi ? Tu as parfaitement maîtrisé ton coup, ce n'est qu'une égratignure, alors, continuons !"

 

            Lee-Ann fulminait contre MacLeod.

 

"Je pense que ça suffira pour aujourd'hui…", répondit MacLeod sans insister.

 

Lee-Ann avait raison, il l'avait délibérément blessée afin qu'elle se concentre sur le duel. Mais il n'avait pas prévu qu'elle lirait si bien en lui, et qu'elle comprendrait parfaitement que cet avertissement était destiné à lui donner un avant goût d'un combat réel, de la douleur physique, pour lui faire prendre l'exacte portée de ses intentions à l'égard de Karl.

            Lee-Ann enroula rageusement sa serviette autour de son bras et se dirigea vers le monte-charge, suivie de MacLeod. Arrivée à l'étage, elle entra immédiatement dans la salle de bain dont elle ferma la porte sans douceur. MacLeod préparait un café lorsque l'approche d'un Immortel envahit ses sens, quelques secondes avant que l'élévateur ne s'ébranle vers le rez-de-chaussée. Il ne devait s'agir que de Richie, mais, à tout hasard, Duncan se rapprocha calmement de la cheminée où était posé son katana.

            Le visage qui apparut entre les grilles de l'élévateur n'était toutefois pas celui de Richie. MacLeod ne cacha pas sa surprise.

 

"Methos ? Quelle…"

 

"Chut MacLeod !", l'interrompit Methos, posant un doigt sur ses lèvres en scannant rapidement la pièce du regard. "Aujourd'hui je ne suis que le guetteur Adam Pierson …"

 

            Haussant les sourcils, le Highlander prit une moue interrogative.

 

"Je suis venu voir Lee-Ann", reprit Methos en s'installant nonchalamment dans le sofa. "Joe m'a dit qu'elle était avec toi."

 

"Lee-Ann ?", demanda Duncan en tendant, sans même réfléchir, une bière fraîche à Methos. "Oui, elle est ici, juste à côté même… ", ajouta-t-il en désignant la salle de bain d'où l'on pouvait entendre l'eau couler.

 

            Le Highlander prit place à son tour dans son fauteuil.

 

"Donc vous vous connaissez mais elle ne sait pas qui tu es ?", interrogea Duncan, un peu irrité de voir que beaucoup de gens semblaient connaître Lee-Ann tandis que lui ne savait quasiment rien de la jeune femme.

 

"Oui, et je ne pense pas que ce soit le bon moment pour les révélations… Bon sang MacLeod quand Joe m'a dit qu'elle était saine et sauve, et chez toi en plus, je ne voulais pas y croire ! J'ai passé près d'un mois à parcourir l'Europe à sa recherche, mais tout indiquait qu'elle avait été tuée avec Sam… Tu es au courant n'est-ce pas ?"

 

"Oui, un peu, je sais ce que Joe et Lee-Ann ont bien voulu me dire, c'est à dire pas grand chose… Depuis quand connais-tu Lee-Ann ?"

 

"Eh bien… "

 

"Adam ?"

 

            Les deux Immortels se levèrent comme un seul homme tandis que Lee-Ann, vêtue de propre, un pansement sur son avant-bras et une serviette à la main, entrait dans la pièce.

 

"Adam ? Mais qu'est-ce… "

 

            Methos l'interrompit en la prenant dans ses bras. Il la serra brièvement mais avec chaleur, puis s'écarta pour la regarder.

 

"Lee-Ann, c'est bon de te voir !"

 

"Plaisir partagé Adam ! Mais ma parole Duncan, tu connais tous les guetteurs de Joe ?!"demanda-t-elle sans malice au Highlander.

 

Ses griefs envers son mentor semblaient s'être envolés avec l'arrivée de Methos, et son visage n'exprimait plus qu'une curiosité amusée. Mais il se ferma brusquement comme elle se tournait à nouveau vers le nouvel arrivant.

 

"C'est Joe qui t'envoie n'est-ce pas ? Il t'envoie pour me convaincre d'arrêter l'entraînement… "

 

            Methos sourit et la fit prendre place à ses côtés sur le divan.

 

"C'est un peu vrai, Joe est inquiet pour toi tu sais. Mais je voulais surtout te voir…". Il saisit la main de Lee-Ann et plongea son regard dans ses grands yeux verts. "Lee-Ann, je suis vraiment désolé pour Sam… ".

 

"Merci, je sais… ". Lee-Ann avait répondu sans animosité mais elle baissa la tête et se dégagea avec douceur de l'étreinte de Methos.

 

            Elle se leva et fit quelques pas dans la pièce. Les deux hommes gardaient le silence, sentant que Lee-Ann voulait dire quelque chose. Elle croisa les bras, comme pour se réchauffer, puis, se tournant à nouveau vers Methos, reprit doucement la parole.

 

"Je…je suis désolée pour toute cette mascarade, Adam, mais je n'avais pas le choix." Methos resta silencieux. "Il fallait que tout le monde me croie morte, c'était ma seule chance que Karl le pense aussi."

 

            Elle leva les yeux vers lui, et son sourire empreint de compassion et de tendresse la rassura. Elle demanda enfin :

 

"Et, pour Sam …?"

 

            Methos la fit asseoir à nouveau près de lui. "Joe ne t'a rien dit ?"

 

"Non, je… je n'ai pas osé lui demander."

 

"Ne t'inquiètes pas. Nous avons rapatrié le corps de Sam en France, et il repose auprès de ses parents à Etretat…"

 

"C'est bien. Merci Adam."

 

            Methos lui sourit à nouveau. MacLeod avait observé l'échange sans intervenir, et il devinait les efforts de Lee-Ann pour garder son calme et refouler son émotion : ses lèvres pincées, ses mains serrées très fort l'une contre l'autre, son regard dur... Il connaissait maintenant assez la jeune femme pour lire en elle. Il se demanda soudain si Methos connaissait Lee-Ann mieux qu'il ne paraissait…

La jeune femme sembla se reprendre et sourit à son tour au vieil Immortel dont elle ignorait la véritable identité. Elle lui demanda, avec un entrain forcé mais une curiosité non feinte, s'il avait fait de nouvelles découvertes concernant le projet Methos… Duncan ne put réfréner un sourire tandis que le "projet" répondait le plus naturellement du monde qu'il progressait. MacLeod saisit cette opportunité pour demander à Lee-Ann comment elle avait rencontré Adam Pierson.

 

"Oh, nous avons passé plusieurs mois à déchiffrer ensemble de vieux manuscrits concernant peut-être Methos. C'était il y a environ trois ans. Joe pensait qu'un travail de recherche serait moins dangereux que d'être affectée à un Immortel sur le terrain. Mais, et toi Duncan, comment se fait-il que tu connaisses Adam ?"

 

"Par l'intermédiaire de Joe en fait… ", répondit vaguement le Highlander avant que Methos ne l'interrompe.

 

"C'est une longue histoire Lee-Ann. Je te dirais tout le moment venu, mais pour l'instant notre priorité est ta sécurité. Lee-Ann," reprit-il gravement, forçant la jeune femme à le regarder, "dis-moi ce qui s'est passé. Raconte-moi tout, s'il te plait. C'est très important. Si nous voulons pouvoir te protéger, il faut que nous sachions."

 

            Observant l'expression à la fois blessée et méfiante qui s'affichait sur le visage de Lee-Ann, Methos ajouta :

 

"Je sais que c'est difficile pour toi Lee-Ann, mais nous devons être sûrs que Karl te croit morte et qu'il te laissera tranquille au moins jusqu'à ce qu'on trouve une solution."

 

            Lee-Ann baissa les yeux.

 

"Je sais Adam. Je ne pouvais pas le dire à Joe… Tu comprends ?"

 

            Methos lui sourit à nouveau. Il semblait à MacLeod que ce sourire n'avait pas l'air faux que la constante touche d'ironie et le cynisme du plus vieux des Immortels leur donnait parfois. C'était un franc sourire, empreint de compassion et de bienveillance. Et Duncan sentit que le moment était venu. Lee-Ann allait livrer la dernière partie de son secret. La jeune femme se leva et se dirigea à nouveau vers la fenêtre.

            C'est le regard perdu au loin dans le ciel clair de Seaucouver que Lee-Ann commença son récit.

