Avertissement : Tous les personnages ne m'appartiennent pas. Certains se prétendent issus d' une série TV. D'autres font partie de l'histoire, les autres sortent tout droit de mon imagination. « La vierge de Cheju » est le deuxième «conte de Corée ». La série -hé oui ! - en comportera au moins quatre. « Le moine de Kyongju » est le premier conte de Corée. Il y a une brève référence à un épisode du «moine de Kyongju » dans «la vierge de Cheju ». Merci à Johanne et Poupov pour la relecture, et merci à ceux qui m'ont encouragée, je cite Vi, MG (Ch'ui ;-) et Stéphane ! ! Permission d'archiver à Mymy (merci !) Tous les commentaires sont évidemment bienvenus : helene-lecAifrance.com La vierge de Cheju - Contes de Corée - II A bord du Sparrowhawk - au large de la côte sud de Cheju - 1653 La tempête faisait rage au large des côtes de Cheju. Mais pour l'équipage du navire marchand hollandais aux prises avec les éléments déchaînés, ces côtes inconnues n'avaient pas de nom. Un premier typhon avait dévié le lourd vaisseau de sa route, et tandis que les marins, silhouettes agitées qui se détachaient contre le ciel obscurci combattaient des vagues toujours plus hautes et un vent toujours plus violent, le rivage se rapprochait dangereusement. Le médecin du bord observa un moment la scène, notant le ballet d'apparence désordonné des hommes qui luttaient avec voiles, cordes ou seaux pour maintenir le bateau à flot. Le ciel s'assombrit davantage, le capitaine ne parvenait plus à enfler suffisamment sa voix pour se faire entendre, le mât craqua soudainement et s'abattit en travers du pont, entraînant dans sa chute un marin dont le cri se perdit bientôt dans les profondeurs de l' océan. Il ne restait que peu de temps. Le médecin redescendit dans sa cabine, rassembla les quelques affaires indispensables aux premiers soins qu'il délivrerait à ceux qui auraient pu survivre, puis il retourna sur le pont pour attendre le naufrage désormais inéluctable. Il lui sembla apercevoir la forme d'un dragon au moment où la coque s'écrasa contre un rocher, se brisant net. L'eau s'engouffra immédiatement dans la faille, et le bateau, entraîné par le poids de sa cargaison, s'enfonça rapidement vers l'oubli. *************** Plage au sud de Cheju - 1657 La jeune femme se tenait debout face à l'horizon. Les dernières lueurs du soleil couchant qui disparaissait derrière la falaise projetaient des reflets argentés sur la mer, étiraient l'ombre de son corps jusqu'aux premières vagues qui venaient mourir sur le sable. Elle tenait son enfant tout contre son cour. Elle respirait l'odeur de ses cheveux, des plis de son cou, mélange de l'aigre douceur du lait et des embruns salins. Le vent fouettait leurs cheveux, ramenant ceux de la mère contre les joues de l'enfant, le chatouillant, le faisant glousser de plaisir. Elle le protégeait de la fraîcheur du soir en l'entourant de ses bras et, le regard tourné vers des terres trop lointaines pour qu'elle puisse seulement les apercevoir, elle lui chuchotait tout doucement son histoire à l'oreille, et celle de l'homme qu'elle avait aimé. ***************** Rivage au sud de Cheju - 1653 Le soleil s'était levé sur un spectacle de désolation. La mer avait rejeté sur le rivage les débris du navire, planches, cordes, restes de voile. Quelques marins arpentaient la plage. Ils recherchaient d'autres de leurs camarades, tiraient vers la terre ferme les corps de ceux qui n'avaient pas survécu à la terrible tempête de la nuit. Le corps du médecin reposait, sans vie, sur les rochers. Allongé sur le ventre, la tête dans une flaque, ses vêtements déchirés laissaient apercevoir des plaques de sang séchées. Le capitaine Hamel s'approcha et retourna le corps sur le dos. Il s'adressa au marin qui l'avait accompagné : « Le docteur Verspieren. Quelle malchance. On aurait bien eu besoin de lui pour soigner les blessés. Laissons-le là pour l'instant, il est à l'abri, pour le bien que ça puisse lui faire. » Les deux hommes s'éloignèrent à la recherche d'éventuels survivants. Alors que les premiers rayons du soleil caressaient le front du médecin, celui-ci prit une grande inspiration et se mit à tousser, crachant l'eau qui avait empli ses poumons. « De tous les réveils, celui après une noyade doit être le pire » pensa Méthos alors qu'il était saisi d'une longue et douloureuse quinte de toux. Grimaçant, il s'assit précautionneusement et regarda tout autour de lui. Quelqu'un avait-il été témoin de sa mort ? En voyant les silhouettes du capitaine et du marin qui s'éloignaient dans la direction opposée, il se dit que c'était fort probable et décida de s'écarter un moment pour réfléchir à la décision qu'il allait prendre. La voix du capitaine s'élevait, claire et forte, cherchant à redonner l' espoir aux hommes de l'équipage. « Voilà Messieurs, nous sommes 34. Nous commencerons par enterrer nos morts. J'assurerai le service comme il se doit, notre aumônier n'ayant malheureusement pas survécu, que Dieu ait son âme. Puis, nous attendrons quelques jours. Notre naufrage aura peut-être attiré l'attention d'un autochtone. Si personne ne vient. et bien, nous nous enfoncerons dans les terres. D'après mes estimations, nous ne sommes pas