PTOLEMEE II

 

 

 

Paris, 7 mai 1998

       Le soleil réchauffait doucement les vieilles pierres des quais de la Seine, nimbant de lumière les arches des ponts. Cette chaleur bienfaisant était la bienvenue après les longues heures passées dans la cave de Shakespeare&Cie à sécher quelques centaines de pages ô combien anciennes et ô combien précieuses. La pluie insistante qui avait assombri ce dernier week-end avait provoqué une nouvelle crue de la Seine. Mais cette crue bénigne n'était rien en comparaison des inondations meurtrières causées en Italie par les mêmes nuages.
       Adam commençait à se demander s'il n'y avait pas un défaut de construction dans la librairie
, car les bâtiments voisins n'étaient pas sujets à de tels problèmes d'humidité, même lors de crues plus importantes. Il envisageait sérieusement de déménager ses collections.
       Arrivé au pont Alexandre III il revint à des pensées moins soucieuses. Après quelques siècles passés à Paris
, il vient un moment où les quais perdent une grande partie de leur charme au profit de préoccupations plus terre-à-terre, comme la proximité alléchante d'un Virgin Megastore ou d'une FNAC. Il gravit quelques marches pour se trouver à nouveau plongé dans le monde pollué et bruyant de la circulation parisienne. Il obliqua vers le nord en direction des Champs Elysées et de leur incessante animation, résolus à éviter tous les touristes non francophones, baragouinants un anglais à peine compréhensible, en quête d'une destination perdue.
       Il passait devant le Petit Palais
, à nouveau plongé dans ses pensées, lorsqu'un attroupement attira son attention. Il releva la tête et... il LE vit.
Ptolemee II       Un colosse de pierre
, sortit du passé, arraché à son tombeau maritime par la détermination de quelques archéologues, le dévisageait, ravivant à travers les siècles des souvenirs depuis longtemps effacés.

Alexandrie, 246 BC


       Methos observa avec indifférence le soleil se coucher. Lorsque le ciel était agrémenté de nuages comme il l'était ce soir là, chaque coucher de soleil était différent. Mais il y en avait eu déjà tellement que le spectacle avait perdu toute magie; l'Immortel ne leur prêtait plus attention depuis des siècles. Et pourtant il assista solennellement à celui-ci. Il était particulier.
       Ce soir là, le soleil ne se couchait pas seulement sur un jour, mais il se couchait également sur un règne long et mouvementé. Ce soir là, les deux Egyptes pleurait leur Pharaon. Le lendemain, un nouveau roi divinisé prendrait sa place.
       Il y aurait des changements dans le gouvernement. Methos ignorait s'il conserverait sa place. Cela n'avait plus tellement d'importance: cette position, ils l'avaient acquise à deux, passant de simples marchands grecs au statut d'importants importateurs, à force d'intrigues et de traîtrises, mais aussi de loyauté envers leur souverain. Ils s'étaient hissés à cette position de confiance en jouant les intermédiaires entre le suzerain et ses sujets, maîtrisant à tous deux la totalité des langues parlées dans la cité cosmopolite. Et depuis une semaine il était seul.
       La nuit enveloppait à présent la ville et il commençait à faire froid. Methos regagna ses appartements, l'amertume au coeur. En une semaine à peine il avait tout perdu. Si Joas avait encore été là, ils auraient pu quitter cette ville en deuil pour aller explorer de nouveaux horizons...
       Avec colère, Methos rejeta les illusions dont il se berçait. Il n'y aurait pas eu de futur possible. Ce qui était arrivé une semaine auparavant serait arrivé tôt ou tard. Ils ne s'étaient jamais séparés en très bons termes, mais jamais leur relation n'avait dégénéré au point de s'achever sur un duel.
