AVERTISSEMENT "Le maître de P'yongyang" est la troisième fiction de ma mini-série "Les contes de Corée". Il n'est pas nécessaire d'avoir lu les deux premières pour pouvoir apprécier celle-ci. Simplement quelques paragraphes font allusion à des événements qui se sont déroulés dans les histoires précédentes. Les personnages que vous reconnaitrez ne m'appartiennent pas, je les ai empruntés à la franchise Highlander, ou à l'histoire. Les autres sont à moi. J'ai essayé de respecter comme toujours la véracité historique. Ceci étant, cette fic tombe dans la catégorie de "politique science fiction" ! Merci à Marie-Gwenaëlle pour nos échanges "littéraires" très enrichissants ;-), à Poupov pour son oeil d'aigle, s'il reste des fautes c'est pas sa faute!! Merci à Matthieu pour l'enrichissement de mon vocabulaire "es combat", à Stéphane et Johanne pour leurs encouragements. Permission d'archiver chez Mymy, grace à son nouvel hébergeur! Ecrire est un plaisir solitaire, mais tandis que je plisse les yeux face à mon écran, la pensée du lecteur dissimulé dans les méandres d'internet me stimule et me soutient. Donc, tous les commentaires et remarques - même juste "j'ai lu" - sont espérés avec trépidation et reçus avec reconnaissance. helene-lecAifrance.com Le maître de P'yongyang - Conte de Corée III Corée - juin 2002 Après 10 heures de vol, l’avion amorça - enfin ! - sa descente vers Séoul. Le voyage avait été cauchemardesque. Le charmant bambin qui avait entrepris de séduire Duncan avec force babillements et sourires dans la file d’enregistrement à Roissy s’était révélé le bébé doté des cordes vocales les plus stridentes de toute l’histoire de l’humanité... Méthos en aurait juré ! Même Duncan, habituellement un modèle de patience et de compréhension avec les enfants, dirigeait fréquemment des regards lourds de mauvaises intentions en direction de la pauvre mère de famille. La créature, échevelée, épuisée et tachée avait d’ailleurs peu en commun avec la charmante française avec qui ils avaient lié conversation quelques heures... non, de longs siècles plus tôt ! Avec un soupir de soulagement, Méthos se pencha par le hublot pour regarder la descente vers Séoul. Le ciel dégagé laissait voir une mer vert-grisâtre, un chapelet d’îles, et sur la péninsule, des étendues bétonnées d’immeubles et d’échangeurs routiers. " Le paysage a bien changé depuis mon dernier passage " observa-t-il. Duncan se tourna vers lui d’un air surpris : " Tu es déjà venu ? En quelle année ? " " Oh, quelque part au huitième siècle après JC. Et puis... " La voix de Méthos s’infléchit. " ... j’ai refait un petit passage au XVIIème " La vision presque oubliée d’une chevelure bleutée, d’un visage rond aux pommettes plates, aux lèvres pleines... vision fugace qui s’évanouit avant qu’il n’ait eu le temps de bien distinguer les traits de la jeune fille. Yonnais... " Et toi, tu as fait la guerre de Corée bien sûr ? " Duncan opina d’un air sombre. " Oui. Deux millions de morts et de blessés. Encore une de ces guerres civiles meurtrières... " " C’est pour cela que je m’en tiens toujours à l’écart. C’est mauvais pour la santé et le moral " Duncan tourna vers Méthos un regard irrité. Le plus vieil immortel du monde et son cynisme dont l’épaisseur était en rapport avec le nombre des années qu’il avait vécues ! Le moment n’était pas aux idées noires. Duncan s’étira... " Ca me fait réellement plaisir d’assister à nouveau à une coupe du monde de football. La dernière fois, c’était 1982 en Espagne. Tessa, après avoir juré qu’elle ne mettrait jamais les pieds dans un stade, a fini par céder et m’accompagner. Elle ne l’a pas regretté. Quelle ambiance ! L’Italie affrontait l’Allemagne en finale, et les spectateurs ne portaient pas l’équipe allemande dans leur coeur ! A l’issue du match et après la victoire des Italiens, Tessa et moi avons dansé et bu jusqu’au petit matin avec toute la foule dans la rue. Même avec 400 ans d’existence, j’ai rarement vu une telle liesse populaire, les madrilènes ont vraiment le sens de la fête... " Duncan souriait. Près de 10 ans après, il pouvait enfin évoquer Tessa et les moments passés ensemble avec une nostalgie où le souvenir des moments heureux l’emportait sur l’amertume. ****************** Les deux immortels prirent le taxi qui devait les emmener sur l’île de Kwanga-do. " Kwanga-do ? " s’était étonné Duncan "tu ne pouvais pas nous réserver un hôtel au centre de Séoul ? " " Tout était plein, Highlander. C’est la coupe du monde de football. Et puis, on ne devrait pas y être trop mal logé, il y a un Hyatt " Près de deux heures d’embouteillages plus tard, le taxi les déposait en face du " Hyatt motel " de Kwanga-do. " Un hôtel Hyatt, tu disais ? " Méthos haussa les épaules. L’entrée du parking était assez curieusement dissimulée de la rue par une paire de rideaux. Une voiture arriva. Un couple de coréens en sortit. Un employé de l'hôtel se précipita pour poser un cache sur la plaque d’immatriculation de la voiture. Duncan haussa les sourcils " Le moins qu’on puisse dire, c’est que pour eux, la discrétion n’est pas un vain mot " " Tu vois bien, c’est l’hôtel rêvé pour un immortel " Après s’être enregistrés à la réception, les deux hommes rejoignirent leurs chambres. Ayant déposé son sac, Duncan considéra d’un air interloqué le lit parfaitement circulaire de deux mètres de diamètre. Deux marches permettaient d’y accéder. D’une blancheur immaculée, il se reflétait dans le miroir installé au plafond. Méthos qui était resté un peu en retrait partit d’un fou rire inextinguible après un coup d’oeil jeté à Duncan et à la " chose ". " Pas étonnant que la réceptionniste nous ait observés avec tant de curiosité. Les clients qui réservent à l’avance doivent être assez rares ! " Méthos s’avança un peu plus avant dans la chambre " Tu penses dormir de quel côté ? " ************** Après un petit déjeuner composé de poissons séchés et de Kim Chi, nos deux immortels partirent vers Séoul avec armes et bagages. " C’est une chance qu’il y ait eu une annulation au Grand Hyatt. On sera tout de même mieux situé et logé " " Et nourri " soupira Duncan " De la part d’un homme élevé au Haggis, une telle remarque est surprenante. Mais tu as raison, la gastronomie n’a jamais été le point fort du pays " Les deux hommes s’engouffrèrent dans le taxi qui devait les mener au Hyatt, le vrai. Bien entendu le chauffeur ne parlait pas anglais. Duncan donna la direction au chauffeur dans un coréen un peu rouillé d’avoir été inutilisé pendant un demi-siècle. La circulation était dense et ne tarda pas à s’arrêter totalement à l’approche du pont qui reliait l’île à la péninsule. " Comment était la Corée il y a 1200 ans ? " interrogea Duncan. " Fascinante, étonnante. Le pays était très riche. La capitale, Kyongju, comptait près d’un million d’habitants et était l’une des villes les plus développées de son époque. Les maisons avaient même le chauffage ! Je suis venu deux fois à près de 20 ans d’intervalle, j’accompagnais un groupe de marchands arabes. Je me souviens de ces centaines de temples qui couvraient la campagne et les flancs des montagnes. Ils étaient si colorés, si animés. Au printemps, avec tous les cerisiers en fleurs, c’était magnifique ! " " Je t’ai rarement entendu si lyrique ! " " Cela étant dit, c’était une civilisation cruelle. J’ai fait la connaissance d’un immortel là-bas, le Haut-Prêtre d’un des principaux temples du pays. Il était très en faveur auprès du roi Kyong-dok. Un personnage qui s’embarrassait assez peu de scrupules. La première fois que je suis venu, il a orchestré le sacrifice d’une petite fille à l’esprit d’une de leurs cloches. " " le sacrifice d’une petite fille à l’esprit d’une de leurs cloches ? " répéta Duncan. " Oui, si je me souviens bien, la cloche sonnait mal, ou pas. Ils l’ont refondu et ont jeté une petite fille dans le métal en fusion pour satisfaire l’esprit qui demeurait dans la cloche . Le Haut-prêtre m’a fait l’honneur certes douteux de m’inviter à assister à cette cérémonie, faveur d’immortel à immortel " " Et tu as accepté ? " protesta Duncan, choqué. " C’est très délicat de refuser un tel honneur en pays étranger, je n’aurais pas voulu les offenser " " Quelle horreur... Et tu n’as pas affronté le Haut-prêtre après ça?" " Pas mon combat, Highlander. Il ne m’a pas défié, et chacun a droit a ses convictions religieuses ... " Duncan secoua la tête, troublé. L’anecdote, si on pouvait la qualifier ainsi, offensait son sens de la justice et du bien. Mais il est vrai que Méthos n’avait jamais prétendu les partager, et que ces siècles passés étaient empreints de sauvagerie. **************** Après leur installation au grand Hyatt - pour certains le plus bel hôtel de Séoul - les deux immortels partirent, leurs chemins séparés. Méthos avait " quelques courses à faire ", Duncan allait rendre visite à un vieil ami. La maison de Luke Stevens, était située à Hannam-dong, non loin de la base américaine. Le colonel à la retraite avait profité de la loi qui autorisait les vétérans américains à être propriétaires d’un terrain à Séoul pour faire construire une belle demeure contemporaine de style occidental. Sa femme, Yoon, avait préféré cela à " toutes ces vieilles maisons biscornues et exiguës, si sombres qu’on doit allumer la lumière même à midi ". Duncan traversa le jardin. Son ami et son épouse étaient confortablement installés sous le kiosque octogonal en bois typique des extérieurs coréens. L’atmosphère était sereine, comme les quelques poissons qui paressaient dans un bassin semblaient en témoigner. Le clapotis de l’eau, l’ombrage des arbres créaient une atmosphère plus fraîche contrastant avec la chaleur lourde qui oppressait les rues. " Duncan Mac Leod! " s’exclama Stevens en se levant avec une souplesse qui démentait ses 75 ans bien sonnés. " Yoon, tu te souviens de Duncan Mac Leod. Voici son fils qui fait l’honneur de sa visite à un vieux camarade d’armes de son père " " Oui, je me souviens très bien de M. Mac Leod. Vous lui ressemblez de manière étonnante, sauf les cheveux si je peux me permettre. Il avait les cheveux beaucoup plus courts " " Madame, mon père m’a beaucoup parlé de votre mari mais il m’avait aussi vanté la beauté de son épouse, je vois qu’il ne m’avait pas menti " " Tel père, tel fils. Vous êtes un charmeur et un flatteur, Monsieur Mac Leod. C’était peut-être vrai, mais c’était il y a bien longtemps " Et pourtant, réfléchit Mac Leod en souriant, les années avaient été clémentes avec