loin du Japon. Peut-être même avons-nous pris pied sur ce mystérieux royaume ermite dont quelques marchands revenus de l'Extrême- Orient ont parlé » Dissimulé à portée de voix du capitaine, Méthos réfléchissait toujours. Rejoindre l'équipage et essuyer les questions incrédules, méfiantes, voire carrément hostiles ? Les réactions de ses contemporains au « surnaturel » pouvaient être parfois dangereuses. Ou bien faire cavalier seul, solution plus confortable pour son secret mais qui risquait de rendre plus minces ses chances de rejoindre l'Europe. Bah ! Il avait tout son temps, un changement d'air lui ferait le plus grand bien, et il se dit que s'il était arrivé sur les rives du royaume ermite comme il le croyait, il serait intéressant de voir les changements que quelques siècles avaient apporté à une civilisation qu'il avait trouvée fascinante lors de sa dernière visite. Il tourna le dos à ses ex-compagnons et, sans bruit, s'éloigna sous le couvert de l'épaisse végétation qui recouvrait la falaise. ************** Cheju - Sur les flancs du mont Halla La jeune fille marchait en direction du village. Elle était vêtue de blanc, à la différence de ses compagnes dont les vêtements grossiers arboraient une teinte ocre. Mais elle prenait sa part du labeur et portait sur la tête un panier rempli d'oranges. Elle se prit le pied contre une pierre, perdant l' équilibre et le contenu de son panier se renversa sur le chemin. Elle appela ses compagnes d'une voix rieuse et se baissa pour ramasser les fruits tombés sur le sol. Alors qu'elle tendait la main pour ramasser une orange qui avait roulé au pied d'un muret de pierre, ses yeux s'arrondirent de surprise en rencontrant ceux de Méthos. Celui-ci, accroupi, plaça son index en travers de ses lèvres, dans le signe universel de celui qui demande le silence. Leurs regards s'accrochèrent, l'espace d'une seconde tout sembla se figer autour d'eux. Le bourdonnement des insectes, les herbes qui se balançaient mollement sous la brise, les voix de la petite troupe qui s'éloignait. La jeune fille baissa les paupières. Elle se redressa et s'en alla. . Lentement tout d'abord, puis, portant une main à son panier pour le maintenir en équilibre, elle se mit à courir. Méthos, curieusement troublé, exhala un soupir en la regardant s'éloigner. Il ramassa l'orange oubliée, s'adossa au muret et pela l'écorce épaisse. Lorsqu'il glissa entre ses lèvres le premier quartier, il l'écrasa de la langue contre son palais, le jus amer qui lui emplit la bouche lui faisant l'effet d'un baiser. **************** Méthos avait marché trois jours au travers d'un plateau qui évoquait les paysages écossais. Des monts verts et boisés qui se succédaient en de doux renflements, des pâturages ouverts où paissaient de petits chevaux d' apparence mongole, un ciel changeant, où le vent le disputait souvent à l' humidité. C'était l'été, et lorsque le soleil brillait, la chaleur devenait rapidement accablante. Les champs étaient entourés de murets, des tas de pierres qui semblaient avoir été placées là à dessein se trouvaient parfois au détour du chemin. Le chant des oiseaux se mêlait à celui des insectes. Méthos avait progressé en prenant soin de ne pas être observé, il s'était tenu à l'écart des villages entourés d'enceintes de pierres, un couple de statues de pierre en gardant habituellement l'entrée, personnages plus grands que nature au sourire bonhomme, les mains croisées sur l'abdomen, la tête ornée d'un chapeau rond . Il s'était désaltéré aux nombreuses sources et s'était nourri de fruits, de racines et du petit gibier qu'il avait pu attraper. Le bruit d'une troupe nombreuse qui s'approchait l'avait conduit à se dissimuler dans les hautes herbes. Il avait vu passer les 34 survivants du Sparrowhawk sous bonne garde. Les marins hollandais étaient attachés mais ils ne paraissaient pas avoir été maltraités, les soldats qui les accompagnaient ne semblaient pas hostiles, simplement soucieux d'un devoir bien fait. Methos, parfaitement immobile, attendit que le dernier pas ait fini de résonner dans l'horizon avant de se relever. Il s'interrogea sur le destin qui attendaient ses camarades, content de ne pas avoir à le partager, quel qu'il pût être. Il se sentait confiant d'avoir pris la bonne décision. Survivre était et serait toujours pour lui une affaire mieux menée en solitaire. ********************* La jeune fille était allée chercher de l'eau au ruisseau. Elle avait posé son broc, avait relevé le bas de sa robe blanche et se tenait debout au milieu du courant, laissant l'eau lui caresser pieds et chevilles. Elle avait fermé les yeux et semblait communier de tous ses sens avec les éléments qui l'entouraient. Le soleil la nimbait d'une aura lumineuse. Méthos aurait juré qu'il s'agissait d'une des nymphes du Mont Olympe venue enchanter les mortels. lui qui savait qu'il n'y avait ni mont Olympe ni déesses, pour être plus ancien que leurs légendes, pour être lui-même une part de la légende. La jeune fille ramassa son pot et retourna en direction du village, semant sur sa route des goutelettes que Méthos, la gorge soudain sèche, aurait voulu pouvoir recueillir du bout de sa langue. Qui était-elle ? Pourquoi était-elle