Fin

Par Frédéric Jeorge & Ludovic Laborie
14 mars 98, de 1h15 à 2h45 du mat.






           Les temps finaux sont là. Les êtres pensants l'ont prévu autrefois, mais rien n'aurait su retarder ou même contrarier la mort cosmique. L'univers tel que nous le connaissons est né un jour. Comme il est né, il doit mourir. Et c'est pour bientôt.



           Il est assis dans sa capsule, regarde au dehors le fond du ciel qui n'est plus noir depuis longtemps, mais qui, après toutes les nuances de rouge et de bleu, vire de plus en plus vers un blanc insoutenable, immaculé, où tout ce qui fut la matière se rencontre et se sublime pour ne former plus qu'un vaste chaos de rayonnements et de particules dissociées.



           Seul, désespérément seul au milieu de ce maelström, le dernier être vivant, le dernier îlot de matière même, vogue sans espoir vers une fin certaine et imminente. Son esprit pourtant s'évade une ultime fois vers un lointain passé, dont rien ne subsiste à part lui.



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           A cette époque, l'univers était encore relativement jeune, et très grand. En son sein s'épanouissaient des milliards de galaxies, des trillards d'étoiles, des nébuleuses et des trous noirs, des pulsars, des nuages, des gaz, des roches, des choses enfin, qui existaient alors, qui vivaient à leur façon, en cycles de vies et de morts minérales et atomiques.



           En certains endroits, certaines réactions se sont développées et mélangées pour donner un phénomène rare et merveilleux, la vie.



           Cette vie, parfois, a elle-même évolué. Des cellules, des plantes, des amibes, puis des animaux. Parfois, ils se sont redressés, ont parlé. Ont pensé. Et ils sont partis de chez eux. Il y eut des troubles, de grandes périodes de prospérité. Des cités tentaculaires, couvrant des mondes entiers, puis s'affranchissant des contraintes même des sols et de la lumière d'un seul soleil.



           Leurs corps étaient encombrants, ils les ont domptés, et à force de recherche, de technique, ils ont dominé l'univers. Ils le pensaient.



           Ils étaient en harmonie avec le monde, avec les mondes, mais l'harmonie ne saurait être éternelle.



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           Les temps heureux passaient, les signes ne trompaient pas. Alors les anciens instincts que l'on croyait oubliés ont ressurgi, et ce fut à nouveau les luttes pour la survie à long terme. On s'est battu pour les terres, pour l'énergie, pour le savoir, pour la matière. Pour l'avenir.



           Encore plus tard, ils ont quitté leurs terres devenues instables, assimilé leurs énergies, digéré leur savoir, perdu le contrôle de la matière. Perdu la connaissance de l'avenir.



           Ils ont erré, confinés dans des coques blindées, cherchant en vain des mondes sanctuaires ou ne serait-ce qu'une étoile, un soleil qui voudrait bien les accueillir en ces temps incertains. Mais il était déjà trop tard.







           A présent il n'y a plus d'étoiles, plus de vaisseaux, plus de compagnons, plus de matière ni de savoir. Plus d'avenir non plus. Il est le dernier, le seul, l'unique. Mais pour combien de temps encore ? Il n'a plus d'âge. De toute façon, il est enfermé seul avec le silence et l'ombre dans cette sphère de technologie, depuis plus d'un milliard d'années, sans issue possible, il ne peut que contempler à l'extérieur son destin qui se rapproche, inéluctablement.



           A force de se contracter, l'univers retourne à sa dimension originelle. Dans quelques siècles à peine, le Big Crunch sera la fin de tout… Du vaisseau dantesque des origines, il ne reste à présent qu'une sphère où il a peur. Il a peur car il a vu pour la première fois depuis des temps immémoriaux la mort. Ses compagnons n'ont pas survécu à la simplification essentielle à la survie d'au moins l'un d'entre eux. Ils sont morts, il a vécu, mais ce n'était qu'un sursis. Il a gagné un petit milliard d'années, toujours seul, face à face avec la science, dans une sphère de deux mètres de diamètre. Mais l'échéance est là.



           Autour de lui, l'univers n'est plus noir. Il est rouge, puis blanc de tout ce que fut la matière accumulée, qui se condense en rayonnement pur, de température et de pression infinie. L'univers se contracte encore, et tant et plus qu'à la fin Tout est à peine plus grand que sa sphère.



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           Tout a été vain. Aucune technique ne peut lutter contre ce qui la compose. Il faut céder, la lutte est sans espoir. Il se résout, et agit. Sa décision a été mûrie pendant longtemps. Une simple impulsion de son esprit suffit. Il se débranche. C'est tout. Le Dieu de la technologie n'aspire plus qu'à ne plus être. Et de toute façon, plus rien n'est.





           C'est la fin.



           Ou le recommencement ?





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