Yoon. La chevelure toujours épaisse, les traits lisses, la silhouette svelte, la coréenne ne paraissait pas plus de cinquante ans. Et elle aurait pu donner des leçons d’élégance et de maintien à des femmes bien plus jeunes qu’elle. " Je vous laisse. Je vais préparer le thé. Vous devez avoir beaucoup à discuter " Yoon s’éloigna, menue et gracieuse. " Duncan, c’est bien toi ". Stevens toucha l’épaule de l’immortel comme pour s’en assurer. " Ce n’est pas croyable, tu n’as pas changé " " Je te l’avais dit, Luke " dit Duncan avec une pointe d’excuse dans le sourire et dans la voix. Il avait souvent l’impression d’une injustice, d’une chance imméritée lorsque les mortels autour de lui vieillissaient et réalisaient que lui échappait à ces lois génétiques. " Je sais bien, je t’ai vu mourir de mes propres yeux, lorsque ces salauds de nord-coréens nous ont surpris dans une embûche à proximité de In’chon. Je t’ai vu prendre cette balle qui t’a percé le poumon... et je t’ai vu revivre. Mais... je ne sais pas ... j’avais compris que tu ne pouvais pas mourir mais je n’avais pas vraiment réalisé qu’également tu ne vieillirais pas... " " Incroyable... " reprit le vieux colonel en secouant la tête. L’après-midi s’écoula paisiblement. Yoon se joignit un moment à eux, lui expliqua tous les changements qu’avait connu la Corée depuis le rétablissement de la paix qui n’en était pas une, de ce drôle de cessez-le-feu qui durait -hormis quelques incidents - depuis près de 50 ans. Le colonel profita d’un moment où Yoon s’était éclipsée à l’intérieur de la maison pour faire part à Duncan de ses inquiétudes. " Comme je te l’ai écrit, la situation n’est pas si bonne, Duncan. Malgré le prétendu dialogue renoué depuis le sommet de juin 2000, les Nord-Coréens multiplient les actions en sous-main. Voilà plus d’un an qu’on n'a pas vu Kim Jong-il et nous ne sommes même plus sûrs que c’est bien lui qui gouverne le pays. Des bruits courent, un militaire récemment passé de notre côté nous a affirmé que les Nord-Coréens ont repris leurs activités souterraines sous la zone démilitarisée. Ils souhaiteraient profiter de la diversion qu’offre la coupe du monde de football. Tous les yeux sont tournés vers Séoul, pas vers P’yongyang. " Stevens se tut à l’approche de Yoon, de retour avec un plateau sur lequel était posé des boissons fraîches. Bientôt, Yoon riait au récit que Duncan faisait de leur arrivée à Séoul et de leur séjour à Kwanga-do. " Il est temps pour moi de partir " fit Duncan en se relevant. " Merci de votre accueil, Luke, Yoon, cela a été un plaisir de faire votre connaissance " " Vous êtes le digne fils de votre père, Duncan ", lui déclara Stevens en lui serrant la main. " Et son portrait craché ! " ajouta Yoon. " Revenez donc nous voir bientôt, vous m’enlevez bien des années ! " **************** De retour au Hyatt, Duncan retrouva Méthos confortablement installé dans un fauteuil sur la terrasse qui dominait Séoul, un verre à bière vide posé tout près de lui. " Ah, Highlander, tu arrives juste à temps pour prendre un verre ! Je t’offre une bière ? " Duncan haussa les sourcils " Tu as l’intention de m’offrir une bière ? Tu as quelque chose à te faire pardonner ?" Méthos secoua la tête d’un air dégoûté " Merci pour le vote de confiance... je ne suis pas si pingre... " " Non, juste opportuniste, tu as raison " s’esclaffa Duncan. ************ L’intérieur du JJ Mahoney’s était encombré, enfumé mais le groupe philippin réellement excellent. Duncan battait la mesure de la main sur le comptoir. " Vous êtes à Séoul pour la coupe du monde ? " Duncan se retourna pour examiner la femme qui venait de lui adresser la parole dans un anglais hésitant. Jeune et jolie, comme il se devait pour une femme adressant la parole à un inconnu dans un bar de Séoul. " Ne " " Oh, vous parlez Coréen ? " Le bar était bruyant et rendait la conversation difficile. Duncan hésitait parfois, cherchait ses mots et la jeune femme - prénommée In-suk - se tenait très près de lui pour mieux l’entendre. Il parlait tout contre l’oreille, ses lèvres lui effleurant presque le cou. Ils conversaient légèrement, de la Corée, de la coupe du monde et des matchs à venir, de la musique qui se jouait. Duncan lui effleura la taille, elle ne recula pas. Il la fit rire, elle se pencha en avant et posa sa main sur son bras, comme pour se retenir. Duncan ressentit la présence d’un autre immortel, sans doute Methos qui choisissait bien mal son moment pour venir se joindre à lui. Effectivement, Methos fendait la foule, un verre de bière menaçant de se renverser à la main. Le vieil immortel jaugea la situation d’un regard et, après avoir porté un toast silencieux, changea légèrement sa trajectoire. Duncan, soulagé, décida de presser son avantage et avança la main pour replacer une des mèches folles d’In-suk. Sa main s’attarda sur la joue de la jeune femme. Il se rapprocha encore, très près, si près que ses lèvres touchaient presque les lèvres de la jeune femme. " Alors Duncan, on prend du bon temps ? " la voix était féminine, amusée... et indubitablement celle d’Amanda. " Amanda ! " Duncan sursauta, l’air presque coupable " que fais-tu ici ? Je ne m’attendais pas... " " Non, visiblement " coupa Amanda, l’air assez goguenarde. Mais le regard qu’elle lança à la jeune Coréenne incita cette dernière à se reculer. " Ravie d’avoir fait votre connaissance, Duncan. A une autre fois peut-être " et elle disparut dans la foule... Amanda était venue soutenir son équipe et particulièrement son " compatriote " Emmanuel Petit. " Il est Normand, comme moi " Duncan secoua la tête incrédule...mais Amanda était... Amanda, surprenante, insaisissable... et superbe. Il réfléchit qu’ils n’avaient pas fait l’amour depuis... 98 et le début de l’association d’Amanda avec ce Nick Wolfe, cet ex-policier devenu immortel et qui avait perdu sa tête peu de temps après. 1998, quatre années déjà, quatre longues années et Duncan se dit qu’il aimerait renouer une relation qu’il n’aurait pas du interrompre... " Tu as l’air bien, Duncan. Tu as fait repousser tes cheveux, ça te va bien " Amanda l’examinait avec attention, avec affection, peut-être que ce soir... Méthos ne tarda pas à les rejoindre, l’air pas extrêmement surpris de retrouver Amanda au bar du Hyatt de Séoul. Mais quand Méthos avait-il l’air surpris ? " La nuit est encore jeune, venez, je vous emmène en boîte " Amanda, débordante d’énergie, les entraînait vers la sortie. Les trois immortels sortirent dans la nuit encore chaude, trois silhouettes dessinées par leurs imperméables, trois démarches singulières mais qui avaient en commun une souplesse presque féline. ***************** Le rire d’Amanda résonnait dans le couloir du 12ème étage du Hyatt. Duncan, souriant, ouvrit la porte de la suite qu’il partageait avec Méthos. Il se tourna vers Amanda légèrement titubante " tu prends un dernier verre avec nous ? " Amanda appuya les deux mains sur les épaules de Duncan, se haussa sur la pointe des pieds et l’embrassa à pleine bouche. " C’est si bon de te revoir, Duncan, à demain " Et elle caressa de la main la joue de Duncan interloqué. Puis Amanda se tourna vers Méthos et lui souffla quelque chose à l’oreille, le numéro de sa chambre ? Duncan se sentit envahi par un mouvement de jalousie qu’il savait ridicule. " A tout à l’heure, Méthos " dit Amanda en s’éloignant. Le vieil immortel considéra son cadet de quelques millénaires d’un air moqueur " On perd la main, on dirait ? " Duncan, affichant un air d’indifférence d’autant moins réussi qu’il avait absorbé pas mal d’alcool ce soir-là, rentra dans la chambre. ************ ******************************************************************* 2ième Partie ******************************************************************* Cela faisait déjà près d’une demi-heure que les trois immortels tournaient dans le quartier d’Insa-dong. " Je suis sûre que c’est par-là " répétait Amanda " j’avais repéré le stand du cordonnier, celui près de l’étal de poulpe séché " " Amanda, il y a des étals de poulpe séché à l’entrée de chaque bouche de métro " " Sans oublier les étals de coquilles de chenilles grillées " rajouta Méthos. " Oh toi ça va " fulmina Amanda " tu ne dis rien, tu te contentes de m’observer les bras ballants. Rends-toi utile, dérouille un peu ton Coréen et demande donc à un passant où se trouve la boutique spécialisée dans les paravents " Le plus vieux des immortels garda le sourire et son attitude détendue, mais son regard se durcit imperceptiblement. " Il y a un café juste en face, je vais prendre une bière. Passez me chercher quand vous aurez fini d’arpenter les trottoirs " " C’est ça, vas-y ! Cette ville sans noms de rues, ce n’est quand même pas croyable ! Ils n’ont donc rien appris en 100 ans ! " Duncan retint un sourire. Amanda en colère était à approcher avec précaution. Mais rien dans son attitude et celle de Méthos ne laissait présager une quelconque intimité entre ces deux-là. Cette réalisation réjouissait Duncan, encore décontenancé par le rejet que lui avait opposé la veille sa maîtresse de longue date. Après quelques essais infructueux, les deux amis trouvèrent enfin la boutique que cherchait Amanda. L’endroit était sombre et encombré. Les paravents entassés contre les murs menaçaient de déborder jusque dans la rue, mais l’oeil exercé de Duncan reconnaissait la qualité des peintures sur papier de riz qui ornait leurs panneaux. L’immortel observa sa compagne tandis qu’elle discutait avec l’artisan des motifs du paravent qu’elle souhaitait commander. Elle était animée, souriante, charmeuse. Sa courte chevelure platine accrochait la lumière. Il fallait reconnaître que le style lui allait bien, même si lui regrettait les mèches noires qui s’accrochaient entre ses doigts pendant l’amour. Mais il est vrai qu’il avait connu Amanda avec tous les styles de coiffure possibles et inimaginables. Elle apparaissait toujours si différente...et pourtant si semblable. " Olma-eyo ? Baek-man Wons ? Pissayo ! " L’exclamation d’Amanda le tira de sa rêverie. Visiblement, elle n’était pas prête à payer 1 million de wons pour son achat! Duncan sourit, observant l’échange immémorial entre vendeur et acheteur. " kkakkachushigesseoyo ? " Mais cette fois-ci le jeu n’était pas égal ! Amanda avait derrière elle plus de 1200 ans d’expérience. Le marchand céda de bonne grâce et Amanda ressortit de la boutique avec toute la bonne humeur de celle qui sait qu’elle vient de réaliser une bonne affaire. " Duncan, je ne savais