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Paris, 7 mai 1998
Le soleil réchauffait doucement les vieilles pierres des quais de la Seine,
nimbant de lumière les arches des ponts. Cette chaleur bienfaisant était
la bienvenue après les longues heures passées dans la cave de Shakespeare&Cie
à sécher quelques centaines de pages ô combien anciennes et ô combien
précieuses. La pluie insistante qui avait assombri ce dernier week-end
avait provoqué une nouvelle crue de la Seine. Mais cette crue bénigne
n'était rien en comparaison des inondations meurtrières causées en Italie
par les mêmes nuages.
Adam commençait à se demander s'il
n'y avait pas un défaut de construction dans la librairie,
car les bâtiments voisins n'étaient pas sujets à de tels problèmes d'humidité,
même lors de crues plus importantes. Il envisageait sérieusement de déménager
ses collections.
Arrivé au pont Alexandre III il revint
à des pensées moins soucieuses. Après quelques siècles passés à Paris,
il vient un moment où les quais perdent une grande partie de leur charme
au profit de préoccupations plus terre-à-terre,
comme la proximité alléchante d'un Virgin Megastore ou d'une FNAC. Il
gravit quelques marches pour se trouver à nouveau plongé dans le monde
pollué et bruyant de la circulation parisienne. Il obliqua vers le nord
en direction des Champs Elysées et de leur incessante animation,
résolus à éviter tous les touristes non francophones,
baragouinants un anglais à peine compréhensible,
en quête d'une destination perdue.
Il passait devant le Petit Palais,
à nouveau plongé dans ses pensées,
lorsqu'un attroupement attira son attention. Il releva la tête et...
il LE vit.
Un colosse de pierre,
sortit du passé,
arraché à son tombeau maritime par la détermination de quelques archéologues,
le dévisageait,
ravivant à travers les siècles des souvenirs depuis longtemps effacés.
Alexandrie, 246 BC
Methos observa avec
indifférence le soleil se coucher. Lorsque le ciel était agrémenté de
nuages comme il l'était ce soir là, chaque coucher de soleil était différent.
Mais il y en avait eu déjà tellement que le spectacle avait perdu toute
magie; l'Immortel ne leur prêtait plus attention depuis des siècles. Et
pourtant il assista solennellement à celui-ci. Il était particulier.
Ce soir là, le soleil ne se couchait pas seulement
sur un jour, mais il se couchait également sur un règne long et mouvementé.
Ce soir là, les deux Egyptes pleurait leur Pharaon. Le lendemain, un nouveau
roi divinisé prendrait sa place.
Il y aurait des changements dans le gouvernement. Methos
ignorait s'il conserverait sa place. Cela n'avait plus tellement d'importance:
cette position, ils l'avaient acquise à deux, passant de simples marchands
grecs au statut d'importants importateurs, à force d'intrigues et de traîtrises,
mais aussi de loyauté envers leur souverain. Ils s'étaient hissés à cette
position de confiance en jouant les intermédiaires entre le suzerain et
ses sujets, maîtrisant à tous deux la totalité des langues parlées dans
la cité cosmopolite. Et depuis une semaine il était seul.
La nuit enveloppait à présent la ville et il commençait
à faire froid. Methos regagna ses appartements, l'amertume au coeur. En
une semaine à peine il avait tout perdu. Si Joas avait encore été là,
ils auraient pu quitter cette ville en deuil pour aller explorer de nouveaux
horizons...
Avec colère, Methos rejeta les illusions dont il se
berçait. Il n'y aurait pas eu de futur possible. Ce qui était arrivé une
semaine auparavant serait arrivé tôt ou tard. Ils ne s'étaient jamais
séparés en très bons termes, mais jamais leur relation n'avait dégénéré
au point de s'achever sur un duel.
Depuis un mois déjà ils ne se parlaient plus, et les
regards échangés contenaient de plus en plus souvent de la colère, ou
même de la haine. Il n'avait plus vraiment souvenir de ce qui avait fini
par mettre le feu aux poudres. Mais il ne se rappelait que trop clairement
s'être tenu une épée à la main, prêt à décapiter le seul ami qui lui restait.
Un ami qui de son côté ne se privait pas de lui décocher des regards chargés
d'envie de meurtre. Le combat avait paru durer des heures. Methos avait
pour une fois l'avantage de la force, de la puissance et de la résistance
sur son adversaire, mais celui ci avait fait plus encore qu'à l'habitude
montre d'adresse et de souplesse, et sa petite taille lui avait permis
d'esquiver les coups les mieux placés ou de se faufiler sous la garde
de son opposant. Ils avaient fini par interrompre le combat quelques instants.
Le sang répandu par ses blessures légères mais multiples affaiblissait
Methos, et un râle inquiétant s'échappait de la poitrine de Joas, épuisé
par l'effort qu'il devait fournir pour compenser son handicap. Leurs yeux
s'étaient alors rencontrés; ils ne combattaient plus avec haine, mais
seulement pour survivre à l'assaut de l'autre. Ils avaient baissé simultanément
leur garde, et après un dernier regard Joas avait quitté la pièce. Définitivement.
