On ne vit qu'éternellement
Frédéric Jeorge
Juillet-Août 2001
DISCLAIMER
Cette fanction est basée sur l'univers d'"Highlander" (tel que décrit dans le premier film et dans les séries qui en sont tirées), créé par Grégory Widen et dont les droits appartiennent à Rysher/Davis/Panzer. Certains personnages de cette histoire, que vous reconnaîtrez sans mal, en font partie ; les autres m'appartiennent. Dans tous les cas cette histoire n'existe que pour le plaisir et sans chercher à nuire à quiconque !
NOTE
Certains personnages sont tirés de mes nouvelles précédentes, "Vie=vie+1" et "Vie à Venise". Sans être obligatoire pour comprendre cette histoire, leur lecture permet de mieux situer ces personnages.
FEED-BACK
Les textes publiés gratuitement sur Internet ne mesurent pas leur audience au nombre d’exemplaires vendus, et la seule façon pour nous, auteurs de fanfics, de savoir si notre travail plaît est le retour des lecteurs. Donc si vous avez apprécié cette nouvelle écrivez-moi pour le dire, c’est tout ce que je demande en échange ! zarkass@gmail.com
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(Sur l'air de "Blowin' in the wind")
"How many heads must an Immortal take
Before he's allowed to be free ?
How many times does he have to change place
Before he's allowed to stay there ?
How many years should he walk on the earth
Before he doesn't ear people cry ?
The answer my friend, is in the Quickening
The answer is the Quickening."
Cette fanfic est dédiée aux participants de la mailist « Highlander-France », sans qui mon attachement à l’univers des Immortels ne serait pas le même.
Merci à ma Môman, à Poupov et à Fanny pour les relectures et corrections.
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- PREMIERE PARTIE -
Reims (Union Européenne) - Mai 2062
Les rues de Reims sont pleines de monde, ce n’est pas arrivé depuis des décennies. Une foule qui gronde et qui crie, une foule unie – pour une fois – contre un ennemi commun et invisible. Elle envahit les places et les avenues, encerclant pour la protéger la vénérable cathédrale. Ces quelques blocs, à peine une cinquantaine de maisons, sont tout ce qui reste de la ville ancienne. Les manifestants ne sont guère incommodés par le soleil couchant de ce mois de mai radieux : ses rayons ne passent pas la muraille de verre et d’acier des grands immeubles alentours. Seuls des reflets teintés d’azur, de rouge ou de vert, selon le bâtiment qui les a renvoyés, viennent caresser les pierres séculaires de l’un des derniers vestiges de la cité médiévale.
La foule révoltée tourne en passant par le parvis, le jardin, contourne le transept et les absides. Ce cercle mouvant est encerclé à son tour par un solide cordon de policiers et de CRS, soutenus par des véhicules blindés et quelques robots anti-émeutes. D’anciens hélicoptères et des véhicules volants de toutes sortes papillonnent autour de la flèche et des tours, les uns, peints en bleu et étincelant de lumières et de gyrophares, chassant les autres moins modernes mais plus audacieux des journalistes et des conservateurs.
Les cris de colère se muent en hurlements de joie lorsque enfin les immenses broyeuses jaunes, les destructeurs oranges et les bulldozers rouges font demi-tour, leurs moteurs rugissants crachant des panaches de fumées noires et nauséabondes. La gaieté des manifestants est cependant un peu forcée, les rires sonnent faux, les yeux ne suivent pas l’allégresse des bouches. Ils ont gagné, certes, mais ce n’est qu’un jour de plus, quelques heures de sursis. Combien de temps encore pourront-ils lutter contre le pouvoir des multinationales ? Combien de temps pourront-ils déserter leurs emplois pour se battre et préserver l’ancienne cathédrale ? Combien de temps ? Au fond de lui, chacun ici sait que le combat est perdu d’avance.
Le tollé fut général quelques semaines plus tôt lorsque le gouvernement, faible et corrompu, céda aux requêtes incessantes d’un grand groupe financier et lui vendit un lot de terrains au centre des plus grandes villes de la zone France-Benelux. Bien sûr, le montant de la transaction fut faramineux, mais comment estimer ce qui est inestimable ? Depuis la saturation totale de la région parisienne, vingt ans auparavant, les villes alentour virent soudain leur cote monter en flèche, et toutes se couvrirent de buildings étincelants, de tours froides et impersonnelles qui pour pousser exigeaient la destruction des quartiers populaires ou historiques. Le fait n’était pas nouveau, mais plus celui que l’Etat sacrifie l’une des plus belles oeuvres de son patrimoine.
Déjà, les manifestants ne sont plus que plusieurs centaines. Quelques jours encore et la voie sera libre. Ce jour-là des machines robotisées enfonceront le portail ouvragé, arracheront les portes magnifiques et poseront des charges explosives sur les piliers clés de l’abside. Ce sera vite fini. Quelques déflagrations plus tard, la voûte cédera et tombera sur l’autel. Les bras de soutien n’ayant plus rien à soutenir chuteront à leur tour, entraînant murs et vitraux. Comme un château de cartes la cathédrale s’effondrera sur elle-même. Deux jours plus tard, les gravats seront nettoyés, des fondations seront creusées à la place des cryptes et de nouveaux immeubles s’élèveront vers le ciel, bien plus haut que la flèche. Ce ne sera plus en célébration d’un Dieu ou d’une foi mystique, mais à la seule gloire de mégalomanes en quête incessante de plus de pouvoir, plus d’argent. Tout cela, les manifestants le savent. Même perdu d’avance, c’est un combat qu’ils livreront.