pas trop où faire livrer mon paravent, tu sais, je suis un peu entre logements ces temps-ci " Amanda se suspendit à son bras. " J’ai donné l’adresse de la péniche pour la livraison. J’espère que ça ne te dérange pas ? " Le déranger ? Non, pas du tout ! Il se sentait certain maintenant qu’il allait retrouver Amanda.... ************************ Amanda agitait triomphalement 3 tickets. " J’ai obtenu des places pour les quarts de finale. France-Allemagne... le match a lieu demain au stade de Suwon. Je vais pouvoir soutenir mon équipe " " J’ai hâte d’y être " répondit Méthos " j’ai comme l’impression que nous allons découvrir que nous n’avions jamais fait qu’effleurer du doigt toute l’étendue de ta mauvaise foi " Amanda haussa les épaules : " Ah, parce que tu survis grâce à ton honnêteté proverbiale bien sûr ? " Duncan revenait, un pli soucieux lui creusant le front. " Je crains fort que vous ne deviez y aller sans moi, je viens d’avoir un message du colonel Stevens, il veut que je passe demain soir chez lui " " Le colonel Stevens ? Cet américain que tu as rencontré tandis que tu combattais en Corée sous l’égide des Nations Unies ? Il sait qui tu es n’est-ce-pas ? " Méthos, en entendant parler Amanda, fut frappé une nouvelle fois par la connaissance intrinsèque qu’elle avait du passé de Duncan, preuve s’il en était besoin de leur longue intimité... *************** Le couple s’éloignait en direction de la bouche de métro. Les embouteillages de Séoul étaient proverbiaux, assez pour les dissuader d’atteindre le stade en taxi. " Tu dois aimer ces atmosphères de foule compacte, non ? Elles doivent te rappeler les grandes heures de ta carrière de pick-pocket. " La voix de Méthos s’élevait, moqueuse... " Tu n’as pas de souci à te faire " répondait celle d’Amanda, tout aussi sarcastique. " Si j’en crois le nombre de fois où tu paies l’addition, ce n’est pas la peine que je te fasse les poches..." Duncan les regardait partir, partagé entre l’incrédulité et l’amusement. Plus de six millénaires à eux deux, et tous les clichés sur la sagesse des anciens volaient en éclat... Amanda était descendue en tenue de parfaite supportrice, Jeans (Valentino, certes), T-shirt officiel de la coupe du monde et... il n’en était pas encore revenu... le drapeau français soulignant ses deux pommettes - d’ailleurs fort belles - de ses couleurs bleu, blanc et rouge... " Tu ne sais plus t’amuser Duncan ! Décoince-toi un peu ! " Sans doute était-ce vrai... Il avait perdu la volonté de mourir qui l’avait poussé à offrir sa tête à Rourke, mais il n’avait pas retrouvé vraiment le goût de vivre. Il lui faudrait faire un effort, secouer sa tendance légendaire à l’introspection coupable et rebondir. Sinon les siècles encore à venir pourraient paraître bien longs. Son taxi arriva enfin, il grimpa, donna au taxi l’adresse d’Hannam-dong et, détournant ses pensées d’Amanda, des drames passés, il s’interrogea sur le futur proche et les raisons de l’invitation du colonel Stevens. Le colonel l’accueillit et l’entraîna immédiatement vers son bureau, la mine grave. " Merci d’être venu Duncan. Mes craintes se sont vérifiées. Nous venons de découvrir un nouveau tunnel d’infiltration dans la zone démilitarisée " Duncan hocha la tête. Il avait comme tout le monde à l’époque suivi l’épisode terrifiant ou rocambolesque, selon les points de vue, du tunnel d’infiltration Nord-Coréen découvert à 44 km seulement au Nord de Séoul en 1978. Ce tunnel avait pour but de préparer l’invasion de la Corée du Sud par les Coréens du Nord, leur permettant de passer sans être détectés la zone de démarcation, à 70 mètres sous terre ! C’était le 3ème tunnel que les forces de l’ONU avaient localisé en 4 ans, grâce aux information d’un déserteur. La tension entre les 2 pays était à l’époque à son comble. Il avait entendu un peu plus tard les rumeurs de la découverte d’un 4ème tunnel. Ce 5ème tunnel qui venait d’être localisé relevait sûrement d’une opération médiatique de la part des Coréens du Nord. A l’heure où tous les yeux étaient tournés vers Séoul, comment pouvaient-ils espérer réussir une invasion de la Corée du Sud par ce biais ? Faire parler d’eux, gâcher la coupe du monde pour ceux du Sud si fiers de cette opportunité de mettre leur pays en avant, oui, indéniablement. Mais relancer la guerre, sérieusement ? Malheureusement, dans ce pays qui restait le pays le plus fermé au monde, dirigé par un dictateur probablement dérangé et dont on ne savait presque rien, les hypothèses les plus folles et les plus invraisemblables ne pouvaient être éliminées au nom du bon sens. Toutes ces pensées traversèrent l’esprit de Duncan et elles lui furent confirmées par sa discussion avec le colonel Stevens. " Il ne faut pas oublier, Duncan, que ces gens ont tiré un missile longue portée qui a survolé le Japon et est venu s’enfoncer dans ses eaux territoriales pas plus tard qu’en 1998 " Duncan demanda au colonel en quoi il pouvait être utile. " Car je ne me trompe pas, Luke, tu ne m’as pas raconté tout ça juste pour t’épancher " " C’est vrai, Duncan, j’ai, enfin, nous les américains, avons un service à te demander. Nous souhaiterions que tu passes au Nord et ailles estimer la situation " Le silence s’appesantit entre les deux hommes... Passer au Nord ? Certains disaient qu’on avait autant de chances de réussir à passer la ligne de démarcation que de gagner le gros lot au loto... ou que de mourir dans un accident d’avion. " Passer au Nord ? " répéta Duncan. Son esprit retournait la proposition, examinait les différentes possibilités. " Nous avons perdu tout contact avec notre agent au Nord, Duncan. Nous ne savons pas ce qu’il est devenu, s’il est mort ou emprisonné. Nous voudrions que tu te rendes sur place, que tu tentes de le retrouver et de rassembler toutes les informations que tu pourras obtenir sur les intentions de P’yongyang... Je ne te cacherai pas que c’est une mission dangereuse, voire suicidaire. C’est pour cela que j’ai pensé à toi. Avec tes capacités...particulières disons, tu as plus de chances qu’un autre de t’en sortir et de revenir vivant " " Ou de pourrir pour l’éternité dans une geôle coréenne " compléta Duncan. Une vision l’envahit brutalement, insupportable et terrifiante, celle d’un trou sombre et malodorant où un homme crevait de faim, trop à l’étroit pour pouvoir seulement s’asseoir, alors que mouches et moucherons, attirés par l’odeur de sang séché et les excréments, voletaient sans répit dans la chaleur accablante et moite, se posant sur ses lèvres craquelées, s’introduisant dans ses narines, ses oreilles, lui recouvrant les yeux... D’où venaient ces images, de quel quickening reçu, de quel immortel ? Duncan avait frémi involontairement à ce souvenir qui ne n’était pas le sien mais qui avait pris possession de son esprit, et Luke interpréta ce frémissement comme un refus. " Est-ce que ça veut dire que tu refuses cette mission. Je comprendrais tu sais. Rien ne te lie à ce peuple et à cette situation " " Non, non, j’accepte " l’interrompit Duncan. D’ailleurs, il gelait à pierre fendre 4 mois de l’année à P’yongyang. " Comment comptes-tu procéder ? ". Les deux hommes discutèrent et dressèrent leurs plans jusque tard dans la nuit. " A demain, Duncan. La réunion se tiendra chez moi en comité réduit. Moins de gens seront impliqués, mieux cela vaudra... " " D’accord. A demain, Luke " Les deux hommes échangèrent une poignée de main ferme puis Duncan rentra à hôtel prendre quelques heures de sommeil. *********************** Le lendemain à la nuit tombée, Duncan pénétra en jeep dans la zone démilitarisée accompagné d’un major de l’armée américaine. Arrivé à destination, il se changea rapidement et se noircit le visage et les mains. Il lui fallait être aussi invisible que possible et aucun de ses vêtements et armes ne devaient pouvoir le rattacher de près ou de loin à l’armée américaine. Si le major remarqua l’épée que l’immortel glissa dans son dos il ne dit rien. Pour plus de discrétion, les gardes avaient reçu l’ordre de s’éloigner momentanément du tunnel d’interception. Les deux hommes échangèrent quelques remarques à voix basse puis le major serra brièvement l’épaule de Duncan. " C’est à vous maintenant. Vous avez dix minutes avant que les gardes ne retournent à leur poste dans le tunnel. Bonne chance " Duncan commençait à s’éloigner lorsque le major ajouta " Attention aux mines de l’autre côté ". *********************** Duncan s’engagea dans le passage qui avait été creusé en urgence par les forces américaines pour intercepter le tunnel nord-coréen, situé à près de 80 mètres de profondeur. Il allait marcher 100 mètres en pente raide avant de rejoindre le conduit de 800 qui l’amènerait de l’autre côté de la ligne de démarcation. Il faisait sombre en dépit des lampes qui éclairaient le chemin à intervalles réguliers et l’atmosphère était humide, des gouttelettes d’eau apparaissant sur les parois pour se transformer parfois en rigoles qui dévalaient la pente... Le plafond était trop bas aussi Duncan devait-il souvent se tenir courbé. Il marchait rapidement, souplement et silencieusement... L’air était plus frais qu’à l’extérieur, mais il se raréfiait au fur et à mesure que Duncan s’enfonçait de plus en plus bas, rendant les efforts difficiles... Duncan rejoignit le tunnel d’origine juste au moment où il entendit, venues de la surface, les voix des gardes américains qui retournaient prendre leur poste. Le sol était maintenant plat aussi Duncan progressait-il beaucoup plus vite... Il atteignit rapidement le premier mur qui avait été construit pour bloquer le tunnel, ne laissant qu’une ouverture où un homme pouvait tout juste se glisser. 