 

"Le biper a sonné vers minuit… "

 

* * *

 

            Ils étaient endormis depuis quelques heures à peine lorsque la sonnerie du pager retentit. Lee-Ann se redressa vivement dans le lit, le coeur battant. "Mon Dieu non, faites que ce ne soit qu'une erreur !" pensa-t-elle. Elle se tourna vers Sam qui était déjà debout et se dirigeait vers la commode où était posé le biper. Joe le leur avait confié lorsqu'ils étaient venus s'installer (se cacher...) en Irlande, "En cas d'urgence" avait-il dit... Sam appuya sur le bouton, arrêtant la sonnerie, et déchiffra le message inscrit sur l'écran. Quatre lettres. KARL. Lee-Ann lu dans son regard que leurs pires craintes se concrétisaient ce soir. Karl les avait retrouvés...

            La panique l'envahit. Elle se leva et rejoint Sam qui la prit dans ses bras.

 

"Tout va bien Lee-Ann, ne t'inquiète pas, nous avons tout le temps de partir."

 

            Il la repoussa tendrement et prit son visage dans ses mains, la forçant à le regarder dans les yeux.

 

"Nous allons faire comme prévu Lee-Ann, et tout se passera bien."

 

            La jeune femme réprima les larmes de colère et de peur qui perlaient à ses yeux et acquiesça gravement. Ils s'habillèrent rapidement. Sam attrapa sous le lit le sac à dos contenant leurs papiers, de l'argent et quelques vêtements de rechange - tout ce qui était nécessaire à leur fuite - préparé dès le premier jour pour une telle éventualité. Ils quittèrent la maison moins de dix minutes après l'alerte du pager, Spike sur leurs talons. Mais il était déjà trop tard.

 

            Ils s'élancèrent à petit trot, remontant le cours d'eau en direction du pont un peu plus au nord. Une voiture les attendait cachée dans une vieille ferme de l'autre côté de la rivière, et ils rejoindraient ainsi Cork pour fuir l'Irlande par bateau. L'herbe haute assourdissait le bruit de leurs pas et la lune presque pleine guidait leur course silencieuse. Ils ne voulaient pas prendre le risque d'allumer leurs lampes torches.

Ils avaient pratiquement rejoint le pont lorsque Spike se figea, oreilles dressées et truffe en alerte, puis se mit à gronder. Sam et Lee-Ann arrêtèrent leur course et s'accroupirent, aux aguets. Le coeur de Lee-Ann battait à tout rompre, son sang pulsait à ses tempes. La peur de perdre Sam surpassait sa crainte de retomber aux mains de Karl. La panique l'envahissait progressivement. Et s'il les avait réellement retrouvés ? Et s'il était déjà trop tard pour fuir ? Elle serra la main de Sam dans la sienne.

Ils scrutèrent la pénombre alentour sans rien apercevoir. Seul le bruissement des feuilles et le faible murmure de l'eau en contrebas se faisait entendre dans le silence de la nuit. La rivière, haute comme à l'accoutumée au printemps, était tranquille et peu rapide à cet endroit. Le pont de pierre qui l'enjambait était désert et l'autre côté, bien que difficile à distinguer depuis leur position, semblait calme. Spike grondait toujours sourdement. Lee-Ann consulta Sam du regard. Il hocha la tête comme pour dire "Allons-y !". Ils entreprirent de traverser.

À peine avaient-ils effectué quelques pas sur le pont que l'éclat puissant de deux phares s'alluma face à eux sur l'autre rive, les aveuglant temporairement. Ils firent aussitôt demi-tour pour prendre la fuite, mais se retrouvèrent face à face avec un homme grand, blond, aux yeux bleu acier, qui leur barrait le passage armé d'un revolver et d'une lampe torche. Lee-Ann reconnu aussitôt Hans, le bras droit de Karl depuis plus de 7 ans.

Ils étaient pris au piège sur le pont.

Sam et Lee-Ann firent volte-face à nouveau. Dans le halo lumineux des phares s'avancèrent deux hommes. Spike se mit à aboyer furieusement à leur encontre. Les jambes de Lee-Ann se dérobèrent presque sous elle tandis que le visage de Karl apparaissait dans la lumière. Celui-ci arborait un rictus triomphal. L'homme qui l'accompagnait, grand, de type aryen comme Hans, un mauvais sourire déformant sa bouche, était inconnu de Lee-Ann. Il braquait lui aussi un pistolet dans leur direction.

Sam pris la main de Lee-Ann dans la sienne. Elle était glacée. Les aboiements enragés de Spike redoublèrent tandis que le deuxième homme s'avançait dans leur direction. Mais un imperceptible mouvement de Karl lui intima l'ordre de rester à sa place. L'homme s'exécuta. Hans quant à lui restait en retrait.

Karl fit un pas vers eux, et Spike se ramassa, prêt à bondir sur cet intrus menaçant ses maîtres. Un bref regard à l'homme près de lui suffit. Lee-Ann cria "NON !" mais avant qu'elle ait pu esquisser le moindre geste pour retenir le berger allemand, celui-ci s'élança vers Karl. La détonation retentit au même instant et Spike fut brutalement projeté de côté par la balle qui l'atteignit en plein flanc. Le corps sans vie du chien retomba lourdement sur le sol aux pieds de Karl qui ne lui accorda même pas un regard.

            Sam, toujours silencieux, sera fermement la main de Lee-Ann. Elle se ressaisit et leva les yeux vers Karl qui s'était avancé. Déchiffrant la haine pure qui s'y lisait, celui-ci hocha la tête de droite à gauche, et afficha un demi-sourire.

 

"Allons, allons, Petite Fleur", dit-il sur le ton que l'on emploie pour consoler les enfants. "Ne sois pas triste, je t'en offrirai un autre..."

 

            Le cœur de Lee-Ann se souleva en entendant ce surnom que Karl lui avait donné au début de leur histoire et qu'elle détestait tant maintenant.

 

"Espèce de salaud !", siffla-t-elle entre ses dents.

 

            Karl pencha légèrement la tête de côté, son sourire s'élargit.

 

"Tu croyais réellement que j'abandonnerai si facilement ? Allons, tu me connais mieux que ça maintenant, non ? Tu sais bien que nous sommes faits l'un pour l'autre, et que rien ni personne ne pourra nous séparer... "

 

            Il avait prononcé ces derniers mots en levant les yeux vers Sam qui soutint son regard sans broncher. Lee-Ann comprit alors que tout était perdu. Ils étaient coincés sur ce pont au beau milieu de la campagne irlandaise. Il ne lui servirait à rien d'accepter de suivre Karl en échange de la vie sauve de Sam, il le tuerait de toute façon. Au moindre mouvement de fuite, Hans ou l'homme qui venait d'abattre Spike feraient feu sur eux. Elle se prit à penser qu'au moins la mort les libérerait de ce monstre. Si Sam devait mourir, elle refusait de lui survivre, surtout aux mains de Karl.

            Ce dernier fit encore un pas vers eux. Sam et Lee-Ann reculèrent instinctivement, ce qui accentua le rictus de l'Immortel. Les amants étaient maintenant pratiquement acculés à la rambarde du pont. Lee-Ann réalisa soudain que leur seule chance de salut était peut-être sous leurs pieds.

            La rivière.

            En sautant, ils auraient peut-être une chance de leur échapper. L'absurdité de son plan lui apparut bien vite : ils feraient une cible de choix pour les hommes de Karl qui n'hésiteraient pas à faire feu sur eux comme cette brute l'avait fait pour Spike.

Mais... Le feraient-ils vraiment ? Non, bien sûr que non ! Lorsqu'elle s'était échappée du manoir de Karl trois ans auparavant, aucun homme de main de l'Immortel n'avait osé tirer sur elle. Celui-ci leur avait clairement signifié qu'aucun mal ne devait être fait à la jeune femme, et c'est ainsi qu'elle avait pu fuir. Leurs armes ce soir n'étaient destinées qu'à les intimider, ce qui avait presque réussi ! Si Sam et elle plongeaient ensemble, les hommes de Karl ne tireraient pas sur eux de peur de la blesser, Karl lui-même les en empêcherait. Ils n'avaient de toute façon pas d'autre choix que tenter l'essai. Mais elle devait amadouer Karl, détourner son attention afin qu'il ne se doute de rien. Elle planta ses yeux dans les siens.

