Avertissements: Le personnage de Michael Kent et le concept de l'immortalité telle que décrite ici sont la propriété de Panzer/Davis. J'ai essayé de respecter autant que faire ce peut l'exactitude historique mais j'ai parfois pris des libertés avec l'histoire. Les rectifications et mises au point se trouvent en 3/3. Dans mon univers HL, la mort par empoisonnement, surtout si elle est rapide, peut déclencher l'immortalité. (Une information qui soit dit en passant aurait pu épargner bien des ennuis de coeur à Amanda). Merci à Ch'ui, Daniel et Poupov pour la relecture et les remarques avisées , merci tout particulièrement à Johanne pour ses conseils et encouragements. ******************* *****************************PARTIE 1/3******************************** Kyongju. Corée (sous la domination japonaise). Juin 1937. Matzuki Yasuharu s'essuya le front du revers de la main avant de reculer pour observer le chemin dégagé avec satisfaction. C'était le troisième tumulus que l'équipe d'archéologues japonais avait entrepris de fouiller depuis son arrivée. Les deux premiers avaient livré d'intéressantes poteries, sans plus. Matzuki avait plus d'espoir cette fois. Il soupçonnait cette tombe d'être la sépulture d'un des rois du royaume unifié de Silla. C'est pour cela qu'il avait refusé l'invitation de ses confrères à participer à une nuit de plaisir dans l'une des maisons de gisaengs, à boire du soju jusqu'à l'ivresse tandis qu'une jeune et jolie fille lui glisserait entre les lèvres anjus et ojingos. C'est pour cela qu'armé d'une pelle, il avait achevé de dégager l'entrée de la chambre funéraire, dans la chaleur de cette soirée de juin. Il fallait se hâter de terminer les fouilles avant l'arrivée de la pluie. Un peu plus loin, il entendit le raclement de gorge caractéristique suivi d' un crachat d'un des soldats de l'armée qui gardaient le site contre les pillards. L'archéologue japonais respira un grand coup pour chasser les tremblements d'anticipation qui le traversaient, puis, précautionneusement, il se glissa dans l'ouverture de la chambre mortuaire. Le noir. Le silence. Matzuki s'accroupit au milieu de la chambre en essayant d'ignorer le sentiment d'oppression qui l'envahissait. Il laissa ses yeux s' habituer à l'obscurité, essayant de discerner les recoins du tombeau au-delà des ombres que projetait la lueur de sa torche. Sa respiration semblait lui parvenir en écho, il perçut comme un gémissement . celui de l'âme du défunt? Matzuki secoua la tête pour en chasser les fantômes et les pensées ridicules qui le traversaient. Il balaya du faisceau de sa torche les parois et le sol de la chambre. Là, le coffre funéraire contenant figurines et possessions qui devaient accompagner le défunt dans son voyage vers l'au-delà. Ici, les restes du cercueil, dont le bois n'avait pas résisté à l'outrage des ans. Attentif à ne rien déranger, il s'approcha du centre de la chambre et de l'emplacement de la dépouille. En s'approchant, il se prit les pieds contre quelque chose de solide. Un corps, sans doute celui d'un serviteur qui avait partagé le sort de son maître. Se penchant, Matzuki constata que ce corps, au lieu d' être composé d'ossements prêts à tomber en poussière, était étonnamment bien conservé. Les yeux étaient profondément enfoncés et tous les os se distinguaient nettement en relief, mais la peau, d'une pâleur presque opalescente, recouvrait encore les membres du mort. Matzuki s'approcha, éberlué. Il s'agenouilla à côté de la forme inerte et entreprit de l'examiner à la lueur de sa torche. Il lui sembla voir la poitrine du mort se soulever imperceptiblement. Matzuki éclaira le visage du mort. Sujet de sexe masculin âgé d'une trentaine d'année au moment du décès. Cheveux noirs et longs. Encore une fois, il aurait jurer voir bouger les paupières. Et puis soudain, un gémissement s'échappa des lèvres parcheminées du défunt. Matzuki fit un bond en arrière, en perdit l'équilibre et s'étala dans la poussière. « Je deviens fou » pensa-t-il. Son instinct lui soufflait de s'enfuir de la tombe en courant. Sa vocation d 'archéologue l'incita à retourner auprès du cadavre pour en avoir le cour net. Aucun doute n'était possible : l'homme