vêtue différemment des autres ? Pourquoi semblait-elle jouir d'un plus grand respect que celui que recevaient ses compagnes du même âge ? L' esprit empli de questions, Méthos retourna dans la grotte dissimulée au fond de la gorge où il avait trouvé refuge. ********************** Depuis deux semaines déjà Méthos guettait les habitants de ce village. Pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre ? Il lui fallait bien reconnaître que la rencontre avec la jeune fille aux oranges comme il la nommait, avait été déterminante dans sa décision d'arrêter ici sa quête. Il les avait observés, allant aux champs, se baignant dans le ruisseau, se reposant à l'ombre d'un arbre, tous vêtus de vêtements semblables en étoffe grossière, sauf la jeune fille en blanc. Il les avait écoutés parler, cherchant à rattacher leur dialecte à une langue connue. Il lui semblait reconnaître des mots et tournures de phrase mongols qui se mêlaient à un patois coréen dont il captait parfois quelques mots. Il était maintenant certain du caractère rural et paisible de ces villageois, de leur isolement alors qu'ils ne recevaient pas de visite extérieure. Il lui restait maintenant à mettre au point un plan pour se faire connaître d'eux, s'intégrer dans leur communauté sans avoir à partager le sort de ses compatriotes de hasard. Peut-être que ses talents de médecin viendraient à son aide. *********************** L'enfant n'aurait pas du être là. Il s'accrochait à la végétation, tentant de grimper les parois de la gorge. Son pied glissa, envoyant rouler une pierre. La branche céda sous son poids, l'enfant tomba. Méthos pêchait dans la rivière poissonneuse. Il s'était dissimulé dans les broussailles au bruit de l'approche du garçon. Il sortit de sa cachette et s 'avança vers le corps inanimé de l'enfant. Il avait eu de la chance, seule sa jambe était fracturée. Il serait couvert de bleus, mais le pouls était fort et stable. Quant à la tête. La blessure avait saigné, et une bosse grosse comme un ouf s'était formée rapidement.Mais Méthos était confiant que les os du crâne étaient intacts. Il n'y avait plus qu'à attendre pour les éventuels dommages internes... Méthos emporta dans ses bras l'enfant encore inconscient jusque la grotte toute proche. ************************* « Shinson saram eyo ! Shinson saram eyo ! » « Il ramène Pa Suk-bin ! » Méthos ne comprenait pas ce que disaient les villageois alors qu'il franchissait l'entrée du village en portant l'enfant dans le creux de ses bras, mais le sens de leurs paroles lui paraissait évident. L'effroi devant son apparence, celle d'un géant au teint pâle et au nez protubérant ; le soulagement face au retour de l'enfant perdu. Une femme, la mère sans doute, accourait vers lui, les larmes coulant sur son visage. Oubliant sa peur de l 'étranger, elle s'approchait, touchait le corps, les cheveux de son fils. Tous, hommes, femmes, enfants, abandonnaient leurs activités et se rassemblaient en rangs serrés, observant Méthos et l'enfant. Peu à peu, le silence se fit. Méthos se dirigea droit vers celui qui lui semblait être le chef du clan. Il déposa l'enfant à ses pieds, s'inclina profondément et s'éloigna lentement à reculons. « Shinson saram ka an kaeyo ! » La voix du chef s'éleva, impérieuse, arrêtant Méthos sur ses pas. « Kamsa hamnida. Merci d'avoir ramené mon fils » ******************* Trois mois avaient passé depuis l'entrée spectaculaire de Méthos dans le village. Celui-ci suscitait toujours l'étonnement, mais de plus en plus le respect et de moins en moins l'effroi. De nombreux habitants étaient venus jusqu'à sa caverne, désormais connue de tous, pour le consulter au sujet d' entorses, de plaies qui guérissaient mal, de maux de ventre. S'il n'était pas toujours certain que son action avait été responsable des améliorations de l'état de ses patients, au moins aucun n'avait paru souffrir de ses soins. Le pire qui pouvait arriver à un guérisseur, il le savait d' expérience, était de voir un de ses malades mourir. La foi en son talent pouvait tout aussi vite tourner en hostilité envers celui qui avait amené les mauvais esprits avec lui. Il progressait vite dans l'apprentissage de la langue, les centaines de dialectes qu'il avait parlés autrefois l'y aidaient. Il savait qu'il se trouvait sur l'île de Cheju, ou « province lointaine », ancien royaume de Tambulla conquis par le royaume de Koryo il y avait plus de sept siècles, colonisée pendant près de 100 ans par les Mongols. Ici comme sur la péninsule, régnait le confucianisme et le bouddhisme , mais le premier était atténué par la place importante attribuée aux femmes dans le circuit économique, et le second par la présence forte du culte shamanique et de ses centaines de divinités locales. L'automne été arrivé, les flancs du Mont Halla se transformant en d'immenses tapis flamboyants alors que les forêts prenaient des teintes rouges et dorées. La jeune fille aux oranges avait désormais un nom, Yonnais, mais il sentait autour d'elle un secret que les villageois n'avaient pas encore voulu lui livrer. ********************* Yonnais était adossée contre le mur de la maison de ses parents. Comme toutes les maisons de l'île, c'était une maison