Ce n'était pas son départ que Methos regrettait. C'était
ce qui l'avait produit. Au contraire, l'abandon de son (ex- ?)ami avait
évité la mort de l'un d'entre eux. Mais il n'y aurait sans doute aucun
espoir de renouer les liens brisés.
Un miaulement plaintif se fit entendre dans la chambre.
Le chat avait effectué avec une certaine condescendance le tour de la
pièce avant de sentir que son petit maître l'avait abandonné. Il reprit
le chemin de la liberté qu'il avait quelquefois sacrifiée pour l'affection
d'un jeune Immortel. Methos interrompit son départ. Il n'avait pu dire
adieu au maître, il devait bien ça à Miou même si ça devait lui coûter
quelques égratignures. Il sourit en pensant à ce nom. Il n'avait été donné
que parce que les autres éprouvait le besoin de pouvoir nommer l'animal.
Methos savait que pour Joas, le chat n'avait pas de nom. Il n'en avait
pas besoin pour l'évoquer. Dans la langue de ce pays, "Miou"
ne signifiait rien d'autre que "chat".
Il reposa l'animal à terre, qui commençait déjà à cracher
les sommations d'usage, le laissant vaquer à ses occupations pour reprendre
les siennes. La mort du Pharaon posait un problème évident. S'il voulait
conserver son poste, il allait devoir assurer ses arrières. Il avait déjà
une idée des personnes qui allaient gagner en influence. Il faudrait reprendre
le petit jeu des intrigues.
Il se servit un verre de la bière qui l'attendait sur
la table, tout en repensant aux années qui s'étaient écoulées sous le
règne de Ptolémée II. Il ressentit soudain une douleur dans la poitrine.
Il avait fini par respecter son souverain, mais pas au point que sa mort
ne lui cause une telle peine. La douleur s'intensifia, et d'autres symptômes
apparurent. Lorsque le monde devint noir autour de lui, il comprit qu'il
n'était pas en proie à un immense chagrin (ce qui ne l'étonna guère),
mais qu'il venait d'être empoisonné. "La belle affaire!" marmonna-t-il.
Il s'écroulait déjà lorsque l'horreur de la situation
lui apparut soudainement. Les rites précédant l'enterrement risquaient
d'être précipités: ils allaient vouloir lui accorder une place de choix
auprès du Pharaon, et son embaumement allait être accéléré pour laisser
ensuite la place à celui souverain. Il n'aurait pas le temps de se "réveiller"
avant qu'il ne lui retire les viscères et le cerveau... Et même s'il finissait
par se remettre de ce traitement, il serait prisonnier pour des siècles
du tombeau royal. Pire encore, il pourrait aussi être incinéré. Pour une
fois, Methos tenta désespérément de lutter contre la mort.
En vain.
* * *
L'obscurité l'enveloppait lorsqu'il
se réveilla, la bouche pâteuse. Son corps entier n'était que douleur;
il avait envie de vomir. Il se força à l'immobilité quelques minutes avant
d'essayer de se relever avec peine, recrachant du sable. Il se dirigea
lentement vers la seule direction d'où provenait une faible luminosité.
Une sensation par trop familière s'empara de lui alors qu'il atteignait
l'ouverture de la longue bâtisse. Son épée se trouvait en évidence, appuyée
à la muraille. L'identité de l'autre Immortel ne faisait aucun doute:
il évacua la tension apportée par cette proximité et, pour la première
fois depuis son "réveil", il se sentit presque dans un état
normal. Il regarda quelques instants le soleil disparaître à l'horizon.
Un autre coucher de soleil... Un autre soir... Combien
d'autres soirs?
Il se tourna légèrement vers sa droite pour observer
Joas, perché sur un muret en ruine, plongé dans la contemplation muette
du soleil. La lumière rasante soulignait les lignes de son visage arrêté
en pleine adolescence. Methos se demandait parfois quelle serait la situation
s'il avait vécu sa première mort plus tard. Il ne l'avait jamais vraiment
regretté: il avait l'intime conviction que Kronos l'aurait tué. Oui, Kronos
ne l'aurait jamais considéré comme une menace négligeable. Au lieu de
cela il avait laissé Methos l'épargner, il avait laissé Silas se prendre
d'affection pour lui, non comme s'il s'agissait d'un petit animal effrayé
qu'il fallait protéger, mais bien comme d'un pair à même de le comprendre.
Et ensuite il s'était laissé dompter, fasciner par cet adolescent qui
n'était encore presque qu'un enfant et qui pourtant lui avait tenu tête,
l'avait affronté sans aucune crainte. Methos savait qu'il tenait autant
à la vie que lui, mais ce soir où Joas avait pris sa place autour du feu
sans montrer aucune crainte pour la rage de Caspian et la fureur déjà
amusée de Kronos, ce soir là Joas ne pensait pas qu'ils l'auraient laissé
en vie. Il n'avait rien à perdre.
