Journal
d'une caisse
Traduit du vrombrissement
par Frédéric Jeorge en 1995
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Je me souviens
du jour de ma naissance comme si c'était hier, et pourtant, cela remonte
à bien des années…
À ce moment-là,
toute la ville de… Mais, au fait, je ne me suis même pas présentée.
Pardonnez-moi, je reprends.
Je suis une
Ford Thunderbird Sports Roadster, version 1962, de tout premier choix,
avec une superbe motorisation et des équipements de luxe. Ou plutôt
j'avais, mais ne précipitons pas les choses. Vous pouvez m'appeler
Thundy, ou encore Roméo, ou Hija Loca, selon les noms que j'ai reçus
au cours de mes trente-trois années d'existence, ce qui est long pour
une voiture, croyez-moi.
Je suis donc
née un matin de mai 1962, sur la chaîne de la nouvelle usine Ford
de Détroit, États-Unis. Ma Conscience est apparue peu à peu, à mesure
que l'on assemblait mon châssis, mon moteur, mes sièges. Vous trouverez
peut-être étrange qu'une simple voiture ait une conscience, et déjà
qu'elle soit là, à vous parler. Pourtant, il arrive parfois, lors
des cuvées exceptionnelles, que l'une d'entre nous s'humanise intérieurement.
Souvent, les hommes n'en savent rien, mais rappelez-vous le livre
"Christine", de Stephen King ou les films "la Coccinelle"… Les légendes
ont toujours un fond de vérité.
Vers quinze
heures ce même jour, on finissait de coudre mes sièges en cuir rouge,
on fixait mon volant et dès le soir je me trouvais avec des consœurs
dans le camion qui nous emmenait chez le concessionnaire. Je n'ai
que peu de souvenirs de celui-ci, à part ma première toilette, lorsque
l'on lava mon pare-brise et que l'on posa le panneau du tarif sur
mon capot lustré. Ah, je crois que sans ce panneau, le moindre badaud
serait venu m'emporter, tant ils m'admiraient tous, plissant le front
et le nez derrière la vitrine ou j'étincelais de tous mes chromes.
Je passai une
semaine environ sur ce présentoir où les clients venaient, s'asseyaient
aux commandes, s'extasiaient sur les lignes de ma carrosserie, tandis
que le vendeur vantait mes mérites et les performances de mon V8 culbuté
qui me permettrait d'atteindre les cent vingt miles à l'heure. Beaucoup
repartaient avec une de mes consoeurs mais un jour, John Mac William
vint et me demanda, car j'étais le seul modèle qui combinait intérieur
"cuir rouge" et carrosserie "gris métallisé". Les papiers furent faits
sur-le-champ, et le lendemain matin, on m'enveloppa d'un énorme nœud
aussi écarlate que mes sièges et le patron lui-même prit le volant.
Je sortis doucement,
en marche arrière, du présentoir, puis de la vitrine et enfin du parking.
Dehors, je fut éblouie de tant de soleil, d'air ; le bitume qui déjà
filait sous mes pneus neufs chuintait légèrement. On me gara à la
porte d'une grande propriété d'où s'échappaient de la musique et des
rires. Soudain, un jeune homme surgit en criant :
- Où ça, Papa ?
Avant de m'apercevoir et de courir vers moi. Il ne cessait de répéter
- C'est pas vrai, c'est pas possible !
Son père qui l'avait rejoint, lui passa le bras autour des épaules.
- C'est bien celle que tu voulais, n'est-ce pas ?
Pour toute réponse, celui-ci lui serra la main avec un grand sourire,
avant d'arracher le ruban de satin.
Il s'assit,
régla le siège, les rétroviseurs.
- MA Thunderbird, j'en reviens pas…
Les clefs étaient sur le contact, il démarra. Puis il leva le bras,
lentement, enclencha le D3 avec réverence. D'autres jeunes sautèrent
à côté et derrière, en criant comme des fous. Il lâcha le frein et
je partis, entraînée par la faible pente et mon élan moteur. Soudain,
cédant aux cris de ses amis, il écrasa à fond l'accélérateur. Dans
la seconde, j'étais à 6000 tours / minute, tandis que mes roues arrières
dérapaient dans un crissement assourdissant. Sitôt l'adhérence retrouvée,
je bondis en avant, au milieu des jurons des garçons, des cris des
filles et de la poussière de la route.