       Depuis un mois déjà ils ne se parlaient plus, et les regards échangés contenaient de plus en plus souvent de la colère, ou même de la haine. Il n'avait plus vraiment souvenir de ce qui avait fini par mettre le feu aux poudres. Mais il ne se rappelait que trop clairement s'être tenu une épée à la main, prêt à décapiter le seul ami qui lui restait. Un ami qui de son côté ne se privait pas de lui décocher des regards chargés d'envie de meurtre. Le combat avait paru durer des heures. Methos avait pour une fois l'avantage de la force, de la puissance et de la résistance sur son adversaire, mais celui ci avait fait plus encore qu'à l'habitude montre d'adresse et de souplesse, et sa petite taille lui avait permis d'esquiver les coups les mieux placés ou de se faufiler sous la garde de son opposant. Ils avaient fini par interrompre le combat quelques instants. Le sang répandu par ses blessures légères mais multiples affaiblissait Methos, et un râle inquiétant s'échappait de la poitrine de Joas, épuisé par l'effort qu'il devait fournir pour compenser son handicap. Leurs yeux s'étaient alors rencontrés; ils ne combattaient plus avec haine, mais seulement pour survivre à l'assaut de l'autre. Ils avaient baissé simultanément leur garde, et après un dernier regard Joas avait quitté la pièce. Définitivement.
       Ce n'était pas son départ que Methos regrettait. C'était ce qui l'avait produit. Au contraire, l'abandon de son (ex- ?)ami avait évité la mort de l'un d'entre eux. Mais il n'y aurait sans doute aucun espoir de renouer les liens brisés.
       Un miaulement plaintif se fit entendre dans la chambre. Le chat avait effectué avec une certaine condescendance le tour de la pièce avant de sentir que son petit maître l'avait abandonné. Il reprit le chemin de la liberté qu'il avait quelquefois sacrifiée pour l'affection d'un jeune Immortel. Methos interrompit son départ. Il n'avait pu dire adieu au maître, il devait bien ça à Miou même si ça devait lui coûter quelques égratignures. Il sourit en pensant à ce nom. Il n'avait été donné que parce que les autres éprouvait le besoin de pouvoir nommer l'animal. Methos savait que pour Joas, le chat n'avait pas de nom. Il n'en avait pas besoin pour l'évoquer. Dans la langue de ce pays, "Miou" ne signifiait rien d'autre que "chat".
       Il reposa l'animal à terre, qui commençait déjà à cracher les sommations d'usage, le laissant vaquer à ses occupations pour reprendre les siennes. La mort du Pharaon posait un problème évident. S'il voulait conserver son poste, il allait devoir assurer ses arrières. Il avait déjà une idée des personnes qui allaient gagner en influence. Il faudrait reprendre le petit jeu des intrigues.
       Il se servit un verre de la bière qui l'attendait sur la table, tout en repensant aux années qui s'étaient écoulées sous le règne de Ptolémée II. Il ressentit soudain une douleur dans la poitrine. Il avait fini par respecter son souverain, mais pas au point que sa mort ne lui cause une telle peine. La douleur s'intensifia, et d'autres symptômes apparurent. Lorsque le monde devint noir autour de lui, il comprit qu'il n'était pas en proie à un immense chagrin (ce qui ne l'étonna guère), mais qu'il venait d'être empoisonné. "La belle affaire!" marmonna-t-il.
       Il s'écroulait déjà lorsque l'horreur de la situation lui apparut soudainement. Les rites précédant l'enterrement risquaient d'être précipités: ils allaient vouloir lui accorder une place de choix auprès du Pharaon, et son embaumement allait être accéléré pour laisser ensuite la place à celui souverain. Il n'aurait pas le temps de se "réveiller" avant qu'il ne lui retire les viscères et le cerveau... Et même s'il finissait par se remettre de ce traitement, il serait prisonnier pour des siècles du tombeau royal. Pire encore, il pourrait aussi être incinéré. Pour une fois, Methos tenta désespérément de lutter contre la mort.
       En vain.