respirait, certes faiblement, mais une respiration tout de même. Il n'était pas mort, mais plutôt mourant, à deux doigts de passer de vie à trépas. Matzuki avança une main tremblante vers le poignet du..cadavre ? Il en chercha le pouls.. faible, si faible, jusqu'à ce qu'il disparaisse complètement. Quoique cet homme ait pu être, il était maintenant bien mort. Matzuki s'écarta et s'assit sur les talons pour réfléchir, pour tenter de comprendre les clés du mystère dont il avait été témoin. Qui était cet homme, comment s'était-il introduit dans ce tombeau scellé et inviolé depuis plus de 1000 ans ? Tandis qu'il réfléchissait, il entendit le bruit d'une inspiration forte et soudaine. Il tourna les yeux vers la dépouille qui se redressa soudainement. ************ Kyonju - septembre 1937 Matzuki ne comprenait toujours pas, mais il avait accepté. Il avait accepté que Kim Chong Hui, le jeune homme émacié qui avalait avec appétit Kim Chi et poisson séché par ce matin de septembre, était également Kim, moine bouddhiste emmuré vivant avec la dépouille du roi Kyong-dok en 770. Etait-il la réincarnation de ce Kim ? C'était l'hypothèse la plus plausible mais qui n'expliquait pas sa présence dans une tombe où nul n'avait pu pénétrer depuis plus de 12 siècles. Bouddha avait des voies mystérieuses qu'il ne lui appartenait pas de comprendre, aussi, ce matin là, l'archéologue se contenta de laisser Chong Hui lui conter en ancien coréen les légendes du royaume de Silla, des légendes, ou plutôt des faits dont il avait été le témoin. Ce jour là, le moine lui parla de la cloche Emillie que le roi Hye-Gong avait commandée pour le temple de Pongdok-sa. « Je n'étais qu'un novice en ce temps là, mais j'assistais à la cérémonie durant laquelle on accrocha l'énorme cloche haute de plus de trois mètres. Elle était magnifique mais lorsqu'on voulut la faire sonner pour appeler les fidèles et honorer Bouddha, aucun son n'en sortit. C'était incompréhensible. Les artisans qui avaient façonné la cloche essayèrent de résoudre le problème mais sans aucun succès. J'étais encore enfant mais je percevais moi aussi l'atmosphère de crainte qui avait envahi le temple. Tous voyaient dans cette cloche muette un mauvais présage pour le royaume de Silla. Et puis une nuit, le haut-prêtre fut visité dans ses rêves par un Shinson. La volonté de Bouddha n'a pas été accomplie, lui dit-il, et la cloche restera muette tant que tel ne sera pas le cas » Le Shinson indiqua alors que la cloche ne pourrait pas sonner tant qu'elle ne serait pas habitée par l'esprit du dragon. Il rappela qu'une pauvre veuve avait voulu offrir sa petite fille au temple. « Cette enfant est née l'année, le mois, le jour et l'heure du dragon. Il vous faut refondre la cloche et sacrifier la petite fille au métal en fusion» Les prêtres se réunirent et décidèrent de suivre les ordres du Shinson. Ils retrouvèrent la veuve et sa fille âgée de trois ans. La mère, dévastée de chagrin, accepta de sacrifier son unique enfant et l'amena au temple. J'ai chanté ce jour-là avec tous les autres pour le salut de l'âme de la petite vierge lorsqu'on jeta son corps dans le métal en fusion. Son dernier cri fut «emi ! » « Emi ! » Et lorsque la cloche sonna pour la première fois, je jure qu'avec tous ceux présents nous entendîmes la cloche résonner : « Emi. emie.. ilie.. » Un autre jour, Kim lui parla de cette radieuse matinée d'automne durant laquelle il avait été emmuré vivant avec la dépouille de son roi, le très puissant et glorieux Kyong-dok. « Le haut prêtre m'avait fait l'honneur de me choisir car j'appartenais au clan Kim. Les servants m'ont aidé à revêtir la robe blanche de cérémonie et j'ai prié Bouddha tandis que les fidèles psalmodiaient et que les maçons plaçaient les dernières pierres qui scelleraient la chambre funéraire. Ma dernière vision fut celle des feuilles rouges de Gingko qui se détachaient face au ciel si bleu. Mon dernier son, celui de la cloche de Pongdok-sa, venu mourir dans la vallée « Emi.emie.ilie. ». Lorsque la dernière pierre fut placée et le noir complet, j'ai bu la coupe du poison qui devait aider mon âme à trouver et accompagner l'âme de notre grand roi, le 35ème de la dynastie de