15 mètres le séparaient maintenant du second mur... et de la Corée du Nord... Duncan s’arrêta quelques secondes pour reprendre son souffle... derrière l’attendait l’inconnu et une mission périlleuse... Il pensa brièvement à Amanda à qui il aurait voulu dire au revoir mais qu’il n’avait pas réussi à croiser ce jour-là, à Méthos qui avait haussé les sourcils en apprenant le projet de Duncan " Tu joues les James Bond maintenant ? ", se demandant s’il lui serait donné de les rejoindre à Séoul pour assister à la finale. La voix de Luke Stevens résonna dans son esprit : " Tu as une semaine pour revenir par où tu es entré. Le jour de la finale, nous scellerons définitivement le mur qui sépare le tunnel en deux à l’endroit exact de la frontière. Après, il sera trop tard. Pour rentrer, tu n’auras plus que la frontière chinoise... Possible, mais plus long. Et de l’autre côté de la frontière, tu ne trouveras pas des amis mais des soldats qui ne demanderont qu’à te livrer aux communistes. " Oui, il lui fallait faire vite, il lui fallait faire bien. Il chassa toutes les pensées importunes et concentra tous ses sens sur la perception de son environnement, prêt à réagir et à anticiper tous les mouvements d’un adversaire dont il ne pouvait sentir la présence, qu’il n’avait pas encore rencontré et qui ne l’attendait pas, mais dont il savait qu’il serait là, forcément, dans les minutes qui suivraient . ********************** Duncan ne s’arrêta que bien après s’être éloigné du village de P’anmunjom et de son cortège de bunkers, tanks, mines anti-personnel, citernes contenant des armes biologiques et silos à missiles... Il marcha près de 8 heures vers le Nord-Est, se tenant à l’écart des routes qui ne voyaient guère passer de véhicules motorisés. Il dépassa le village de la propagande - un village modèle mais inhabité, dont toutes les lumières commandées par un seul interrupteur s’éteignaient d’un seul coup tous les soirs à 22 heures, - il laissa derrière lui la ville de Kaesong, n’interrompant sa marche que lorsqu’il atteignit les versants d’une montagne boisée qui lui permettrait d’être suffisamment à couvert pour passer la journée. Il prévoyait encore une nuit de marche avant d’atteindre P’yongyang. Il avait eu une chance incroyable jusqu’ici. Comme Stevens et le major le lui avaient assuré, l’intérieur du tunnel côté nord-coréen n’était pas gardé. Il en allait autrement de la sortie devant lequel trois soldats montaient la garde, vraisemblablement plus pour empêcher un habitant de faire défection que pour prévenir une éventuelle attaque du Sud. Duncan était demeuré parfaitement silencieux, observant les gardes qui lui barraient la route. De ses années en Amérique du Nord avec la tribu de Little Deer, il avait gardé la capacité à se fondre entièrement dans le paysage alentour, à se déplacer sans paraître déplacer le moindre souffle d’air. Il avait sorti d’une de ses poches une seringue hypodermique, s’était approché du garde le plus proche et dans un mouvement si rapide qu’il en avait été à peine visible, avait vidé le contenu de la seringue dans la nuque du gardien avant de reculer pour se plaquer à nouveau contre les parois du tunnel. Les deux autres gardes s’étaient tournés vers leur camarade qui semblait au prises avec les symptômes d’un infarctus... Duncan avait profité de la commotion pour s’échapper, une silhouette sombre et furtive qui n’avait pas tardé à disparaître complètement dans la nuit. *********************** Duncan étira tous ses muscles pour en dissiper la tension accumulée pendant ces longues heures. Toutes ses expériences passées lui avaient donné les compétences nécessaires à l’accomplissement d’une tâche que tous auraient jugée impossible. Mais elles ne lui épargnaient pas la peur, peur d’être surpris, rattrapé qui l’avait accompagnée pendant ces longues heures et lui avait procuré l’adrénaline nécessaire à la réussite. Oui, sans la peur, réfléchit Duncan, il aurait échoué. " Est-ce que tu as peur Duncan " lui demandait la voix de Richie. " Bien sur que j’ai peur, tout le temps, pour mes amis, pour ceux que j’aime. Mais il faut vivre avec " " Oui mais je veux dire, est-ce que tu as peur, pour toi, dans les combats ?" Ducan garda le silence un moment, puis il répondit " Oui j’ai peur avant les combats, parfois même pendant. J’ai peur de mourir, de vous laisser derrière moi, j’ai envie de vivre, j’ai envie de voir quel homme tu vas devenir. Et c’est cette peur qui me maintient en vie, qui me permet d’être au maximum de mes possibilités. La peur, quand elle est maîtrisée, devient une arme redoutable " **************************** Duncan dormait. L’herbe sous lui était mouillée, une fourmi courait sur sa main, un rongeur passait dans un bruissement, craquant une brindille sous ses pattes. Duncan dormait. Il rêvait. Il rêvait d’Amanda s’approchant de lui, la sensation de sa présence envahissait son esprit, le regard qu’elle lui lançait le troublait, la vision de son corps nu alors que son peignoir tombait le bouleversait. Amanda s’avançait vers lui, le sourire presque carnassier lui découvrant les canines. Amanda tirait son épée... Il fut soudainement réveillé par la sensation d’une lame contre sa gorge... Il ouvrit les yeux, la perception de la présence familière d’Amanda recédait pour être remplacée par celle d’un parfait inconnu qui l’observait attentivement tout en maintenant la pression de son arme. ******************************************************************* 3ième Partie ******************************************************************* Quel drôle d’endroit pour mourir, songea Duncan. De tous les dangers qu’il avait envisagés pour cette mission, il n’aurait pas cru que c’était celui de la rencontre avec un autre immortel qui se réaliserait, sur le flanc d’une montagne nord-coréenne. L’autre allait-il lui laisser une chance de combattre ? Alors que les brumes du sommeil se dissipaient, Duncan reprenait conscience de son environnement et avec cette conscience, plus de 400 années passées à combattre vinrent à son secours et il cessa de considérer sa situation certes périlleuse comme désespérée. Il se concentra au contraire sur son adversaire, essaya de rentrer en symbiose avec lui pour guetter le moment, l’infinitésimale seconde où il pourrait rouler, s’échapper. Désarmé mais debout, il avait toutes ses chances. Les deux hommes étaient parfaitement immobiles, l’agresseur et l’agressé, le dominant et le dominé, et soudain, l’équilibre entre les deux sembla basculer. La tension prit possession de tout le corps de Duncan, comme celle qui envahit le corps d’un fauve avant l’attaque. L’autre immortel, sans avoir seulement ni bougé ni cillé, se détendit imperceptiblement, le désir de tuer parut s’amenuiser jusqu’à disparaître complètement. " Vous n’êtes pas lui " la voix de l’homme s’éleva en Coréen, rompant le silence. " Non " répondit Duncan. Visiblement, il n’était pas lui, qui que ce lui puisse être. " Vous n’êtes pas coréen " reprit l’inconnu. Il n’avait pas bougé, sa lame s’appuyait toujours sur le cou de Duncan. " Non " répondit à nouveau Duncan. " Qui êtes-vous " " Je suis Duncan Mac Leod du clan Mac Leod " La voix de Duncan contenait cette note de fierté toujours présente lorsqu’il annonçait son nom, mais le défi était lui absent. " Vous verriez un inconvénient à ce que nous poursuivions cette conversation dans une position plus confortable ? " " Non, bien sûr, excusez-moi " l’inconnu écarta son épée, se recula d’un pas et tendit le bras à Duncan pour l’aider à se relever. Duncan le prit, curieusement confiant qu’il ne s’agissait pas d’une ruse pour le décapiter, désarmé. Les deux hommes se jaugèrent à nouveau du regard puis s’inclinèrent dans le salut traditionnel coréen. " Et vous, qui êtes-vous ? " demanda Duncan. " Je suis Park Ju-Yong " " Cela fait plus de quinze ans que je n’avais pas rencontré un autre de notre race. J’en venais presque à penser que je pouvais être le dernier, à part lui bien sûr " La voix de Park avait pris une note de mépris et de haine " Qui est lui ? " " Kim II-sung, le grand leader, comme il se fait appeler désormais." Duncan garda le silence quelques instants, tandis qu’il digérait cette information. Le dirigeant de la Corée du Nord, le dictateur, un immortel... Ce ne serait pas la première fois... Et il revit en pensée les visages de ces immortels qui avaient tenté de, et parfois réussi à s’emparer du pouvoir humain. " Mais... il est mort n’est-ce-pas ? " " Il a voulu le faire croire, en a profité pour placer sa marionnette, son fils adoptif Kim Jong-il. De cette façon, il conserve tout le pouvoir en sous-main " Oui, c’était vraisemblable. Disparaître aux yeux du monde, quitte à reprendre la vie publique dans quelques années à la place de son fils, quand celui-ci aura suffisamment vieilli pour rendre l’échange possible... " Combien d’entre nous reste-t-il ?" La voix de Park interrompit le cheminement des pensées de Duncan. " Je ne sais pas exactement, c’est difficile à dire. Peut-être dix mille personnes. Sans compter les pré-immortels qui naissent encore aujourd’hui " " Tant que ça... " murmura le Coréen. " Ici, nous ne sommes plus que deux. Quant aux pré-immortels, voilà bien longtemps que je n’ai pas vu un pré-immortel tenir sa promesse et accéder à l’immortalité. L’autre est là pour y veiller " " Comment ça ? " l’interrogea Duncan. Park lui raconta alors... Il lui raconta comment il avait fait la connaissance de Kim II-sung il y a près de 1800 ans, au temps de la gloire du royaume de Koguryo. Le royaume était célèbre pour ses succès militaires et la valeur de ses guerriers. En 612, dans une bataille restée dans toutes les mémoires, sous le commandement du Général Ulchi Mundok, l’armée coréenne avait défait les troupes chinoises à P’yongyang. Des 300,000 soldats chinois venus attaquer la capitale du royaume, seuls 2700 allaient repartir vivants. Park et Kim étaient déjà immortels à l’époque. Ils avaient perdu la vie pour la première fois en 313, lors de la bataille qui avait opposé Koguryo à Lolang. Ils s’étaient tous deux réveillés sur le champ de bataille jonché de cadavres, deux guerriers rentrant en même temps en possession de leur don. Un homme les attendait et les avait accueillis dans sa maison. Chose rare pour des immortels, ils avaient partagé le même maître au même moment. Autant dire qu’ils étaient comme frères. En 372, lorsque le Bouddhisme fut adopté comme religion officielle et le premier institut confucianiste fut fondé à T’aehak, Kim avait changé de vocation. Il avait embrassé la prêtrise et ne l’avait plus quitté pour un millénaire. " Mais il n’est pas devenu un homme bienveillant pour autant, non. Je l’ai revu au huitième siècle alors que mes pas m’avait entraîné à Kyongju, la capitale du royaume de Silla, après que Silla ait vaincu tous ses voisins. Il était le Haut-Prêtre du temple de Pongdok-sa, l’un des principaux temples du pays. Il se servait de sa position pour esquiver tous les affrontements avec d’autres immortels, puisqu’il résidait sur un lieu sacré, mais il avait pris l’habitude d’empêcher les pré-immortels qu’il détectait d’accéder à l’immortalité. Il appelait cela " éliminer la compétition dans l’oeuf ". Il avait soif de pouvoir et exerçait une grande influence sur le roi par le biais de visions