La crainte n'était venue qu'après, lorsqu'il avait
réalisé qu'après tout il allait vivre. Mais il avait déjà appris à la
cacher, et à éviter Caspian. Avec les semaines, Kronos avait fini par
s'amuser de son intelligence, de son impertinence grandissante. Mais il
n'aurait pas permis cela si Joas n'avait pas été à ses yeux qu'un enfant
sans danger, incapable de soulever la lourde épée du Horseman. Au grand
étonnement de Methos, il n'avait même montré aucun signe de fureur lorsque
leurs jeune protégé s'était échappé...
La vue de la courte et légère épée, appuyée contre
le genou de son propriétaire, lui arracha un sourire. Si Kronos avait
su ce dont l'adolescent était capable avec cette épée, il n'aurait pas
toléré sa présence très longtemps. Il repensa à ce qui s'était passé la
semaine dernière. Si c'était bien la semaine dernière... Il se
demanda soudain ce qu'il faisait en plein désert, à des dizaines de stades
d'Alexandrie.
Joas se tourna brusquement vers lui. A nouveau sur
la défensive, Methos lut dans ses yeux avec soulagement une promesse de
trêve. L'adolescent se laissa glisser jusqu'à terre et s'avança vers lui.
Il l'examina longuement avant que Methos ne rompe le silence.
"Pourquoi être revenu me chercher?" Ces quelques
minutes lui avaient davantage laissé l'occasion de réfléchir que les secondes
précédant sa mort, et il paraissait maintenant évident qu'il aurait du
se "réveiller" longtemps avant le début de l'embaumement. Ce
qui paraissait moins clair, c'était leur présence à tous deux au milieu
de cette campagne semi-désertique. Et il y avait toujours cette désagréable
impression que les temps ne concordaient pas.
Joas ne parut pas l'entendre.
"T'en fais pas pour nos affaires. Après ta mort,
je suis retourné en ville et j'ai conclu les négociations. Je n'ai pas
pu obtenir autant que ce que tu aurais eu -non, ne dis rien! Tu ne peux
pas nier que l'apparence ne compte pas. Ils ne peuvent pas accorder la
même confiance au riche négociant Grec et à son très jeune cousin adoptif
d'origine barbare.- Mais on a tout de même une grande partie des droits
sur l'importation du marbre et des vins grecs, et sur l'exportation de
la plupart des produits de luxe. Et mieux, j'ai obtenu l'exclusivité de
l'importation d'huile d'olive. Si on parvient à conserver le marché quelques
décennies, on sera riche pour... oh, peut-être pas jusqu'à la fin de nos
vies, mais pas loin. "
Il l'observa à nouveau quelques instants. "La
mauvaise nouvelle, c'est que ces négociations m'ont pris un jour entier..."
Un jour entier... Methos se sentait de plus
en plus mal. Il repensa à ce qu'il avait ressentit en se réveillant. Quelque
chose n'allait pas... Il sentit le besoin soudain de s'asseoir. Adossé
au muret, il murmura les yeux clos: "Mais qu'est ce qui s'est passé?..."
Joas se laissa à son tour glisser le long du mur de
vieilles briques. Il attendit en silence, le regard à nouveau tourné vers
l'horizon.
"Je ne suis pas revenu te chercher. Je voulais
d'abord descendre le Nil, mais... je crois que je commence à en avoir
assez de ce pays. Et le seul port suffisamment important pour pouvoir
fuir d'ici, c'est Alexandrie. J'ai fait demi-tour. Je venais juste d'arriver
en ville lorsque j'ai appris la mort du Pharaon. Puis la tienne. Tu savais
que tu t'étais suicidé pour pouvoir être enseveli auprès de lui?"
Il eut un petit rire." Très crédible, hein? Mais il fallait en profiter,
tant que tu bénéficiais de ce prestige, et avant que les choses ne se
compliquent. Grâce à ce suicide, j'ai réussi à faire baisser considérablement
les charges sur l'importation de l'huile. Ta fidélité leur a plu, et je
leur ai laissé entendre que notre entreprise était tout autant attachée
au royaume... Ces négociations ont duré des heures. Mais lorsque je suis
ressorti, personne ne criait au scandale, au sacrilège... Alors j'ai fini
par aller jeter un coup d'oeil, et ton corps était encore là où ils l'avaient
laissé. " Il se tut encore quelques secondes.
"Tu sais, quand nous mourrons, il y a ce petit
instant où nous... où nous n'"émettons" plus. Mais là... ça
durait des minutes entières, des heures mêmes parfois. Et quand tu étais
là, c'était... c'était si faible!"
Il se releva brusquement avant d'ajouter sur un ton
légèrement narquois:
"Je t'aurais bien laissé à ton sort, mais je n'avais
envie d'avoir à te chercher sous plusieurs coudées de terre lorsque je
n'aurais plus que toi à vaincre. Et si jamais les choses tournaient mal
pour moi, le temps que l'autre te retrouve, tu n'aurais pas vraiment été
en état de résister. Quitte à ce que je ne sois pas le dernier, je préfère
autant que se soit toi plutôt qu'un autre!"