Silla. » Mais Kim s'était réveillé dans cette tombe isolée des bruits et de la lumière extérieurs. Il avait lutté contre la panique. Il avait prié et attendu. La faim, la soif, la sensation d'un air de plus en plus rare avait fini par rejeter son âme vers les ténèbres qui entouraient déjà son corps. Mais il avait repris conscience, encore plus affamé, encore plus assoiffé, encore plus asphyxié. Son esprit s'était tourné vers Bouddha qui semblait lui refuser et les portes du nirvana et les voies de la réincarnation. Son âme restait prisonnière de son enveloppe corporelle. Il aspirait à cet état divin où il ne ressentirait plus ni plaisir ni douleur. Il n'avait jamais perdu sa foi et il avait chanté des mantras tant qu'il en avait eu le souffle, en attendant la délivrance, qui venait, qui partait.. qu'il appelait, qui lui était refusée. Comment Kim n'était pas devenu complètement fou, Matzuki ne le comprenait pas. Le jeune homme qui se livrait à l'art de la calligraphie dans la cour de la maison n'avait plus rien en commun avec le semi-cadavre qu'il avait dégagé de la tombe à la faveur de la nuit et qu'il avait décidé de cacher du reste de l'équipe, pour des raisons qu'il ne regrettait pas, même s'il ne se les expliquait pas tout à fait. ********* « Shinson.. Shinson.. » La voix était presque inaudible. La chaleur de la nuit de juin était oppressante. Kim s'agita, des paroles inaudibles franchissaient ses lèvres. « Soif, j'ai si soif.. » « Chut.. » Matzuki posa une main apaisante sur le front de Kim Chong Hui, humecta d'un linge humide les lèvres du jeune moine. « Tout va bien, tout va bien maintenant » ********* Au fil des mois, l'amitié improbable se développa entre l'archéologue japonais et le moine coréen. Matzuki Yasuharu raconta à un Kim d'abord incrédule puis accablé tous les siècles passés, le déclin du royaume de Silla, les invasions successives qui avaient ponctué le règne des rois de Chosun, jusqu'à mener à la situation actuelle, l'annexion de la Corée par le Japon. Il lui dit que le japonais était maintenant la langue enseignée dans les écoles coréennes, il lui parla de l'interdiction de l'usage des prénoms coréens. Ce n'étaient pas des décisions qu'il cautionnait, même s'il s'était bien gardé de faire état de ses doutes à quiconque de ses compatriotes. Il admirait la grandeur de la civilisation coréenne, il souhaitait l'étudier et non pas la détruire. Il souhaitait en révéler la gloire et non pas la fouler au pied. Kim en retour lui parlait de sa vie, de la construction du temple de Pulguk-sa dont il avait été témoin, de la longue file des fidèles venus prier le Bouddha de Sokkuram, le plus beau du monde disait-on, des colères légendaires du roi Kyong-dok, de sa première femme écartée pour stérilité. Il lui raconta la vie des paysans prospères du royaume de Silla, il lui parla des jeunes aristocrates éduqués au respect du Hwarang-do au sein des écoles militaires et religieuses. *********** Règne du roi Kyong-dok - Kyongju « Le roi épousa Man-wol en seconde noce. Les astrologues s'étaient réunis et avaient conféré au sein du temple de Pongdok-sa. Ils avaient désigné la jeune Man-wol - Pleine Lune - comme celle dont la fécondité amènerait un héritier au royaume. Kyong-dok convoqua le haut-prêtre P'yo-hun -celui-là même qui me choisit plus tard pour être enterré avec le roi - et lui ordonna d'aller consulter les Shinsons pour leur réclamer un fils. P'yo-hun revint avec la nouvelle que la reine mettrait au monde une fille. Le roi entra alors dans une colère noire, il tempêta, il menaça et exigea de P'yo-hun qu'il retourne voir les esprits afin qu'ils modifient leur prédiction. Les colères du roi Kyong-dok étaient terribles et meurtrières, si terribles et meurtrières que même les Shinsons hésitaient à le contrarier. Il lui accordèrent un fils, mais l'avertirent que la satisfaction de son désir amènerait le royaume vers sa ruine. Hye-Gong fut né à la reine Man-wol. On n'avait jamais vu de plus charmant bébé, toujours heureux, toujours babillant. Mais dès qu'il grandit, il devint évident que si les Shinsons avaient bien changé le sexe de l'enfant, ils n'avaient pas modifié son caractère et son esprit qui restèrent