Pendant un quart
d'heure, mon conducteur tourna et retourna dans le quartier, semant
la terreur parmi les vieilles dames et les petits chiens, chassant
de l'arrière dans les virages, pilant aux feux et repartant dans un
hurlement de cylindres.
Il faut vous
dire que j'étais une voiture de sport du dernier cri, conçue pour
contrer commercialement la Jaguar XK 120 et la Corvette. Mon succès
mérité dura longtemps, puisque, sous différentes versions, je fus
produite de 1954 à 1963. C'est un jeune styliste qui trouva mon nom,
lorsque j'étais encore à l'étude en 1953. Il passait ses vacances
sur la frontière mexicaine, où beaucoup de motels et de snacks portent
le nom de cet oiseau mystique, "thunderbird", "l'oiseau foudre".
Le soir de son
anniversaire, car mon premier propriétaire venait d'atteindre sa dix-huitième
année, il me rangea amoureusement dans son garage, me lava, me bichonna,
et me baptisa "Thundy".
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Pendant près
de trois mois, John s'occupa bien de moi, m'emmenant partout avec
lui et m'entretenant avec un soin jaloux La plupart du temps, mon
panneau arrière était en place, car il était en général seul, mais
parfois il l'enlevait afin de disposer de mes quatre places pour ses
amis.
Du jour où
Emma s'assit à côté de lui, elle ne le quitta plus guère. Il décalait
le rétroviseur central pour la voir en conduisant, lâchait le volant
pour lui caresser les cuisses, l'embrassait aux feux rouges.
Un soir, nous
allâmes voir un film au drive-in. Ma capote était relevée à cause
de la bruine qui s'était mise à tomber, et la banquette arrière avait
été dégagée. Dès le début de la séance, il la fit passer derrière.
D'abord effarouchée, puis complaisante, elle lui céda bien vite.
Leur aventure
dura près de cinq mois et j'étais maintenant bien rodée. Pourtant,
depuis quelques temps, il s'occupait moins de moi, passant plus de
temps au téléphone ou en sortie que dans le garage à me bichonner
en me racontant ses problèmes.
Puis ils se
disputèrent, une fois, deux fois, et plus encore. Lorsqu'elle en eut
assez, elle partit. Sans préambule. Ce soir là, il se saoula comme
jamais et quand il vint me reprendre devant le bar, ses mains tremblaient.
Il roula plus vite que d'habitude, beaucoup plus vite. À la sortie
de la ville, les 350 chevaux ronflaient sous mon capot à leur maximum.
À mon compteur, l'aiguille flirtait avec le cent vingt, et dans les
virages il n'ôtait même pas son pied de l'accélérateur. Il y avait
un endroit surnommé "la nourrice", à cause de son virage en V, tristement
célèbre dans l'histoire de la région pour les nombreux accidents qu'il
provoqua.
Dans son état,
le pauvre John était incapable de réagir et je ne pus que légèrement
influencer la trajectoire avant que le parapet ne cède sous mon pare-chocs
d'acier comme une tige de verre.
Je sautai la
bosse résiduelle du bitume avant de dévaler quelques mètres de pente
herbeuse pour m'écraser dans un petit rû sablonneux. Aussi curieux
que cela puisse vous paraître, je perdis connaissance et à mon réveil
je vis la tête ensanglantée de John sur mon capot après qu'il ai été
projeté à travers par mon pare-brise, dont les débris étaient fichés
partout dans son corps. Son sang se mêlait à la boue de la rive, était
emporté par l'eau claire et froide qui m'arrivait aux ailes et donnait
au cuir de mon tableau de bord une couleur plus sombre qui ne s'effaça
jamais tout à fait.