Une semaine après, seules quelques dizaines de courageux subsistent. A leur tête, le plus virulent de tous, le plus acharné, hurle sans fin sa diatribe contre les ouvriers mécaniques insensibles qui sont la seule représentation tangible d’un ennemi multiple et tout puissant. Cet homme est là depuis le début, il sera là jusqu’au dernier moment. Inlassablement, il passe dans les rangs de ceux qui restent, les encourageant d’un mot, d’une poignée de main. Il leur rappelle que tant qu’un seul d’entre eux restera sur le parvis, « ils » ne pourront y entrer. Il reste tout de même quelques lois. Mais leur adversaire est au-dessus des lois et tient en son pouvoir ceux qui les font. Il a aussi la police et l’armée à disposition, et visiblement, il a pu allonger suffisamment d’argent pour contre-attaquer.
Le soleil ne s’est jamais levé aujourd’hui. Le ciel, ou ce qu’on peut encore en voir entre les immeubles, est couvert d’un gris terne uniforme, le haut des tours disparaît dans le brouillard. Les manifestants ont froid, ils crient toujours mais leurs voix sont cassées, le moral n’y est plus. Lorsque les policiers chargent des obusiers de grenades lacrymogènes et annoncent leur intention de tirer, plusieurs contestataires s’en vont. Lorsqu’ils tirent vraiment et que le gaz emplit le parvis, d’autres fuient à leur tour. Puis les tirs redoublent. Le gaz est si dense que les rebelles ne voient plus leurs mains. L’un après l’autre, ils s’écroulent et sont emmenés par des infirmiers portant des masques à gaz.
Lorsque le vent se lève, il emporte la fumée toxique qui va se mêler au reste des émanations du centre ville. Au milieu de la place, fusillé de milliers de regards hostiles, demeure un acharné. Il est seul, c’est le dernier. Toussant à s’en arracher les poumons, pleurant à n’en plus finir, il est resté, il a tenu sous assez de gaz pour tuer un homme. Les policiers ont épuisé leur quota de grenades pour aujourd’hui et lorsque le soleil se couche, que les bulldozers repartent après une nouvelle journée d’attente, l’homme pousse un long soupir. Sa lutte touche à sa fin, mais l’issue risque fort de n’être pas celle qu’il souhaitait.
Le lendemain, il est à nouveau là, sur le parvis, un masque à gaz à la main. Personne d’autre n’est venu. La police s’est déplacée avec les lances à eau. Heureusement pour le dernier manifestant, ils ne doivent pas prendre pied sur le parvis et tirent de loin. Il se réfugie tout contre le portail, mais le jet l’atteint durement tout de même. Une seconde lance entre en action et leurs tirs croisés lui cassent un bras. Mais l’homme se contente de serrer les dents et s’aplatit derrière la statue de l’ange au sourire, qui se décroche sous la puissance du jet. En quelques minutes, le parvis est inondé mais les réserves des policiers, vides. L’homme est toujours là et, détail insolite que les autorités n’ont pas remarqué, son bras n’est plus blessé.
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Banlieue de Milwaukee
(Fédération Nord-Américaine)
La rumeur gronde au loin. Elle est diffuse et omniprésente. En haut, un accès à l’autoroute vibre sous les rares véhicules qui l’empruntent encore, tandis qu’à l’arrière où la ville dresse ses tours vers le ciel on entend parfois au gré du vent un son plus net que les autres, une sirène d’ambulance, un klaxon, un marteau-piqueur. La vie est partout autour, elle crie, elle bouge. Elle meurt avec le râle du vieillard pour revenir de plus belle aux hurlements du nourrisson. Et par-dessus tous ces bruits humains percent parfois de plus en plus discrètement le chant d’un oiseau, le son d’une abeille.
La terre semble avoir disparu tant tout ici est recouvert de bitume et de ciment. Les rares coins de nature se réduisent à de vagues étendues en friche oubliées par la ville car trop lointaines, trop mal placées ou croulant sous trop de spéculations. Généralement les hommes ne s’y aventurent pas, mais dans celle-ci deux silhouettes se détachent à contre-jour sur le soleil couchant dont les derniers rayons brouillés par les émanations de la métropole se teintent de vert ou de bleu.
Si ces deux personnes se sont retrouvées en ce lieu fort isolé, c’est pour fuir les regards indiscrets. L’une d’elle est à genoux au sol. Il s’agit d’un homme un peu rond, les cheveux grisonnants, portant de petites lunettes cerclées d’acier. Son visage exprime une grande douleur et ses mains crispées sur sa poitrine percée tentent vainement d’endiguer le flot de sang qui s’en échappe et vient maculer son costume bon marché. A côté de lui, contrastant singulièrement avec l’apparence des plus banales de son propriétaire, son ancien sabre de cavalerie repose dans l’herbe.
En face de l’homme blessé, une jeune femme se dresse fièrement dans la lumière faiblissante. Ses cheveux volent autour de son visage brun un peu lourd, l’auréolant de noir tandis qu’elle brandit son yatagan. Son bras levé ruisselle d’un sang qui n’est pas le sien, mais celui de son adversaire coulant de sa lame rougie. Rien dans son apparence frêle ou son tailleur bleu ciel ne pourrait laisser croire qu’elle vient sauvagement de planter son sabre dans la poitrine d’un homme, et pourtant...