Les derniers rayons du soleil enflammaient le ciel.
L'astre solaire allait bientôt laisser la place au croissant blafard de
la lune. Joas murmura d'une voix un peu plus rauque qu'à l'ordinaire.
"Et surtout, M... surtout, je sentais que quelque chose était anormal,
je pouvais le sentir de l'autre bout de la ville. Je ne sais pas comment,
mais je le sentais..."
Methos l'observa avec inquiétude. Joas avait été réellement
bouleversé. Depuis plus d'un millier d'année, il était passé maître dans
l'art du camouflage, du mensonge et de la dissimulation, et pourtant il
avait laissé sa voix le trahir. Il avait même failli dire "Methos",
alors qu'il n'avait plus prononcé ce nom depuis sa fuite du campement
des Horsemen, s'obstinant à identifier Methos à chaque nouveau nom qu'il
portait, comme s'il s'agissait d'individus séparés, comme il le faisait
pour lui même.
Methos sentait qu'il aurait dû le laisser seul, mais
il restait une question à poser. Il s'approcha doucement, évitant de le
toucher car il savait que cela aurait été mal accepté. "Comment...
comment ai-je pu rester inconscient si longtemps?"
Joas haussa les épaules. "Ce n'est pas si difficile...
Lorsque je t'ai traîné dans ce conduit creusé par des pilleurs, j'ai fini
par sentir cette drôle d'odeur... Ca faisait si longtemps, j'avais presque
oublié. " Il jeta un coup d'oeil à son voisin intrigué. "Il
y a quelques siècles, un Immortel m'a recueilli, pensant que j'étais
un pauvre petit Immortel sans défense fraîchement tué. Il allait de tribu
en tribu, en exerçant ses talents de guérisseur. Et surtout, il faisait
des expériences. Il voulait trouver un produit qui permette aux Immortels
de revenir plus vite à la vie. Comme il ignorait que je savais tout du
Jeu, il pensait que j'étais l'assistant idéal. Il se tuait et j'essayais
sur lui ses produits. Bien sûr ça ne marchait pas, mais un jour il est
resté mort beaucoup plus longtemps. Je ne lui ai rien dit, mais j'ai commencé
à améliorer la formule. J'ai pu le maintenir inconscient pendant plus
d'une journée, puis j'ai laissé tomber et je lui ai faussé compagnie en
le bousculant un peu. Il ne s'attendait pas à se retrouver l'épée sur
la gorge!... Et bien, le truc poisseux que tu avais sur toi avait presque
la même odeur. Sauf que son effet était bien pire..." A mi voix,
il ajouta: "Ca fait trois jours. Trois journées entières que tu es
là."
L'évidence sautait maintenant aux yeux. "Un Immortel
aurait fait ça? Mais qui, et pourquoi?"
"Lorsque j'ai été à Néapolis pour les négociations,
j'y ai rencontré un autre Immortel. Il accompagnait le prince..."
Coupant court à toutes autre question, Joas s'enfonça dans le bâtiment,
interdisant son entrée par une vague menace.
Lorsqu'il en ressortit une heure plus tard, éclairé
par la lueur tremblotante d'une vieille lampe à huile, Methos ne put s'empêcher
de le dévisager avec ahurissement. Il n'y avait plus rien du frêle adolescent
à la peau encore trop pâle malgré un bronzage centenaire, habillé de riches
vêtements helléniques comme se le devait le nouveau propriétaire de la
plus importante compagnie grecque assurant le commerce avec Alexandrie.
Methos avait à présent en face de lui un jeune Egyptien, les cheveux plus
noirs que jamais, semblant tout droit sorti des bas fonds de la cité.
Comprenant ses intentions, il s'apprêtait à lui demander avec colère des
explications, mais il fut coupé dans son élan.
"Quelqu'un doit bien le faire. Il te faut des
informations, autant les demander à l'intéressé."
"Ca ne marchera jamais!" Sous le regard désormais
furieux de Joas, il continua: "D'abord, ton accent égyptien est abominablement...
ancien. Ensuite..." Il fut interrompu par une série de jurons
et d'insultes prononcés avec un accent digne des quartiers les plus populaires
de la ville. Il se rappela que Joas avait eu six ans pour rajeunir son
langage avant de pouvoir apparaître sur le devant de la scène et pouvoir
rester jusqu'à la fin de façon crédible.
Il le regarda monter sur l'un des chevaux qui avaient
été laissé à l'attache de l'autre côté de la maison en ruine. Joas murmura
quelques paroles indistinctes à l'oreille de l'animal avant de l'inciter
à partir. Il lança par dessus son épaule: "Et n'oublie pas que pour
cette ville, tu es MORT."
Methos ne put s'empêcher de tressaillir en entendant
le dernier mot. Il avait été choisi à dessein, pour le blesser. Et avec
ce qu'il s'était passé ces derniers jours il avait parfaitement atteint
son but. Methos ne tenta pas une nouvelle fois de le retenir.
Ensuite..., personne ne croira que tu es Egyptien.