prétendument reçues des Shinsons. " Les deux hommes s’étaient croisés et recroisés au fil de l’histoire. Aucun n’avait jamais quitté la Corée, attachés à leur patrie plusieurs fois millénaires. Avec leur mortalité, ils n’avaient pas perdu ce sentiment de fierté nationale qui caractérisent tant de Coréens. Ils ne s’étaient jamais défiés. L’enseignement de Confucius leur interdisait de combattre leur frère. Mais Park avait pu constater, de rencontres en rencontres, la soif de pouvoir grandissante qui avait saisi Kim, parfois Haut-Prêtre, parfois Conseiller du roi, parfois Général, son influence de plus en plus forte et souvent néfaste sur le devenir du pays. Jusqu’à cette dernière folie, la prise du pouvoir absolu, l’isolation totale d’un pays, l’emprisonnement de tout un peuple dans un système absurde et totalitaire... Park avait cessé depuis des siècles de considérer cet homme comme son frère, au respect et à l’amitié avait succédé l’incompréhension puis le mépris et la haine. Kim avait utilisé sa police secrète pour détruire tous les immortels du territoire, sacrifiant les enfants trouvés, n’épargnant que Park pour des raisons qu’il avait probablement oubliées dans sa folie. Park s’abritait maintenant dans les montagnes, vivant de la charité des villageois qui voyaient en lui un des derniers Shinsons, subsistant de plus en plus difficilement maintenant que la famine avait pris possession du pays tout entier. " Pourquoi êtes-vous venu ? " Duncan lui expliqua succinctement le but de sa mission. Park réfléchit " Les américains sont les ennemis de Kim II Sung. Les ennemis de mon ennemi sont mes amis. Je vous aiderai. Seul, vous n’avez que peu de chances d’atteindre P’yongyang. Avec moi... J’en profiterai pour me rendre au palais. Il est temps que je force la confrontation. Cet homme a trop nui à son pays et à son peuple. " " Et comment compter vous vous introduire dans le palais ? " interrogea Duncan, curieux. " Il me recevra " Park était confiant, résolu... et Duncan en était convaincu, tout à fait capable de remplir la tâche qu’il s’était fixée. Quel que soit le mode d’existence à demi-sauvage, à demi-vagabond que menait cet homme, c’était avant tout un guerrier, né et entraîné pour se battre. Les traits rudes, l’expression de son regard, le physique compact mais dont le moindre geste dénotait la force et la rapidité... tout concourait au sentiment que cet homme pouvait être dangereux lorsqu’il le choisissait. Duncan, qui pouvait encore ressentir la pression de la lame de l’immortel contre son cou, en aurait mis sa tête à couper. ************************ P’yongyang - Corée du Nord Amanda s’approcha de la statue du Grand Leader, haute de trente mètres. Après s’être inclinée en signe de respect, elle déposa la gerbe de fleurs au pied de l’effigie du dictateur. Méthos, ayant pour une fois perdu son air sarcastique, salua à son tour. " Bon, voici notre devoir civique accompli ". Le guide coréen qui les accompagnait, plus fidèle qu’une ombre, hocha la tête avec une satisfaction mêlée de soulagement. Les ouailles dont il était responsable avaient finalement sacrifié au rituel qui obligeait chaque touriste à venir offrir des fleurs au défunt dictateur, père de la Corée du Nord. Lorsqu’il avait expliqué aux deux étrangers ce qui était attendu d’eux ce matin là, il avait discerné sur le visage de la jeune femme toutes les traces d’un éclat imminent. L’homme lui avait alors entouré les épaules de son bras et l’avait entraînée un peu à l’écart, lui parlant longuement, sérieusement. La femme avait finalement acquiescé et avait accepté le bouquet que lui tendait le guide. Plus rien sur son visage ne trahissait un quelconque mouvement d’humeur. Ouf ! Rien de pire pour un guide officiel que d’avoir en charge des touristes subversifs ou même récalcitrants. Les deux immortels accompagnés du Coréen s’éloignèrent pour rejoindre le minibus qui devait les emmener visiter les principales curiosités de la ville. Amanda affichait un air détendu que ses paroles, prononcées en Français, démentirent " Je te jure Méthos qu’il me le paiera. Et doublement " " Je n’en doute pas un seul instant, chère Amanda. " ************************ Le minibus circulait le long de l’incroyable avenue à treize voies pratiquement exempte de circulation à l’exception de quelques véhicules officiels et militaires. A l’approche de l’arc de triomphe - dont la hauteur dépassait de trois mètres son équivalent parisien - annonça le guide avec fierté, les deux immortels ressentirent la proximité d’un de leurs semblables. La sensation était forte et ils tournèrent tous deux le regard vers le large trottoir immaculé sur lequel se pressaient de rares passants. Duncan était là, accompagné d’un guide Coréen dont la veste arborait le macaron traditionnel au portrait du Grand Leader. " Ah ! James a réussi la première partie de sa mission, on dirait " murmura Méthos d’un air amusé. " Méthos ! Dis-moi, tu n’as pas l’impression qu’ils étaient deux ? Je jurerai que l’autre était l’un d’entre nous. As-tu vu comme son regard s’est tourné en direction de notre bus ?" " Intéressant... " murmura Méthos tandis que leur minibus s’éloignait en direction du " Musée de la Guerre de Libération de la Mère-Patrie Victorieuse " Duncan fixait, interloqué, le minibus qui emportait avec lui la sensation faiblissante d’autres de sa race. Amanda, Méthos ? C’était eux, il l’aurait juré, mais comment était-ce possible ? " Des amis à vous ?" Park interrompit le fil de ses interrogations. " Oui, enfin, je crois, je ne comprends pas comment ils sont là. ************************ Une nuit de marche supplémentaire avait suffi à Park et Duncan pour atteindre la banlieue de P'yongyang. De mystérieuses connexions avaient alors permis à Park de se procurer une voiture officielle, un logement où ils avaient pu introduire Duncan à la faveur de la nuit et des papiers et un badge établissant son statut de guide pour étrangers. La femme sans nom qui les avait accueillis leur avait servi un bol de soupe sans prononcer une parole ni même paraître remarquer la présence de Duncan. Il est vrai que la peine encourue pour trahison était l’exécution sommaire ou, peut-être pire encore, le camp de concentration. De quoi étouffer dans l’oeuf la moindre velléité de curiosité. Et Duncan se trouvait maintenant dans la position surréaliste d’arpenter les rues de P’yongyang en compagnie d’un immortel qui donnait toutes les apparences d’être son guide. Il ne restait qu’à prier pour qu’aucun policier ne les arrête afin de vérifier leurs papiers. C’était très improbable selon Park. La population et les policiers avaient reçu des directives leur demandant d’éviter toute attitude hostile ou excessivement suspicieuse envers les étrangers. Ceux-ci avaient déjà subi des interrogatoires très stricts et leurs papiers avaient été examinés à la loupe à l’occasion de leur entrée dans le pays; ils ne pouvaient circuler seuls de toute façon. Ce n’était donc pas la peine de les harceler avec des contrôles de rue. ****************** L’agent Nord-Coréen faisait parvenir ses rapports via Moscou. Il était contrôlé par un diplomate russe à la solde des américains. Les russes avaient de toute manière pris depuis bien longtemps leurs distances vis-à-vis du régime de P’yongyang. Les déserteurs Nord-Coréens qui parvenaient à joindre la Russie n’étaient normalement pas reconduits à la frontière. Ce n’était pas toujours le cas des Nord-Coréens qui choisissaient de fuir en Chine. Il arrivait souvent qu’ils soient remis aux autorités de leur pays pour y subir un sort pire que la mort. Le diplomate russe n’avait plus eu aucune nouvelle de son agent, ce qui signifiait très certainement une capture. Après s’être " malencontreusement cassé la jambe ", il avait demandé à être rapatrié dans son pays afin de pouvoir y être soigné, estimant à juste titre que sa position à l’ambassade de Russie en Corée du Nord pouvait devenir dangereuse si l’agent venait à parler. Et c’est ainsi que les américains avaient perdu toute possibilité de contacter leur informateur, et que Duncan était entré en scène. Duncan avait expliqué à Park les procédures à suivre pour entrer en contact avec l’agent nord-coréen. " C’est trop risqué. S’il n’a pas donné signe de vie depuis 3 mois, c’est très probablement qu’il a été arrêté. Des dizaines de gens sont arrêtés chaque jour pour avoir omis de saluer le Grand Leader alors qu’ils passaient devant sa statue, pour avoir éteint leur télévision au cours d’un des programmes de propagande, parce qu’ils ne critiquent pas avec assez de véhémence les impérialistes américains... Alors, un espion, il était condamné à plus ou moins long terme. " " Quant à tenter de reprendre contact avec lui... S’il a parlé, et s’il a été arrêté c’est qu’il a parlé, ils ne vous tuent jamais avant que vous n’ayez dit ce que vous avez à dire.... S’il a parlé donc, les endroits qu’il utilisait seront surveillés. Le cirque d’Etat, le campus de l’université de Kim II sung... Et il y passe trop peu d’étrangers pour qu’une marque à la craie sur le sol ne suscite pas des suspicions quant à notre visite. " Park avait probablement raison, songea Duncan, et il se demanda, non pour la première fois s’il lui serait possible de mener à bien la mission qu’il avait acceptée. Le pays était encore plus fermé, la population encore plus surveillée qu’il ne l’avait pensé. Les bâtiments officiels à l’architecture grandiose mais laide, la propreté immaculée des rues, tout lui faisait l’effet d’un décor où s’affairaient des hommes et des femmes qui avaient tous un rôle précis à jouer, et qui s’en acquittaient sans s’écarter un seul instant des instructions qu’ils avaient reçues. Une sorte de parc à thème stalinien en somme, mais d’autant plus effrayant qu’on sentait que l’arbitraire et l’injustice pouvait s’abattre sur vous au moindre faux pas, voire au moindre pas. Et à quelques kilomètres de là, des zones industrielles désaffectées faute de matières premières et d’énergie pour faire tourner les usines, des campagnes entièrement coupées du monde, et où hommes, femmes et enfants mouraient de faim... Park reprit " J’ai mes contacts. Je vais me renseigner. Peut-être pourrais-je obtenir des informations sur votre homme . " ************************ Les deux immortels dînaient à hôtel Koryo. Amanda jouait avec sa nourriture, promenant de sa fourchette l’une des cinq frites qui constituaient la garniture de son plat. Elle jetait de temps à autres un regard au