Le blessé à terre hoquette un nouveau flot de sang, sa respiration se fait hachée. Il va mourir, c’est évident. La femme lève plus haut son sabre, s’apprête à frapper de nouveau. Il lève une main, comme pour se protéger.
- Non, je vous en prie... Ne me tuez pas... Chandrila, écoutez-moi... Je n’avais aucune chance !
- Je suis désolée Harry, mais vous connaissez la Règle.
- Non, c’est faux, la Règle ne nous oblige pas à nous entre-tuer ! Je... je ne vous ai pas provoquée, je ne vous ai rien fait de mal !
- Et pourtant, Il ne peut en rester qu’un.
En disant cela, Chandrila s’avance d’un pas, lance son bras en un mouvement circulaire pour prendre la tête de l’Immortel qu’elle vient de vaincre, mais son geste s’interrompt soudain, ses yeux s’agrandissent de surprise. Le souffle coupé, le cœur transpercé, elle fixe en tombant le colt encore fumant apparu dans la main de Harry, alors que l’écho du coup de feu couvre un instant les bruits plus lointains.
- C’est moi qui suis désolé Chandrila. Mais je ne veux pas mourir. Pas déjà.
Luttant contre son corps agonisant, il s’approche du cadavre de l’Indienne et lui plante de toutes ses forces son épée dans la poitrine pour être sûr qu’elle ne ressuscite pas avant lui, puis il expire et tombe mort à son tour.
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Siège de la Coratec Corporation, Genève
Michael déglutit péniblement avant de frapper à la lourde porte doublée de cuir derrière laquelle il hésite depuis plusieurs minutes. Il a froid, et cela ne vient pas de la température. Tout est froid ici, l’ameublement, la décoration d’un luxe high-tech aussi inouï qu’impersonnel, les employés. Et les responsables qu’il va devoir affronter.
- Entrez !
L’ordre est tombé comme une sentence. Les rares occasions où il est admis à pénétrer dans le grand bureau des directeurs n’existent que pour apporter les mauvaises nouvelles. Les bonnes, ce sont ses supérieurs qui s’en chargent...
Intimidé, presque terrifié, il avance au milieu du cercle des visages gris et sévères qui semblent n’avoir jamais connu aucune émotion. Ces hommes font partie des nouveaux maîtres du monde, bien plus puissants et plus riches que les gouvernements qu’ils manipulent.
Michael avale encore une fois sa salive, ouvre le classeur qu’il a apporté et prend la parole.
- Monsieur Stevenson, Monsieur Von Goghenard, Messieurs les directeurs, voici le rapport de développement du nouveau centre urbain de Reims. J’ai le regret de vous annoncer que le retard des travaux n’a pas été comblé. A vrai dire, rien n’a encore commencé. Il reste un manifestant, et cela suffit comme le savez. Les pressions sur la police prennent du temps, ils ne sont pas disposés à pénétrer sur le parvis tant que le décret les y autorisant n’est pas passé et...
Sa voix meurt, faisant place à un silence pesant. On n’entend que le bruit de succion de certaines bouches sur leurs cigares, parfois le « bip » discret d’un communicateur ou le bourdonnement du robot qui remplit d’eau les verres. Les directeurs échangent des chiffres, jonglant avec des milliards d’euros comme d’autres pèsent des légumes. Le résultat du calcul est sans appel.
- Cela a trop duré. Débarrassez-vous de l’intrus coûte que coûte, vous avez deux jours. Après, c’est vous qui sautez.
En refermant la porte, Michael soupire longuement. Il a déjà tout essayé. Cet homme est d’une obstination incroyable. Sans famille à menacer, sans travail à perdre, il ne se laisse intimider par aucune des recettes traditionnelles qui mettent à la merci de la Coratec Corporation tous ceux qui se dressent sur sa route. Il ne reste qu’à appliquer la méthode plus radicale, et Michael n’aime pas en arriver là. Il dégaine son téléphone et appelle l’un de ses agents.
- Povalski ? Ordre de descendre Vendran, discrètement.
- Bien reçu monsieur. Ce sera fait ce soir.
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Sur la route 90 vers l’ouest
(Fédération Nord-Américaine)
- Mais enfin Harry, vas-tu me dire pourquoi nous sommes partis comme ça ? Tu vas perdre ton travail cette fois-ci !
- Je sais Maggie, mais l’heure est grave. Crois-moi, je ne le fais pas de gaieté de cœur.
- Explique-moi, je t’en prie... Tu ne me fais pas confiance ?
- Si bien sûr, et c’est justement pour cela que je ne veux pas te mêler à mes problèmes.
- Et ce n’est pas ce que tu es en train de faire, en ce moment même ? Je viens avec toi, là n’est pas la question, mais puisque je suis là j’ai le droit de savoir.
Harry ne répond pas. Il fixe le couloir aérien, attentif à ne pas dépasser la limitation de vitesse pour ne pas se faire remarquer. Elle a raison. Il est devenu Immortel dix ans auparavant et ne le lui a jamais dit. Elle l’a suivi sans questions dans de multiples déménagements précipités, a accepté après une discussion houleuse de ne plus lui demander pourquoi il s’est arrêté de vieillir alors qu’elle se flétrit de jour en jour. Elle a largement mérité qu’il enfreigne l’ordre de son mentor de ne révéler à personne ce qu’il est.