 

"Laisse-le partir Karl, c'est moi que tu veux..."

 

            L'Immortel renversa la tête en arrière et parti d'un rire triomphal. C'est exactement ce qu'il voulait entendre : Lee-Ann le suppliant d'épargner le pauvre mortel qui avait volé son cœur.

 

"Non, non, non, Petite Fleur... ", répondit-il en agitant l'index tendu devant lui. "Je crois que tu mérites quand même une petite leçon pour ta conduite... "

 

            Pendant qu'il parlait, Lee-Ann serra plus fermement encore la main de Sam derrière son dos, le tirant imperceptiblement en arrière. Sam comprit tout de suite. Elle avait raison, c'était leur seule chance. Ils devaient la tenter.

 

"... Nous allons tous les trois repartir bien sagement avec Hans et Peter, nous aviserons ensuite."

 

            Toujours souriant, certain d'avoir gagné la partie, Karl se retourna pour faire signe aux deux hommes derrière lui. D'un même mouvement, Sam et Lee-Ann basculèrent en arrière, prenant appui sur le muret formant rambarde pour se propulser dans le vide. Ils plongèrent dans la rivière dont les eaux noires et glacées se refermèrent sur eux.

 

"Nein ! Scheisse ! Mais bande d'idiots, qu'est-ce que vous attendez, faites quelque chose !", hurla Karl à l'adresse de ses deux acolytes.

 

Le raisonnement de Lee-Ann était juste : Karl avait effectivement interdit à ses hommes de tirer sur elle ou de faire quoique ce soit pour la blesser. Mais tous deux avaient négligé un détail : la fougue et la bêtise de Peter, l'homme qui avait abattu Spike, et qui venait d'être recruté par Karl.

Au moment où Hans, ayant parfaitement interprété les ordres de l'Immortel, s'apprêtait à plonger à leur suite, Peter, emporté par les hurlements de Karl, fit feu à deux reprises dans leur direction avant que l'Immortel ne lui plonge son épée dans le ventre avec un cri de rage.

 

            Sous les eaux boueuses, le bruit des déflagrations parvint assourdi à Lee-Ann qui ne réalisa pas ce que cela signifiait. Sam et elle avaient plongé le plus profondément possible, puis avaient entrepris de nager aussi loin qu'ils le pouvaient sans refaire surface. Lee-Ann sentit à peine la deuxième balle entailler son bras juste sous l'épaule. Elle avait perdu la main de Sam dans sa chute, mais elle le devinait nageant près d'elle.

Lorsqu'elle ne put retenir son souffle plus longtemps, elle remonta vers la surface. Elle ne sortit la tête de l'eau que quelques secondes, le temps d'inspirer profondément avant de replonger, mais elle eut le temps de constater qu'avec l'aide du courant, ils s'éloignaient rapidement du pont d'où elle percevait les cris de fureur de Karl. Elle avait du mal à réaliser qu'elle venait une fois de plus d'échapper à la folie de cet homme.

Ses réserves d'oxygène s'épuisèrent plus rapidement cette fois et elle ne tarda pas à remonter à nouveau respirer. L'eau était glacée. L'engourdissement gagnait ses membres et ses mouvements devenaient de plus en plus fatigants. Dehors la nuit était calme, elle n'entendait plus la voix de Karl et la lueur des phares avait disparu. Elle se maintint en surface tant bien que mal pour tenter d'apercevoir Sam. Il lui avait pourtant semblé qu'il était resté près d'elle... Inquiète, elle nageait en rond, cherchant son visage dans l'obscurité. La panique menaçait de l'envahir de nouveau lorsqu'il fit surface près d'elle, haletant. Rassurée, elle le prit dans ses bras et couvrit son visage de baisers.

 

"Nous avons réussi Sam, nous lui avons échappé !!"

 

"Oui, nous avons réussi... ", répéta-t-il, le souffle court. "Mais nous devons sortir de l'eau rapidement si nous ne voulons pas finir congelés", ajouta-t-il péniblement.

 

            S'accrochant l'un à l'autre, les deux amants nagèrent en silence vers la berge. La rivière longeait à cet endroit un bois qui leur permettrait de se dissimuler le temps de reprendre leur souffle. Lee-Ann s'agrippa aux racines saillantes pour se hisser sur la rive. Elle tendit ensuite la main à Sam qui grimpa avec peine et tomba à genoux sur l'herbe boueuse du bord. Prenant alors conscience que quelque chose n'allait pas, Lee-Ann s'accroupit près de lui.

 

"Sam ? Sam, qu'est-ce qui t'arrive ?"

 

            Avant qu'il ne puisse répondre, Sam s'effondra dans les bras de Lee-Ann.

 

"Sam, qu'est-ce qui se passe ? Sam, tu m'entends ? Réponds-moi, Sam !". Lee-Ann était au bord de l'hystérie.

 

Elle l'allongea à terre, enlevant son sac à dos, et ouvrit son blouson pour qu'il puisse respirer. Elle vit alors la tache sombre qui s'élargissait sur son abdomen.

 

"Oh mon Dieu, NON !". Refoulant les sanglots qui montaient dans sa gorge, Lee-Ann entreprit de défaire sa chemise pour examiner la plaie. "Oh mon Dieu non !", répéta-t-elle dans un murmure.

 

La blessure était large, et le sang noir qui s'en écoulait ne laissait pas de place au doute.

Sam allait mourir.

Lee-Ann réalisa alors seulement que des coups de feu avaient bien été tirés dans leur direction, et que la douleur diffuse dans son bras avait été causée par une des balles du tireur. Tout cela était de sa faute... Elle prit alors conscience que son plan avait lamentablement échoué, et qu'elle allait perdre Sam pour de bon. Refusant de céder à la panique qui menaçait de s'emparer d'elle, elle tenta de rassurer Sam.

Ouvrant le sac, elle saisit à l'intérieur un des tee-shirts trempés et l'appliqua sur la plaie, pressant fortement pour stopper l'hémorragie. Maintenant ce pansement de fortune d'une main, elle caressait tendrement le visage brûlant de Sam, essuyant la sueur qui perlait à son front.

 

"Ca va aller Sam, ne t'inquiète pas, je suis là... ".

 

            Mais Lee-Ann savait pertinemment que Sam était perdu. Elle ne put retenir les sanglots qui se formaient dans sa gorge et, se penchant sur l'homme qu'elle aimait le plus au monde, déposa un léger baiser sur ses lèvres exsangues. Sam prit sa main dans la sienne et la serra de toutes les forces qui lui restaient.

 

"Lee-Ann...Lee-Ann, écoute-moi... ", murmura-t-il dans un souffle.

 

"Chut... Sam, ne parle pas, reste tranquille... "

 

"Non, écoute-moi Lee-Ann...Tu dois aller voir MacLeod, il te protégera... "

 

"Sam, je t'en prie... "

 

            Lee-Ann serrait la main de Sam contre ses joues baignées de larmes. Il reprit doucement la parole.

 

"Lee-Ann, promets-le moi... "

 

Son souffle s'affaiblissait et il fut pris d'une quinte de toux qui le força à s'interrompre. Lee-Ann, horrifiée, essuya le sang de sa bouche.

 

"Oh Sam, je t'en prie, ne me laisse pas... "

 

"Lee-Ann, s'il te plaît, promets-moi que tu iras trouver MacLeod... Il t'aidera à éliminer Karl... "

 

            La voix de Sam n'était plus qu'un murmure rauque. Lee-Ann se pencha à nouveau sur lui et prit son visage dans ses mains.

 

"C'est d'accord Sam, j'irai trouver MacLeod."

 

"Promets-le moi Lee-Ann, jure-moi que tu le feras... "

 

            La jeune femme fixa son regard dans les yeux fiévreux de Sam.

 

"Je te le promets Sam, j'irai... "

 

            Les paupières de Sam se refermèrent doucement. Au même instant, la pluie se mit à tomber en gouttelettes fines et glacées. Juste avant que la mort ne l'emporte, il murmura :

 

"Je t'aime... "

 

            Le cœur de Lee-Ann se brisa au moment où celui de Sam cessait à jamais de battre. Elle serra le corps sans vie contre elle, le berçant tendrement, et laissa monter en elle la plainte sourde de sa douleur qui jaillit du plus profond de son être en un long gémissement.