portrait du Grand Leader accroché au murs du restaurant. Méthos lui encercla le poignet de sa main, interrompant ainsi le mouvement circulaire de la frite dans l’assiette. " Bientôt ". Amanda hocha la tête, ses yeux prirent une couleur opaque, ils semblaient regarder vers l’intérieur. Oui, bientôt. Mont Sorak - Corée - 1911 Amanda caressait les cheveux de Hee-su. La petite fille, dont la tête reposait sur le ventre d’Amanda, babillait joyeusement. Amanda l’écoutait en souriant. Elle jouait de la main avec les mèches noires de l’enfant, observait, attendrie, le mouvement gracile des mains potelées tandis que l’enfant parlait. Le soleil de cette journée d’automne était radieux, les feuilles rouges des Gingkos se balançaient mollement sous le vent, l’herbe encore verte créait un tapis moelleux sous leurs corps. La voix de Hee-su se mêlait au clapotis du ruisseau et au chant doux et à peine perceptible qui annonçait la future immortalité de l’enfant. Amanda se sentait gagnée par le sommeil... Oui, bientôt, il lui paierait. Bientôt, elle vengerait Hee-su. Elle se vengerait, elle. Elle avait tant aimé Hee-su. Elle avait investi tant d’affection, d’amour même dans cette enfant qu’elle avait trouvé dans un orphelinat de P’yongyang. Elle ne pourrait jamais être mère. Ses 1200 années d’existence lui avaient amené toutes les joies, toutes les peines, mais jamais le bonheur de tenir un nouveau-né contre son sein, en sachant qu’il était à elle, qu’il venait d’elle. Alors, à chaque fois que le destin lui en avait donné l’occasion, elle avait été prête à accueillir un enfant de sa race. Hee-su avait 5 ans quand elle l’avait recueillie. Une candeur, une drôlerie que ses années d’orphelinat n’avaient pas réussi à étouffer. Amanda aimait Hee-su, elle voulait la voir grandir, devenir une jeune fille puis une femme. Elle la protégerait du jeu, puis elle l’armerait contre ce jeu, elles iraient un jour leurs destins séparés mais Amanda saurait que sa fille était là, quelque part, dans le monde. Elles faisaient route vers Pusan pour prendre un bateau vers l’Europe... Elles avaient pris le chemin des écoliers, s’arrêtant en route au Mont Sorak... Amanda avait profité du sommeil de l’enfant pour aller se baigner. Elle avait ôté ses vêtements, posé son épée sur un rocher, puis elle s’était immergée lentement, précautionneusement dans l’eau presque glaciale. " Bbrr, comment Duncan peut-il se lancer avec tant d’ardeur dans les rivières glacées des Hautes Terres d’Ecosse ? " Elle était entrée presque entièrement dans l’eau lorsqu’elle avait ressenti une présence. Hee Su... il fallait la rejoindre au plus vite, avant que l’inconnu, quel qu’il fut, ne trouve l’enfant et ne réalise qu’elle était une pré-immortelle. Amanda sortit de l’eau, ruisselante, ne prit même pas le temps de se rhabiller, saisit son épée et telle une guerrière mythique, s’avança, nue, en direction de la présence et, elle s’en rendit compte le coeur rempli d’appréhension, d’Hee Su. L’inconnu, un coréen selon toute apparence, se tenait au-dessus de l’enfant endormie, l’épée dressée, prêt à frapper. " Vous touchez un seul de ses cheveux et vous êtes mort " annonça Amanda en Coréen. Au son de la voix d’Amanda, la petite fille se redressa... pour s’immobiliser, les yeux agrandis par l’effroi, à la sensation d’une lame posée tout contre son cou. " Amanda... " supplia-t-elle. " Ce n’est rien, mon poussin. Je suis là " et tandis qu’elle prononçait ces mots, elle sentait son coeur s’alourdir plus encore. " Laissez-là, elle n’est d’aucun intérêt pour vous. Mais je suis là, pour vous servir... et vous combattre. Amanda Duval " et elle s’inclina, sans quitter le coréen des yeux. " Kim Sung " L’inconnu ne retourna pas le salut " Et vous combattre ne m’intéresse pas. Vous n’êtes pas de ma race. Tandis qu’elle... " Et sans paraître bouger, il décapita l’enfant. Le cri de Hee Su mourut sur ses lèvres, il parut se répercuter sur les lèvres d’Amanda qui se mit à hurler " Non ! " en chargeant l’inconnu, épée levée. Et parce que la rage, elle le savait pourtant, rendait le guerrier plus vulnérable, Kim para aisément et, d’un geste rapide, lui transperça le ventre. Amanda, pliée en deux, se sentit partir, et sa dernière pensée fut qu’elle rejoindrait Hee-Su. ******************************************************************* 4ième Partie ******************************************************************* Amanda jouait avec sa frite. Son assiette était froide depuis longtemps. Elle leva les yeux vers Méthos. " Mais tu sais ce qui me fait le plus mal ? " Méthos secoua la tête, mais garda le silence. " C’est de ne pas savoir si je lui en veux le plus pour Hee Su, ou pour... " et sa voix diminua encore, pour paraître presque s’éteindre dans un souffle " ... tu sais... " Amanda avait repris connaissance, fermement attachée à un arbre, toujours nue, la sensation du corps de Kim tout contre le sien, à l’intérieur du sien. La rage le disputait au dégoût, la détresse à l’impuissance, elle tenta de détourner la tête, il l’avait baillonnée, immobilisée là-aussi et le contact rugueux du tronc lui écorcha les joues, elle entraperçut la tête de Hee Su, figée à tout jamais sur ses yeux écarquillées, la bouche ouverte sur un cri silencieux, son sang formant des tâches écarlates sur l’herbe verte, semblant refléter l’éclat des feuilles de Gingko au-dessus d’eux. Et Amanda, pour la première fois après 1200 ans d’existence, cessa de lutter. Kim s’écarta. " Tu m’as bien satisfaite, Etrangère " et le mot, le même que barbare en coréen, résonna étrangement aux oreilles d’Amanda. Barbare... " Je te laisse la vie sauve. A une autre fois peut-être " Et l’homme s’était éloigné, la laissant nue, attachée, ensanglantée, avec pour seule compagnie le regard d’Hee Su qui semblait la fouiller, l’interroger. Et Amanda le regardait s’éloigner, imprimant dans sa mémoire les moindres détails concernant cet homme et se jurant qu’elle le retrouverait. Mais d’abord, il lui fallait se détacher. Malheureusement , une troupe de soldats japonais l’avaient retrouvée. Son état, sa nudité avaient attiré leurs rires, leur mépris, leurs attouchements... Ils l’avaient violée, puis abattue. Ils étaient partis, la laissant pour morte, camper non loin de là. Leurs éclats de rire retentissaient autour du feu. Aucun d’eux n’avait revu la lumière du jour. " Et lui aussi, maintenant, il va payer " ***************************** Les deux immortels se promenaient, à pas lents, dans le quartier qui entourait leur hôtel. D’immenses avenues larges et peu fréquentées, des bâtiments aux lignes massives et à la couleur grise, un environnement qui aurait pu ressembler au décor d’un film, tant étaient immaculés les moindres trottoirs, et silencieuses et désertes les chaussées. Manquaient l’incessante circulation, les bruits de freins, de klaxons, de sirènes présents d’ordinaire dans toute grande ville. Ils avaient réussi à arracher à leur guide ces deux heures de liberté cantonnée aux abords même de leur hôtel. Ils n’eurent pas longtemps à attendre. Bientôt, la sensation familière qui annonçait la présence d’un autre de leur race les envahit. Peu de temps après, ils virent approcher Duncan, accompagné du même Coréen que la veille. " Amanda, Adam " Duncan, dans un semblant de normalité destiné à ne pas attirer l’attention, leur serra la main. " Park ". Le coréen s’inclina. " Mais, comment êtes-vous arrivés ici ? " " Par avion, Mac, par avion. Il existe une liaison aérienne Pékin - P’yongyang. Alors, tu as apprécié ta randonnée dans la campagne nord- coréenne ?" Méthos, cachant mal son amusement, regardait Duncan qui ouvrait et fermait la bouche comme une carpe. Celui-ci se tourna vers Amanda " Dis-moi, toi, qu’est-ce que vous faites ici ?" Amanda sourit " Je suis l’assistante de Méthos, il est venu examiner les possibilités d’investir dans une brasserie en Corée du Nord " " Investir dans une brasserie ? " répéta la voix de Duncan, interloquée. " Oui " reprit Méthos, légèrement goguenard " tu sais comme moi, Mac, qu’il est important pour des gens comme nous de diversifier nos investissements, et il ne faut pas hésiter à miser sur le long terme " Park intervint alors " Il faut partir, Mac Leod. Une trop longue conversation risquerait d’attirer l’attention sur nous. Peut-être pouvons-nous nous donner à nouveau rendez-vous demain ? " " Entendu, à demain " Et Amanda et Méthos s’éloignèrent, laissant derrière eux un Ecossais perplexe quant aux raisons de leur présence en Corée du Nord, et terriblement frustré des circonstances qui l’empêchait de les forcer à avouer la vérité. ********************* Park et Duncan discutaient. " J’ai fait parvenir un message à Kim Sung " " Comment... " voulu l’interroger Duncan mais Park poursuivit sans paraître remarquer l’interruption. " Je lui ai donné rendez-vous à minuit, sur l’esplanade Chongbaek " " Croyez-vous qu’il viendra ? " " Il viendra " La voix de Park contentait une note de finalité " ... et je l’attendrai " " Je viendrai avec vous " offrit Duncan " Si vous voulez " ********************** Amanda et Méthos étaient dissimulés dans le noir, non loin du palais présidentiel. C’était la deuxième nuit qu’ils passaient là, en observation. Methos relevait les horaires des relèves des gardes, leurs itinéraires. Deux soldats en position de Taïkwando se tenaient de part et d’autre de la grille d’entrée principale. Amanda, les yeux plissés, réfléchissait, planifiait. " Bientôt... " Elle revoyait en esprit les plans que lui avait communiqués Joe Dawson. Les guetteurs avaient parfois leurs bons côtés. Que le guetteur de Kim Sung, un membre de la garde présidentiel, ait déserté, réussi à passer à l’Ouest et remis à ses supérieurs les plans du palais avait été un coup de chance inespéré. Persuader Joe de lui donner ces documents... il n’avait jamais été insensible au charme d’Amanda. Cela, conjugué au fait que son interférence permettrait de débarrasser le monde d’un monstre, avait réussi à faire oublier à Joe, une fois de plus, la loyauté qu’il devait à l’organisation. L’implication de Methos dans cette histoire, si elle avait surpris Joe, l’avait aussi rassuré quant aux chances de succès. Il avait demandé à Amanda " Pourquoi as-tu préféré t’adresser à Méthos plutôt qu’à Mac Leod ? " " Parce que je suis certaine que Méthos me laissera combattre. Duncan, lui, pense toujours qu’il doit se battre à ma place " Le bruit d’un moteur qui démarrait dans la cour du palais, les grilles qu’on ouvrait et