de pierre basse, au toit de chaume lesté de pierres pour résister aux assauts du vent, sans porte. On disait de Cheju que c'était l'île aux trois abondances, les pierres, le vent et les femmes, et aux trois absences, les voleurs, les portes et ? Des pierres et du vent, Méthos pouvait témoigner tandis qu'il arpentait les plateaux de cette île volcanique. Des femmes. il ne lui semblait voir que Yonnais qui chantait d'une voix pure, les mains rassemblées sagement sur les genoux, la tête légèrement penchée sur le côté tandis qu'elle observait son plus jeune frère qui jouait. Leurs regards se croisaient, Yonnais manquait une note avant de détourner la tête, tout aussi troublée que lui, il en aurait juré. *********************** Méthos se baignait dans le torrent, l'eau glacée lui coupait le souffle. Il s'allongea sur le dos et dans un exercice de contrôle de soi, força tous ses muscles à se détendre face à la morsure du froid. Ses cheveux mi-longs flottaient autour de lui, son regard se portait loin vers le ciel tout au-dessus de lui, il avait les bras et les jambes en croix. Le bruit de pas qui s'approchaient lui fit tourner la tête. Du coin de l' oeil, il reconnut le bas de la robe blanche de Yonnais. Il ne bougea pas. Les pas s'étaient arrêtés. Il pouvait sentir le regard de la jeune femme sur lui qui le brûlait. Il attendit. Le silence s'appesantit, le ciel lui parut plus bleu, il entendait de manière plus aiguë tous les sons, le bruissement des feuilles des arbres, le cri d'un oiseau, la brindille qui craquait sous le poids d'un animal. Il attendit, sentant la tension monter en lui. Mais les pas se détournèrent et Yonnais s'éloigna. Méthos eut brusquement conscience des frissons qui le gagnaient. Il se releva, les membres engourdis, déçu. mais déçu de quoi ? Que pouvait-il attendre d'une jeune vierge de Cheju ? Et de quel droit pouvait-il la prendre ? ******************** Yonnais rêvait. Elle rêvait du Shinson blanc, de son regard à la couleur irréelle des fougères au fond des bois, de ses mains, si longues, qui soignaient les villageois. De sa bouche si mobile, pour elle qui était habituée aux faces rondes et impassibles de ses compatriotes. Elle rêvait de lui tel qu'elle l'avait vu alors qu'il se baignait dans le torrent. Savait-il qu'elle l'avait observé ? Elle rêvait de lui et elle ressentait un manque, une insatisfaction qu'elle ne pouvait nommer, qu'elle ne devait pas nommer. Son destin n'était pas auprès de lui. Il était ailleurs, au fond de la grotte de lave de Manjaggul, auprès de leur dieu-serpent. Sa virginité lui serait dédiée, lors du prochain solstice. ******************** Les premières neiges étaient tombées sur le Mont Halla. Les villageois s' affairaient pour préparer l'hiver. Les récoltes étaient rentrées, mises à l' abri. Le bétail avait été ramené des pâturages pour rejoindre l'abri des enclos. Les femmes séchaient viandes et poissons, marinaient les légumes qui leur permettraient de passer les mois les plus froids sans connaître la faim. La tension montait dans le village, elle était palpable, perceptible. Méthos l'aurait juré, des festivités se préparaient dont il était tenu à l'écart. Il décida d'interroger le chef du clan. « Que se passe-t-il, Pa Ch'ong ? Quelle est la cérémonie à laquelle tout le village se prépare ?» Pa Ch'ong considéra un moment l'étranger, qui jamais n'avait donné de raisons de douter de lui, qui mille fois avait montré qu'il était digne de confiance. « Nous préparons le sacrifice que nous allons faire au dieu-serpent, c'est lui qui nous protège des maladies et des mauvaises récoltes » « Qui allez-vous sacrifier ? » Qui, et non pas quoi, car Méthos, avec une certitude terrible connaissait déjà la réponse. « C'est Yonnais qui a été choisie » Méthos n'aurait pas cru possible que ça gorge se serrât encore plus. Yonnais, sa Yonnais. Il ne l'avait jamais touchée et pourtant, il sentait qu 'elle lui appartenait. La voix aussi neutre que possible, il s'enquit des détails de la cérémonie, de l'heure et du lieu, du déroulement du sacrifice. Et tandis que Pa Ch'ong lui donnait les réponses demandées, il se sentait s' enfoncer dans un tourbillon sans fin, qui l'entraînait vers le fond, vers un monde où la douleur prenait toute la place. Il avait été des centaines de fois le témoin - et parfois, dans des temps reculés, l'acteur - de sacrifices absurdes à des divinités qui s'étaient toujours révélées inexistantes, mais jamais il n'avait senti l'horreur l'envahir comme elle prenait possession de lui aujourd'hui. Non ! Pas elle ! Pas cette fois-ci ! Méthos se souvint. « Les cerisiers en fleurs embaumaient l'atmosphère du temple de Pongdok-sa. Les prêtres et les fidèles réunis scandaient les chants destinés à guider l'âme de la petite vierge dans son chemin vers l' au-delà. La mère, dévastée de chagrin, pleurait en longs gémissements rauques. Méthos observait la scène, impassible. L'enfant fut précipité vivante dans le métal en fusion. Son dernier cri fut «Emi ! » « Emi ! » Combien de fois dans le passé avait-il regardé, laissé faire. Des femmes, des hommes, des enfants, autant d'actes inutiles et cruels, vides de sens ou intéressés. Mais aujourd'hui, pour Yonnais, il