 

Le bref jappement d'un chien non loin la fit sursauter. Depuis combien de temps était-elle là, prostrée, serrant contre elle le corps à présent froid de Sam ? Elle ne saurait le dire, elle avait perdu toute notion du temps. Levant la tête, elle constata que les étoiles avaient disparu et que l'est se parait déjà de la timide lueur des prémices de l'aube. Le jour était proche. Elle devait réagir. Ou se laisser mourir, aux côtés de Sam. Mais dans ce cas, sa mort resterait impunie... Karl aurait remporté la victoire.

Karl.

A l'évocation de ce nom, son cœur s'emplit d'une haine glaciale et se révolta.

Elle n'avait aucun doute quant à l'identité du tireur. C'était à l'évidence cet inconnu, ce Peter, probablement recruté par Karl peu de temps auparavant, qui avait usé de son arme. Hans connaissait parfaitement les consignes, et Karl n'avait pas de revolver. Ce Peter était vraisemblablement déjà mort à l'heure qu'il était, exécuté par Karl, mais cela ne lui était d'aucun réconfort.

C'est l'Immortel qui était responsable de l'état de Sam. C'était Karl.

Elle ne pouvait pas le laisser gagner, il devait payer pour ce crime, et tous les autres.

Oeil pour oeil, dent pour dent. La loi du Talion seule pouvait s'appliquer à cet être abject et dégénéré. Sa décision était prise.

Elle allait venger Sam, par tout moyen. Elle prendrait la tête de Karl, quel qu'en soit le prix. Y laisserait-elle la vie ? Y perdrait-elle son âme ? Cela n'avait pas d'importance. La vengeance seule comptait.

La frêle et douce jeune femme qui avait partagé la vie de Sam n'était plus, laissant la place à une Lee-Ann déterminée, froide, implacable.

Mais comment faire ? Où aller ?

Elle ne pouvait se tourner vers les Guetteurs et mettre plus de vies en danger, surtout pas celle de Joe. Elle devait trouver autre chose.

La promesse faite à Sam lui revint. MacLeod.

Elle avait juré d'aller le trouver, de se placer sous sa protection. Mais il pouvait faire plus pour elle. Avec lui, elle pourrait apprendre. Pourquoi pas... Elle n'avait de toute façon pas le choix. C'était la seule solution qui s'offrait à elle pour l'instant.

Alors, qu'il en soit ainsi.

 

Elle réalisa soudain que la pluie avait cessé, apparemment depuis quelque temps. Elle caressa tendrement le visage de Sam. Il paraissait assoupi, tel le dormeur du val de Rimbaud. Elle garderait à jamais l'image de son doux sourire figé dans la mort, semblant lui dire "Tout va bien, je t'attends".

Les yeux de Lee-Ann étaient secs, comme si la douleur - si forte, si présente - avait tari la source de ses larmes. Déposant un dernier baiser sur les lèvres blêmes, elle se releva doucement. Ses jambes ankylosées protestèrent, mais elle les sentit à peine, pas plus que la blessure de son bras.

Elle rassembla le contenu du sac épars, puis, implorant Sam de l'en pardonner, tira son corps jusqu'à la rivière où elle le rendit aux flots boueux. La réussite de son plan dépendait des quelques heures d'avance qu'elle pouvait en espérer, et surtout des conclusions que l'on en tirerait. Les enquêteurs en déduiraient peut-être qu'il était seul, et les guetteurs qu'elle avait péri avec lui... C'était sa seule chance.

Elle regarda son corps sombrer lentement tandis que déjà le courant l'entraînait en aval.

            Lee-Ann s'enfonça dans la forêt encore sombre au moment où les premières lueurs du matin embrasaient le ciel d'Irlande.

 

* * *

 

            Lee-Ann s'était tue depuis plusieurs minutes, mais ni Methos ni MacLeod n'osaient troubler le silence qui s'ensuivait. Lee-Ann était toujours debout devant la fenêtre, les yeux perdus au loin. Elle ne leur avait pas raconté comment elle avait quitté l'Irlande par bateau, son escale à Paris - à peine quelques heures - puis son détour par Oslo, en Norvège, pour brouiller les pistes et rejoindre Seacouver via New York et Chicago. Tout cela n'avait pas d'intérêt.

            MacLeod ne pouvait détacher son regard du visage de Lee-Ann tourné vers l'horizon, les yeux hagards. Une larme dont elle n'avait même pas conscience roula doucement sur sa joue droite, et Duncan résista à grand peine à l'irrépressible besoin qui s'emparait de lui de se lever pour aller la prendre dans ses bras, la serrer contre lui, essuyer cette larme maudite, et caresser doucement ses cheveux en murmurant à son oreille des mots qui n'auraient pas de sens jusqu'à ce que sa peine s'efface à jamais.

            Il se leva et, afin de se donner une contenance, se dirigea vers la cuisine pour préparer du café. Il entendit Methos se lever à son tour et prendre Lee-Ann dans ses bras pour la réconforter mais il préféra ne pas se retourner. Lorsqu'il revint enfin vers eux avec les tasses ils étaient à nouveau assis l'un près de l'autre dans le sofa.

            Methos fut le premier à reprendre la parole.

 

"D'après les dernières informations dont nous disposons, Karl est retourné chez lui, en Allemagne. Il n'en est pas sorti depuis ce jour. Il semblerait que tu aies réussi à brouiller les pistes Lee-Ann."

 

            Elle ne répondit pas mais eut un triste sourire, comme pour dire "Pour combien de temps…?". Duncan réalisa alors qu'une question restait encore sans réponse.

 

"Mais, pourquoi moi Lee-Ann ? Pourquoi Sam voulait-il que tu viennes me trouver ? Je ne le connaissais pourtant pas… "

 

            Lee-Ann jeta un coup d'œil en coin à Adam. Ce fut lui qui répondit.

 

"Non, mais lui te connaissait Duncan. Sam était aussi ton guetteur, depuis 3 ans environ, une sorte de suppléant quand Joe était indisponible sur Paris. Nous faisons souvent ça tu sais, c'est plus pratique, surtout avec les Immortels qui voyagent constamment. Et puis cela évite les risques de se faire repérer."

 

            MacLeod secoua la tête, interdit. Il ne pouvait imaginer que cet homme dont il ne savait quasiment rien, celui que Lee-Ann chérissait et dont elle pleurait la mort, avait pu avoir confiance en lui au point de lui confier la femme qu'il aimait afin qu'il veille sur elle. Un élan de sympathie le porta soudain vers celui qu'il ne rencontrerait jamais, dont il ne serrerait jamais la main, et qui pourtant lui avait été si proche. Quant il leva les yeux, ce fut pour rencontrer ceux de Lee-Ann qui le fixaient intensément. Il partagèrent en cet instant un peu de la même douleur, de la même colère.

En lisant cette communion dans le regard du Highlander, Lee-Ann prit enfin toute la mesure de la promesse que lui avait arrachée Sam. Il ne l'avait pas seulement dirigée quelqu'un capable de la protéger, mais vers un homme profondément droit, honnête et bon. Un être capable de comprendre et, peut-être, d'apaiser sa souffrance. Probablement, réalisa pour la première fois Lee-Ann, car lui-même avait déjà dû survivre à cette épreuve un trop grand nombre de fois.

Elle pensa à Tessa. A ce que Joe ou Sam lui avaient raconté de la femme qui avait partagé 12 ans de la vie de cet Immortel et ce que sa mort avait signifié pour MacLeod. Oui, le Highlander connaissait cette souffrance.

Elle détourna finalement les yeux, mais Methos avait eu le temps de déchiffrer cet échange. Sa bouche s'étira en un imperceptible sourire.

Il les quitta un peu plus tard dans la soirée. Lee-Ann était reconnaissante à son ami Adam Pierson de ne pas avoir tenté de la dissuader de son projet. Il avait semble-t-il compris qu'il ne servait à rien d'essayer de lui faire abandonner l'idée de vengeance qui l'animait, mais Lee-Ann savait que ni Joe ni Duncan ne renonceraient si facilement. Elle ne se doutait cependant pas de la raison qui, cachée en elle, allait bouleverser ses plans.

