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Jaouen
jaouen20Ayahoo.com 3,
10 & 23 Octobre 2002
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Un
colporteur. Voila ce qu'il était devenu au fil du temps,
des années, des siècles, des millénaires peut-être.
Un colporteur de nouvelles, un colporteur d'idées, un colporteur
de progrès. Pour les êtres partageant son destin, c'était
la seule solution. L'errance.
Dans un passé
tellement lointain qu'il en devenait irréel, il avait bien
essayé de se fixer, de bâtir un monde qui lui appartiendrait,
mais ça ne marchait pas. Ca ne marchait jamais, pour eux.
Il avait perdu tant de femmes, d'enfants, d'amis. L'errance. L'errance
était la voie unique. Inéluctable. L'errance évitait
de trop s'attacher aux mortels, elle permettait aussi de redécouvrir
sans cesse le monde. Pour l'être le plus âgé
de toutes les créatures vivantes, ce n'était pas négligeable.
Car il était
le Premier. Il en était sûr. Il avait rencontré
tant d'êtres comme lui, et pourtant aucun n'était plus
âgé, aucun n'avait connu plus vieux que lui. Il était
le Premier. C'était une intime conviction, inébranlable,
plus solide que le roc. Il était suffisamment vieux pour
avoir vu s'éroder les montagnes.
Il était
le Premier. C'était une chance, une bénédiction.
C'était un fardeau. Maintenant qu'ils avaient trouvé
comment s'entre-tuer, il lui fallait garder sa tête. Il était
le Premier, il serait le Dernier. Il le fallait.
La mort
. Leur
mort. Il ignorait qui avait découvert le procédé.
La première fois avait probablement été un
hasard, un accident. A présent, ça se répandait,
attisé par la satisfaction obscène qu'en retirait
le meurtrier. Il y avait lui-même goûté deux
ou trois fois, pris d'une morbide curiosité. Il avait été
surpris par l'afflux soudain de puissance, par la douleur intense
qui l'avait momentanément terrassé, ne faisant plus
qu'un avec lui.
Il se souvenait
de flux de savoir, d'énergie, qui courrait dans ses veines
des jours durant. Du choc aussi, brutal et sauvage. Celui qui prendrait
peut-être un jour sa tête devrait faire preuve d'une
résistance hors du commun pour faire ainsi face sans dommage
au déferlement soudain d'une énergie emmagasinée
durant des millénaires.
Une
nouvelle halte. Un nouveau village anonyme, aux mornes façades
de briques crues. Une nouvelle place poussiéreuse. Une nouvelle
foule, se pressant autour de lui et de ses ânes, se hissant
sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir ce qu'il déchargeait,
se poussant du coude pour progresser de quelques centimètres.
Une foule de villageois, semblable à des milliers d'autres.
A un détail
près.
Il parcourut la
masse des visages, cherchant la source de la sensation diffuse qui
avait attiré son attention. C'était l'exercice le
plus difficile qu'il connaissait, même après tant d'années,
mais il bénéficiait de milliers d'années d'expérience*.
Il s'arrêta sur un visage.
L'enfant se tenait
en retrait, adossé à un mur. Il avait une huitaine
d'année peut-être, mais sa taille indiquait déjà
qu'il serait exceptionnellement grand.
Il observa un instant
la mince silhouette, le visage tendu vers lui, le dévorant
des yeux sous la frange de cheveux bruns. Les marques de coups qui
s'étalaient sur la pommette droite et les bras. En cette
époque, il était dur d'être un enfant. Et plus
dur encore d'être orphelin.
Il plongea son regard
dans les yeux verts déjà emplis de méfiance
et de colère à l'égard du monde. Il y vit autre
chose, une vive intelligence qui attendait d'éclore. L'enfant
était déjà brisé par la vie, il aurait
une période difficile. Mais il finirait par s'en sortir.
Il en avait la capacité. S'il parvenait à se reconstruire,
il pouvait avoir un avenir brillant.
Le vieil Immortel
sourit. Cet enfant serait peut-être celui qui aurait sa tête.
Tout était possible. Tout lui serait offert.
Il lui fit signe
de s'approcher, l'invitant à l'aider sous les regards envieux
des autres jeunes. L'enfant hésita une seconde avant de s'avancer
comme à regret, approchant doucement les bêtes encore
chargées, les yeux brillant de curiosité à
la vue des lourds paquetages.
Il sourit. Il avait
été comme ça autrefois, avide de découvrir
le monde, de découvrir de nouveaux savoirs, poussé
par une curiosité insatiable.
'Comment t'appelles-tu,
petit ?'
L'enfant l'observa
une minute, sans se départir de sa méfiance. Puis
son visage se détendit, adoucissant ses traits.
'Methos.'
Un murmure, presque
inaudible.
Il hésita.
Juste un instant. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pris
d'élève.