interviendrait. ************************ Yonnais était allée chercher de l'eau au ruisseau. Elle avait posé son broc, avait relevé le bas de sa robe blanche et se tenait debout au milieu du courant, laissant l'eau lui caresser pieds et chevilles. Elle avait fermé les yeux et semblait communier de tous ses sens avec les éléments qui l' entouraient. Le soleil la nimbait d'une aura lumineuse. Méthos, dissimulé dans un buisson, l'observait le regard sombre. Il s'approcha d'elle silencieusement et passa son bras autour de son corps, sans brutalité mais fermement de telle sorte qu'elle ne pouvait s'échapper. Au même moment, il plaqua sa main tout contre sa bouche pour l'empêcher de crier. Elle se débattit l'espace d'un instant avant de se calmer à l'appel de son nom. Il partit à grandes enjambées, emportant son précieux fardeau aussi vite qu'il le pouvait, loin de ce village meurtrier. Cheju - vallée d'Andok - 1654 Elle lui avait demandé : « Pourquoi as-tu fait cela, Méthos ? N'as-tu pas craint, en prenant ma virginité, en me déshonorant aux yeux des miens, qu' ils ne me tuent pour avoir failli à mon devoir ? » « D'une manière ou d'une autre, tu serais morte. C'était un risque que je devais prendre. Et puis, te faire l'amour ne serait ce qu'une fois. » Il avait entrelacé ses doigts dans sa chevelure d'ébène et lui penchant la tête en arrière l'avait embrassé. Yonnais toucha les parois de leur grotte et pleura. ****************** Puisque c'est une vierge que ce serpent sanguinaire voulait, et bien ce ne pourrait plus être Yonnais. La jeune fille dormait, presque une enfant dans son sommeil paisible. A ses pieds, roulée en boule, cette robe blanche qu'il haïssait maintenant, qu'il avait déchirée, qu'il ne voulait plus jamais lui voir porter. ****************** « Où est Yonnais ? » La voix du chef de clan s'élevait, terrible. « Elle est avec moi » Celle de Méthos était plus calme, mais tout aussi résolue, et peut-être bien plus dangereuse, Pa Ch'ong s'en rendait compte. Il n'avait plus devant lui le guérisseur qui avait partagé leur vie pendant de longs mois mais un guerrier qui avait vaincu et vaincrait encore d' innombrables ennemis. « Rends-la-nous Etranger, elle n'est pas pour toi. Elle a été destinée depuis toujours à apaiser le dieu-serpent » « Votre Dieu n'en voudra pas, elle est impure » A ces mots, Méthos jeta sur le sol la robe blanche souillée, symbole d'une pureté perdue. Les yeux des villageois s'écarquillèrent à la vue de ce sacrilège. Que déciderait donc leur chef ? Pa Ch'ong avait visiblement pâli. Le sacrifice était compromis, et avec lui c'était toute la survie de ce village qui était en jeu. Mauvaises récoltes, famines et mystérieuses épidémies seraient sûrement leur lot prochain. « J'irai combattre le dieu-serpent pour vous » offrit Méthos. « J'ai des pouvoirs surnaturels qui peuvent me permettre de le vaincre » Et à vrai dire, quel sort avait-il à craindre d'une visite des grottes de Manjaggul ? « Nous acceptons ta proposition, Etranger » prononça le chef du clan « Si tu le vaincs, Yonnais et toi serez banni. Qu'elle ne revienne jamais sur ces terres, elle n'a plus ici ni père, ni mère. Si tu perds ce combat, alors Yonnais périra avec toi car nous l'offrirons en sacrifice expiatoire au dieu-serpent » « Entendu » Méthos hocha la tête, c'était un combat de plus qu'il n' entendait pas perdre. *********************** « Tu es si fort, si courageux, Verspieren » « Méthos ». la reprit-il « Je m'appelle Méthos, pas Verspieren » Elle ne comprend pas, elle répète « Pas Verspieren, Méthos ?» « Oui, Méthos. C'est mon nom, c'est comme cela que je veux que tu m' appelles » Il ne lui en dit pas plus. Il garde encore, pour le moment, son secret mais il ne veut pas de mensonges entre eux. Quand lui révélera-t-il la vérité, la lui révélera-t-il seulement ? Il n'en est pas certain. Il n'a pas envie d' une femme qui le prenne pour un Dieu, et il soupçonne que telle pourrait être la réaction de Yonnais. Il a aimé tant de femmes, mais plus rares sont celles auxquelles il a tout dit. Ce n'est pas par manque de confiance, c'est juste une habitude qu'il a prise au fil des siècles, des millénaires : dissimuler, se cacher, disparaître, c'est la meilleure façon de survivre, il le sait. ************************ Au petit matin, Méthos s'introduisit dans la grotte de lave de Manjuggul. La grotte se prolongeait jusqu'aux entrailles de la terre, lui avaient dit les villageois. Il observa la grotte, en fait une sorte de long tube où il pouvait sans peine se tenir debout. Il y faisait humide et frais. Il était impossible de juger de la longueur de la grotte tant était noire et épaisse la nuit à seulement quelques mètres de la surface. Méthos, tenant à la main son épée et une torche dans l'autre main commença sa progression. Le sol était inégal mais plutôt plat, la flamme de sa torche projetait des reflets fantasmagoriques sur les parois tout autour de lui, le silence était total si ce n'était le bruit des gouttes d'eau formées par l'humidité qui s' écrasaient parfois sur le sol. Tous ses sens aux aguets, Méthos progressait. Il doutait de trouver un quelconque dieu ni même un serpent dans cette curiosité géologique, mais