 

* * *

 

Methos rentra chez lui ce soir là à la fois soulagé et préoccupé. Soulagé car Lee-Ann était effectivement saine et sauve, physiquement du moins. Pendant les quelques mois au cours desquels il avait travaillé avec Lee-Ann à la recherche de lui-même, il avait appris à apprécier et respecter la jeune femme. Sa douceur et sa gentillesse, ainsi que sa perspicacité et ses capacités déductives (elle avait bien failli mettre à jour un document compromettant que Adam Pierson avait – malencontreusement – égaré par la suite…) avaient gagné ce qui ressemblaient beaucoup à de l'amitié pour Methos. Il avait accompagné Joe en Irlande pour retrouver la jeune femme dès qu'il avait appris la nouvelle, et s'était laissé gagner par l'angoisse du Guetteur pour sa filleule. Il était donc heureux de la revoir en bonne santé. Mais le changement intervenu chez Lee-Ann l'inquiétait au plus haut point. La femme farouche et déterminée qu'il avait revu ce soir n'avait plus rien à voir avec la jeune doctorante en droit timide et réservée qu'il avait connu auparavant. Certes il avait toujours perçu chez elle, derrière cette façade instinctive, une nature forte et passionnée, mais la nouvelle Lee-Ann et surtout ses projets de vengeance lui faisaient craindre le pire. Il comprenait aisément les raisons et les sentiments qui animaient la jeune femme pour les avoir ressentis à maintes reprises au cours de sa vie, mais il savait cette entreprise vouée à l'échec.

Il avait lui-même croisé une fois Karl Hermlin à la fin des années 80, et n'avait pu échapper à ses chiens de mort qu'en déployant ses meilleures ruses et ses plus belles techniques de fuite. Cet homme sans foi ni loi n'était certes pas le premier qu'il croisait, mais ce qu'il avait fait endurer à Lee-Ann impliquait Methos malgré lui et le poussait à tenter coûte que coûte de la faire changer d'avis.

 

Une autre chose préoccupait Methos.

MacLeod.

Cet idiot de Highlander était à l'évidence tombé amoureux de Lee-Ann, et il apparaissait clair au plus vieil Immortel que Duncan allait rapidement tenter de vaincre Karl pour éviter le combat à la jeune femme. Ce qui le contrariait au plus haut point. Hermlin devait à l'évidence être éliminé, mais les honorables et surtout stupides méthodes du Highlander le mèneraient à sa perte, et Methos avait encore trop besoin de MacLeod pour prendre un tel risque. Il devait donc à la fois convaincre Lee-Ann et Duncan d'abandonner leur projet qu'ils ignoraient commun. La solution s'imposa soudain à son esprit de façon si claire qu'il en rit tout haut tandis qu'il s'affalait sur son sofa, une bière à la main. C'était pourtant évident !

Il prendrait les mesures nécessaires dès le lendemain. Il ne doutait pas que sa manœuvre fonctionnerait à merveille, elle était si simple, et permettrait probablement de dissuader Lee-Ann d'agir encore quelques mois, tout en l'éloignant du Highlander.

Un large sourire sur son visage, Methos attrapa la télécommande pour allumer la télévision et regarder les rediffusions de Code Quantum.

 

* * *

 

Chapitre 6

 

Avec le mois de mai les jours se firent plus chaud et plus longs. Les bourgeons éclataient au soleil, habillant les arbres d'un vert tendre tandis que les fleurs écloses se paraient de couleurs et de senteurs nouvelles. Mais Lee-Ann n'y prêtait pas attention. Casquette vissée sur la tête, lunettes de soleil protégeant ses yeux, elle courait le long des trottoirs de Seacouver.

Le son de ses pas sur le bitume résonnait au rythme de sa course tandis qu'elle allongeait ses foulées pour les derniers mètres en direction du dojo. Ses joggings matinaux lui permettaient de se retrouver un peu seule avec elle-même pendant une à deux heures, pour penser et réfléchir. Elle avait eu peur de sortir au début, peur de croiser un des sbires de Karl au détour d'une rue, de tomber sur Hans venu la chercher pour la ramener auprès de son maître. Mais la casquette et les lunettes la protégeaient autant des regards que du soleil, et elle s'était fait violence pour se risquer à l'extérieur. De plus, Joe lui avait confirmé que Karl n'avait pas quitté l'Allemagne depuis deux mois, se terrant dans sa propriété près de Stuttgart. Mais la peur était toujours là. La peur et la haine. Ces semaines auprès de MacLeod, et son entraînement, lui avaient permis d'apprendre à maîtriser ces émotions. Elle savait qu'elle ne pourrait se risquer à défier Karl avant encore longtemps. Elle savait qu'elle ne serait pas prête à l'affronter avant plusieurs mois. Mais elle gardait en elle cette étincelle de rage qui l'animait, enfoui sous un calme apparent et une application sans faille aux exercices du Highlander.

Sam ne s'était pas trompé sur lui. Duncan était un chevalier, un homme d'un autre temps, d'une autre essence, qui prodiguait son savoir à une inconnue, une mortelle qui plus est; et lui livrait les secrets de la survie sans aucune autre raison que la satisfaction d'aider un être tendant la main. Elle était reconnaissante au Highlander de tout ce qu'il lui apportait, plus qu'il ne se l'imaginait. Il la guidait sur les sentiers de la vengeance en prenant garde à lui en montrer les dangers, mais sans tenter de la dissuader d'emprunter cette voie. Il parcourait cette route avec elle pour mieux lui faire comprendre que le bout du chemin n'était pas la finalité du parcours, et que beaucoup d'autres itinéraires méritaient encore d'être explorés. Il était là quand la douleur ressurgissait tel un diable sortit de sa boîte pour la submerger, quand les cauchemars troublaient son sommeil, quand la haine l'aveuglait pour prendre le pas sur la maîtrise.

Maintenant qu'il savait qui elle était, qu'il connaissait son passé et comprenait la mission qu'elle s'était assignée, maintenant qu'aucun secret ne subsistait entre eux, Lee-Ann acceptait plus volontiers de partager ses angoisses et ses réflexions avec lui. Elle était bien sûr consciente des sentiments que MacLeod lui portait, même s'il prenait garde à les dissimuler, mais elle savait que le Highlander respecterait ses engagements sans faire quoi que ce soit qui la troublerait. Elle lui était également reconnaissante pour cela. Entre Duncan et Lee-Ann se tissait au fil des jours une relation plus forte, empreinte de respect et de complicité, non dénuée d'une certaine tendresse. Au même titre que l'amour filial qui l'unissait à Joe, l'amitié que Lee-Ann portait à celui qui était devenu son mentor devenait une nouvelle raison de continuer à vivre malgré la peur et la haine.

Tournant au coin d'une rue, Lee-Ann arriva au square qu'elle traversait tous les jours. En cette matinée de samedi printanier, le petit parc ombragé résonnait déjà des cris des enfants jouant au ballon sur les pelouses ou glissant sur le toboggan à la peinture verte émaillée. De jeunes mères côtoyaient sur les bancs alentours des personnes âgées jetant du pain aux pigeons. Des amoureux assis sur l'herbe tendre laissaient les rayons du soleil caresser leurs visages sereins ou s'embrassaient sans pudeur sous les rires amusés des enfants qui les épiaient derrière les bosquets.

Prise d'un vertige soudain, Lee-Ann ralentit sa course et s'appuya contre un arbre. Elle respira profondément, tentant de chasser le malaise. Retirant ses lunettes, elle passa une main sur son visage, essuyant la sueur qui perlait à son front, mais la tête lui tournait toujours. Elle fit quelques pas en direction du banc le plus proche et s'y assit avec soulagement. Elle ferma les yeux et pris de grandes inspirations. Le vertige se dissipa peu à peu. "Voilà ce qui arrive quand on court trop longtemps au soleil !" s'admonesta-t-elle intérieurement tandis qu'elle relevait la tête et jetait un coup d'œil alentour. Un petit garçon d'environ trois ans arriva alors en courant dans sa direction, tenant une pâquerette dans sa petite main tendue devant lui, et l'offrit fièrement à la jeune femme assise auprès d'elle et que Lee-Ann n'avait même pas remarquée. Après un baiser maternel, le gamin accepta d'enfiler le gilet que lui tendait sa mère et cette dernière se leva, rassemblant ses affaires. La promenade était terminée. La jeune femme, enceinte de plusieurs mois, sourit à Lee-Ann en accrochant la fleur à ses cheveux blonds retenus en nattes sur ses épaules.