ceux d' une femme, faible, volage et inconstant. Ainsi, conclut tristement Kim, le Haut-Prêtre avait raison. La naissance de Hye-Gong a marqué le déclin de notre civilisation » *********** ***************************PARTIE 2/3*********************************** Février 1938 - Kyongju Matzuki Yasuharu recevait la visite de son frère aîné, le colonel K-taro. « K-taro-san, permets-moi de te présenter Kim Chong Hui, un lettré spécialisé dans l'histoire du royaume de Silla qui a la bonté de m'aider dans mes recherches » Les deux hommes s'inclinèrent, le colonel japonais beaucoup moins profondément que le moine bouddhiste. L'autre, tout lettré qu'il fut, n' était après tout qu'un Coréen, une race inférieure. Mais il lui était impossible de ne pas saluer Kim sans insulter son frère. Kim s'installa sur les talons dans un coin de la pièce et entrepris de tracer au pinceau des idéogrammes élégants sur du papier de riz. « Belle calligraphie » commenta k-taro, «mais ne crois-tu pas qu'il ne soit pas très prudent d'héberger un lettré coréen qui écrit en caractères chinois ? La Chine n'est pas précisément notre alliée » L'archéologue haussa les épaules « Tu me connais, k-taro, loin de moi l'idée d'être infidèle à mon pays ou à mon empereur. Mais j'aime l'art et la culture sous toutes leurs formes, en dépit des frontières » « Ne laisse personne t'entendre parler ainsi, Yasuharu. Ce serait considéré comme une trahison. » *********** Kim, armé d'un canif, pelait une pomme. Le froid qui régnait dans la maison en dépit de l'ondol rendait ses doigts gourds et maladroits. « Oh ! » L'exclamation lui échappa alors que le couteau, glissant entre ses doigts, lui entailla la peau entre le pouce et l'index. Le sang se mit à couler immédiatement et abondamment. En l'entendant, les deux frères tournèrent la tête vers lui. « Laissez-moi voir. La coupure a l'air profonde, je vais ramener un linge » Peu après, Matzuki tapotait la blessure dont le sang ne coulait déjà plus. Le doigt ne portait plus aucune trace de la coupure. Matzuki croisa le regard de Kim. La cicatrisation s'était faite bien trop vite, cela pouvait-il avoir un lien avec la longue existence de son ami ? K-taro surprit l'échange de regards. Il baissa les yeux vers la main du Coréen que tenait encore son frère. On ne voyait rien. Beaucoup d'histoires pour pas grand chose. S'il ne connaissait pas si bien son frère pour avoir passé de nombreuses nuits avec lui en compagnie de Geishas, il soupçonnerait presque une relation de nature particulière entre ces deux là. ********** Deux jours plus tard, à la tombée de la nuit, alors que les trois hommes marchaient d'un pas vif de retour des bains publics, une ombre jaillit d'une ruelle et poignarda Kim dans le dos en proférant «Chiens d'envahisseurs japonais, rentrez chez vous ! » Les deux frères avaient à peine eu le temps de réaliser ce qui c'était passé que le corps de Kim s'effondrait dans la neige et que le meurtrier avait déjà disparu. K-taro s'agenouilla à côté du blessé : « Il va mourir, il perd trop de sang. L'autre imbécile s'est trompé de cible ! » Matzuki, debout à côté de son frère, ne disait rien. Puis : « Non, je crois qu'il ira bien » Il s'agenouilla à son tour au côté de son ami. « Kim Chong Hui ? Ca va ? » Le moine se palpa le dos et le torse avec précaution. « Oui, je crois que ça va aller » « Vous pouvez marcher ? » « Oui, je pense» « C'est de la folie » interrompit k-taro «s'il n'est pas déjà mort, quelques pas suffiront à le tuer » Kim se releva «non, vraiment, je vais bien, je crois que Bouddha m'a protégé une fois de plus » Arrivé dans la maison de Matzuki, l'importance de la perte de sang qu'avait subi Kim devint apparente à l'état de ses vêtements. « Enlevez donc ça » intervint k-taro, joignant le geste à la parole. Sous les vêtements, la peau apparut couverte de sang séché, mais sans la moindre trace de plaie. « Je ne comprends pas » dit k-taro. « Nous non plus »répondit Matzuki. « Mais je vais quand même tacher de t' expliquer. » ************ K-taro secouait la tête d'un air incrédule. C'était impossible, et pourtant, il en avait eu la preuve sous ses propres yeux. « Vous ne pouvez pas mourir » Kim secoua la