On me retrouva
le lendemain et tandis que mon propriétaire était emmené à la morgue,
une dépanneuse me sortait de la vase. On me nettoya, me répara, et
ce fut mon premier passage chez un vendeur d'occasion.
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Occasion. Ce
mot qui me semblait alors insultant, je m'y suis habituée depuis,
par la force des choses, mais quelle fut mon humiliation lorsque je
me suis retrouvée parmi des épaves et de vieilles voitures asthmatiques
dont personne ne voulait, avec sur ma capote relevée un panonceau
"Second hand". Heureusement, je ne devais pas rester longtemps dans
cet endroit détestable. Un homme d'un certain âge, par ailleurs fort
respectable et respecté, Mr Higgins, avait besoin d'une nouvelle voiture,
la sienne, une Ford modèle T de 1924, ne pouvant plus servir que pour
l'amusement des petits-enfants dans le jardin. Les sinistres circonstances
qui causèrent ma remise en vente m'avaient donné mauvaise réputation,
aussi mon prix était-il modique par rapport à mon standing et au fait
que j'étais réparée et comme neuve.
Ma vie à la
ferme fut très tranquille. Je sortais parfois en semaine lorsque Higgins
se rendait en ville, et le dimanche pour emmener sa famille à la messe.
Le reste du temps, je me reposait dans la grange, entre le foin et
les poules. Aucun événement ne vint troubler la quiétude des trois
années que je passais ici, et jamais mon moteur, prévu pour les plus
folles virées sportives n'eut à dépasser les trente miles à l'heure.
Un jour, c'était en mai je crois, alors que les jours devenaient plus
longs et plus chauds, mon propriétaire tomba en descendant de son
tracteur. La colonne vertébrale cassée, il demeura paralysé.
À partir de
ce jour, plus jamais la porte de la grange ne s'ouvrit en grand pour
me laisser sortir, on n'entrait que pour prendre des brouettées de
paille, et peu à peu je disparus, enfouie sous le foin, les œufs de
poules et les crottes d'oiseau tombées du toit qui se désagrégeait,
faute d'entretien. À côté, la Ford T n'était plus qu'une carcasse
incapable de me répondre.
Longtemps après,
alors que j'avais totalement perdu la notion du temps à force de rester
seule dans mon coin, un grincement se fit entendre, qui n'était autre
que celui de la grande porte ! Du fond de mon réservoir déshydraté,
jusqu'au bout de mes courroies desséchées, le souvenir de l'air frais,
du soleil et du bitume me rendit nostalgique. Quelqu'un fouillait
la grange et soudain un cri d'enfant - ah, un enfant… - me parvint.
- Regarde papa ! Qu'est-ce que c'est ?
- C'est une vielle voiture, mais il n'en reste pas grand-chose.
- On pourrait la réparer, dis ?
- Penses-tu, elle a plus de quarante ans, quarante-trois pour être
précis ! Il y a une photo dans l'album où Grand-mère me tient dans
ses bras alors que nous faisions le tour des terres avec.
"Mon Dieu" me dis-je, il s'est donc passé tant de temps ? Mais j'entendis
de nouveau le crissement de la paille et une petite main cogna mon
pare choc arrière.
- Aïe ! Regarde, une autre !
Ouf, ce n'est pas de moi dont ils parlaient, mais de ma voisine. Je
fis un rapide calcul. Elle datait de 1925 à peu près, 25 plus 43 font
68 : 1968. Un an, non, deux que je suis au rencard…
- Mais oui, je m'en souviens à présent, grand-père en avait acheté
une autre un peu avant ta naissance. Elle devrait me revenir aussi.
Pauvre vieux, il l'aimait bien cette voiture…
Et c'est ainsi
que j'appris la mort de Mr Higgins senior, à l'âge de soixante dix
neuf ans, après un an et demi de paralysie, suivi de sa femme, le
mois suivant. Six mois s'étaient écoulés jusqu'à l'arrivée de ses
héritiers, depuis New-York où ils travaillaient. Ils se retrouvaient
avec une vielle ferme dont ils n'avaient que faire mais que personne
ne voulait vendre pour autant.