- D’accord Maggie. Je vais tout te dire. Il te faudra me croire, même si cela te paraît parfois difficile, car c’est la vérité. Tu te souviens de la soirée chez les Barnes, en 2051 ? J’avais bu bien plus que ce que je pouvais supporter, et j’ai pris la Chrysler pour rentrer. J’étais si ivre que je t’ai oubliée, dieu merci. Sans cela tu serais probablement morte. En quittant la nationale, je me suis engagé sur le mauvais couloir aérien, et j’ai percuté un aérotaxi qui venait en face. Je crois qu’il est resté en vol, mais j’ai décroché et étais incapable de reprendre le contrôle dans mon état. Le choc avait grillé le propulseur de secours et le système a refusé de m’éjecter puisque la voiture volait sur le toit... Je me suis écrasé dans un champ.
- Tu penses bien que je m’en souviens. Quand les policiers m’y ont emmenée le lendemain matin... Mon dieu... on ne reconnaissait plus la voiture... Ils ont cherché ton corps longtemps, j’étais sûre de t’avoir perdu. Quand tu es rentré le lendemain, tu ne peux savoir à quel point j’étais heureuse !
- Oui Maggie. Mais contrairement à ce que je t’ai raconté, je n’ai pas sauté avant le crash. Je ne tenais pas debout, comment aurais-je pu ? J’étais dedans, et j’y suis mort. Pas sur le coup, les airbags m’ont assez bien protégé, mais dans l’incendie du moteur qui a fait exploser l’habitacle quelques minutes après.
- Quoi ! Mais...
- Ne m’interromps pas. Je suis mort dans l’incendie. Mais je me suis réveillé.
Maggie sursaute, se recroqueville dans son siège.
- Non, n’aie pas peur... Je suis Immortel, Maggie. Je l’ignorais jusqu’à ce jour, mais je ne peux pas mourir. Je ne suis pas le seul. L’un d’eux m’a trouvé alors que j’errais dans les bois, dessaoulé mais terrifié d’être en vie alors que ma montre avait fondu à mon poignet tant était intense la chaleur que j’avais traversée... Cet homme... Ce gamin ! Il avait l’air d’avoir quoi, vingt ans, tout au plus. Quand je l’ai vu, ma migraine a redoublé, mais il se contenta de me sourire et de me tendre la main. Il m’a dit qui j’étais réellement. Lui-même avait presque quatre-vingt dix ans. Je ne suis pas resté longtemps avec lui, il m’a donné des vêtements et je suis rentré pour ne pas que tu t’inquiètes trop, mais je l’ai vu souvent ensuite, pendant trois ans. Il m’a appris ce que je devais savoir.
- C’était il y a dix ans et tu ne m’as jamais rien dit !
- Pardonne-moi. Ce n’est pas très facile à vivre, tu sais. J’avais cinquante ans passés, et j’avais beau être en bonne santé de façon générale, j’étais las, fatigué. Toute ma vie j’ai lutté pour mon travail, pour gagner de quoi payer le loyer. J’ai souvent failli être victime d’accidents mais j’y ai toujours échappé. Je suis notamment tourmenté par cette prise d’otages quand j’étais étudiant, je t’ai raconté. Ce jeune gars, ce flic, il a pris en plein cœur une balle qui m’était destinée. Sans cela, il serait toujours en vie, mais moi aussi, et j’aurais gardé pour l’éternité un corps de vingt-cinq ans au lieu d’avoir celui d’un homme usé, aux cheveux gris. Et les enfants que nous n’avons jamais pu avoir... Cela a failli briser notre couple. C’est aussi à cause de cela.
- C’est difficile à croire mais... Cela explique bien des choses. Le plus évident est que tu n’as pas pris une ride depuis ce temps. Disons que je te crois, il me faudra plus de temps pour l’accepter. Mais pourquoi fuis-tu Milwaukee, où allons-nous ?
- Nous allons à Seacouver. Mon mentor y habite souvent, il m’aidera. La raison du départ est le principal écueil à ma condition. Les autres Immortels. Certains d’entre eux passent leur temps à en traquer d’autres pour les tuer.
- Tu viens de me dire que ce n’est pas possible !
- A une exception près, celle qui confirme la règle.
Tout en conduisant, Harry se penche un peu et dégage de son logement sous son siège un paquet fin, d’environ un mètre de long et le tend à sa femme.
- Tiens regarde, et fais attention, ça coupe.
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Siège de la Coratec Corporation, Genève
Michael est dans son bureau. Sur trois de ses quatre écrans de contrôles, l’affaire « Reims » est affichée. Des données défilent, des chiffres. Vu de l’extérieur, cela semble une spéculation immobilière comme une autre. Après tout, ce n’est même pas une capitale. Mais il y a bien plus en jeu, oui, bien plus. Le téléphone fait sursauter le jeune cadre, il ne dort guère ces temps-ci.
- Allo ?
- Monsieur, c’est Povalski à l’appareil. Euh... Nous avons un problème.
- Ne me dites pas le problème, donnez-moi sa solution.
- C’est Vendran, monsieur, le gars de Reims. Il n’est pas mort.
- Comment ça ? Vous vous foutez de moi, Povalski !
- Non monsieur. Vous avez dit de faire discrètement, alors nous l’avons empoisonné. Vous savez, le nouveau GH4-M2 de notre labo, c’est radical, ça ne laisse pas de traces dans le sang, et...
- Oui, bon, passez-moi les détails !
- Nous avons vérifié, il a bien mangé son dîner, bu la bouteille... Tout était piégé ! Et ce matin... Ce matin il était sur le chantier, comme si rien ne s’était passé. Je ne comprends pas, Monsieur...