* * *

       L'obscurité l'enveloppait lorsqu'il se réveilla, la bouche pâteuse. Son corps entier n'était que douleur; il avait envie de vomir. Il se força à l'immobilité quelques minutes avant d'essayer de se relever avec peine, recrachant du sable. Il se dirigea lentement vers la seule direction d'où provenait une faible luminosité. Une sensation par trop familière s'empara de lui alors qu'il atteignait l'ouverture de la longue bâtisse. Son épée se trouvait en évidence, appuyée à la muraille. L'identité de l'autre Immortel ne faisait aucun doute: il évacua la tension apportée par cette proximité et, pour la première fois depuis son "réveil", il se sentit presque dans un état normal. Il regarda quelques instants le soleil disparaître à l'horizon.
       Un autre coucher de soleil... Un autre soir... Combien d'autres soirs?

       Il se tourna légèrement vers sa droite pour observer Joas, perché sur un muret en ruine, plongé dans la contemplation muette du soleil. La lumière rasante soulignait les lignes de son visage arrêté en pleine adolescence. Methos se demandait parfois quelle serait la situation s'il avait vécu sa première mort plus tard. Il ne l'avait jamais vraiment regretté: il avait l'intime conviction que Kronos l'aurait tué. Oui, Kronos ne l'aurait jamais considéré comme une menace négligeable. Au lieu de cela il avait laissé Methos l'épargner, il avait laissé Silas se prendre d'affection pour lui, non comme s'il s'agissait d'un petit animal effrayé qu'il fallait protéger, mais bien comme d'un pair à même de le comprendre. Et ensuite il s'était laissé dompter, fasciner par cet adolescent qui n'était encore presque qu'un enfant et qui pourtant lui avait tenu tête, l'avait affronté sans aucune crainte. Methos savait qu'il tenait autant à la vie que lui, mais ce soir où Joas avait pris sa place autour du feu sans montrer aucune crainte pour la rage de Caspian et la fureur déjà amusée de Kronos, ce soir là Joas ne pensait pas qu'ils l'auraient laissé en vie. Il n'avait rien à perdre.
       La crainte n'était venue qu'après, lorsqu'il avait réalisé qu'après tout il allait vivre. Mais il avait déjà appris à la cacher, et à éviter Caspian. Avec les semaines, Kronos avait fini par s'amuser de son intelligence, de son impertinence grandissante. Mais il n'aurait pas permis cela si Joas n'avait pas été à ses yeux qu'un enfant sans danger, incapable de soulever la lourde épée du Horseman. Au grand étonnement de Methos, il n'avait même montré aucun signe de fureur lorsque leurs jeune protégé s'était échappé...
       La vue de la courte et légère épée, appuyée contre le genou de son propriétaire, lui arracha un sourire. Si Kronos avait su ce dont l'adolescent était capable avec cette épée, il n'aurait pas toléré sa présence très longtemps. Il repensa à ce qui s'était passé la semaine dernière. Si c'était bien la semaine dernière... Il se demanda soudain ce qu'il faisait en plein désert, à des dizaines de stades d'Alexandrie.
       Joas se tourna brusquement vers lui. A nouveau sur la défensive, Methos lut dans ses yeux avec soulagement une promesse de trêve. L'adolescent se laissa glisser jusqu'à terre et s'avança vers lui. Il l'examina longuement avant que Methos ne rompe le silence.
    "Pourquoi être revenu me chercher?" Ces quelques minutes lui avaient davantage laissé l'occasion de réfléchir que les secondes précédant sa mort, et il paraissait maintenant évident qu'il aurait du se "réveiller" longtemps avant le début de l'embaumement. Ce qui paraissait moins clair, c'était leur présence à tous deux au milieu de cette campagne semi-désertique. Et il y avait toujours cette désagréable impression que les temps ne concordaient pas.
       Joas ne parut pas l'entendre.
       "T'en fais pas pour nos affaires. Après ta mort, je suis retourné en ville et j'ai conclu les négociations. Je n'ai pas pu obtenir autant que ce que tu aurais eu -non, ne dis rien! Tu ne peux pas nier que l'apparence ne compte pas. Ils ne peuvent pas accorder la même confiance au riche négociant Grec et à son très jeune cousin adoptif d'origine barbare.- Mais on a tout de même une grande partie des droits sur l'importation du marbre et des vins grecs, et sur l'exportation de la plupart des produits de luxe. Et mieux, j'ai obtenu l'exclusivité de l'importation d'huile d'olive. Si on parvient à conserver le marché quelques décennies, on sera riche pour... oh, peut-être pas jusqu'à la fin de nos vies, mais pas loin. "
       Il l'observa à nouveau quelques instants. "La mauvaise nouvelle, c'est que ces négociations m'ont pris un jour entier..."
       Un jour entier... Methos se sentait de plus en plus mal. Il repensa à ce qu'il avait ressentit en se réveillant. Quelque chose n'allait pas... Il sentit le besoin soudain de s'asseoir. Adossé au muret, il murmura les yeux clos: "Mais qu'est ce qui s'est passé?..."
       Joas se laissa à son tour glisser le long du mur de vieilles briques. Il attendit en silence, le regard à nouveau tourné vers l'horizon.
       "Je ne suis pas revenu te chercher. Je voulais d'abord descendre le Nil, mais... je crois que je commence à en avoir assez de ce pays. Et le seul port suffisamment important pour pouvoir fuir d'ici, c'est Alexandrie. J'ai fait demi-tour. Je venais juste d'arriver en ville lorsque j'ai appris la mort du Pharaon. Puis la tienne. Tu savais que tu t'étais suicidé pour pouvoir être enseveli auprès de lui?" Il eut un petit rire." Très crédible, hein? Mais il fallait en profiter, tant que tu bénéficiais de ce prestige, et avant que les choses ne se compliquent. Grâce à ce suicide, j'ai réussi à faire baisser considérablement les charges sur l'importation de l'huile. Ta fidélité leur a plu, et je leur ai laissé entendre que notre entreprise était tout autant attachée au royaume... Ces négociations ont duré des heures. Mais lorsque je suis ressorti, personne ne criait au scandale, au sacrilège... Alors j'ai fini par aller jeter un coup d'oeil, et ton corps était encore là où ils l'avaient laissé. " Il se tut encore quelques secondes.