tête en souriant « Je suis mort de nombreuses fois. Mais toujours mon âme revient vers mon corps pour lui redonner vie » ************* « Te rends-tu compte, petit frère, si nous parvenons à percer le secret de son immortalité, notre armée deviendra invincible. Notre peuple dominera la monde » « Je ne sais pas k-taro» soupira Matzuki « comment comptes-tu percer ce secret ? » « Nous avons d'excellent médecins à Tokyo. Ils l'examineront, ils comprendront » « Ils le tortureront tu veux dire, ils le disséqueront comme une pauvre bête. Kim est mon ami, k-taro, je ne crois pas que je peux accepter de te le livrer » « Tu oublies ton devoir envers ton pays et ton empereur. Souviens-toi que tu descends d'une longue lignée de Samourai. Tu n'as pas le choix » ************* Kyongju - mars 38 Matzuki avait menti à son ami. Il l'avait laissé partir avec le colonel sans lui révéler le véritable but de ce voyage. Déchiré entre deux fidélités, il avait choisi la plus noble, celle qu'il devait à sa patrie. Mais les raisons de sa trahison ne pouvait pas l' excuser. Il s'était déshonoré à jamais. ********** « K-taro vous emmènera au temple bouddhiste de Kyoto. C'est le plus grand centre spirituel du Japon. Là-bas, ils auront sûrement les réponses que vous cherchez » « J'en suis heureux. Je vous remercie, frères Matzuki, de me donner cette chance. Je vous dois déjà ma vie et vous m'aidez à en rechercher les clés. Et peut-être que si le Haut-Prêtre m'accepte je resterai là-bas. La vie monacale me manque » *********** Matzuki ferma les yeux et se souvint : Mog-Yokt'ang de Kyongju - août 37 Matzuki Yasuharu entra avec précaution dans le bain brûlant. Kim Chong Hui l'imita, sa grimace initiale se transformant en un soupir de bien être. La vapeur les entourait, les empêchant de bien distinguer les autres baigneurs. Ils ne parlaient pas, le japonais de Chong Hui était encore trop limité et ils ne voulaient pas prendre le risque de parler en Ancien Coréen en public. C'était devenu un rituel, le moment passé aux bains publics, le retour chez Yasuharu le long des rues ombragées, le dîner servi dans l'intimité de la maison puis les discussions d'après-dîner, volets ouverts face à la cour. Après avoir longuement disserté sur l'histoire, la politique et la religion du royaume de Silla, Kim Chong Hui confiait ensuite des anecdotes plus personnelles. Ses premiers souvenirs concernaient le temple auquel il avait été confié à l'âge de 5 ans. Les prêtres avaient jugé que sa carte astrologique ferait de lui un bon serviteur de Bouddha. Le Haut-Prêtre le considérait avec bienveillance et ne manquait jamais de prendre de ses nouvelles. Jamais il n'avait remis en question sa destinée. Matzuki lui parlait de sa vocation d'archéologue, de la déception jamais exprimée de ses parents face au choix qu'il avait fait de ne pas embrasser la carrière militaire. N'avait-il pas renié l'héritage des douze générations de guerriers qui l'avaient précédé ? ************* Kyongju - mars 38 Oui, Matzuki Yasuharu avait trahi la confiance qu'avait placé en lui Kim Chong Hui. Matzuki jeûna durant 24 heures, puis il revêtit son kimono de cérémonie. Il fit venir son ami Kashiwagi et lui confia son Katana. Il s'agenouilla tourné vers le soleil levant, ouvrit le devant de son kimono et saisissant son Wakizashi, d'un geste ferme, il s'ouvrit le ventre. La lumière rouge du soleil l'aveugla quand le katana lui trancha la tête. ************** Kim descendait en voiture avec le colonel k-taro vers Pusan. En voiture ! Il avait tourné plusieurs fois autour du véhicule avant d'accepter d'y monter. Il s'interrogeait parfois. Etait-il vraiment vivant douze siècles après sa naissance ? N'était-il pas plutôt la victime de puissants Shamans qui l' avaient envoyé au royaume des esprits où des magiciens se jouaient de lui, lui donnant l'illusion d'être vivant. De Pusan, il embarquerait vers le Japon. Ce serait son premier voyage en bateau. Il avait hâte de rencontrer ces lettrés qui sauraient lui expliquer son cas. La conversation avec k-taro était inexistante. Ce dernier n'avait pas la culture et la finesse d'esprit de son frère. Sanglé dans son uniforme, il se tenait rigide au volant de sa