Mr Higgins (le
jeune) et son fils entreprirent de me dégager. Le père, amateur de
vieilles voitures, reconnut en moi une voiture de collection et décida
de remettre en état pour me vendre et rentrer un peu dans ses frais.
Pendant tout
l'été, il s'amusèrent à changer mes pneus, ma batterie, à me nettoyer
de fond en comble (et croyez-moi, il y avait du travail. Ensuite,
il tenta de me revendre dans la ville où l'on m'avait achetée, mais
nul ne voulait me reprendre, même à un prix intéressant. Pensez donc,
chaque fois on me revend à cause de la mort de mon propriétaire !
Finalement,
il me mit en dépôt-vente. À nouveau je me retrouvais, flambant neuve,
au milieu d'antiquités. Certes, je commençais à dater un peu, six
ans, mais mes performances restaient tout à fait honorables grâce
aux réparations soigneuses dont j'avais été l'objet.
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C'est un groupe
de jeunes, portant la barbe et les cheveux longs, qui m'acheta alors
que leur Buick, elle aussi d'occasion, venait de lâcher. Ils n'avaient
pas le temps d'attendre sa réparation, c'est pourquoi ils m'échangèrent
contre la leur. Ils se rendaient à un grand concert dont le nom m'échappe,
Wodstick, Woodstock, quelque chose dans ce genre-là. Pendant ces trois
jours, je restais stationnée au bord de la route en compagnie de centaines
d'autres véhicules immobiles, tandis que mes nouveaux propriétaires
finissaient à pied. Le soir du quatrième jour, ils revinrent tous
les cinq, sales et épuisés, mais heureux. J'appris plus tard que ce
concert devait rester gravé dans l'histoire. Et je puis dire, "j'y
étais !".
Ensuite, trois
d'entre eux rentrèrent à Boston tandis que les deux autres décidèrent
de faire une virée en Alaska ! Durant deux semaines, nous traversâmes
tous les Etats Unis et passâmes la frontière du Canada. Je roulai
vaillamment à travers ces plaines, ces déserts, ces montagnes, mais
on avait beau m'avoir réparée, cela faisait beaucoup pour mes cylindres
usés. Ils finirent par me laisser à Vancouver, pour prendre une voiture
mieux équipée pour résister au froid (il est vrai que ma capote n'était
pas assez isolante). Un couple de Suisses en voyage m'acheta pour
une bouchée de pain, avant de partir vers le sud. À nouveau un grand
périple commença, en longeant la côte jusqu'à Los Angeles. Après des
années d'inactivité, je faisais huit heures de route par jour et ils
dormaient souvent à l'abri de mon habitacle, en abaissant les sièges.
Enfin ils atteignirent leur but, mais mûs par un désir incessant de
nouveauté poussèrent jusqu'au Mexique.
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En arrivant
en vue de la frontière, je m'aperçus que j'allais encore changer de
pays et que moi aussi que découvrirais de nouveaux horizons ! Dans
la ville où ils avaient dormi la veille, ils étaient allés au drive-in
voir un film qui me plut beaucoup : "la Coccinelle à Monte Carlo".
Par la suite j'ai souvent tenté de bouger seule, comme Roméo (dont
on m'avait donné le nom), mais sans jamais y parvenir. Après quelques
kilomètres au Mexique, la route changea, et ressembla de plus en plus
au chemin qui menait de la nationale à la ferme des Higgins, c'est-à-dire
un simple sentier de terre. Que d'aventures durant ces quelques mois
!
Pour commencer,
mes amortisseurs, toujours d'origine, ne supportèrent pas longtemps
d'être malmenés sur les pistes alors qu'ils étaient conçus pour un
bitume impeccable, et lâchèrent en quelques semaines. On les remplaça
par les amortisseurs locaux, à lamelle, beaucoup moins confortables
et guère plus résistants, mais moins chers. Plusieurs fois pendant
ces cinq mois on tenta de me voler, je me renversai dans un fossé,
on m'en sortit, je rentrai dans un camion, on me répara avec de la
ficelle...