       "Tu sais, quand nous mourrons, il y a ce petit instant où nous... où nous n'"émettons" plus. Mais là... ça durait des minutes entières, des heures mêmes parfois. Et quand tu étais là, c'était... c'était si faible!"
       Il se releva brusquement avant d'ajouter sur un ton légèrement narquois:
       "Je t'aurais bien laissé à ton sort, mais je n'avais envie d'avoir à te chercher sous plusieurs coudées de terre lorsque je n'aurais plus que toi à vaincre. Et si jamais les choses tournaient mal pour moi, le temps que l'autre te retrouve, tu n'aurais pas vraiment été en état de résister. Quitte à ce que je ne sois pas le dernier, je préfère autant que se soit toi plutôt qu'un autre!"
       Les derniers rayons du soleil enflammaient le ciel. L'astre solaire allait bientôt laisser la place au croissant blafard de la lune. Joas murmura d'une voix un peu plus rauque qu'à l'ordinaire. "Et surtout, M... surtout, je sentais que quelque chose était anormal, je pouvais le sentir de l'autre bout de la ville. Je ne sais pas comment, mais je le sentais..."
       Methos l'observa avec inquiétude. Joas avait été réellement bouleversé. Depuis plus d'un millier d'année, il était passé maître dans l'art du camouflage, du mensonge et de la dissimulation, et pourtant il avait laissé sa voix le trahir. Il avait même failli dire "Methos", alors qu'il n'avait plus prononcé ce nom depuis sa fuite du campement des Horsemen, s'obstinant à identifier Methos à chaque nouveau nom qu'il portait, comme s'il s'agissait d'individus séparés, comme il le faisait pour lui même.
       Methos sentait qu'il aurait dû le laisser seul, mais il restait une question à poser. Il s'approcha doucement, évitant de le toucher car il savait que cela aurait été mal accepté. "Comment... comment ai-je pu rester inconscient si longtemps?"
       Joas haussa les épaules. "Ce n'est pas si difficile... Lorsque je t'ai traîné dans ce conduit creusé par des pilleurs, j'ai fini par sentir cette drôle d'odeur... Ca faisait si longtemps, j'avais presque oublié. " Il jeta un coup d'oeil à son voisin intrigué. "Il y a quelques siècles, un Immortel m'a recueilli, pensant que j'étais un pauvre petit Immortel sans défense fraîchement tué. Il allait de tribu en tribu, en exerçant ses talents de guérisseur. Et surtout, il faisait des expériences. Il voulait trouver un produit qui permette aux Immortels de revenir plus vite à la vie. Comme il ignorait que je savais tout du Jeu, il pensait que j'étais l'assistant idéal. Il se tuait et j'essayais sur lui ses produits. Bien sûr ça ne marchait pas, mais un jour il est resté mort beaucoup plus longtemps. Je ne lui ai rien dit, mais j'ai commencé à améliorer la formule. J'ai pu le maintenir inconscient pendant plus d'une journée, puis j'ai laissé tomber et je lui ai faussé compagnie en le bousculant un peu. Il ne s'attendait pas à se retrouver l'épée sur la gorge!... Et bien, le truc poisseux que tu avais sur toi avait presque la même odeur. Sauf que son effet était bien pire..." A mi voix, il ajouta: "Ca fait trois jours. Trois journées entières que tu es là."
       L'évidence sautait maintenant aux yeux. "Un Immortel aurait fait ça? Mais qui, et pourquoi?"
       "Lorsque j'ai été à Néapolis pour les négociations, j'y ai rencontré un autre Immortel. Il accompagnait le prince..." Coupant court à toutes autre question, Joas s'enfonça dans le bâtiment, interdisant son entrée par une vague menace.
       Lorsqu'il en ressortit une heure plus tard, éclairé par la lueur tremblotante d'une vieille lampe à huile, Methos ne put s'empêcher de le dévisager avec ahurissement. Il n'y avait plus rien du frêle adolescent à la peau encore trop pâle malgré un bronzage centenaire, habillé de riches vêtements helléniques comme se le devait le nouveau propriétaire de la plus importante compagnie grecque assurant le commerce avec Alexandrie. Methos avait à présent en face de lui un jeune Egyptien, les cheveux plus noirs que jamais, semblant tout droit sorti des bas fonds de la cité. Comprenant ses intentions, il s'apprêtait à lui demander avec colère des explications, mais il fut coupé dans son élan.
       "Quelqu'un doit bien le faire. Il te faut des informations, autant les demander à l'intéressé."
       "Ca ne marchera jamais!" Sous le regard désormais furieux de Joas, il continua: "D'abord, ton accent égyptien est abominablement... ancien. Ensuite..." Il fut interrompu par une série de jurons et d'insultes prononcés avec un accent digne des quartiers les plus populaires de la ville. Il se rappela que Joas avait eu six ans pour rajeunir son langage avant de pouvoir apparaître sur le devant de la scène et pouvoir rester jusqu'à la fin de façon crédible.
       Il le regarda monter sur l'un des chevaux qui avaient été laissé à l'attache de l'autre côté de la maison en ruine. Joas murmura quelques paroles indistinctes à l'oreille de l'animal avant de l'inciter à partir. Il lança par dessus son épaule: "Et n'oublie pas que pour cette ville, tu es MORT."
       Methos ne put s'empêcher de tressaillir en entendant le dernier mot. Il avait été choisi à dessein, pour le blesser. Et avec ce qu'il s'était passé ces derniers jours il avait parfaitement atteint son but. Methos ne tenta pas une nouvelle fois de le retenir.
       Ensuite..., personne ne croira que tu es Egyptien. Pas avec ces yeux...