voiture. Cela ne dérangeait pas Kim, trop occupé à admirer le paysage qui défilait à une allure vertigineuse, absolument inconcevable pour l'esprit humain. *************** Pusan - mars 1938 Sur les quais du port de Pusan, à la tombée du jour, alors qu'ils allaient embarquer sur le bateau qui les mènerait à Shimonoseki, Kim Chong Hui fut soudain saisi d'un violent mal de tête. Le moine bouddhiste se saisit la tête entre les 2 mains, terrassé par la douleur. Et puis, aussi soudainement qu'elle était venue, la douleur s'éloigna et les deux hommes s'engagèrent sur la passerelle. K-taro avait donné des instructions pour qu'à leur arrivée au Japon, des officiers les attendent pour emprisonner Kim. Jusqu'à présent, le Coréen, naïf, s'était montré coopératif mais cela risquait de ne pas durer. Le Japon était un pays sur le pied de guerre, les étrangers y étaient considérés avec hostilité et mépris et le moine s'en apercevrait dès qu'il aurait posé le pied sur le sol japonais. En attendant, Matzuki k-taro ne perdait pas de vue son compagnon. Il rêvait également que peut-être son nom serait rapporté au divin empereur Hirohito, comme étant celui qui avait fourni au Japon l'arme infaillible de la victoire. Dans ses fantasmes les plus fous, le Mikado demandait à le voir et lui exprimait la reconnaissance de la nation. Tandis qu'il tirait ses plans, accoudé au bastingage, une forte odeur de cigare lui assaillit les narines. Au même moment, Kim Chong Hui se mit à gémir, apparemment de nouveau sujet à une attaque de migraine. « Bonjour, K-taro-san. Nous nous rencontrons à nouveau » Matzuki tourna son regard vers le gaïjin qui venait de s'adresser à lui en japonais teinté d'accent américain. L'homme était grand, la quarantaine, le cheveu châtain qui commençait à se faire plus rare. « Bonjour Monsieur Kent» Que faisait l'homme d'affaires américain sur le ferry ? K-taro avait eu à faire à lui dans le passé. L'industriel avait vendu à son gouvernement des renseignements sur l'industrie militaire américaine. K-taro avait participé aux négociations. Kent se tourna alors vers Kim Chong Hui. Il l'observa intensément, s'inclina et annonça en se redressant : « Michael Kent ». Le moine avait retourné la courbette, il se présenta à son tour. Les traits de l'inconnu lui semblaient familiers, il lui rappelait l'un de ces marchands venus de la Méditerranée qui s'étaient rendus à la cour du roi Kyong-dok aux alentours de 760. Mais il était vrai que tous ces barbares se ressemblaient avec leurs longs nez et leurs yeux ronds. Kent quant à lui n'avait aucun doute. Il se souvenait de ce jeune moine pré-immortel qu'il avait croisé brièvement à la cour du roi de Silla. Il n' aurait pas parié à l'époque sur les chances de survie d'un moinillon éduqué dans la doctrine de non-violence. Etrangement cependant, le moine ne se conduisait pas avec l'assurance et l'expérience d'un immortel âgé de près de 1200 ans. Il donnait l'impression de ne pas savoir dominer la sensation engendrée par la présence de son semblable. Et quant Kent s'était présenté, sa voix contenait indubitablement une note de défi que Kim ne semblait pas avoir relevée. Qu'importe, le moment de l'affrontement viendrait bien assez tôt. « Je vous invite à prendre un verre, K-taro-san ? » Quelques verres de Soju plus tard, K-taro avait baissé sa garde. « Ce soju ne vaut décidément pas votre saké, colonel » « Oh, il n'est pas si mal, qu'est-ce qui vous amène à Pusan, Kent-san ? » « Les affaires comme d'habitude, et vous, que faites-vous en train d' escorter un coréen vers le Japon ? » Kent, tablant sur l'état d'ébriété de plus en plus avancé du Japonais, avait posé la question de manière directe. « C'est l'avenir du Japon, cet homme, c'est notre arme secrète » K-taro gloussa avant de renverser la tête en arrière pour avaler d'un trait son verre de soju. L'avenir du Japon ? Voilà qui était intéressant. Une petite discussion avec le moine Kim s'imposait. Kent prétexta un malaise pour s'éclipser. « Vous me battrez toujours à ce jeu colonel, je n'ai décidément pas votre endurance à l'alcool » Le colonel se rengorgea, ces américains n'étaient pas très virils. Comme à une femme, quelques verres suffisaient