- Ca, ça ne m’étonne pas, imbécile. Trop tard pour la discrétion, descendez-le, maintenant !
- En plein jour et en public, Monsieur ? Il est au milieu du parvis de la cathédrale...
- Je m’en fiche, il n’y a presque plus de journalistes, on s’arrangera. Il me... il vous reste deux heures pour que le chantier soit en route, c’est clair ?
- Très clair monsieur, je m’en occupe personnellement.
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Aéroport Tokyo Narita (Japon)
Main dans la main, Ibrahim et Mary-Ann* prennent place dans l’avion. Ils sont excités comme à chaque fois au seuil d’une nouvelle révolution qu’ils savent avoir le temps de voir naître et grandir. Ils viennent de boucler leurs ceintures quand les haut-parleurs s’activent.
- Mesdames et Messieurs, c’est le commandant Honida qui vous parle. Je vous souhaite la bienvenue à bord de ce Boeing 7747 de la compagnie Japan Airlines à destination de Luna 3. Veuillez éteindre vos appareils communiquants et redresser le dossier de votre siège...
Les deux Immortels ne l’écoutent plus, ils profitent du moment présent. Des épisodes similaires leur reviennent en mémoire. Leur premier voyage en train, en voiture, en avion. A ceci près que la technologie évolue de plus en plus vite, à tel point qu’une vie de mortel suffit à voir se succéder dix générations de machines. Pour la plupart des gens autour d’eux, c’est aussi le premier vol spatial mais par la suite ils ne feront, au mieux, que des séjours sur Mars.
- Tu te rends compte Ibrahim que nous pourrons plus tard aller jusqu’aux étoiles...
- Oui, mais ce n’est pas pour tout de suite. Et puis si ce machin explose dans l’atmosphère, nous ne serons pas plus avantagés que les mortels.
Ils se taisent alors que le grondement des moteurs se fait entendre malgré les puissants générateurs anti-bruits. En douceur, l’énorme carlingue du Boeing se détache du sol et monte de plus en plus haut, de plus en plus vite vers le ciel obscur.
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Reims, parvis de la cathédrale
Comme tous les jours depuis l’annonce de la vente du site, Grégoire Vendran se rend à la cathédrale. Il passe entre les rangs des policiers haineux qui n’ont pas le droit d’intervenir pour l’arrêter, contourne les engins de chantier encore éteints et prend pied sur les dalles centenaires.
Il lève la tête et sourit. Alors que l’affaire commençait à se tasser et les journalistes à s’en désintéresser, aujourd’hui le ciel est à nouveau pailleté de nombreux véhicules de presse. Il a fait jouer toutes ses relations pour faire venir autant de reporters que possible. Ils sont là par centaines, « tuyautés » les uns les autres par des fuites indiscrètes qui en l’occurrence servent les plans de Grégoire. Car il sait pertinemment ce qui va se passer. Il est mort cette nuit dans d’horribles souffrances, l’estomac brûlé par assez de poison pour tuer une armée ; il est sûr qu’ils n’en resteront pas là.
Il n’a pas à attendre longtemps. Sans un bruit, tirée de très loin, une balle l’atteint en plein front. Il s’écroule sur place, son sang dessinant derrière son crâne éclaté un cône du plus bel effet photogénique. Les journalistes sont en ébullition. Leur mystérieux « indic » avait raison ! Les caméras s’affolent, les régies coupent les émissions en cours pour diffuser les images toutes fraîches de « l’homme qui est mort pour la cathédrale ». La nouvelle se répand à vive allure, elle entre partout. C’est comme une bombe qui explose. « Les technocrates meurtriers », « L’église ou la vie », « Mort pour l’Histoire », les gros titres envahissent les newsgroups, les flux d’information.
Pour la discrétion, c’est raté.
De son bureau de Genève, Michael regarde avec horreur les images de la mort en direct du gêneur. Que font là tous ces journalistes ! Il n’était plus censé y avoir que deux ou trois obstinés peu influents faciles à bâillonner mais en fait toute la fine fleur de la presse mondiale se délecte de l’incident... Réparer les dégâts politiques, restaurer l’image de marque, racheter les terrains sous le nom d’une autre société... Il y en a pour des centaines de milliards d’euros, sans parler du temps perdu.
La porte du bureau s’ouvre violemment. Michael frissonne en voyant entrer l’un des grands patrons, un homme particulièrement austère, en costume noir impeccable, qui exsude l’autorité et l’implacabilité de toute sa personne. Il pointe sur Michael une arme de petit calibre.
- Le comité directeur a voté. Vous êtes viré Michael.
Dans le bureau voisin, la secrétaire ne lève même pas les yeux de son écran en entendant le coup de feu. Tout en continuant à rédiger un E-mail, elle appelle le service de nettoyage. Elle a l’habitude.
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Seacouver
(Fédération Nord-Américaine, secteur Ouest)
Richie vient juste de se glisser entre les draps lorsqu’un léger buzz le saisit. Il glisse la main sous son lit et attrape son épée avant d’enfiler son peignoir. Rien que le mois dernier, il a dû prendre deux têtes, dont une à la place de Duncan, en France en ce moment. Mais le Highlander l’a bien formé, et malgré son âge encore jeune il ne craint plus le premier Immortel venu.