 

"Vous verrez, le vôtre aussi vous offrira des fleurs dans quelques années !"

 

Comme Lee-Ann haussait les sourcils, perplexe, la jeune femme poursuivit :

 

"Ne vous inquiétez pas, les premiers mois sont les plus difficiles, mais après tout va pour le mieux vous verrez !"

 

La mère et l'enfant s'éloignèrent aussitôt. Lee-Ann resta interdite sur le banc, puis elle se leva et repris sa course vers le dojo. A vive allure cette fois.

 

Ralentissant le pas pour parcourir les derniers mètres, Lee-Ann arriva au dojo. Elle remarqua immédiatement qu'un intrus avait pénétré dans le loft au moment où elle sortit du monte-charge. Elle saisit son épée d'entraînement sur la cheminée et se dirigea silencieusement vers le fond de l'appartement. La porte de la salle de bains s'ouvrit alors sur une silhouette sombre qui esquiva de justesse le coup que Lee-Ann lui porta en direction de l'abdomen. Levant les mains devant elle, Amanda éclata de rire.

 

"Hé bien hé bien, on m'avait dit que vous étiez douée, mais pas à ce point ! Vous avez bien failli m'embrocher !"

 

Médusée, Lee-Ann abaissa sa garde et recula de quelques pas.

 

"Amanda ? Mais qu'est-ce que vous faites ici ?"

 

"Tiens, tiens, je vois que vous me connaissez", répondit Amanda en souriant. "Je parie que vous êtes Lee-Ann n'est-ce pas ?"

 

            L'Immortelle fit quelques pas dans la pièce pour prendre place nonchalamment sur le sofa. Lee-Ann reposa son arme sur le manteau de la cheminée et vint s'asseoir dans le fauteuil faisant face à Amanda.

 

"C'est MacLeod qui vous a parlé de moi ?", demanda-t-elle, un peu méfiante.

 

            Elle connaissait bien Amanda pour avoir été son guetteur pendant quelques mois deux ans auparavant. C'est même au cours de cette période qu'elle avait rencontré Sam, alors que les routes de MacLeod et Amanda se croisaient de nouveau. Mais elle ne tenait pas à se révéler à l'Immortelle, pas encore du moins. Lee-Ann sourit nerveusement, attendant la réponse d'Amanda, et espérant que l'Immortelle allait bientôt la laisser seule. Elle arrivait à grand peine à contenir son émotion tout en se répétant que c’était impossible. La jeune femme s'était sûrement trompée. Et pourtant…

 

"Oh non !", répondit Amanda, "Duncan ne sait pas encore que je suis là… "

 

            Elle s'interrompit une seconde, penchant la tête légèrement, et son sourire s'agrandit.

 

"… Mais quelque chose me dit qu'il ne va pas tarder à le savoir !"

 

            Elle se leva avec grâce et accueillit MacLeod qui entrait par la porte de l'escalier, katana à la main, et un air d'inquiétude bien visible sur son visage.

 

"Duncan !", s'écria Amanda en s'approchant de lui. Ecartant la lame d'un geste désinvolte, elle prit Duncan dans ses bras et colla sa bouche à la sienne dans un baiser sensuel et provocant. MacLeod la repoussa gentiment en protestant.

 

"Amanda ! Mais enfin qu'est ce que tu fais là ?"

 

La gêne du Highlander n'échappa pas à Amanda qui lui décocha un sourire mutin. "Methos a vu juste" pensa-t-elle. Lee-Ann observait la scène, amusée, mais toujours troublée.

 

"Tu n'es pas heureux de me voir ?" demanda l'Immortelle prenant un air faussement vexé.

 

"Si bien sûr, mais …"

 

"Alors tant mieux ! J'étais justement en train de faire connaissance avec ton amie. Ou plutôt ton élève. D'ailleurs je dois te dire qu'elle se débrouille plutôt bien : elle a failli m'embrocher voici à peine quelques minutes… !" reprit Amanda en se tournant vers Lee-Ann qui sourit furtivement.

 

"Bien, je vois que vous avez donc fait les présentations", grommela le Highlander en posant son katana.

 

"Oh à peine tu sais", repris Amanda en prenant place nonchalamment sur le divan. "Mais nous aurons tout le temps pour cela puisque je reste quelques temps !", ajouta-t-elle avec un sourire angélique.

 

"Ah ? Et où es-tu descendue ?", lui demanda Duncan innocemment en déposant ses provisions sur le plan de travail.

 

Amanda éclata de rire à nouveau. Duncan était vraiment tombé amoureux de l'Irlandaise, cela ne faisait aucun doute. Amanda n'était pas jalouse, l'amour qui existait entre elle et le Highlander était singulier et intemporel, et n'empêchait pas l'un ou l'autre de tomber amoureux par ailleurs. Comme cela avait été le cas pour Tessa. Amanda était au contraire plutôt heureuse pour MacLeod, malgré les révélations de Methos. Duncan avait besoin d'amitiés et d'amours mortelles pour conserver son équilibre et sa personnalité, et les années qui avaient suivi la mort de Tessa avaient été bien sombres. Mais Amanda n'oubliait pas ce que lui avait dit Methos, et ce pourquoi elle était venue. Duncan devrait attendre…

 

"Ne t'inquiète pas pour ça, tu sais que je suis pleine de ressources… ", répondit-elle avec un sourire malicieux. Elle se tourna vers Lee-Ann qui avait prit place auprès d'elle sur le divan.

 

"Alors comme ça vous apprenez à manier la lame ? Vous participez aux championnats du monde d'escrime ?", demanda-t-elle d'un air enjoué. Lee-Ann dévisagea Amanda un instant, soutenant son regard sans broncher.

 

"Oui, quelque chose comme ça", répondit-elle en fixant toujours l'Immortelle dans les yeux.

 

Amanda fronça les sourcils, jaugeant l'irlandaise, puis son adorable nez se plissa et elle éclata de rire. Il ne servirait à rien de manœuvrer avec Lee-Ann, pas plus qu'avec MacLeod. Quoiqu'en dise Methos, il était plus judicieux de jouer franc-jeu avec eux. Duncan serait beaucoup plus enclin à écouter la voix de la raison sans détours ni mensonges, et sa protégée semblait assez sensée et volontaire pour y voir son intérêt. Amanda sentait qu'elle allait apprécier Lee-Ann et avait hâte de faire plus ample connaissance avec elle. Mieux valait donc leur dire la vérité - du moins, en partie. Mais pas aujourd'hui. Elle en parlerait avec Duncan d'abord.

 

"Bien, alors, que diriez-vous si je vous invitais à déjeuner ?", reprit Amanda. "Comme ça nous aurions tout le temps de faire connaissance et de discuter technique !"

 

"Toi ? Nous inviter ?", demanda Duncan en riant. "Tu as encore braqué une banque ou bien tu fais chanter le cuisinier ?"

 

"Allons Duncan, pourquoi me prêtes-tu toujours des intentions douteuses ? Il ne s'agit que d'un déjeuner ! Allez vous préparer ", lança-t-elle à Lee-Ann en la prenant par le bras pour la diriger gentiment vers la salle de bains. "J'ai réservé chez Tony pour midi, et il est hors de question d'arriver en retard pour qu'ils attribuent notre table à d'autres personnes !"

 

"Oh, eh bien, je suis un peu fatiguée ce matin", balbutia Lee-Ann en se dégageant doucement de l'étreinte d'Amanda. "Pourquoi n'iriez-vous pas tous les deux ? Je suis certaine que vous avez beaucoup de choses à vous dire…"

 

"Ca ne va pas Lee-Ann ?" demanda MacLeod visiblement inquiet.

 

"Oh si si, ça va très bien", répondit la jeune femme avec un grand sourire. "J'ai juste envie de prendre une douche et de me reposer un peu. J'espère que vous ne m'en voulez pas ?", demanda-t-elle à l'adresse d'Amanda.

 

            Celle-ci prit un air faussement chiffonné puis sourit.

 

"Pas le moins du monde, Duncan et moi avons effectivement beaucoup de choses à nous dire !"

 

            Sans laisser le temps au Highlander de répliquer, Amanda le poussa vers le monte-charge et adressa un signe de la main à Lee-Ann tandis que l'ascenseur les emportait vers le bas.