il se demandait où avaient bien pu disparaître les ossements des jeunes filles jetées chaque année en pâture à une bête mythique depuis le début des temps. Les battements de son sang résonnaient dans ses tympans, il sentait la moiteur se former sur les paumes de ses mains. Un sentiment de malaise indistinct le saisit. « Connais ton ennemi. Et évite-le » Il dérogeait à tous ses principes. Méthos continua pendant ce qui lui sembla être une éternité, plus vraisemblablement pendant le temps qui lui avait permis de couvrir 700 ou 800 mètres. Le tube forma un coude, et au détour de ce coude, Méthos aperçut la lumière d'une flamme. « Tiens donc, notre dieu maîtrise le feu » Il savait désormais que son ennemi existait et qu'il était humain, pas animal. Méthos marqua une pause et éteignit sa torche. « Inutile d'avertir l' occupant des lieux de ma présence ». Il essuya l'intérieur de ses mains contre son vêtement, attendit un instant que ses yeux s'habituent à l' obscurité, puis, se guidant à la lueur encore lointaine de l'autre foyer, il reprit sa route. Au bout de quelques dizaines de mètres, il ressentit le sentiment familier, que certains pouvaient assimiler à de la douleur, et qui marquait la présence d'un autre de sa race. « Autant pour l'arrivée discrète. » Il modifia la prise de son épée, campa fermement ses pieds sur le sol tandis qu 'il laissait un grand sentiment de calme l'envahir. Un observateur extérieur l'aurait cru parfaitement détendu si ce n'était pour son arme qu'il tenait devant lui, prête à attaquer ou à contrer. Mais son regard le trahissait : il reflétait la mort. Et ce n'était pas la sienne. ************************** Près de cinq mois après leur naufrage, après leur captivité dans les prisons de Song-up, les 34 marins hollandais, sur ordre du roi Yi, embarquèrent sur le navire qui devait les mener à Séoul. Ils n'avaient pas été maltraités, mais aucune chance de s'échapper ne leur avait été laissée. Un marin soupira. Il ne reverrait probablement plus la floraison des tulipes. *************************** Yonnais était dissimulée dans l'interstice qui marquait l'entrée de la grotte où l'avait laissée Méthos. « En aucun cas, ne bouge d'ici. Tu as assez à boire et à manger pour tenir jusqu'à mon retour. Attends-moi deux jours et deux nuits. Si je ne suis pas revenu d'ici là, pars, pars dans la direction opposée de ton village, n'y reviens jamais. Jure-le-moi » « Mais je ne veux pas vivre sans toi Méthos. Si tu n'es plus là, que m' importe un sacrifice que j'avais de toute façon... » « Jure-le-moi » l'interrompit Méthos « Jure-le-moi ou je serai inquiet pour toi, et j'ai besoin d'avoir l'esprit libre pour mieux affronter ton dieu » « Je le jure, Méthos » chuchota Yonnais. **************************** Se plaquant contre la paroi pour se fondre dans l'obscurité, Méthos avança. Il s'avança jusqu'à pouvoir distinguer la scène qui se déroulait autour du feu. Le géant, car c'en était un, le plus grand homme que Méthos ait jamais vu, était assis auprès du foyer, entièrement nu. Son corps à la pâleur morbide était couvert de tatouages représentant des dizaines de serpents entrelacés. Il se balançait en chantant une mélopée dans une longue étrange et inconnue. Il semblait totalement ignorer la présence d'un autre immortel. Face à lui, arrangés nettement sur le sol, les ossements d'un cadavre. L' homme interrompit sa mélopée, saisit dans sa main un tibia et sembla lui faire la conversation. Méthos balaya du regard le reste du campement. Le tube de lave à cet endroit s'élargissait, formant un espace de près de 20 mètres de large et de haut. Dans un coin, empilés contre le mur, des dizaines, des centaines, des milliers d'ossements. Méthos frémit involontairement. Qui était cet immortel, que faisait-il des jeunes femmes qu'on lui sacrifiait ? L'homme leva la tête et Méthos retint une exclamation de surprise. Il n'avait qu'un oeil. Un cyclope ? Ces créatures de légende existaient-elles donc, loin des rivages de la Méditerranée qui avaient vu la naissance de leur mythe ? Plutôt une malformation de naissance, se reprit Méthos, appelant à la rescousse le scepticisme qu'il avait développé après avoir connu tant de civilisations, de religions, de superstitions . Le scepticisme qui lui permettait de garder toujours la tête froide et de survivre un jour de plus. Méthos examina à nouveau le repère de l'immortel à la lueur des flammes. Il ne vit pas d'épée, ni de hache, où tout autre instrument qui permettait de détacher efficacement une tête des épaules auxquelles elle était attachée. Mais ce qui l'intriguait le plus, c'était l'attitude du géant qui ne semblait pas ressentir la proximité de Méthos. Etait-ce un piège ? Le nombre impressionnant de squelettes laissait penser que l'immortel hantait cette cave depuis des siècles. Méthos ne pouvait que tenter de deviner son expérience. L'immortel sans nom plongea soudain sa main dans les flammes pour réarranger les branches qui brûlaient. Son visage ne trahit aucune peine, son bras aucune tension, sa main aucune hâte. Etait-il dépourvu de la sensation de douleur ? Cela pouvait-il expliquer son apparente indifférence au mal de tête qui devait sûrement avoir pris