à leur couper les jambes. Lui en tout cas n'était pas homme à gâcher le fond de la bouteille, il boirait encore quelques verres. Kent trouva Kim qui méditait sur le pont désert. A son approche, Kim, à nouveau assailli par ce mal de tête mystérieux, s'interrompit. « Alors Kim Chong Hui, qu'êtes-vous devenu après tout ce temps ? Toujours dans la prêtrise ? » « Nous nous connaissons ? » « Nous nous sommes croisés il y a quelques siècles à la cour du roi Kyong-dok » Les yeux de Kim s'élargirent comme des soucoupes. « Alors, c'était vous ? Alors, vous aussi.. » Sa voix s'étrangla sur ces mots. Quelqu'un d'autre était comme lui ! Quelqu'un qui allait pouvoir lui expliquer ce qui lui était arrivé.. « Que faites-vous sur ce bateau avec un colonel japonais ? » La voix légèrement impatiente de l'Américain interrompit le flot de questions qui l' envahissait. « Je n'aurais pas cru qu'un moine coréen entreprendrait un voyage touristique avec un colonel japonais en 1938 » « Le colonel K-taro me fait l'honneur de m'emmener au Japon afin de rencontrer des lettrés qui ont eu connaissance de mon cas. Ils doivent m' aider à comprendre ce que je suis, pourquoi Bouddha a voulu que je reste vivant toutes ces années » Puis il repris d'un ton plein d'espoir. « Vous aussi on vous a retrouvé dans une tombe ? » Kent ne s'arrêta même pas pour penser à l'incongruité de la question. L' imbécile ne se rendait-il pas compte qu'il allait mettre leur race en danger en révélant le secret de l'existence des immortels au gouvernement japonais ? L'Américain s'assura du regard que le pont était désert. Il saisit Kim par le bras et l'entraîna tout au bout du pont à proximité de la rambarde. De sa main restée libre, il saisit l'épée dissimulée dans son dos. « Il ne peut en rester qu'un . je crains fort que vous ne puissiez être celui-là, Kim Chong Hui » Kent s'écarta d'un pas, dégagea son arme et d'un geste fluide et rapide, il trancha la tête de Kim Chong Hui. Celui-ci n'eut que le temps de voir le métal de l'épée refléter brièvement la lumière de la lune. Ses lèvres s' arrondirent en un «oh» de surprise avant que sa tête ne se détache de son corps et ne franchisse les quelques mètres qui la séparaient de l'océan et des profondeurs de l'oubli. Kent palpa sommairement le moine à la recherche d'une épée qu'il ne trouva pas. Quel pauvre fou de s'aventurer hors d'un lieu sacré qu'il n'aurait jamais dû quitter! Puis il balança rapidement le reste du corps dans l'eau et agrippa la rembarde à deux mains en attendant l'impact du quickening. Celui-ci fut bref et plutôt faible, quoique empreint de souffrance, Kim n' ayant jamais pris d'autres têtes. Des images et des sensations de la vie du moine coréen l'envahirent, un temple coloré rehaussé par la beauté des cerisiers en fleurs, le son d'une cloche mélancolique, une jeune reine priant dans une grotte face à un Bouddha imposant et bienveillant, enfin les yeux écarquillés d'une enfant qu 'un métal flamboyant engloutissait. Alors Kent comprit à retardement le sens de la question de Kim « Alors vous aussi on vous a retrouvé dans une tombe ? » et il fut frappé par l'ironie d' un destin qu'il jugea pitoyable. ******************* Kent redescendait vers le bar quand il croisa K-taro qui se dirigeait vers le pont, le teint un peu verdâtre et la démarche vacillante. « Ah ! Kent-san, auriez-vous croisé mon compagnon de voyage, le jeune moine ?» « Je l'ai aperçu sur le pont. J'ai été très heureux de vous revoir colonel. Tenez, voici ma carte, passez donc me voir dans ma demeure de Tokyo avec votre ami » Kent s'inclina et s'éloigna, détendu, un sourire amusé aux lèvres. ******************* ****************************PARTIE 3/3********************************** Notes : 1) Une gisaeng est l'équivalent coréen de la geisha. Un «témoignage de première main » m'a indiqué que les gisaengs nourissaient les invités en portant les aliments à leur bouche. Les invités (des hommes uniquement) boivent du soju, un alcool de riz tout en grignotant amuses-gueule (anjus) et des petits poissons séchés (ojingos) très prisés des coréens. Le Kim-Chi (cité plus loin dans le texte) est un plat de chou mariné dans les épices. Il est l'accompagnement indispensable de tous les repas, du petit-déjeuner au dîner. 