* * *

       Après deux jours passés à attendre dans la ruine étouffante, il décida en commun accord avec lui même que Joas avait eu suffisamment de temps. Il ignorait où il était exactement, mais Alexandrie ne pouvait que se situer vers le nord est. Le soleil et les vents encore chargés d'humidité apportés par la mer auraient pût lui indiquer la direction approximative si la cité riche de son million d'habitants et son activité incessante ne s'en étaient chargées, illuminant le ciel durant le début de la nuit d'une lueur visible à une dizaine de milliers de coudées de distance.
       Il s'approcha lentement du cheval, qui reculait nerveusement. Il remarqua le tressage particulier de quelques brins de sa crinière, qui marquaient très clairement l'identité de son propriétaire. Joas l'avait élevé. Et Methos connaissait celui qui avait été son exemple bien des années auparavant. Lui aussi avait souvent observé Silas avec fascination. Doucement, il se mit à parler au cheval, adoptant la mélopée millénaire utilisée par son "frère". Les paroles elles mêmes n'ayant guère d'importance, il récita un passage de l'Odyssée. Et tant pis pour la métrique!
       Plus séduit par le ton que par le texte homérique, le cheval se laissa monter sans plus de problème.
Alexandrie     La nuit était déjà tombée depuis longtemps lorsqu'il pénétra dans la cité. L'obscurité qui avait envahi les ruelles lui assurèrent l'anonymat jusqu'aux secteurs majoritairement occupés par les Juifs. Cette destination avait deux avantages; il était relativement inconnu dans cette partie, Joas ayant insisté des années auparavant pour s'occuper de toutes les transactions avec ses occupants. Et là se trouvait une succursale de leur compagnie: situé loin des fastes de la Néopolis, du palais et de ses dépendances, le bâtiment semblait appartenir à une autre ville, libre de l'arrogance des Grecs et de leur emprise sur ce pays. Ils l'avaient acquis moins d'un mois après leur arrivée. Le pays dont ils se souvenaient, qu'ils s'attendaient à retrouver, avait fait place à un monde nouveau, déformé.
       Lorsqu'il entra enfin dans la maison, Methos dût se résoudre à y attendre encore une journée: le jour était sur le point de se lever, lui interdisant de se promener librement dans la ville. Il s'allongea sur une banquette, sachant que personne ne viendrait l'y déranger.
       Il fut pourtant réveillé au milieu de la journée. Quelque chose avait bougé dans la pièce, et même l'avait effleuré. Il attendit en silence, respirant à peine. Il fut frôlé à nouveau le long de la joue par quelque chose de soyeux. Dans un mouvement brusque et presque instinctif, son bras vint s'emparer de l'objet gênant. Il n'eut pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir de quoi il s'agissait: un miaulement rageur et une soudaine sensation de brûlure le long de l'avant bras se chargèrent de le renseigner. Il ne conserva l'animal que le temps de s'assurer de son identité avant de le lancer à l'autre bout de la pièce. Prudemment, en surveillant les yeux emplis de haine qui l'observaient de dessous un meuble bas, il s'approcha de la jarre emplie d'eau pour soulager la souffrance de son bras tailladé.
       Tandis qu'il regardait d'un oeil critique les blessures qui se refermaient une à une, il reconsidéra la situation. Miou était ici. Etant donné son caractère extrêmement sociable, une seul chose avait pu le retenir dans cette ville, et l'amener jusqu'ici. Ou plutôt une seule personne. D'une manière ou d'une autre, le chat savait que Joas passerait ici. Il n'avait qu'à l'y attendre.
       Lorsque la sensation depuis longtemps attendue vint enfin, il ne put s'empêcher de sortir son épée. Il n'y avait aucun risque qu'un autre Immortel ne vienne ici. Et pourtant il ne pouvait se retenir de l'attendre une épée à la main. Ce qui lui permit de parer le coup mortel qui suivit de peu l'ouverture soudaine de la lourde porte. La violence du choc sépara d'elle même les deux combattants. Mais là encore, même après s'être reconnu, ils ne parvinrent pas à rengainer leur armes. Au plus profond de lui, une voix calme murmurait à Methos qu'il n'y avait aucun réel danger à redouter. Mais à la surface il ne ressentait que la haine. Il leur fallut quelques secondes pour enfin baisser leur garde. Dans les regards, la haine laissa peu à peu place à la méfiance, avant que tout sentiment ne soit à nouveau oblitéré par les masques impassibles qu'ils avaient patiemment construits au cours des siècles.