possession de lui avec l'arrivée de Méthos. Méthos examina à nouveau l'homme. Un géant, aux bras et aux cuisses près de la largeur d'un tronc, un homme insensible à la douleur, un immortel dont il ignorait l'âge et l'expérience. Un adversaire qu'il n'aurait assurément pas choisi et qui pouvait s'avérer difficile. Méthos battit en retraite silencieusement pour réfléchir à un plan. ****************** Yonnais attendait. Voilà presque une journée que Méthos était parti. Quel dieu prier pour demander son retour ? Ne les avait-elle pas tous offensés en se refusant au dieu-serpent ? Elle eut froid soudain en dépit de ses épais vêtements. Elle retourna dans la grotte auprès du feu. ****************** Méthos avait rebroussé chemin jusqu'à l'entrée de la grotte. Il trouva une branche, la soupesa dans sa main pour en expérimenter la densité, l' équilibre, puis il la tailla en forme de pieu. Puis il ramassa une autre branche, une autre encore, répéta ses actions jusqu'à ce qu'il soit en possession de cinq pieux. Il en glissa quatre dans sa ceinture, en saisit un à la main, tenant son épée de l'autre et sans torche cette fois, il retourna à l'intérieur du tube de lave. Il progressait vite, il progressait parfaitement silencieusement. Il marqua une pause lorsque le tube forma un coude. Il se plaqua contre la paroi et s' avança lentement en direction des flammes, jusqu'à ce qu'il ressente la présence de son ennemi, jusqu'à ce qu'il puisse distinguer les traits de son visage. L'immortel n'avait pas bougé, il se balançait toujours au bord du feu au rythme de sa mélopée. Méthos saisit le pieu dans sa main droite, se prépara à le lancer. « Hé ! » appela-t-il. L'immortel, surpris, leva la tête. Méthos lança son pieu qui vint se figer droit dans l'oeil unique qui le regardait. Le pieu avait atteint son but. L'immortel ne se plia pas en deux de douleur, il ne hurla pas, il se contenta de porter sa main à son oeil désormais aveugle. Méthos ne s'arrêta pas pour réfléchir à cette confirmation de l' absence de la peine chez le géant. Il s'élança vers lui, et d'un geste rendu sur et infaillible par des millénaires de pratique, il trancha la tête de l' immortel. Ce n'avait pas été un combat très glorieux, songea Méthos, d' ailleurs pas un combat mais plutôt une exécution, mais l'efficacité comptait plus que le style, le résultat plus que l'honneur. La vie plus que la mort. Méthos attendit l'impact du quickening, priant pour que la grotte soit solide, qu'elle ne se tourne pas en prison pour l'immortel victorieux. Le quickening vint le frapper de plein fouet. Il sembla ricocher sur les parois de la grotte, il fit voler en éclat l'immense tertre d'ossements, ceux-ci volèrent dans toutes les directions, se brisèrent nets, explosèrent en poussière, une pluie de crânes, dents, côtes, tibias qui retombaient, rebondissaient, heurtant, blessant les bras, les jambes, le torse, le visage de l'immortel victorieux. Méthos eut l'impression que la grotte rentrait en lui, longue, si longue, se poursuivant pendant des kilomètres, des mots inconnus résonnèrent dans sa tête, la vision de vierges transformées en repas le fit se plier en deux et vomir sans fin, tandis que les derniers échos du quickening quittaient son corps pour s'échapper dans les profondeurs du tube de lave. Quand tout fut fini, il resta immobile, tentant d'absorber tout ce qu'il avait vécu l'espace d'un instant, la répétition sans fin d'un rituel, l' existence monstrueuse d'un immortel cannibale qu'on avait confondu avec un dieu et qui n'avait même plus le souvenir de la lumière du jour. Il ramassa la tête par les cheveux et, titubant, il se dirigea vers la sortie, vers la lumière, vers la vie. et vers Yonnais. ****************** Il remit la tête de l'immortel à Pa Ch'ong comme preuve de son succès. Celui-ci considéra avec une crainte mêlée d'étonnement la tête du dieu auquel il avait sacrifié tant de vies. Méthos s'éloigna, tenant encore à la main l'épée ensanglantée. Il se sentait malade de ce quickening dérangeant qui avait envahi tout son être. Dans ses yeux, il y avait toujours la mort aussi les villageois s'écartaient de lui avec effroi. Lui ne voyait rien de ce qui était autour de lui, il avançait comme un automate tandis que la bile remontait dans sa gorge. Il avait en d'autres temps blessé, violé, torturé, tué son semblable. Peut-être fallait-il voir de l'ironie dans le fait que sa mémoire était désormais hantée par le seul acte innommable qu'il n'avait pas commis. Méthos marchait sur le plateau en direction de la vallée où il avait laissé Yonnais. L'air d'une des toutes dernières journées de l'automne était froid et sec, le monde se résumait à trois couleurs, le bleu très pur du ciel, le gris des pierres volcaniques qui parsemaient le sol, le vert des pâturages déjà désertés par le bétail. Une pie posée au bord du chemin poussa un cri perçant à son passage. Méthos marchait et avec chaque pas il sentait s' alléger le poids qui pesait sur lui, s'apaiser ses nausées, repartir tout au fond de lui les souvenirs monstrueux. Il pensait à Yonnais, à son sourire, à son visage rond, à sa chevelure aux reflets bleutés, à ses membres graciles, à l'attache de ses chevilles si