la sensation de la présence d’un autre immortel interrompirent le cours des pensées d’Amanda. " C’est lui, chuchota-t-elle. Qu’est-ce qu’on fait ? " " On y va au culot. Reste dissimulée " Et alors que la voiture sortait dans la rue, Méthos s’avança dans la lumière des phares. La voiture s’arrêta. Méthos se tenait debout, parfaitement immobile, le regard tourné vers le pare-brise, comme s’il lui était possible de voir au travers. La lune était voilée, le ciel sans étoiles, l’air de la nuit d’été lourd et chargé d’humidité. Une minute s’écoula sans que rien ne se passe. Puis la portière du conducteur s’ouvrit et le chauffeur apparut, l’arme à la main. " Si vous voulez bien me suivre. Il y a là quelqu’un qui voudrait vous parler ". Le chauffeur ouvrit la porte du véhicule mais Méthos, au lieu de monter, se pencha pour distinguer l’immortel installé à l’intérieur. Non loin de là, Amanda, qui avait pour le moment fait abstraction de sa haine pour se concentrer sur la scène qui se déroulait devant elle, tendait l’oreille pour mieux entendre la conversation. La présence de Méthos couvrait certainement la sienne, elle l’espérait, il le fallait. " Kim sung " La voix de Méthos, posée, s’éleva dans la nuit. " Benmati. Cela fait très longtemps. Quelle surprise de vous revoir... " " Je passais par là, j’ai voulu savoir si vous étiez toujours dans le voisinage. " " Comme vous le voyez " La voix de l’interlocuteur invisible s’éleva, amusée. Au son de cette voix, imprimée à jamais dans sa mémoire, Amanda sentit la chair de poule l’envahir. " J’ai un rendez-vous. Voulez-vous venir avec moi ? " " Pourquoi pas ? Je n’ai pas d’autre projet pour ce soir. Où allons-nous ? " " Faire une promenade au bord de la rivière, sur l’esplanade Chongbaek. Vous montez ? " Et Méthos s’engouffra dans la voiture. La portière claqua, et le véhicule s’éloigna dans les rues désertes. Amanda sortit de sa poche son plan de P’yongyang et, à l’aide du faisceau étroit de sa lampe de poche, entreprit de localiser l’esplanade. Voilà, ça y était. La destination des deux hommes n’était qu’à quelques blocs de rues de là. Amanda éteignit sa lampe de poche, rangea fébrilement la carte, mal repliée évidemment, souffla un grand coup pour apaiser les battements de son coeur, puis elle se mit à courir à longues foulées régulières. La silhouette d’Amanda, ombre vêtue de noir, les cheveux platines dissimulés sous un bonnet, progressait rapidement et silencieusement le long des rues désertes du centre de P’yongyang. La lune était dissimulée par les lourds nuages qui avaient assombri l’atmosphère toute l’après-midi. Un temps d’orage ... un temps de quickening... Amanda n’hésitait pas. Elle avait trop d’expérience passée à compulser des plans, à s’introduire dans des endroits inconnus pour n’avoir pas parfaitement mémorisé le chemin à suivre. Elle ralentit à l’approche de la voiture noire garée sous un lampadaire... éteint. " Encore une autre réalisation à mettre au crédit des apparences mais qui ne marche absolument pas " La pensée, fugace, lui traversa l’esprit et lui arracha un demi-sourire. Elle décompressait avant l’action. Le chauffeur, sur les ordres de son employeur, était resté dans la voiture. Il cherchait à distinguer la scène qui se déroulait en contrebas sur les bords de la rivière, mais l’absence d’éclairage public, et la trop faible lueur de la lune l’empêchait de voir ce qui se passait. Il lui sembla apercevoir une ombre furtive qui se dirigeait vers l’esplanade. Il ne bougea pas. Les ordres étaient stricts, et son employeur n’était pas de ceux à qui on désobéissait, ni de ceux sur qui on colportait des rumeurs d’ailleurs, aussi incroyable que puisse paraître la situation. Même Kim Jong-il craignait Kim II sung, ou son fantôme... L’air était lourd et surchargé dans la voiture. Mais il n’ouvrit pas la fenêtre. Amanda se fiait à la sensation grandissante, presque envahissante qui indiquait la présence d’autres immortels. Elle se dirigeait vers la source -non, corrigea-t-elle, les sources - de cette sensation. En bord de rivière, sous la faible lueur des astres, une scène surprenante l’attendait. Duncan et Park, le Coréen que Duncan leur avait présenté le matin même se tenait face à Kim, Méthos se tenait légèrement en retrait. Aucune épée n’était sortie. Pas encore. A la vue de Kim en chair et en os, pour la première fois depuis près de 100 ans, la colère, la haine et la honte l’envahirent. Elle les bannit de son esprit. L’heure n’était pas aux émotions. Plus tard, elle les retournerait, elle les savourerait, elle les enterrerait... Kim parla le premier " Bonjour, Ju Yong. Tu m’as demandé de venir, me voici. Que me veux-tu ?" " Je suis venu te combattre, Sung. Tu es allé trop loin, et depuis trop longtemps." " Toi, mon frère, tu veux te battre avec moi ? Tu renierais tout l’enseignement de Confucius ? J’ai pourtant pris soin de toi. Grâce à moi, tu n’as plus aucun rival à l’intérieur de nos frontières. Il n’y a plus que nous deux, pour l’éternité. Enfin, il n’y avait plus que nous deux... " Kim, le grand leader, le dictateur, le haut-prêtre, le meurtrier désigna Duncan du menton. " Qui est-ce ? " " Je suis Duncan Mac Leod du Clan Mac Leod. Et comment comptez vous régner sur ce pays pour l’éternité ? Tout a une fin, même les dictatures les plus absurdes et cruelles, même la vie d’un immortel " " Des menaces... Vous voulez me combattre, vous aussi ? " Amanda sortit alors de l’ombre et s’avança. " Il devra faire la queue, comme tout le monde. Parce que celle qui va vous tuer cette nuit, c’est moi ". Et la lame de l’épée d’Amanda brilla faiblement dans la nuit. " Qui êtes vous ? " Kim plissa les yeux, semblant chercher dans sa mémoire. " Ah oui, je me souviens maintenant... La protectrice des pré-immortels, la guerrière nue, piètre guerrière... Vous n’êtes pas mal non plus en blonde. Vous savez que je fais venir régulièrement des prostituées de l’Est pour mon fils adoptif, Kim Jong il. Les femmes, les cassettes porno venues de vos pays décadents, l’alcool. C’est tout ce qui lui faut pour être heureux dans la vie. Vous pourriez passer au palais lundi " La rage envahit Amanda, un long cri s’échappa de ses lèvres et, l’épée levée au devant d’elle, elle chargea l’immortel qui la narguait. Le sabre de Kim jaillit dans la nuit et il para. Le combat s’engagea. Les trois immortels observaient, silencieux, les deux de leur race qui s’affrontaient. Le visage de Méthos était impénétrable, celui de Duncan déchiré par l’angoisse, Park semblait curieux. Une brise faible venue de la rivière avait peine à soulever leurs vêtements. Les deux combattants, après un premier assaut violent mais qui ne s’était soldé à l’avantage ni de l’un ni de l’autre, s’observaient. Ils progressaient en cercle, l’épée en garde, prêt à frapper ou contrer. Leurs yeux ne se quittaient pas. Amanda attendait. Elle guettait le moment où elle pourrait attaquer. Maintenant. Amanda tendit le bras, semblant viser directement le cou de son adversaire. Au dernier moment, elle feinta, la pointe de son épée lacérant le flanc de Kim. Elle voulut presser immédiatement son avantage, porter un coup mortel au ventre de son ennemi. Il contra. Les deux fers se croisèrent à mi-chemin. Amanda se dégagea, il attaqua, elle para. Profitant de sa garde ouverte, il lui entailla profondément la cuisse. Le combat se prolongeait. La sueur et le sang se mêlaient sur les vêtements des deux ennemis. Les coups de Kim étaient plus puissants, le bras d’Amanda tremblait à chaque fois qu’elle les arrêtait. Elle était plus rapide, plus agile, parvenant une ou deux fois encore à glisser sous la garde de son adversaire pour l’égratigner, l’érafler. Plus de sang apparut sur la manche du Coréen. Mais, et les yeux exercés de Duncan pouvaient en juger, Amanda faiblissait, perdait pied peu à peu. Nul doute que son agilité, sa fluidité lui avait donné l’avantage au début du combat, mais la force des coups de Kim commençaient à porter leurs fruits, et elle évitait, contrait, contre-attaquait de plus en plus difficilement. La transpiration avait envahi son visage, marquait sa silhouette, elle glissa, perdit l’équilibre et se retrouva allongée sur le dos. Avec un rugissement de triomphe, Kim s’avança, prêt à porter le coup fatal. A la dernière minute, Amanda roula sur le côté, et évita la lame meurtrière. Kim visa à nouveau le cou d’Amanda qui s’était redressée, elle esquiva et l’épée de Kim rencontra, non pas le vide, mais l’épée de Méthos. " Vous interférez dans un combat déjà engagé ? " " Oh, les règles sont faites pour être brisées " " Nous sommes ennemis vous et moi ? " " Pas particulièrement, mais nous ne sommes pas amis non plus, et cette jeune femme est mon amie. Vous connaissez l’adage : les ennemis de mes amis... " " Méthos écarte-toi ! Laisse-moi finir ce chien, tu n’as aucun droit d’intervenir ! Ecarte-toi ! " " Je te laisserai le coup de grâce, si tu veux, ma belle, mais laisse-moi désarmer le vilain d’abord, d’accord ?" Et Méthos, en une série d’attaques rapides, accula le dictateur vers la berge. Celui-ci, devant la puissance et la rapidité des coups, avait de plus en plus de mal à résister. Une feinte que Duncan n’avait jamais vue, il en était sûr, et soudainement, l’épée de Méthos reposait tout contre le cou de l’autre immortel. Méthos marqua une pause. " Amanda, tu veux finir ? " Duncan secoua la tête, troublé. Il ne comprenait pas la situation, tout cela semblait faux, contraire à l’honneur. Il ne pouvait pas dire qu’il s’opposait à l’intervention de Méthos. Lui aussi, dans le passé, avait interrompu un combat pour protéger Amanda. Mais que Méthos bafoue ainsi les règles pour offrir la tête de Kim à l’immortelle... Cela lui semblait choquant, immoral. Il attendit la réponse d’Amanda. " Avec plaisir. Il n’a pas laissé de chances à Hee Su, pourquoi lui en laisserais-je ? " Et sur cette question théorique qui n’appelait pas de réponse, Amanda, d’un geste ample et délibéré, décapita Kim-sung. La tête se détacha du corps et dans une courbe parfaite, alla disparaître au fond de la rivière Taedong. Amanda contempla la chute avec satisfaction, puis, laissant la pointe de son épée reposer sur le sol, elle attendit le quickening. Le chauffeur, lassé de ne rien apercevoir, s’était laissé gagner par le sommeil. Il sursauta aux premiers éclairs qui envahissaient le ciel. L’orage qui menaçait avait éclaté. ****************** Séoul - Hôtel Hyatt Les trois amis étaient installés dans les confortables