Pas avec ces yeux...
* * *
Après deux jours passés à attendre
dans la ruine étouffante, il décida en commun accord avec lui même que
Joas avait eu suffisamment de temps. Il ignorait où il était exactement,
mais Alexandrie ne pouvait que se situer vers le nord est. Le soleil et
les vents encore chargés d'humidité apportés par la mer auraient pût lui
indiquer la direction approximative si la cité riche de son million d'habitants
et son activité incessante ne s'en étaient chargées, illuminant le ciel
durant le début de la nuit d'une lueur visible à une dizaine de milliers
de coudées de distance.
Il s'approcha lentement du cheval, qui reculait nerveusement.
Il remarqua le tressage particulier de quelques brins de sa crinière,
qui marquaient très clairement l'identité de son propriétaire. Joas l'avait
élevé. Et Methos connaissait celui qui avait été son exemple bien des
années auparavant. Lui aussi avait souvent observé Silas avec fascination.
Doucement, il se mit à parler au cheval, adoptant la mélopée millénaire
utilisée par son "frère". Les paroles elles mêmes n'ayant guère
d'importance, il récita un passage de l'Odyssée. Et tant pis pour la métrique!
Plus séduit par le ton que par le texte homérique,
le cheval se laissa monter sans plus de problème.
La nuit était déjà tombée depuis longtemps lorsqu'il pénétra dans la cité.
L'obscurité qui avait envahi les ruelles lui assurèrent l'anonymat jusqu'aux
secteurs majoritairement occupés par les Juifs. Cette destination avait
deux avantages; il était relativement inconnu dans cette partie, Joas
ayant insisté des années auparavant pour s'occuper de toutes les transactions
avec ses occupants. Et là se trouvait une succursale de leur compagnie:
situé loin des fastes de la Néopolis, du palais et de ses dépendances,
le bâtiment semblait appartenir à une autre ville, libre de l'arrogance
des Grecs et de leur emprise sur ce pays. Ils l'avaient acquis moins d'un
mois après leur arrivée. Le pays dont ils se souvenaient, qu'ils s'attendaient
à retrouver, avait fait place à un monde nouveau, déformé.
Lorsqu'il entra enfin dans la maison, Methos dût se
résoudre à y attendre encore une journée: le jour était sur le point de
se lever, lui interdisant de se promener librement dans la ville. Il s'allongea
sur une banquette, sachant que personne ne viendrait l'y déranger.
Il fut pourtant réveillé au milieu de la journée. Quelque
chose avait bougé dans la pièce, et même l'avait effleuré. Il attendit
en silence, respirant à peine. Il fut frôlé à nouveau le long de la joue
par quelque chose de soyeux. Dans un mouvement brusque et presque instinctif,
son bras vint s'emparer de l'objet gênant. Il n'eut pas besoin d'ouvrir
les yeux pour savoir de quoi il s'agissait: un miaulement rageur et une
soudaine sensation de brûlure le long de l'avant bras se chargèrent de
le renseigner. Il ne conserva l'animal que le temps de s'assurer de son
identité avant de le lancer à l'autre bout de la pièce. Prudemment, en
surveillant les yeux emplis de haine qui l'observaient de dessous un meuble
bas, il s'approcha de la jarre emplie d'eau pour soulager la souffrance
de son bras tailladé.
Tandis qu'il regardait d'un oeil critique les blessures
qui se refermaient une à une, il reconsidéra la situation. Miou était
ici. Etant donné son caractère extrêmement sociable, une seul chose avait
pu le retenir dans cette ville, et l'amener jusqu'ici. Ou plutôt une seule
personne. D'une manière ou d'une autre, le chat savait que Joas passerait
ici. Il n'avait qu'à l'y attendre.
Lorsque la sensation depuis longtemps attendue vint
enfin, il ne put s'empêcher de sortir son épée. Il n'y avait aucun risque
qu'un autre Immortel ne vienne ici. Et pourtant il ne pouvait se retenir
de l'attendre une épée à la main. Ce qui lui permit de parer le coup mortel
qui suivit de peu l'ouverture soudaine de la lourde porte. La violence
du choc sépara d'elle même les deux combattants. Mais là encore, même
après s'être reconnu, ils ne parvinrent pas à rengainer leur armes. Au
plus profond de lui, une voix calme murmurait à Methos qu'il n'y avait
aucun réel danger à redouter. Mais à la surface il ne ressentait que la
haine. Il leur fallut quelques secondes pour enfin baisser leur garde.
Dans les regards, la haine laissa peu à peu place à la méfiance, avant
que tout sentiment ne soit à nouveau oblitéré par les masques impassibles
qu'ils avaient patiemment construits au cours des siècles.
Joas le laissa cependant s'impatienter quelques minutes
avant de lui exposer les événements des jours précédents. Il s'était arrangé
pour rencontrer "accidentellement" l'autre Immortel, qui l'avait
pris à son service. Skepsis avait besoin d'aide pour réaliser les tâches
associées à ses intrigues, et celle d'un jeune Immortel connaissant à
l'évidence tous les secrets de la cité paraissait idéale. D'autant plus
que les quelques années supplémentaires apportées par son immortalité
à son jeune protégé semblaient lui avoir réussi: un homme de main maîtrisant
les principales langues employées à Alexandrie pouvait lui être d'une
aide précieuse...