2) La dynastie du royaume de Silla dura près d'un millénaire, de 57 avant Jesus-Christ à 936. Kyongju, la capitale du royaume, a compté jusqu'à un million d'habitants. La civilisation coréenne rivalisait alors avec celle de la Chine et du Japon. Des centaines de vestiges jalonnent encore aujourd' hui la vallée de Kyongju et les flancs des montagnes avoisinantes. 3) Les tombes du royaume de Silla sont appelées tumuli. Ce sont des tertres immenses recouverts de pelouse. Sous un tertre de terre, se trouve un autre tertre de pierres qui protège une chambre funéraire enterrée, construite en dalles de pierre et sur lesquelles repose un cercueil de bois. Les Japonais ont fouillé ces tombes à partir des années 20. Les fouilles se sont interrompues avec la guerre et n'ont repris qu'à partir de 1974. Toutes les tombes fouillées ont révélé des trésors, mais leur structure les rend difficile à explorer. La plus grande de ces tombes fait 23 mètres de haut et 250 mètres de circonférence. 4) Le roi Kyong-dok fut le 35ème roi de Silla, il régna de 742 à 770. Son frère aîné, Hyo-song, régna 5 années auparavant. Le règne du roi Kyong-dok marque l'apogée du royaume de Silla. Après lui, la dynastie s'achemina lentement vers son déclin. On a aujourd'hui identifié la tombe du roi Kyong-dok mais à ma connaissance, elle n'a pas été fouillée, contrairement à ce que j'implique dans l'histoire. 5) Le confucianisme a été introduit en 503 et à la même époque, un édit fut proclamé interdisant d'emmurer vivants des serviteurs dans les tombes des familles royales. Donc j'ai un peu biaisé l'histoire, en me disant qu'un roi qui pouvait cautionner le sacrifice d'une petite fille pouvait aussi exiger qu'un serviteur l'accompagne dans la mort. 6) La cloche Emillie existe bel et bien. Elle était à l'origine accrochée au sein du temple de Pongdok-sa. Elle est désormais exposée à l'extérieur du musée national de Kyongju. Elle fait plus de 23 mètres de haut et pèse 23 tonnes. Son son s'entend à plus de 40km à la ronde. Il n'est pas certain que Kim Chong Hui a pu entendre cette cloche. Elle aurait été commanditée par le roi Kyong-dok et terminée en 771 (donc 1 an après sa mort et celle de Kim), mais la légende qui entoure la cloche implique le frère aîné de Kyong-dok qui régna de 737 à 742. Certains disent que cette légende est surprenante et incompatible avec la compassion de Bouddha. Mais y a-t-il de la fumée sans feu ? 7) Shinson : Esprit. Le shamanisme était et est encore très présent en Corée. Les croyances issues du shamanisme se mélangent avec celle des autres religions. 8) Emillie, en ancien coréen signifie Maman. Maman, c'est donc le dernier cri de la petite fille, et le son de la cloche.. 9) Le temple bouddhiste de Pulguk-sa et la grotte de Sokkuram se visitent encore aujourd'hui, ils sont classés patrimoine mondial de l'UNESCO. 10) Hwarang-do : code d'honneur que respectaient les guerriers du royaume de Silla. Les guerriers de Silla menés par le général Kim Yu-shin vainquirent les troupes chinoises au septième siècle, assurant ainsi l'indépendance du royaume de Silla jusque la fin. 11) Ondol : système traditionnel de chauffage des maisons coréennes. De gros tuyaux où circulent de l'eau ou de l'air chauds sont placés sous le sol de la maison. Ce système semble remonter à l'époque du royaume de Silla et équipait principalement les chambres. Il y avait un foyer dans la cuisine qui servait également à préparer la nourriture et l'air chaud circulait dans les conduits aménagés sous les sols couverts d'épais papier huilé. 12) Michael Kent est l'immortel que combat Duncan dans l'épisode de la série «le Samourai ». Il m'a semblé plausible que cet homme ait un long passé d' interaction avec l'Asie du Nord-Est, et pourquoi ne pas imaginer qu'il ait consolidé sa fortune en espionnant pour le Japon avent la seconde guerre mondiale. 13) J'ai trouvé beaucoup de références et informations dans : Korea's golden Age - cultural spirit of Silla in Kyongju par Edward B. Adams Petit Futé Country Guide Corée, une mine d'informations pour ceux qui veulent voyager en Corée Hélène : helene-lecAifrance.com