Au bout de cinq
mois, donc, nous arrivâmes au Pérou, où les pistes étaient aussi mauvaises
qu'en Équateur, en Colombie ou au Nicaragua. J'avais appris à comprendre
l'espagnol, et en arrivant à Cajamarca, dans le nord, ce fut mon moteur
qui rendit l'âme. Cette fois renonçant à me garder, ils me laissèrent
chez un garagiste qui me greffa un moteur de Toyota modifié pour consommer
moins, parfaitement ridicule au regard de mes performances passées.
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Nouveau propriétaire,
nouvelle vie, cette fois, je fus taxi. Chaque soir, il me rentrait
dans sa cour, me couvrait d'une bâche et allait dîner avec sa femme
et ses trois filles. Lui me nomma "Hija Loca", fille folle, car si
mon moteur était parti, le reste était toujours en état et j'avais
conservé une partie de mon "punch", surtout par rapport aux autres
taxis.
Année après
année, le temps a passé. J'étais devenue aussi peu reluisante que
mes consœurs péruviennes. Ma carrosserie en lambeaux, maintenue en
place par du scotch, du plâtre, des cordes, des clous, dépourvue d'amortisseurs,
mes belles banquettes crevées, mon coffre puant le poisson et la volaille,
mon capot absent, ma mécanique éparpillée et remplacée par des pièces
de voitures japonaises, de mobylette, mon pare-brise craquelé. Je
suis passée par trois propriétaires, descendant dans l'échelle sociale
à mesure que mon état se dégradait. Remisée au bord d'un trottoir
en attendant le lendemain, malmenée par des accrochages, les cahots,
les tournants brutaux où ma direction devenue flottante m'oblige à
manœuvrer de façon hasardeuse, et l'envahissement permanent de la
rouille...
Il y a un mois,
mon pilote, comme il se désignait lui-même, manqua le dernier virage
avant la ville, et comme cela m'était arrivé longtemps auparavant,
je passai par-dessus bord. À la différence que cette fois, la chute
fut presque verticale. Après une centaine de mètres, un arbre, poussé
on ne sait comment à la perpendiculaire de la falaise, m'arrêta dans
ma chute, tandis que mon chauffeur et son client continuaient à travers
un pare-brise absent jusqu'à s'écraser en bas, dans la vallée à l'entrée
de la ville. Deux semaines plus tard, l'arbre en eut assez de me supporter
et se détacha de l'à-pic. Ma lente chute avec l'arbre, lourd, vers
une mort certaine, s'acheva dans un grand fracas, une explosion de
métal, de bois et de sang, celui d'une vieille marchande qui se trouvait
dessous.
Une semaine
plus tard, un camion vint me chercher, du moins ce qu'il restait de
moi, pour m'emmener à la nouvelle casse que l'Etat a installée pour
fournir du travail et débarrasser les ravins alentours des carcasses
qui les jonchent. Des femmes et des enfants récupérèrent tout ce qu'il
était possible de réutiliser, et même plus. Boîte à gant, volant,
jantes, restes de tôle, de cuir, pot d'échappement encrassé par une
absence d'entretien depuis quatre ans…
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Maintenant
je suis là, dans un creuset de métal. Un homme venu de nulle part
vient de prendre en note le récit de ma vie. Il y aurait plus à dire,
bien sûr, comme mes amours avec une Volvo ou mes aventures dans la
jungle, mais le temps me manque. Autour de moi s'avancent des murs
d'aciers qui déjà me broient, me plient, me compressent. Ma conscience,
venue je ne sais comment ni pourquoi, commence à s'éteindre. Ce n'est
peut-être pas plus mal. Ma vie fut longue et rude pour une voiture,
même d'exception comme moi.
Ce qui reste
de mon châssis crie sous la pression des vérins hydrauliques…
Je n'ai pas mal…
Pourtant, revoir le ciel, le bitume même, qui fut ma vie…
Quelle vie…
Où suis-je…
Tout s'efface…
C'est fini.