       Joas le laissa cependant s'impatienter quelques minutes avant de lui exposer les événements des jours précédents. Il s'était arrangé pour rencontrer "accidentellement" l'autre Immortel, qui l'avait pris à son service. Skepsis avait besoin d'aide pour réaliser les tâches associées à ses intrigues, et celle d'un jeune Immortel connaissant à l'évidence tous les secrets de la cité paraissait idéale. D'autant plus que les quelques années supplémentaires apportées par son immortalité à son jeune protégé semblaient lui avoir réussi: un homme de main maîtrisant les principales langues employées à Alexandrie pouvait lui être d'une aide précieuse...
       Deux soirées suffisamment arrosées par la bière locale et les vins grecs avaient avantageusement remplacé la confiance que ne peuvent procurer deux uniques journées, et Skepsis s'était laissé aller à quelques confidences. Après tout, que pouvait il craindre d'un aussi jeune Immortel? Ses ambitions étaient simples: il désirait s'emparer de la deuxième place au gouvernement, et régner ainsi par procuration. Quitte à employer quelques poisons si cela était nécessaire, pour affaiblir le roi et le rendre vulnérable à son influence. Mais il y avait un obstacle à sa cupidité et à sa soif de pouvoir. De passage à Alexandrie quelques années auparavant, il avait décelé, dissimulé parmi la foule rendant hommage au pharaon, la présence d'un autre Immortel proche du souverain. De peur que celui-ci ne contrecarre ses plans au nom d'un prétendu mythe interdisant aux Immortels de régner, il avait décidé de le supprimer. Un duel pouvait être risqué, et ses conséquences par trop visibles. De plus on ne manquerait pas de s'interroger sur la manière dont un proche du pharaon avait perdu la tête, et une enquête serait menée. Il avait donc opté pour l'utilisation d'une potion que lui avait involontairement légué un autre Immortel, à titre "posthume".
       Methos resta silencieux quelques instants. Une sourde colère montait en lui, à l'idée de ce qu'il aurait pu avoir à subir durant des siècles. Il y avait aussi une lourde menace qui planait sur l'avenir déjà incertain de ce pays. "Il faut l'arrêter..."
       "Mais on ne peut pas le tuer, juste comme ça. Un mort par décapitation au beau milieu de Néapolis, ça passe rarement inaperçu...". Il réfléchit un instant, ou plutôt fit semblant de réfléchir. Methos ne doutait pas qu'il ait déjà tout prévu à l'avance. "Je peux le faire venir à l'écart de la ville. Tu te souviens de cette bâtisse qui appartient au palais? Il l'a déjà utilisé à plusieurs reprises. Je pourrais l'y attirer ce soir sous un prétexte quelconque. Une mort en dehors de la ville n'étonnera personne."
       "A quelle heure est-ce..."
       "Non!" le coupa Joas d'un ton catégorique. "Il est à moi. Il a aussi tué quelqu'un que je connaissais. Ce type n'était pas méchant, il faisait même de son mieux pour aider les mortels... Ce produit, il l'a déjà utilisé. Il n'hésitera pas à s'en resservir. Et c'est en partie à cause de moi!" Pour mieux éviter toute autre discussion, il se releva et se dirigea vers la porte.
       Mais il s'arrêta un instant, les sourcils froncés, en apercevant Miou sous le meuble. "Mais... qu'est-ce qu'il a? Il a l'air bizarre..."
       Methos lui répondit en affichant l'air le plus innocent qu'il lui soit possible: "Je n'en ai aucune idée..."
       En regardant la mince silhouette s'éloigner dans la rue il sut qu'il était impensable que Joas affronte l'Immortel. Et même si on laissait de côté le fait que Methos ait de meilleures raisons d'effectuer ce combat, et qu'il avait plus de chances de le remporter, même sans cela il ne pouvait laisser le combat à Joas. Il savait que le jeune Immortel redoutait les Quickenings et avait besoin de s'y préparer avant de pouvoir accepter d'en recevoir un. Or Methos n'avait vu au cours de la soirée aucun signe d'une telle préparation. Il n'était pas prêt à combattre: s'il se battait, Joas irait à une mort quasi certaine.