fauteuils de la suite qu’occupaient Méthos et Duncan. Amanda avait ouvert le placard qui dissimulait le mini-bar, sa tête blonde disparaissait à l’intérieur du frigo. " Désolée, Méthos, il n’y a que de la bière coréenne " " Envoie " Et Méthos attrapa au vol la canette que lui lança Amanda. " Ah, Duncan, une mignonnette de Glenmorangie pour toi. Attrape " " Une seulement ? " se plaignit Duncan. " Tu pourras toujours passer au Soju après " Duncan fit la grimace. " Ah, ils ont de la téquila ..." compléta Amanda avec satisfaction avant de refermer la porte du mini-bar et, munie de trois verres, de rejoindre ses compagnons autour de la table basse. Les trois immortels levèrent leurs verres dans un toast silencieux. Méthos, après avoir bu une longue gorgée de bière, prit la parole. " Alors Mac, comment s’est passé ta visite chez le colonel Stevens cet après-midi ?" " Bien. Je lui ai appris l’arrestation de leur agent. Park en a eu confirmation juste avant notre départ. Apparemment, il serait décédé quelques heures après son arrestation. Le coeur. Une chance, en quelque sorte... Et bien sûr, je lui ai annoncé la mort de Kim sung. Il en est resté pantois, l’ex-dirigeant de la Corée du Nord, un immortel, toujours aux rênes du pays en sous-main ! Bien sur, officiellement sa mort ne peut rien changer, puisqu’il était déjà mort. Mais on peut espérer que Kim Jong-Il sera plus malléable, et plus ouvert à l’idée d’une réconciliation. Les choses changeront peut-être, dans cinq ans, ou dix ans. Et puis, il est tellement occupé à boire et à regarder des vidéos qu’il a moins le temps de se montrer belliqueux. La menace des tunnels d’infiltration s’éloigne... " " Espérons que tu aies raison...." Amanda retournait son verre de Tequila dans sa main, observant la façon dont la lumière de la pièce se reflétait dans l’alcool. Méthos reprit : " Un personnage intéressant que ce Park. Et autrement plus sympathique que Kim " " Dis-moi, ce Kim, c’était le Haut-Prêtre dont tu m’avais parlé à notre arrivée à Séoul, celui qui pratiquait les sacrifices humains ? " " Lui-même. D’ailleurs, je le soupçonne d’avoir utilisé tous les moyens à sa disposition pour éliminer les pré-immortels. C’était son obsession " A ces mots, le visage d’Amanda se ferma et un frisson la parcourut. Duncan se pencha pour lui serrer la main. " Ce n’est pas une certitude, tous ces événements sont si vieux, mais je crois bien que la petite fille qu’il avait sacrifiée était pré-immortelle. Et le jeune moine Bouddhiste qu’il a fait emmurer vivant avec la dépouille du roi Kyong-dok était lui aussi pré-immortel, j’en suis certain " Amanda et Duncan tournèrent ensemble la tête vers Méthos. " Il a fait emmurer vivant un pré-immortel ? Mais, qu’est-il devenu ? " " Je n’en sais rien, il est toujours dans la tombe de son roi je suppose " " Toujours dans la tombe ? " s’exclama Amanda, " quelle horreur ! " " Dis-moi, tu saurais la retrouver cette tombe ? " " Oh non, Duncan, ne compte pas pour moi. Maintenant que nos aventures sont terminées, je compte bien m’envoler vers le Japon dans deux jours pour assister à la finale France-Angleterre." Duncan regarda Méthos, qui haussa légèrement les épaules. Amanda resta songeuse un instant puis elle reprit " Je crois que jamais je n’ai ressenti de plus grande satisfaction que quand j’ai senti ma lame s’enfoncer dans le cou de ce monstre. Cela ne répare pas toutes les horreurs qu’il a pu commettre, tous les crimes qu’il a pu perpétrer, non. Mais de savoir qu’il ne respire plus le même air que nous, ça m’enlève un poids. " Duncan hocha la tête. Il comprenait maintenant le geste de Méthos. Lui-même n’aurait pas pu offrir la tête de Kim à Amanda, il en était certain. Mais ce n’était pas une question d’honneur, non. S’il avait su le rôle joué par cet être ignoble dans la vie d’Amanda, il aurait tenu à le décapiter personnellement. Et c’est sans doute pour cela, songea Duncan, qu’Amanda avait préféré se confier à Méthos. Elle voulait exécuter elle-même sa vengeance. ****************** L’intérieur du JJ Mahoney’s était encombré, enfumé mais le groupe philippin toujours excellent. Méthos battait la mesure de la main sur le comptoir. " Vous êtes à Séoul pour la coupe du monde ? " Méthos se retourna vers la voix qui venait de s’adresser à lui. Sa propriétaire était jeune et jolie, et, lui semblait-il, vaguement familière. Méthos examina la jeune femme de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête. Un sourire charmeur aux lèvres, il lui répondit : " Ne. " Une pensée furtive, presqu’un regret pour Amanda qui venait de quitter le bar en compagnie de Duncan, puis il s’adressa à la jeune Coréenne " Je vous offre un verre ? " ******************* Le rire d’Amanda résonnait dans le couloir du 12ème étage du Hyatt. Duncan, souriant, avait raccompagné Amanda jusqu’à sa porte. Il se tourna vers l’immortelle légèrement titubante " Tu m’invites à prendre un dernier verre? " Amanda appuya les deux mains sur les épaules de Duncan, se haussa sur la pointe des pieds et l’embrassa à pleine bouche. " Oui, oui, oui " chuchota-t-elle. ******************************************************************************************************************************* Notes : 1.La remarque de Méthos sur ses visites en Corée font référence à des événements relatés dans mes précédentes fics : " Le moine de Kyongju " et " La vierge de Cheju " 2.Il y a bien un Hyatt motel sur l’île de Kwanga-do, à 1h30 de voiture de Séoul et oui, les lits y sont circulaires. J’en ai un peu rajouté avec le miroir au plafond et l’épisode du parking " discrétion garantie ", ceci étant, cela se pratique fréquemment dans les nombreux " Love-hotels " de Séoul... enfin, à ce qu’on m’a dit ;-) 3.Le Kim Chi est un plat de choux marinés aux épices, la nourriture de base de tous les coréens, présent sur toutes les tables, à tous les repas. 4.Le sommet entre les présidents des deux Corée évoqués par Stevens vient d’avoir lieu. C’était la première rencontre entre les gouvernants des deux pays depuis 50 ans. Les journalistes se sont montrés très optimistes. Loin de moi l’idée de suggérer que ce sommet a été un échec, c’est de la fiction. 5.La coupe du monde de football est co-organisée par la Corée et le Japon et doit se dérouler en 2002. 6.Il y a un bon groupe Philippin au JJ Mahoneys, un des hauts-lieux de la vie nocturne d’Itaewon, et une concentration étonnante de jolies filles. 7.Duncan répond " Ne " à la jeune femme qui l’accoste, ce qui veut dire " oui " (trompeur, n’est-ce pas ?) 8.Il y a effectivement des étals de poulpe séchée à tous les coins de rues, c’est une friandise appréciée des petits comme des grands (j’ai déjà du décliner de tels cadeaux offerts à mon fils de15 mois) 9.Il n’y a effectivement pas de noms de rues à Séoul, les quartiers ont des noms, et chaque maison située dans le quartier se voit attribuer un numéro en fonction de son ordre de construction. Ainsi, j’habite au 732 Bangbae Dong, ma maison a été la 732ème maison construite dans ce quartier, la maison d’à côté porte le numéro 448, etc... Ce système complique beaucoup les choses dans une mégapole de 16 millions d’habitants. Il est pratiquement impossible de localiser une adresse sans un plan détaillé du quartier avec des repères tel " Maison avec un mur blanc, banque Hanvit au coin etc " En revanche, la sécurité de l’emploi des facteurs qui maîtrisent leur quartier est garantie. 10.Amanda s’exclame : " Olma-eyo ? Baek-man Wons ? Pissayo ! " " C’est combien, 1 millions de Won, mais c’est trop cher ! " Puis elle demande : " kkakkachushigesseoyo ? " " Vous pouvez me faire un prix ? " 11.Toutes les informations citées sur le troisième tunnel d’infiltration sont véridiques. De même, le village de P’anmujon est situé à la frontière et est paraît-il un véritable arsenal, et il y a bien une ville modèle observable (avec des jumelles et du haut d’un observatoire) depuis le Sud. On n’y voit pas âme qui vive. La zone démilitarisée, coté Sud, est ouverte aux tours organisés (sous bonne garde), c’est tout à fait impressionnant. On peut descendre dans le tunnel d’infiltration et j’ai essayé de retranscrire mes impressions de la manière la plus juste possible. 12.Est-ce que ça existe, un produit qui permet de simuler immédiatement un infarctus ? Je n’en ai pas la moindre idée. Mais je trouvais ça pratique. 13.Kim II-sung, surnommé (ou auto-proclamé) " le grand leader " a dirigé la Corée du Nord pendant 46 ans, jusqu’à son décès le 8 juillet 94. Son fils Kim Jong-il, " le leader bien-aimé " lui a succédé. 14.Je me suis basée sur les livres d’histoire pour les événements liés au royaume de Koguryo. Pour des détails sur le royaume de Shilla, voir ma fic " le moine de Kyongju " 15.Un Shinson est un esprit. 16.Le culte de la personnalité est omniprésent en Corée du Nord, et tous les visiteurs doivent payer leurs respects à la statue du grand leader, même les rares touristes occidentaux (cela m’a été confirmée par une personne qui s’est rendue dans le pays en mai 2000) 17.Je ne suis jamais allée à P’yongyang, toutes mes descriptions sont basées sur le Lonely Planet, et un compte-rendu " oral " de l’unique personne que je connais et qui s’y est rendue. 18.La Corée du Nord est un pays en perdition, les industries comme les campagnes sont à l’arrêt, les habitants manquent de tout et même du strict nécessaire. Le régime est sans doute l’un des plus stricts, si ce n’est le plus strict au monde. Le pays est complètement isolé et coupé du monde. Une centaine de touristes/investisseurs étrangers sont autorisés chaque année à visiter la Corée du Nord, sous haute surveillance. Ceci ne traduit pas une ouverture du pays mais un besoin désespéré de devises. 19.Hôtel Kyoro est un hôtel chic de P’yongyang. On y mange à sa faim, tout juste. D’où ma mention des " 5 frites " ; 20.En 1911, la Corée était un protectorat japonais, d’où la présence des soldats qui ont agressé Amanda. 21.L’explication de Méthos quant à son mode d’arrivée est très plausible. Les Coréens du Nord accueillent les rarissimes investisseurs disposés à investir dans le pays, mais Méthos a du s’y prendre très longtemps à l’avance car les démarches sont longues et compliquées. Il lui aura fallu passer par Pekin puisqu’il n’existe aucun moyen de passer de la Corée du Sud à celle du Nord. 22.Les rumeurs prétendent que Kim Jong-Il est très porté sur l’alcool, les femmes et les cassettes pornos venues de l’Occident. Ses apparitions publiques sont rarissimes.