Deux soirées suffisamment arrosées par la bière locale
et les vins grecs avaient avantageusement remplacé la confiance que ne
peuvent procurer deux uniques journées, et Skepsis s'était laissé aller
à quelques confidences. Après tout, que pouvait il craindre d'un aussi
jeune Immortel? Ses ambitions étaient simples: il désirait s'emparer de
la deuxième place au gouvernement, et régner ainsi par procuration. Quitte
à employer quelques poisons si cela était nécessaire, pour affaiblir le
roi et le rendre vulnérable à son influence. Mais il y avait un obstacle
à sa cupidité et à sa soif de pouvoir. De passage à Alexandrie quelques
années auparavant, il avait décelé, dissimulé parmi la foule rendant hommage
au pharaon, la présence d'un autre Immortel proche du souverain. De peur
que celui-ci ne contrecarre ses plans au nom d'un prétendu mythe interdisant
aux Immortels de régner, il avait décidé de le supprimer. Un duel pouvait
être risqué, et ses conséquences par trop visibles. De plus on ne manquerait
pas de s'interroger sur la manière dont un proche du pharaon avait perdu
la tête, et une enquête serait menée. Il avait donc opté pour l'utilisation
d'une potion que lui avait involontairement légué un autre Immortel, à
titre "posthume".
Methos resta silencieux quelques instants. Une sourde
colère montait en lui, à l'idée de ce qu'il aurait pu avoir à subir durant
des siècles. Il y avait aussi une lourde menace qui planait sur l'avenir
déjà incertain de ce pays. "Il faut l'arrêter..."
"Mais on ne peut pas le tuer, juste comme ça.
Un mort par décapitation au beau milieu de Néapolis, ça passe rarement
inaperçu...". Il réfléchit un instant, ou plutôt fit semblant de
réfléchir. Methos ne doutait pas qu'il ait déjà tout prévu à l'avance.
"Je peux le faire venir à l'écart de la ville. Tu te souviens de
cette bâtisse qui appartient au palais? Il l'a déjà utilisé à plusieurs
reprises. Je pourrais l'y attirer ce soir sous un prétexte quelconque.
Une mort en dehors de la ville n'étonnera personne."
"A quelle heure est-ce..."
"Non!" le coupa Joas d'un ton catégorique.
"Il est à moi. Il a aussi tué quelqu'un que je connaissais. Ce type
n'était pas méchant, il faisait même de son mieux pour aider les mortels...
Ce produit, il l'a déjà utilisé. Il n'hésitera pas à s'en resservir. Et
c'est en partie à cause de moi!" Pour mieux éviter toute autre discussion,
il se releva et se dirigea vers la porte.
Mais il s'arrêta un instant, les sourcils froncés,
en apercevant Miou sous le meuble. "Mais... qu'est-ce qu'il a? Il
a l'air bizarre..."
Methos lui répondit en affichant l'air le plus innocent
qu'il lui soit possible: "Je n'en ai aucune idée..."
En regardant la mince silhouette s'éloigner dans la
rue il sut qu'il était impensable que Joas affronte l'Immortel. Et même
si on laissait de côté le fait que Methos ait de meilleures raisons d'effectuer
ce combat, et qu'il avait plus de chances de le remporter, même sans cela
il ne pouvait laisser le combat à Joas. Il savait que le jeune Immortel
redoutait les Quickenings et avait besoin de s'y préparer avant de pouvoir
accepter d'en recevoir un. Or Methos n'avait vu au cours de la soirée
aucun signe d'une telle préparation. Il n'était pas prêt à combattre:
s'il se battait, Joas irait à une mort quasi certaine.
* * *
Il faisait nuit depuis longtemps lorsque
Joas arriva à proximité de l'endroit où l'attendait Methos. Il ne répondit
pas à son nom et Methos dut l'attraper par le bras pour le forcer à s'arrêter.
Il ne savait que dire pour le convaincre, et il savait aussi qu'aucune
parole n'y parviendrait. Il aurait pu retourner chercher au fond de lui
même ce qui avait fait de lui l'un des Horsemen, mais cela n'effrayait
plus Joas depuis longtemps. Alors, plongeant le regard dans les immenses
yeux verts, il tenta de communiquer à travers ce fragile lien les sentiments
qui l'animaient, ceux des derniers jours et ceux de ce soir là. Et avec
soulagement il vit soudain la compréhension naître dans le regard qui
soutenait le sien. Fermant lentement les yeux, Joas murmura: "D'accord,
je te le laisse.".
"Je suppose qu'il ne laissera pas entrer n'importe
qui?"
Joas nia d'un mouvement de tête. "Il y a un signal..."