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*: et de la chance d'avoir fait
un jet critique en perception, au grand désespoir du meujeu.
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*
* *
Un visage barbu
flotte à la surface miroitante de l'étang, plissé
par les vaguelettes qui ricochent sur le rivage. Un visage comme
il en a vu des milliers d'autres. Son visage, semblable à
celui des siens, malgré toutes les différences qui
peuvent exister entre deux visages. Et pourtant, ils ne lui semblent
pas si différents maintenant. Il a appris. Depuis que les
Autres sont arrivés, il relativise les choses. Parmi les
siens, il y a des grands, des petits, des chevelures comme des herbes
sèches et d'autres plus noires que la nuit, des yeux couleur
de ciel et des yeux qui font écho à la teinte des
écorces des chênes. Tout un monde de différence,
qui a paru énorme durant des centaines d'hivers. Et puis
les Autres sont arrivés, et ces différences sont soudain
devenues infimes. Elles existent toujours, mais elles ne sont rien
par rapport à ce qui les séparent des Autres.
Les Autres, avec
leur corps frêle comme celui des jeunes chevreuils, avec leur
petite tête, leurs arcades sourcilières quasi inexistantes.
A les voir, comme ça, on ne croirait jamais qu'ils puissent
passer l'hiver, survivre. Et pourtant, avec leurs armes finement
taillées, leurs bijoux compliqués, ils sont arrivés,
petit à petit, envahissant tout. Ils ont survécu.
Ils ont eu des petits. Ils se sont multipliés.
Lui se souvient
d'avant leur arrivée. Il est peut-être le seul des
siens à conserver la mémoire de cette époque.
Il a vu les hivers passer, l'un après l'autre, inexorablement.
Il a vu ses amis mourir, naître, grandir, mourir encore, dans
un cycle incessant. Et lui vit. Sans raison. Hiver après
hiver. Vie d'homme après vie d'homme. Il reste, inchangé.
Il s'est surnommé Celui-Qui-Vit, parce que nul autre nom
ne lui convenait plus.
C'est ce qu'il sait
faire de mieux. Vivre.
Il sait qu'il existe
des gens comme lui parmi les siens. Il en a rencontré, à
deux reprises. Il a rencontré le premier six vies d'hommes
auparavant. Il avait remarqué son regard en premier, chargé
d'une présence qu'il n'avait jamais vue ailleurs. Plus tard,
à la surface d'un lac, il s'est découvert le même
regard. C'est le regard que vous donnent les hivers qui passent
sans jamais s'arrêter. Ils sont restés ensemble, longtemps.
Enfin, il pouvait parler avec quelqu'un qui vivait la même
expérience, jour après jour, hiver après hiver.
Puis son compagnon
est parti, avide de découvrir une autre partie du monde.
Celui-Qui-Vit ne ressent pas les mêmes élans. Il est
resté, au même endroit, veillant sur les siens.
Le deuxième
ne fut qu'une brève rencontre. Il n'avait pas ce regard si
particulier. Il était jeune encore. Et pourtant, Celui-Qui-Vit
savait qu'il s'agissait d'un être comme lui. Son corps le
lui disait, une étrange sensation qui faisait vibrer tout
son être.
Son premier compagnon
avait lui aussi été plus jeune, de quelques vies.
Celui-Qui-Vit n'a encore rencontré personne qui compte plus
d'hivers que lui. Il n'y en a peut-être pas. Il est peut-être
le plus âgé, le premier d'entre eux.
Il
chasse cette pensée d'un mouvement d'épaules, et relève
la tête pour examiner la crête voisine. La petite troupe
qu'il suit depuis un moment est encore en pleine ascension. La pente
n'est pas si raide pourtant, la végétation pas si
dense. Les Autres, avec leurs corps fragiles et sans résistance.
Les Autres, qui survivent pourtant, et qui un jour vont remplacer
les siens. Il soupire. Il ne comprend pas comment cela peut être.
Mais c'est ainsi.
A son tour, il entreprend
l'ascension vers le haut de la colline, au milieu des herbes folles
et des buissons épineux.
Il
sent quelque chose d'étrange, quelque chose qui lui rappelle
son compagnon, son semblable. Il s'arrête, attentif. Il ne
voit rien encore. Il attend.
Les buissons s'agitent
soudain, avant de s'entrouvrir pour laisser passer un homme. Un
Autre. L'Autre s'arrête, interdit. Ils se font face.
Celui-Qui-Vit l'examine,
parcourant le corps étrange des pieds à la tête.
Ce n'est pas l'un des siens, et pourtant il est semblable à
lui. Il y en aurait donc parmi les Autres qui sont comme lui ? Cela
semble étrange, improbable. Et pourtant. L'Autre est là,
et il sent sa présence jusqu'au fond de ses os. Leurs regards
se rencontrent, s'arrêtent, fixés l'un à l'autre.