* * *

       Il faisait nuit depuis longtemps lorsque Joas arriva à proximité de l'endroit où l'attendait Methos. Il ne répondit pas à son nom et Methos dut l'attraper par le bras pour le forcer à s'arrêter. Il ne savait que dire pour le convaincre, et il savait aussi qu'aucune parole n'y parviendrait. Il aurait pu retourner chercher au fond de lui même ce qui avait fait de lui l'un des Horsemen, mais cela n'effrayait plus Joas depuis longtemps. Alors, plongeant le regard dans les immenses yeux verts, il tenta de communiquer à travers ce fragile lien les sentiments qui l'animaient, ceux des derniers jours et ceux de ce soir là. Et avec soulagement il vit soudain la compréhension naître dans le regard qui soutenait le sien. Fermant lentement les yeux, Joas murmura: "D'accord, je te le laisse.".
       "Je suppose qu'il ne laissera pas entrer n'importe qui?"
       Joas nia d'un mouvement de tête. "Il y a un signal..."
       Tandis que Methos s'éloignait, Joas rouvrit les yeux pour le voir partir. Lorsque l'Immortel eu disparu dans la nuit, il souriait...

* * *

       Methos s'avança dans l'obscurité vers la maison. Arrivé à proximité il sentit la présence d'un autre Immortel l'envahir. Il frappa doucement à la porte selon le code que lui avait indiqué Joas et attendit son ouverture. Le lourd panneau de bois s'ouvrit dans un grincement et il se retrouva face à face avec Skepsis. Celui ci le regarda avec surprise quelques instants, puis alla calmement prendre sa propre épée. Avec un air mauvais il invita Methos à le suivre dans le jardin.
       Skepsis lança l'attaque par surprise, se retournant brusquement pour surprendre son adversaire. Methos avait vu trop souvent ce genre de tentative et, déjà sur ses gardes, il para facilement le coup. Mais l'autre enchaîna une seconde attaque aussitôt, qui laissa les bras de Methos engourdis par la force du choc. Il ne put faire autre chose que parer les coups suivants qui s'enchaînèrent avec une violence inouïe. Skepsis remplaçait avantageusement son manque d'agilité et de finesse par la force avec laquelle il maniait son arme. Peu à peu, Methos fut contraint de reculer jusque dans la maison. Les quelques contre-attaques qu'il avait pu mener avaient touché au but, mais sans entraîner de blessures suffisamment importantes: sitôt qu'il réussissait à passer les défenses plutôt faibles de son adversaire il devait se retirer pour éviter la lame qui s'approchait dangereusement de sa tête. Et ses bras qui encaissaient à chaque parade les violentes vibrations du choc des deux armes étaient à présent raides de crampes qui lui laissaient peu d'espoir de porter un coup fatal.
       Il allait être acculé dans un angle de la pièce lorsque la figure de son adversaire exprima soudainement une violente surprise, avant de se figer dans une grimace de douleur. Il tomba lentement sur les genoux en tentant d'atteindre son dos. Methos aperçut un manche de poignard en dépasser. En relevant la tête il vit une silhouette dans l'encadrure de la porte. "Désolé! J'ai vraiment pas pu m'empêcher de..." Avec un violent effort et beaucoup de détermination, Methos réussit à déceler dans la voix un petit peu de remords. Sans s'attarder sur d'éventuelles interrogations philosophiques concernant l'existence improuvée et le non-respect de certaines règles, il décida de saisir son avantage et de trancher définitivement la question du vainqueur.
       Il s'attendait à voir s'enfuir Joas avant l'arrivé du Quickening, mais celui-ci examina le plafond pensivement pendant ce qui parut à Methos être une durée interminable. Il fronça les sourcils et se mordit la lèvre d'un air soucieux, parut sur le point de dire quelque chose, avant de bondir soudainement dans la pièce en direction de Methos. Sans trop savoir s'il y avait été poussé ou tiré, celui ci se retrouva à genoux dans le jardin juste au moment où les premiers éclairs du Quickening le frappèrent, le plongeant à nouveau dans un monde de douleur.
       Lorsqu'il en émergea, ce fut pour constater qu'un monceau de décombres s'amoncelait devant lui..