Tandis que Methos s'éloignait, Joas rouvrit les yeux
pour le voir partir. Lorsque l'Immortel eu disparu dans la nuit, il souriait...
* * *
Methos s'avança dans l'obscurité vers
la maison. Arrivé à proximité il sentit la présence d'un autre Immortel
l'envahir. Il frappa doucement à la porte selon le code que lui avait
indiqué Joas et attendit son ouverture. Le lourd panneau de bois s'ouvrit
dans un grincement et il se retrouva face à face avec Skepsis. Celui ci
le regarda avec surprise quelques instants, puis alla calmement prendre
sa propre épée. Avec un air mauvais il invita Methos à le suivre dans
le jardin.
Skepsis lança l'attaque par surprise, se retournant
brusquement pour surprendre son adversaire. Methos avait vu trop souvent
ce genre de tentative et, déjà sur ses gardes, il para facilement le coup.
Mais l'autre enchaîna une seconde attaque aussitôt, qui laissa les bras
de Methos engourdis par la force du choc. Il ne put faire autre chose
que parer les coups suivants qui s'enchaînèrent avec une violence inouïe.
Skepsis remplaçait avantageusement son manque d'agilité et de finesse
par la force avec laquelle il maniait son arme. Peu à peu, Methos fut
contraint de reculer jusque dans la maison. Les quelques contre-attaques
qu'il avait pu mener avaient touché au but, mais sans entraîner de blessures
suffisamment importantes: sitôt qu'il réussissait à passer les défenses
plutôt faibles de son adversaire il devait se retirer pour éviter la lame
qui s'approchait dangereusement de sa tête. Et ses bras qui encaissaient
à chaque parade les violentes vibrations du choc des deux armes étaient
à présent raides de crampes qui lui laissaient peu d'espoir de porter
un coup fatal.
Il allait être acculé dans un angle de la pièce lorsque
la figure de son adversaire exprima soudainement une violente surprise,
avant de se figer dans une grimace de douleur. Il tomba lentement sur
les genoux en tentant d'atteindre son dos. Methos aperçut un manche de
poignard en dépasser. En relevant la tête il vit une silhouette dans l'encadrure
de la porte. "Désolé! J'ai vraiment pas pu m'empêcher de..."
Avec un violent effort et beaucoup de détermination, Methos réussit à
déceler dans la voix un petit peu de remords. Sans s'attarder sur d'éventuelles
interrogations philosophiques concernant l'existence improuvée et le non-respect
de certaines règles, il décida de saisir son avantage et de trancher définitivement
la question du vainqueur.
Il s'attendait à voir s'enfuir Joas avant l'arrivé
du Quickening, mais celui-ci examina le plafond pensivement pendant ce
qui parut à Methos être une durée interminable. Il fronça les sourcils
et se mordit la lèvre d'un air soucieux, parut sur le point de dire quelque
chose, avant de bondir soudainement dans la pièce en direction de Methos.
Sans trop savoir s'il y avait été poussé ou tiré, celui ci se retrouva
à genoux dans le jardin juste au moment où les premiers éclairs du Quickening
le frappèrent, le plongeant à nouveau dans un monde de douleur.
Lorsqu'il en émergea, ce fut pour constater qu'un monceau
de décombres s'amoncelait devant lui..
* * *
Le vent qui venait du large n'apportait pas que l'odeur iodée de la mer.
Même s'il savait que cela ne pouvait être possible Methos y discernait
aussi des senteurs étrangères, qui semblaient vouloir l'attirer ailleurs.
Il sentait que le départ tant attendu était proche: il n'y avait eu que
des déceptions ici, ils ne pourraient revenir à Alexandrie que lorsqu'ils
auraient fait le deuil de l'ancienne Egypte.
La sensation d'un autre Immortel ne le détourna pas
de sa rêverie. Avec le temps, il était parfois possible de reconnaître
certains Immortels par ce biais. Sans dire un mot, Joas s'assit à ses
côtés, face au port et à son île. Il savait qu'il voulait également quitter
ce pays, mais il n'avait pas jusqu'à présent exprimer le désir de l'accompagner.
Methos avait reculé le plus longtemps possible le moment de le lui demander.
Il savait qu'il n'allait pas aimer la réponse. Là encore le courage lui
manqua, et ce ne fut pas lui qui rompit le silence.
"J'ai remis de l'ordre dans nos affaires, et je
pense que ça pourra marcher sans nous pendant un bout de temps. Je...
Mon bateau part demain."
"Tu ne veux pas venir avec-"
"Non!"
"C'est à cause de ce qui s'est passé l'autre soir?"
"Ce qui s'est passé l'autre soir, ce qui s'est
passé ces derniers jours, ... Ca va recommencer. Peut être pas tout de
suite, mais dans quelques semaines, dans quelques mois tout au plus..."
Il se retourna enfin, regardant Methos pour la première
fois. La brise en lui ébouriffant les cheveux vint rabattre une mèche
sur ses yeux, mais Methos avait eu le temps d'apercevoir son regard, d'apercevoir
le doute et la peur qui l'habitaient.
