Le Quickening
Frédéric Jeorge

Adapté du poème "Les Djinns", de Victor Hugo



Trois heures
Au port
Odeur
De mort
Nuit grise
Où brise
La brise
Tout dort.

Dans la cour
Naît un bruit
Long et sourd
Dans la nuit.
Il éclate
Fin d’une âme
Que la flamme
Enfin fuit.

La tête qui tombe
Comme d’un billot
Vent de la tombe
Toujours plus haut.
L’épée se lève
Ancien élève
Aussi vieux qu’Eve
Le crie bien haut.

Les éclairs approchent,
L’écho retentit
C’est comme la foudre
Le vent de la vie,
Comme l’orage qui roule
Qui tonne et déboule
Et tantôt l’écroule
Et tantôt le crie.

Ancien Immortel,
Ta mort… Quel bruit elle fait !
Cette lumière mortelle
Est-elle de ton seul fait ?
Et toute cette puissance
Ta tête et son absence
Qui le long des toits rampe
Montre ce qui est fait

Ta force vitale passe
Et tourbillonne en sifflant
Les lampes, qu’elle fracasse,
Meurent en débris brûlants.
La tempête lourde, rapide
Vole dans l’espace vide
Vers le vainqueur livide
Qui porte une blessure au flanc.

Il la reçoit ! De plein fouet
La force de ce quickening
Se déverse en lui, le jouet
D’éclairs comme de tourbillons.
L’épée de sa main arrachée
Chute comme abandonnée,
Et sur ses pieds fatigués
Il tremble à tomber pour de bon.

Cris du vainqueur ! Voix qui hurle et qui pleure !
Les flammes, filles d’éclairs et de foudre
De toutes parts s’abattent pour son malheur
L’Immortel ploie, il doit en découdre
Le gagnant crie et chancelle, penché
Et l’on dirait que, du temps arrachées,
Images, mémoires, souvenirs du passé
Déferlent en terrible tourbillon !

Immortel ! Si ta main doit tuer
L’un de tes impurs ennemis
Tu ne pourras bien qu’accepter
Toute la puissance de sa vie.
Et s’il ne peut en rester qu’un
Après qu’il ait tué les siens
Qu’il n’use donc pas le Prix pour sien
Même si très forte en est l’envie.

Tout fini par se calmer,
Les éclairs s’espacent
Et s’éteignent les foyers
La douleur qui le terrasse
Jette le vainqueur à terre
Et sous les ultimes coups
Il frissonne, il s’atterre
Sous leur vol de feu plié.

De la tête lointaine
La fureur décroît
Si confus, plein de haine,
Si faible que l’on croit
Entendre les sirènes
Hurler dans le lointain
Comme les simples mortels
Qui sont pourtant voisins.

D’étranges images
Lui viennent encore.
Ainsi d’anciens mages
Ou le chant d’un cor
Le goût d’une fève
Calme d’une trêve
Un enfant qui rêve
Des montagnes d’or

Le quickening,
Fils du trépas
Dans les ténèbres
Retourne au pas.
Son souvenir
Qui fait souffrir
N’est plus qu’une onde
Qu’on ne voit pas.

Ce bruit vague
Vers le Nord
C’est la vague
Qu’on adore
C’est la plainte
Presque éteinte
D’un vieil homme
Enfin mort.

Déroute
Il fuit
La route
Reprit
Il passe
Repasse
Efface
Le bruit.


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