La sonnette de la porte retentit. C’est un signe plutôt rassurant. Il ouvre en restant tout de même sur ses gardes. Sur le palier, un homme grisonnant d’apparence inoffensive lui sourit timidement.
- Harry ! Ca fait plaisir de te voir, entre donc !
- Richie, je te présente ma femme, Maggie. Elle... est au courant. Il le fallait.
- Enchanté madame, je suis Richie Ryan.
- Bonsoir Richie, Harry m’a en effet parlé de vous. Je vous remercie de ce que vous avez fait pour mon mari.
Le jeune homme les fait entrer et leur sert un verre après s’être habillé.
- Alors, qu’est ce qui t’amène ici ?
- J’ai besoin d’aide Richie. J’ai été attaqué, l’autre jour, et j’ai encore perdu. J’ai triché pour m’en sortir.
- C’était qui cette fois ?
- Chandrila Sooranya.
- Au moins elle ne t’ennuiera plus.
- C’est là qu’est le problème, Richie. Je ne l’ai pas tuée, cette fois encore. Si au moins je l’avais vaincue à l’escrime, j’aurais peut-être eu le courage de le faire, mais je me suis contenté de l’arrêter et de m’enfuir. Je ne suis pas un meurtrier, surtout quand je dois tricher pour triompher. Je ne sais pas quoi faire.
- Je te comprends, si tu savais à quel point ! Mais je ne sais pas quoi te dire. Les premières têtes sont toujours les plus difficiles à prendre.
- Je sais, mais ce n’est pas vraiment la question. Malgré ce que tu m’as appris, je ne sais pas me battre à l’épée. Quel que soit l’âge de l’Immortel que je rencontre il me désarme d’un geste, me tue d’un autre. Et tu ne seras pas toujours là pour me sauver comme tu l’as déjà fait ou il n’y aura pas toujours d’arrivée opportune de la police pour le faire fuir. Là, si Chandrila m’avait tué plus... radicalement, je n’aurais pas eu le temps de tirer. Je ne veux pas mourir, pas déjà, pas après tout ça. Et je ne veux pas laisser Maggie seule. Avant ma mort, j’avais une espérance de vie d’environ 105 ans, comme tout le monde... Maintenant, elle n’est plus que de quelques années ! Qu’est ce que je vais faire encore cette fois-ci ? Tout abandonner à Milwaukee de crainte qu’elle m’y retrouve, pour recommencer ailleurs ?
- Ca m’a fait pareil quand je suis devenu immortel, vers les années 1990. Je sais ce que tu ressens. L’impression de n’être qu’une proie pour les anciens, un poids pour tes amis. Tu n’es pas à l’aise avec une lame, et comment t’en blâmer ? Tu sais, à mon époque les épées étaient déjà au moins aussi démodée que de nos jours.
- C’est vrai Richie, mais si tu me permets, tu n’avais pas de femme à défendre et Mac Leod te protégeait...
- Pas de femme ? Non, mais des amis très chers qui ont parfois payé de leur vie leur amitié pour moi. Quant à la protection de Duncan, je ne lui en veux pas, mais elle a bien failli m’être fatale à deux reprises... Ce n’est pas simple pour toi Harry, mais ça ne l’est jamais pour personne. Tu es Immortel, il faut l’accepter. Mais bon, il y a des contreparties ! Tu peux fumer sans craindre le cancer, skier sans redouter les fractures, chuter de moto en riant...
- Tu vois, je préférerais arrêter de fumer que devoir me balader avec une épée et craindre la décapitation bien plus qu’un hypothétique cancer.
Richie contemple un instant son ancien élève. C’est vrai qu’il n’est franchement pas doué à l’escrime et que cela en fait une proie facile, mais il semble traverser une sorte de crise existentielle. Etre Immortel ne met pas à l’abri des dépressions, même si dans le cas de Harry il faut avouer que, effectivement, ses chances de survie sont très limitées. Depuis environ un siècle, de très nombreux « jeunes » ont perdu au jeu, élevant la moyenne d’âge des Immortels puisque seuls ceux de plus de deux cents ans résistent. A qui la faute ? Probablement à personne. Il y a toujours eu des jeunes, d’autres plus âgés et donc plus expérimentés pour les chasser. Certains survivent. Plus doués, plus motivés pour survivre, mieux guidés ou protégés par leurs mentors.
Cependant au simple hasard des rencontres se mêle la technologie qui change la donne. Les chasseurs de têtes trouvent de plus en plus facilement leurs victimes, jeunes Immortels imprudents laissant traîner sur les réseaux des preuves, du moins pour qui sait les interpréter, de ce qu’ils sont. Cela concerne aussi les plus âgés à qui il suffit maintenant de fouiller dans les bons fichiers pour retrouver d’anciens ennemis, et de nombreux contentieux en suspens depuis des siècles se trouvent réglés dans le sang. Malgré toutes leurs précautions, les Immortels sont aussi fichés que les humains dans les bases de données des gouvernements.
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Zone France/Benelux (Union Européenne)
Grégoire entrouvre péniblement les yeux. Il a une terrible migraine, mais ce n’est qu’un moindre mal pour quelqu’un qui vient de se faire perforer le crâne d’une balle de fusil à lunette. Cependant un élément le perturbe et n’est pas conforme à son plan. Il pensait s’éveiller à la morgue de la police, bien tranquillement dans le noir et la discrétion d’une chambre froide. Au lieu de cela il est ébloui par une vive lumière et sent la présence de plusieurs personnes autour de lui. Il espère qu’ils ne sont pas en train de l’autopsier, ce ne serait guère agréable, mais c’est peu probable vu la cause évidente de sa mort. D’un autre côté il ne peut rester allongé là, bien vivant à présent, sans agir !