"... Et à ce moment là, je sais que je ne serais
pas le vainqueur. Je ne peux gagner qu'en détournant les règles, qu'en
trichant un peu pour rétablir l'équilibre, mais je n'arriverais pas à
le faire contre toi. J'y ai beaucoup réfléchi, j'ai même essayé parfois
de voir si je serais capable de le faire, mais ça n'a jamais marché."
Methos sentit un frisson lui parcourir en imaginant
Joas, debout derrière lui un poignard à la main, tentant de se convaincre
de le lui planter dans le dos. Il écarta rapidement cette évocation angoissante
pour réfléchir aux implications de ce qu'il venait d'entendre. S'ils en
venaient véritablement à se combattre, ils n'abandonneraient pas en cours
du duel comme ils l'avaient fait la dernière fois. Il y aurait forcément
un vainqueur, et à moins de changer les données, il finirait par remporter
le combat. De même que Kronos aurait eu l'avantage physique sur lui, Methos
aurait l'avantage physique sur Joas. Or Joas pensait... non, *savait*
qu'il ne pourrait pas utiliser ses tours habituels.
Une pensée lui vint à l'esprit, et se fit de plus en
plus insistante. Il commençait à comprendre ce qui se passait, mais il
avait besoin de le vérifier. Il parla à mi-voix:
"C'est étrange... Je pensais le contraire. Je
croyais que si la situation s'envenimait, tu prendrais les devants et
que lorsque tu te sentirais prêt pour un Quickening, il serait déjà trop
tard pour moi. Et même si j'étais arrivé à prendre le dessus, je ne crois
pas que..." Il s'arrêta un instant. Cela ne lui était jamais apparu
aussi clairement auparavant. "... Je sais que je n'aurai pas pu te
tuer."
Il croisa à nouveau son regard, et il sut qu'ils pensaient
tous deux à la même chose. Joas avait pensé avoir le dessous lors d'un
combat, et Methos avait pensé qu'il aurait tout préparé pour que se ne
soit pas le cas. Et chacun savait que même s'il avait été en mesure de
remporter ce combat, il n'aurait pu tuer l'autre. Peu à peu, au fil du
temps, la peur avait monté inconsciemment, et avec elle la haine. Elles
ressortaient périodiquement, et ils se séparaient avant que les choses
n'empirent, mais cette dernière fois ils étaient restés trop longtemps
ensemble avant que cela n'éclate, et ils avaient frôlé la catastrophe.
Son voisin lui adressa une grimace désabusée avant
d'éclater soudain de rire. Methos en aurait bien fait autant mais ces
jours ci il ne tenait pas tellement à se faire remarquer. Il attendit
que son compagnon se calme un peu pour lui tendre la main. "Et si
on repartait de zéro?"
Le regard de Joas se fit plus grave. "Je ne crois
pas... je ne crois pas que ce soit possible..." Methos compris alors
ce qu'il aurait dû savoir depuis longtemps. Malgré tout ce qui se pourrait
se passer, il y aurait toujours le souvenir de ce qui s'était passé chez
les Horsemen, le souvenir de la première minute de leur rencontre, celle
où Methos avait décidé s'il lui laisserait ou non la vie. Les yeux du
jeune Immortel s'éclairèrent à nouveau avant qu'il ne lui serre la main:
"...mais on peut faire semblant."
"Tu pars toujours de ton coté?"
"Oui. La Terre promise... Depuis dix ans qu'on
est ici, j'y des contacts. Et puis j'ai choisi le nom de l'un de leurs
rois. Il est temps que j'aille voir à quoi ça ressemble... en ce moment!"
Ils restèrent en silence quelques instants encore face
à la mer. La forme du phare baigné par la lumière du soleil se découpait
nettement sur l'horizon. Joas pointa du bras les silhouettes à son pied.
"Regarde. Un nouveau pharaon est monté sur le
trône, mais l'ancien est toujours ici. Figé dans la roche pour l'éternité.
Nous sommes peut-être immortels, mais lui aussi. Cette figure de pierre
lui donne l'immortalité."
Paris, 7 mai 1998
Avec un demi sourire,
Adam examina le colosse. Joas n'avait pas eu totalement tort,
mais il n'avait pas eu raison non plus. Si la statue avait conservé dans
la pierre l'image de la jeunesse du pharaon,
le temps ne l'avait cependant pas épargnée. La figure mutilée,
le corps incomplet,
privée de sa compagne,
la statue n'était plus qu'un témoin du passé sur l'identité de laquelle
les archéologues se posaient encore des questions.
Son sourire se figea lorsqu'il aperçut
à ses cotés le graffiti qui ornait le trottoir. Un oeil exercé aurait
pu y déceler une inscription en démotique,
mais Adam y vit bien plus encore. Avec joie il reconnut la manière particulière
dont étaient formées les lettres.
Il y avait un aspect particulier de
l'immortalité qu'une statue n'avait pu apporter au pharaon. Jetant un
dernier regard à l'inscription avant de reprendre sa route,
Adam se sentit en vie.
Jaouen
Septembre 1998
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