 

* * *

 

"Et si tu me disais enfin la véritable raison de ta venue Amanda ?"

 

Duncan remplit le verre d'Amanda et le sien avant de le porter à ses lèvres. Amanda l'imita en souriant. Le serveur arriva alors pour débarrasser leurs assiettes, et Amanda attendit qu'il soit reparti pour répondre.

           

"Je me demandais quand tu allais enfin me poser la question. C'est Methos qui m'a contactée."

 

"Methos ? Qu'est-ce que vous mijotez tous les deux ?"

 

"Mais rien, je te l'assure", se défendit Amanda en riant. "Disons qu'il a pensé que je pouvais, éventuellement, être utile…"

 

"Comment ça ?" demanda MacLeod, un peu méfiant.

 

"Il a pensé que je pourrais moi aussi faire bénéficier Lee-Ann de mon expérience pour, comment dire ?, ajouter une touche féminine à son entraînement... "

 

"Ah oui, vraiment ? "

 

            MacLeod dévisagea Amanda silencieusement, essayant de percer le masque de totale innocence qu'elle affichait et de déchiffrer ses véritables intentions. Il s'apprêtait à ajouter que Methos ferait mieux de s'occuper de ses propres affaires lorsqu'il réalisa que c'était probablement le cas. Que cela lui plaise ou non, Methos connaissait Lee-Ann depuis longtemps, et ils étaient apparemment amis. De quel droit pouvait-il critiquer l'attention que le plus vieil Immortel portait à la jeune femme ? L'idée de Methos avait peut être du bon, il était possible que l'entraînement d'Amanda conjugué au sien soit plus profitable à la jeune femme. Mais il ne pourrait alors pas continuer de tenter de la dissuader en douceur, comme il le faisait depuis près de trois mois maintenant, si par ailleurs son entraînement se voyait renforcé ainsi.

            MacLeod eu soudain peur. Et si Amanda et Methos tentaient d'éloigner la jeune femme ? Si Lee-Ann acceptait de partir avec Amanda ? Le cœur de MacLeod se serra à l'idée de perdre son élève, et pour la première fois depuis son arrivée au dojo, MacLeod s'avoua enfin les sentiments qu'il éprouvait pour Lee-Ann. Il fut pris de panique. Après la mort de Tessa, Duncan s'était promis de ne plus tomber amoureux de mortelles. Leur existence était si fragile, si brève, leur perte trop douloureuse. Il avait eu quelques aventures sans lendemain, sans sentiments, ou si peu. Mais il avait soigneusement évité de concevoir plus qu'une attirance physique, voire un peu de tendresse, pour ses maîtresses de passage. Et puis Amanda était là, comme toujours, belle, séduisante, amusante - et immortelle. Amanda, son amour de toujours, son port d'ancrage, sa lueur dans le soir. Et pourtant. Il ne pouvait le nier plus longtemps. En quatre cents ans, il avait appris qu'il ne servait à rien de se mentir à soi-même – ce qu'il faisait depuis quelques mois. Il était amoureux de Lee-Ann.

            Et il sembla au Highlander qu'on lui arrachait le cœur lorsqu'il réalisa que Methos et Amanda avaient probablement raison. Il devait s'éloigner d'elle. Car elle ne l'aimait pas. Elle ne pourrait jamais l'aimer. Elle n'était venue le trouver que pour se préparer à venger l'homme qu'elle aimait, l'homme qu'elle avait perdu, l'homme qui était toute sa vie. Et comment aurait-elle pu aimer un autre Immortel après ce que Karl lui avait fait ? Les pensées se bousculaient dans la tête de Duncan, et il se leva soudain, balbutiant quelque excuse à Amanda, pour se diriger vers les toilettes.

 

            Amanda avait lut aussi facilement que dans un livre ouvert les pensées du Highlander sur son visage pourtant impassible. Elle eu de la peine pour son amant de toujours, mais comprit que Methos avait vu juste. C'était la seule solution pour à la fois sauver Lee-Ann de ses plans suicidaires, et préserver Duncan d'un amour impossible.

            Lorsque MacLeod réapparut quelques minutes plus tard, il semblait avoir retrouvé ses esprits, et Amanda reprit la conversation sur un mode enjoué, expliquant à Duncan qu'elle aimerait dans un premier temps participer à leurs entraînements s'il n'y voyait pas d'inconvénient. Duncan sourit et trouva l'idée excellente. Ils n'étaient pas dupes l'un de l'autre, mais c'était plus facile ainsi.

 

* * *

           

Une fois seule dans la salle de bain, Lee-Ann se dévêtit rapidement puis, soudain hésitante, elle prit une douche brûlante. Elle laissa le jet d'eau couler longuement sur son visage et son corps, essayant d'endiguer le flot de pensées et l'émotion qui la submergeaient. Elle sortit enfin, s'emmitouflant dans un peignoir, puis se planta devant le miroir. Lentement, elle défit le vêtement qui glissa à ses pieds.

Les semaines d'entraînement intensif auprès de MacLeod avaient remodelé son corps, et ses muscles se dessinaient maintenant avec grâce sous la peau diaphane de ses bras, ses cuisses et ses jambes galbées. Ses seins étaient fermes et haut placés mais toujours généreux. Ses fesses s'étaient également affermies sous la cambrure de ses reins. Mais Lee-Ann observait son abdomen, bouleversée. Seul son ventre semblait avoir échappé à la transformation. Ses muscles abdominaux saillaient légèrement au-dessus du nombril, mais le bas de son ventre paraissait au contraire s'être imperceptiblement arrondi.

Ses oreilles se mirent à bourdonner, sa vision se brouilla et ses jambes se dérobèrent sous elle. Elle faillit tomber mais se retint de justesse aux bords du lavabo. L'air lui manquait, et elle dut faire un effort pour reprendre son souffle. "C'est impossible" se dit-elle. "Oh mon Dieu, Sam…"

 

* * *

 

            Elle était toujours dans la salle de bain lorsque Duncan revint une heure plus tard – seul. Elle s'était sans s'en souvenir revêtue du peignoir et gisait, assise contre le mur, sur l'épais tapis. Elle n'entendit pas MacLeod rentrer, l'appeler. Lee-Ann ne le vit pas pénétrer dans la salle de bain, ne remarqua pas la panique sur son visage. Il s'agenouilla à ses côtés, lui parlant, prononçant son nom encore et encore, lui demandant ce qui se passait, mais ses mots n'atteignirent pas les oreilles de Lee-Ann. Il lui semblait que le monde s'était soudain effacé, dissout devant ce miroir comme une goutte d'encre dans un verre d'eau. Elle ne sentit pas la caresse inquiète de Duncan dans ses cheveux, sur sa joue, essuyant une larme dont elle n'avait même pas conscience. Elle fixait sans le voir son propre reflet dans la glace. Elle se laissa faire sans résistance lorsqu'il la prit dans ses bras pour la bercer doucement, mais ce geste ne lui apporta aucun réconfort. Comment ne s'en était-elle pas aperçue ? Les nausées et malaises des premiers jours, qu'elle croyait dus à la fatigue et aux cauchemars, lui revinrent en mémoire. Et son aménorrhée qu'elle avait mis sur le compte du choc. Qu'allait-elle faire maintenant ?

            Des pensées sans cohérence vagabondaient en elle tandis que Duncan la berçait toujours tendrement contre lui, le cœur déchiré. Que s'était-il passé ? Pourquoi Lee-Ann était-elle dans un tel état ? Il sentait son corps, rigide et tétanisé, trembler contre le sien, et en ce moment il aurait tout donné pour que sa souffrance cesse. Mais il savait qu'il n'avait pas ce pouvoir, et son désespoir s'alourdit. "Oh Lee-Ann …" souffla-t-il à son oreille. Il déposa un baiser sur ses cheveux encore humides, caressa son front. Une nouvelle larme coula, silencieuse, le long de la joue de la jeune femme, et Duncan la serra plus fort contre lui. Puis il prit son visage, plus pâle que jamais, dans ses grandes mains, et le tourna vers lui. Le regard de Lee-Ann rencontra le sien, mais ses yeux verts le fixaient sans le voir. Il plongea au fond des iris émeraude et voulut s'y fondre, s'y noyer, s'y perdre pour ne plus jamais revenir. Mais ce regard était vide, et il ne sut si c'était lui qui était devenu invisible, ou Lee-Ann qui avait disparu.