L’Immortel tend l’oreille, espérant en apprendre un peu plus, mais c’est le silence. Soudain, une voix masculine un peu nasillarde s’élève.
- Monsieur Grégorius Vendran ? Puisque vous êtes réveillé, peut-être nous ferez-vous le plaisir de votre conversation ?
Voilà bien de quoi surprendre. On ne l’a pas appelé « Grégorius » depuis le Directoire ! Qui sont donc ces gens pour connaître son véritable prénom, et donc probablement son origine ? La seule façon de le savoir, c’est de leur poser la question. Il se redresse donc et regarde autour de lui. La pièce tient plus de la salle de réunion que d’un laboratoire ou d’une morgue. Les fauteuils de cuir qui entourent la longue table en bois précieux sur laquelle il est assis, les murs sombres décorés discrètement, tout respire le luxe et la confidentialité. Cinq personnes le regardent tandis qu’il descend de la table et lisse le costume qu’on lui a laissé, à peine moucheté de sang sur le col.
- Je suis Grégoire Vendran, en effet. A qui ai-je l’honneur ?
- Wesley Paterson. Ces personnes préfèrent garder l’anonymat, j’espère que vous saurez leur pardonner. J’irai droit au but, monsieur Vendran, nous savons qui vous êtes, comme vous l’avez sans doute constaté. Par ailleurs, à titre personnel, je vous félicite pour avoir ainsi tenu tête à la puissante Coratec, peu de gens peuvent s’en vanter, vous savez. Et je pense que cela vous fera plaisir de savoir que votre plan ingénieux a bien fonctionné. Le scandale fait du bruit, les travaux sont suspendus pour un bon moment et plusieurs têtes vont sans doute tomber chez ses dirigeants.
Paterson fait un clin d’œil à l’Immortel à cette dernière phrase. Il a l’air d’un honnête homme, mais Grégoire n’est pas près d’accorder sa confiance à un inconnu qui semble tout savoir de lui.
- Merci, mais j’avais mes raisons. Quelles sont les vôtres ? Que me voulez-vous ?
- Votre aide. Plus précisément, vous embaucher.
- Je vous demande pardon ?
L’homme mystérieux se lève de son fauteuil et fait quelques pas en fixant l’Immortel dans les yeux avant de continuer.
- Je vous crois homme de parole, Grégoire, mais l’offre que je vais vous faire n’est pas de celles qui se refusent. Soit vous l’acceptez, soit nous nous débarrassons de vous et nous savons parfaitement comment nous y prendre.
- Mais je ne sais même pas de quoi vous parlez ! Qui êtes-vous bon sang ?
- La CIA, monsieur Vendran, ou ce qu’il en reste. Je suis l’agent Paterson, et je ne vous propose rien moins qu’un job d’agent secret.
- On nage en plein James Bond, là. Pourquoi moi ?
- Les raisons sont nombreuses. Déjà vous êtes Immortel, un avantage certain pour un espion, beaucoup plus rentable à former qu’un gars qui se fait descendre à la première fusillade. Ensuite, au bout de six cents ans (d’après notre estimation), vous avez assez d’expérience pour vous intégrer et vous fondre dans la masse, vous devez parler une bonne dizaine de langues sans accent, le maniement des armes et le combat au corps à corps n’ont pas de secret pour vous... Et je suis sûr que vous réservez encore bien des surprises. Pour être franc votre dossier n’est pas des plus complets, nous ne vous connaissons pas depuis assez longtemps pour cela, mais ce que nous savons suffit à justifier notre entretien. Et je ne vous ai pas encore dit le plus beau.
- C’est à dire ?
- Votre cible, voyons ! Nous chassons un très gros gibier, le plus grand et le plus puissant que nous n’ayons jamais affronté. La Coratec Corporation. Pour vous, ce n’est que le groupe immobilier qui menace la cathédrale à laquelle vous semblez tenir tant, mais il y a beaucoup plus. Nous sommes en guerre, Grégoire. Sans bombes, sans tranchées, sans soldats et sans chars. Une nouvelle guerre qui se livre à coup de milliards, d’immeubles, de financiers et de limousines. Sans morts directes (ou presque, vous en êtes un exemple). Mais le reste de l’analogie est plus qu’exact. Des stratégies d’invasions et de repli, des redditions et des armistices, des ultimatums et des assauts d’envergure. Nous ne parlons pas d’extraterrestres, mais ils sont partout. Ils possèdent des milliers de sociétés, contrôlent toutes les places de marchés, dirigent des états. Le gouvernement européen est pour ainsi dire sous leur joug, le nôtre y a succombé depuis longtemps et je ne mentionne même pas les états corrompus d’Europe de l’Est. La branche de la CIA pour laquelle nous travaillons est une division très spéciale, détachée du corps officiel noyauté par les taupes de la Coratec. Nous sommes autonomes et autofinancés, notre but étant tout simplement de détruire cette supra-société ou au moins de la remettre à sa place à faire du business et de la finance, en laissant la politique aux mains des élus qui, s’ils sont loin d’être parfaits, représentent au moins en partie la volonté des peuples. Vu votre âge, vous devez bien vous souvenir de la bascule qui s’est faite vers la fin XXème – début XXIème siècle lorsque les businessmen et les investisseurs sont devenus plus puissants et plus respectés que les chefs d’états.