fines, à ses seins petits et si parfaits. Il imaginait les mois, les années qu'ils pourraient passer ensemble. L'amour avec une mortelle était toujours si éphémère et pour cela si doux et si poignant. Méthos marchait sur le plateau, l'esprit tourné vers ses rêves de bonheur. Il ne vit pas immédiatement les troupes du gouverneur de la province de Cheju, ceux-là même qui avaient escorté le reste de l'équipage du Sparrowhawk sur le bateau qui les mènerait à Séoul et à la cour du roi Yi. Quand il les vit, il fut trop tard, ils étaient trop nombreux, ils étaient trop armés, ils étaient trop proches. Il n'opposa pas de résistance, c'était futile il le savait. Avec le sentiment de l'inévitable, il se laissa entraîner vers la prison de Song-up. Il pensa à Yonnais, à leur amour qui s' arrêterait là, dans cette vallée d'Andok où il l'avait laissée, où il ne pourrait pas retourner. Jamais. ****************************** Plage au Sud de Cheju - 1657 Yonnais se tenait debout face à l'horizon. Les dernières lueurs du soleil couchant qui disparaissait derrière la falaise projetaient des reflets argentés sur la mer, étiraient l'ombre de son corps jusqu'aux premières vagues qui venaient mourir sur le sable. Elle tenait son enfant tout contre son coeur. Elle respirait l'odeur de ses cheveux, des plis de son cou, mélange de l'aigre douceur du lait et des embruns salins. Le vent fouettait leurs cheveux, ramenant ceux de la mère contre les joues de l'enfant, le chatouillant, le faisant glousser de plaisir. Elle le protégeait de la fraicheur du soir en l'entourant de ses bras et, le regard tourné vers des terres trop lointaines pour qu'elle puisse seulement les apercevoir, elle lui chuchotait tout doucement son histoire à l'oreille, et celle de Méthos qu'elle avait aimé le temps d'un été, d'un automne, l' espace d'une nuit, avant que le destin et les soldats du roi ne l'ait enlevé. **************************************************************************** ************** Notes : 1) Cheju est une île volcanique située à 85 kilomètres de la pointe sud de la péninsule coréenne. 2) Le Sparrowhawk, un navire marchand hollandais fit bien naufrage au sud de Cheju en 1653. Les 34 survivants furent déportés à Séoul sur ordre du roi Yi. Au bout de 13 années, ils parvinrent à s'échapper pour le Japon sur un bateau de pêche. Le capitaine, Hendrick Hamel, écrivit à son retour un livre qui fit connaître le « royaume ermite » à l'Europe. 3) Aujourd'hui encore, subsistent sur l'île de nombreux Harubang, ou grands-pères de pierre. Ces statues en pierre volcanique marquaient autrefois l'entrée des villages. Leur signification reste mystérieuse. 4) J'ai mis dans la bouche des villageois des mots de coréen moderne, qui plus est transcrits phonétiquement dans notre alphabet. Lorsque Méthos entre dans le village en portant l'enfant, les villageois s'exclament : « C' est un esprit ! » Quand Méthos s'éloigne à reculons (ce qui est un signe de respect, il est impoli de tourner le dos, d'où cette habitude déconcertante de certains coréens d'avancer devant vous à reculons), donc, le chef lui dit « Esprit, ne pars pas ». 5) Il semble établi qu'on pratiquait autrefois sur l'île le culte du serpent. Une vierge de 15 ou 16 ans était offerte en sacrifice annuel au serpent géant qui était censé vivre dans les tubes de lave de Manjanggul. Cette pratique barbare fut stoppée en 1514 par un magistrat nouvellement nommé qui convainquit les villageois d'abandonner ce sacrifice. L'histoire dit que le magistrat mourut peu après d'une maladie mystérieuse. Il y a donc un léger anachronisme - de plus d'un siècle - de ma part, puisque cette pratique aurait déjà cessé à l'arrivée de Méthos sur l'île de Chéju. Mais le naufrage du bateau hollandais m'avait semblé être une occasion trop belle de faire venir notre immortel pour la laisser passer !. Quant au détails du sacrifice, une vierge élue une année à l'avance, marquée par des vêtements différents, la cérémonie se tenant au solstice, cela sort uniquement de mon imagination ! 6) La scène dont se souvint Méthos s'est déroulée à Kyongju au 8ème siècle. Elle est basée sur une « anecdote » décrite dans ma précédente fiction, « Le moine de Kyongju ». Je n'avais pas mentionné Méthos, mais il était bien là, dans la foule. Sa visite et sa relation avec le Haut-Prêtre du temple de Pongdok-sa de vont être détaillées dans ma prochaine fic. 7) Les grottes de Manjanggul où s'aventure Méthos existent bel et bien. Elles sont toutes reliées et mesurent près de 9 mètres de long, leur circonférence varie de 3 à 20 mètres. Elles forment le plus long tube de lave au monde. Le premier kilomètre a été aménagé pour la visite par les touristes. 8) Que devint Méthos ? Et bien, il fut également acheminé vers Séoul où il rejoint le reste de l'équipage (et je lui laisse le soin de leur expliquer sa résurrection miraculeuse !). 13 ans après, il s'enfuit avec eux vers le Japon. 9) De qui est l'enfant de Yonnais ? Sans doute celui d'un insulaire avec qui elle a fait sa vie après la disparition de Méthos. Elle n'avait alors que 16 ans et tout le temps du monde devant elle pour pouvoir être heureuse, grâce à Méthos qui lui épargna une fin atroce.