Celui-Qui-Vit y lit les mêmes choses que dans les yeux de
son compagnon, que dans ses yeux à lui reflétés
par la surface des étangs. Ils sont différents, et
pourtant, ils sont plus semblables que deux Autres entre eux, ou
deux des siens.
C'est un fait nouveau,
une révélation. Cela vaut peut-être la peine
d'en savoir plus.
Lentement, il porte
les mains à son cou, et défait le nud de son
collier. Il le tend vers l'Autre, dans un geste de paix, d'alliance.
Les petites dents d'ours et de rennes s'entrechoquent, luisantes
sous la lumière du soleil.
Un rictus déforme
le visage de l'Autre, étirant ses lèvres, révélant
ses dents blanches.
* * *
Un petit animal
couvert de fourrure glisse le long d'un tronc, progressant rapidement
par plantages de griffes successifs. Une multitude de sentiments
et d'images, des ébauches de pensées, flotte à
la surface de son esprit.
Peur. Seul. Faim.
Seul.
Il revoit les images
de sa première compagne, du nid douillet qu'il partageait
avec l'un de ses frères et sa femelle, de leurs premières
portées respectives.
Bébés.
Nus. Petits.
Les petits de sa
portée portaient l'odeur de son frère, pas la sienne.
Ca n'avait pas d'importance. Que ce soit lui ou son frère,
il sentait instinctivement que ce qui comptait réellement
était de propager la lignée.
Nuit. Mal. Sang.
Immobiles. Sang. Seul. Peur. Seul.
Alors qu'il atteint
le sol, un gémissement lui échappe, faisant frémir
ses longues vibrisses. Un animal plus gros s'était introduit
dans le nid une nuit, emportant les petits, massacrant les adultes.
L'image des femelles et de son frère, couverts de sang, froids,
immobiles, s'impose un instant à lui.
Seul.
Il avait eu plusieurs
compagnes par la suite, et certaines lui avaient donné des
petits, quand ils partageaient le nid avec un autre couple. Mais
les petits ne portaient jamais son odeur. Il regrettait les petits
de son frère, de sa lignée.
Et puis ceux de
son espèce s'étaient fait rares. De plus en plus rares.
Seul. Peur. Seul.
Faim.
Il fouine un peu
sous les fougères qui bordent la lisière, avant de
trouver une larve d'insecte appétissante. Il devra en trouver
d'autre. Il sent confusément que l'hiver approche, qu'il
faudra à nouveau hiberner. Il a connu tant d'hivers, tant
d'hibernations. Au printemps, certains de son espèce ne sortaient
pas de leur torpeur. Ils avaient migré peu à peu vers
le sud, là où les hivers laissaient moins de morts
derrière eux, à la rencontre de leur destin évolutif,
mais lui était resté là où il avait
toujours vécu. Il est seul à présent.
Seul. P-
Une ombre le couvre
brusquement, et il a à peine le temps de tressaillir avant
qu'une masse ne s'abatte sur lui, le clouant au sol. Un souffle
chaud l'enveloppe, portant une odeur fétide, une odeur de
mort. Il passe la tête entre deux des griffes qui le maintiennent
au sol, levant la tête vers le ciel. Deux narines immenses,
une peau luisante. Un il. Gigantesque.
Peur.
Le
jeune saurien à la taille déjà respectable
examina avec curiosité sa proie. Encore une de ces proies
à la peau étrange, qu'il avait du mal à digérer,
qui lui chatouillait le palais. Mais c'était mieux que rien,
il fallait bien se nourrir. Plus tard, il en attraperait d'autre,
plus appétissante.
Celle-ci était
curieuse, il n'en avait jamais vu de telle. Beaucoup de bêtes
chaudes à la peau qui chatouille, mais aucune n'avait été
semblable. Elle aurait peut être meilleur goût.
Sans plus s'attarder
sur ces considérations gastronomiques, il attrapa ce qui
dépassait et effectua un violent mouvement de tête
pour l'arracher du reste du corps.
Il eut une étrange
sensation. Le sol se mit à gronder, la lumière déclina,
rafraîchissant brusquement la température de l'air
ambiant. Il leva la tête vers le ciel, inquiet. De lourds
nuages noirs le couvraient à présent. C'était
étrange, il avait fait beau toute la journée, et il
n'y avait eu aucun signe d'orage. C'était contraire à
tout ce qu'il savait, à ce que sa mère lui avait patiemment
enseigné, à l'expérience lentement accumulée
par le clan.
Un éclair
frappa la fougère arborescente de laquelle était descendue
sa proie. Il prit une décision, celle qui paraissait la plus
sage. Il s'enfuit, laissant derrière lui la jeune clairière
à présent ravagée par des éclairs innombrables
et des bourrasques violentes.
* * *
Une cellule
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