En un geste empreint de détresse, mais presque sans en avoir conscience, il posa ses lèvres sur le front de la jeune femme qui resta impassible. Il embrassa ensuite avec une infinie douceur ses yeux, qui se fermèrent sous la caresse, libérant de nouvelles perles de larmes. Lorsqu'elle les rouvrit, il lui sembla qu'elle le voyait enfin. Avec la même lenteur et la même tendresse meurtrie, Duncan effleura de sa bouche les pommettes hautes de Lee-Ann, et le sel de ses larmes mouilla ses lèvres. La jeune femme le regardait toujours sans bouger, mais son regard avait à présent perdu sa fixité et elle avait cessé de trembler. L'attirant doucement vers lui, il goûta sa bouche. Elle demeura immobile, ses yeux rivés sur lui, mais lorsqu'il l'embrassa à nouveau, il sentit ses lèvres s'ouvrir sous les siennes. Lee-Ann lui rendit son baiser avec une fougue qui surprit MacLeod. Elle plaça une main sur sa nuque et l'agrippa dans un geste désespéré tandis que leurs souffles se mêlaient. Duncan la souleva alors doucement dans ses bras, et, sans quitter des yeux les iris verts fixés sur lui, la porta jusque dans sa chambre et la déposa délicatement sur le lit.

            Sans un mot, leurs regards suspendus l'un à l'autre, il défit la ceinture du peignoir. Il embrassa encore ses lèvres, avec douceur, puis son cou, juste sous l'oreille. Sa bouche parcourut le long de ses épaules et vint se nicher dans le creux formé par la naissance de ses seins laiteux. Elle descendit encore pour effleurer son nombril et l'imperceptible renflement de son ventre dont il ne soupçonnait pas le secret. Ses lèvres s'attardèrent encore sur ses hanches avant de remonter lentement vers son visage. Lee-Ann le dévisageait sans un mot. D'une voix rauque, Duncan prononça son nom, mais elle le fit taire d'une pression de sa bouche sur la sienne. Elle fit glisser ses mains le long de son dos et dégagea son tee-shirt avant de le faire passer par-dessus sa tête. Toujours silencieuse, le souffle à peine court, elle l'aida à défaire son pantalon, et Duncan se sentit mis à nu par son regard davantage que par ses gestes. Elle observa son corps centenaire, caressa sa peau mate qui contrastait avec le blanc diaphane de la sienne. Leurs lèvres, leurs langues et leurs souffles se mêlèrent de nouveau et Lee-Ann s'abandonna dans les bras de Duncan.

 

* * *

 

            Lee-Ann observait le corps du Highlander étendu sur le lit, sa poitrine se soulevant sans bruit au rythme lent de sa respiration. Il s'était endormi la tête nichée au creux de l'épaule de la jeune femme, une main posée sur son ventre d'hirondelle, et Lee-Ann avait dû user de la plus grande douceur pour se dégager sans le réveiller. Elle le contemplait à présent depuis la porte, pour un hommage silencieux à celui qui était devenu son mentor pour quelques mois – et plus cette nuit.

Elle n'aurait pas dû. Elle connaissait les sentiments de Duncan, elle les avait perçus bien avant qu'il ne s'en aperçoive lui-même, mais elle les avait ignorés - jusqu'à ce soir. Mon Dieu, pensa-t-elle, était-elle vouée à causer souffrance et malheur autour d'elle ? Car Duncan allait souffrir, puisqu'elle partait. Aurait-il moins souffert s'ils n'avaient pas fait l'amour ? Qu'importe. Lee-Ann avait eu besoin que Duncan l'aime cette nuit, mais elle ne devait pas rester. Elle ne pouvait pas. Et l'heure n'était plus aux regrets.

Elle n'avait pas le choix. Elle devait renoncer à son entreprise. Elle portait en elle le souvenir vivant de Sam, son dernier présent, qui lui était offert comme un espoir, une preuve que sa vie valait la peine d'être vécue même sans lui. Lee-Ann devait vivre pour que renaisse Sam. La menace de la mort elle-même n'aurait pas pu la dissuader d'abandonner sa vengeance, mais c'est la promesse de la vie qui allait l'y faire renoncer.

 

            Lee-Ann s'approcha sans bruit. Elle déposa un baiser d'une infinie tendresse sur les lèvres entrouvertes du Highlander qui gémit dans son sommeil, puis attendit que son souffle redevienne régulier pour quitter la chambre.

Elle ne lui laissa pas de mot, aucune excuse ni justification. Elle était partie, simplement.

Et quand Duncan se réveilla ce matin-là dans la froideur d'une aube sans éclat, il eu l'impression fugitive qu'elle avait emporté le soleil avec elle.

 

FIN

 

***


Epilogue

 

 

Le vent balayait quelques feuilles qui n'avaient survécu jusque là que pour finalement se résigner ce soir. L'homme les poussait mollement avec son râteau pour tenter de les rassembler. Il s'appelait M. Bourdier, c'était écrit sur sa blouse. Le cimetière allait bientôt fermer, dès qu'il aurait ramassé les dernières feuilles et passé la chaîne autour de la lourde grille. On entendait au loin le bruissement des vagues. La marée montait. M. Bourdier se dépêcha. Il faisait plutôt froid pour un soir d'octobre, et il avait hâte de rentrer chez lui pour faire honneur au dîner de Mme Bourdier.

La jeune femme fit son entrée par la porte latérale, sans bruit. M. Bourdier allait lui crier qu'il était trop tard mais il se ravisa. Elle pouvait bien rester le temps qu'il en finisse avec ces satanées feuilles mortes. Il la vit se diriger vers le fond du cimetière et monter la petite butte avant de s'arrêter devant une tombe. Il semblait à M. Bourdier qu'il s'agissait de la tombe du jeune homme qui avait été inhumé en avril. Il s'en souvenait parce qu'il était le seul de moins de 50 ans qu'ils avaient enterré cette année. La femme resta immobile, tête baissée, un petit moment, semblant prier, puis elle se tourna vers l'horizon. M. Bourdier aperçu alors son ventre gonflé se découper sur le ciel maussade. Il se demanda si c'était la veuve du jeunot puis réalisa qu'il ne l'avait pas vue à l'enterrement – il s'en souviendrait, il y avait eu si peu de gens. Cela devait être une amie, ou une parente éloignée. Il voyait ses cheveux longs (châtains, roux peut-être, il n'aurait su dire : il faisait déjà trop sombre) voleter autour de son visage. Elle portait un long manteau dont elle resserra les pans autour d'elle avant de faire demi-tour pour partir. Elle déposa rapidement quelque chose sur la tombe et s'en vint comme elle était venue, sans bruit, par la petite porte latérale.

M. Bourdier n'avait pas bougé. Il se tenait, appuyé sur son râteau, dans l'ombre du grand aulne près de l'entrée principale.

Il ne résista pas à l'envie de monter voir ce qu'elle avait déposé sur la tombe. Il ne s'était pas trompé, il s'agissait bien de la sépulture de Samuel Robin et de ses parents. 19.. – 20.. était-il précisé sous le nom du jeune homme. M. Bourdier hocha la tête : trente-deux ans, c'était bien jeune pour mourir. Il se pencha sur la pierre tombale. Au milieu des plaques commémoratives ("à ma femme chérie", "à mon père", "à notre regretté neveu") figurait une simple rose blanche que la jeune femme venait à l'évidence de déposer. La fleur émut M. Bourdier sans qu'il ne sache pourquoi. Peut-être était-ce la tristesse qu'il avait discerné dans la démarche lourde de l'inconnue, il ne saurait le dire. Avec les années, il lui était de plus en plus difficile de rester détaché et insensible à ce qui l'entourait pendant ses heures de travail : le chagrin, la douleur, la mort …

M. Bourdier hocha la tête puis s'éloigna de la tombe. Il décida de rentrer, les feuilles attendraient bien le lendemain. Ce soir M. Bourdier avait envie de retourner sans attendre auprès de sa femme.

Peut-être même s'arrêterait-il sur le chemin. Pour lui acheter une rose.

Pendant qu'ils pouvaient tous deux en sentir encore le parfum…