* * *


Le Phare d'Alexandrie       Le vent qui venait du large n'apportait pas que l'odeur iodée de la mer. Même s'il savait que cela ne pouvait être possible Methos y discernait aussi des senteurs étrangères, qui semblaient vouloir l'attirer ailleurs. Il sentait que le départ tant attendu était proche: il n'y avait eu que des déceptions ici, ils ne pourraient revenir à Alexandrie que lorsqu'ils auraient fait le deuil de l'ancienne Egypte.
       La sensation d'un autre Immortel ne le détourna pas de sa rêverie. Avec le temps, il était parfois possible de reconnaître certains Immortels par ce biais. Sans dire un mot, Joas s'assit à ses côtés, face au port et à son île. Il savait qu'il voulait également quitter ce pays, mais il n'avait pas jusqu'à présent exprimer le désir de l'accompagner. Methos avait reculé le plus longtemps possible le moment de le lui demander. Il savait qu'il n'allait pas aimer la réponse. Là encore le courage lui manqua, et ce ne fut pas lui qui rompit le silence.
       "J'ai remis de l'ordre dans nos affaires, et je pense que ça pourra marcher sans nous pendant un bout de temps. Je... Mon bateau part demain."
       "Tu ne veux pas venir avec-"
       "Non!"
       "C'est à cause de ce qui s'est passé l'autre soir?"
       "Ce qui s'est passé l'autre soir, ce qui s'est passé ces derniers jours, ... Ca va recommencer. Peut être pas tout de suite, mais dans quelques semaines, dans quelques mois tout au plus..."
       Il se retourna enfin, regardant Methos pour la première fois. La brise en lui ébouriffant les cheveux vint rabattre une mèche sur ses yeux, mais Methos avait eu le temps d'apercevoir son regard, d'apercevoir le doute et la peur qui l'habitaient.
       "... Et à ce moment là, je sais que je ne serais pas le vainqueur. Je ne peux gagner qu'en détournant les règles, qu'en trichant un peu pour rétablir l'équilibre, mais je n'arriverais pas à le faire contre toi. J'y ai beaucoup réfléchi, j'ai même essayé parfois de voir si je serais capable de le faire, mais ça n'a jamais marché."
       Methos sentit un frisson lui parcourir en imaginant Joas, debout derrière lui un poignard à la main, tentant de se convaincre de le lui planter dans le dos. Il écarta rapidement cette évocation angoissante pour réfléchir aux implications de ce qu'il venait d'entendre. S'ils en venaient véritablement à se combattre, ils n'abandonneraient pas en cours du duel comme ils l'avaient fait la dernière fois. Il y aurait forcément un vainqueur, et à moins de changer les données, il finirait par remporter le combat. De même que Kronos aurait eu l'avantage physique sur lui, Methos aurait l'avantage physique sur Joas. Or Joas pensait... non, *savait* qu'il ne pourrait pas utiliser ses tours habituels.
       Une pensée lui vint à l'esprit, et se fit de plus en plus insistante. Il commençait à comprendre ce qui se passait, mais il avait besoin de le vérifier. Il parla à mi-voix:
       "C'est étrange... Je pensais le contraire. Je croyais que si la situation s'envenimait, tu prendrais les devants et que lorsque tu te sentirais prêt pour un Quickening, il serait déjà trop tard pour moi. Et même si j'étais arrivé à prendre le dessus, je ne crois pas que..." Il s'arrêta un instant. Cela ne lui était jamais apparu aussi clairement auparavant. "... Je sais que je n'aurai pas pu te tuer."
       Il croisa à nouveau son regard, et il sut qu'ils pensaient tous deux à la même chose. Joas avait pensé avoir le dessous lors d'un combat, et Methos avait pensé qu'il aurait tout préparé pour que se ne soit pas le cas. Et chacun savait que même s'il avait été en mesure de remporter ce combat, il n'aurait pu tuer l'autre. Peu à peu, au fil du temps, la peur avait monté inconsciemment, et avec elle la haine. Elles ressortaient périodiquement, et ils se séparaient avant que les choses n'empirent, mais cette dernière fois ils étaient restés trop longtemps ensemble avant que cela n'éclate, et ils avaient frôlé la catastrophe.
       Son voisin lui adressa une grimace désabusée avant d'éclater soudain de rire. Methos en aurait bien fait autant mais ces jours ci il ne tenait pas tellement à se faire remarquer. Il attendit que son compagnon se calme un peu pour lui tendre la main. "Et si on repartait de zéro?"
       Le regard de Joas se fit plus grave. "Je ne crois pas... je ne crois pas que ce soit possible..." Methos compris alors ce qu'il aurait dû savoir depuis longtemps. Malgré tout ce qui se pourrait se passer, il y aurait toujours le souvenir de ce qui s'était passé chez les Horsemen, le souvenir de la première minute de leur rencontre, celle où Methos avait décidé s'il lui laisserait ou non la vie. Les yeux du jeune Immortel s'éclairèrent à nouveau avant qu'il ne lui serre la main: "...mais on peut faire semblant."
       "Tu pars toujours de ton coté?"
       "Oui. La Terre promise... Depuis dix ans qu'on est ici, j'y des contacts. Et puis j'ai choisi le nom de l'un de leurs rois. Il est temps que j'aille voir à quoi ça ressemble... en ce moment!"
       Ils restèrent en silence quelques instants encore face à la mer. La forme du phare baigné par la lumière du soleil se découpait nettement sur l'horizon. Joas pointa du bras les silhouettes à son pied.
       "Regarde. Un nouveau pharaon est monté sur le trône, mais l'ancien est toujours ici. Figé dans la roche pour l'éternité. Nous sommes peut-être immortels, mais lui aussi. Cette figure de pierre lui donne l'immortalité."


Paris, 7 mai 1998

Ptolémée II (en maillot de bain?), repêché dans le port d'Alexandrie       Avec un demi sourire, Adam examina le colosse. Joas n'avait pas eu totalement tort, mais il n'avait pas eu raison non plus. Si la statue avait conservé dans la pierre l'image de la jeunesse du pharaon, le temps ne l'avait cependant pas épargnée. La figure mutilée, le corps incomplet, privée de sa compagne, la statue n'était plus qu'un témoin du passé sur l'identité de laquelle les archéologues se posaient encore des questions.
      Son sourire se figea lorsqu'il aperçut à ses cotés le graffiti qui ornait le trottoir. Un oeil exercé aurait pu y déceler une inscription en démotique
, mais Adam y vit bien plus encore. Avec joie il reconnut la manière particulière dont étaient formées les lettres.
      Il y avait un aspect particulier de l'immortalité qu'une statue n'avait pu apporter au pharaon. Jetant un dernier regard à l'inscription avant de reprendre sa route
, Adam se sentit en vie.

 

Jaouen

Septembre 1998