- Oui en effet, mais j’ignorais que cela avait pris une telle ampleur.
- Tout le monde l’ignore, et c’est bien le problème. D’un autre côté, il faut bien admettre que depuis que les pays sont gérés comme des sociétés privées aux clients imposés et contraints d’acheter via les impôts plutôt que comme une vache à lait à court terme, certaines choses se sont bien arrangées. Mais devons-nous préférer les trafics des politiciens qui entre deux pots de vins travaillent tout de même à l’équilibre et au bien-être de la population, ou celles d’un froid financier pour qui tout se compte en terme de marketing et de manque à gagner, qui n’hésite pas à sacrifier les pans entiers de la population qui ne sont pas rentables ? La réponse n’est pas aisée, mais tant que nous le pourrons, ce qui reste de la DST, du KGB, du FBI, du Mossad, du MI-6 et d’autres organisations gouvernementales, lutteront pour rendre aux états leur souveraineté usurpée de l’intérieur.
- Je ne vois toujours pas le rapport avec moi. La souveraineté du gouvernement, la liberté du peuple, tout cela est très subjectif. J’ai vécu la plus grande part de ma vie sous des monarchies ou des empires, et ce n’était pas forcément mieux ou moins bien que ce à quoi vous aspirez. La royauté est morte, la démocratie se meurt, la technocratie prend le pouvoir ? Cela m’est égal dans le fond. Je vois les gouvernements se succéder, les régimes monter et tomber, les révolutions tout détruire pour reconstruire à l’identique. Que m’importent vos problèmes !
- Vous ne me ferez pas croire que la question ne vous concerne pas. Ce n’est pas une démocratie qui aurait sacrifié la cathédrale.
- C’est juste, mais ce n’est pas elle non plus qui l’a a bâtie. J’en sais quelque chose.
- Alors qu’allez-vous faire, rester dans votre coin, attendre passivement ?
- Et pourquoi pas ? J’ai passé des siècles à essayer en vain de faire changer les choses. Etre Immortel ne donne pas ce pouvoir.
- Bon, si vous vous placez en matérialiste, sachez que la Coratec ne restera pas sans se venger de vous. Même vous croyant mort, ses agents ont en quelques heures fait ce qu’il fallait pour que plus aucun de vos comptes en banque ne soit provisionné, pour que vos cartes de crédit soient bloquées...
- Et après ? Grégoire Vendran est mort, que m’importent ses biens ? Il renaîtra ailleurs. Pour qui me prenez-vous, jeune homme ? Que savez-vous de ce que je possède, de ce que je désire ? Vous en avez déjà appris long sur moi et sur ma race, j’ignore comment, mais voir la porte ne vous donne pas la clé. Vous n’avez pas de prise sur moi, Paterson, et vous le savez. Si vous avez décidé de me tuer je doute que me laissiez me défendre. Dans le cas contraire je m’en vais, débrouillez-vous avec vos problèmes. Je suis un Immortel, pas un Ange Gardien.
Sur ces mots, Grégorius se lève et traverse d’un pas assuré la longue salle, passant entre les agents sidérés de son assurance. Ils soupirent longuement lorsque la porte se referme sur lui.
- Et bien Wesley, pas facile à mater celui-là !
- Tu sais ce qu’on dit ? Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, mais une bonne cacahuète le soumet aussi bien qu’un jeune.
- Ah oui, on dit ça ?
- Peu importe. Ce type a peut-être six cents ans et le culot qui va avec, il n’en reste pas moins fondamentalement un homme. Il a forcément sa faiblesse, je trouverai laquelle. Nous avons négligé ces gars-là, ces Immortels, depuis trop longtemps, il faut que ça change. Mettez-moi une équipe sur le coup, je veux qu’il soit suivi en permanence. Il va sans doute fuir la ville maintenant qu’il s’y est fait descendre en public, ne le perdez pas. Tenez-moi au courant de ses moindres faits et gestes, donnez-moi le nom et la couleur préférée des personnes avec qui il discute, les restaurants où il s’arrête pour boire un coup, tout. Qu’il le veuille ou non, il sera avec nous.
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Base internationale Luna 3 (Territoire neutre)
Savourant l’étrange sensation de la pesanteur réduite, Ibrahim et son amie Mary-Ann parcourent les couloirs de la base lunaire. Le dépaysement garanti est au rendez-vous ! Même pour eux qui ont tant voyagé, l’expérience est irremplaçable. Les baies vitrées montrent des pans du paysage extérieur, mais on se lasse vite de la monotonie du sable gris. Tandis que les hublots du toit ! Ils laissent voir le ciel moucheté d’étoiles qu’aucune atmosphère ne vient masquer ou bien – plus beau encore – le clair de Terre, éblouissant.
Toutefois, le cadre mis à part, les activités sur la Lune ressemblent assez à celles des stations de loisir classique, parfois pimentées par la faible pesanteur. Les magasins de luxe, les cinémas, les bars et les boîtes de nuit ont remplacé depuis quelques années les laboratoires de Luna 3. Il est bien plus rentable de faire payer des touristes pour monter que de financer des scientifiques à rester là-haut puisque aucune exploitation industrielle n’y est profitable.
Les deux amis se dirigent à présent d’un pas assez nerveux vers la baie 35-A. La sortie en scaphandre est l’un des points culminants du séjour sur la Lune, mais de très nombreux touristes y renoncent. Même les Immortels ont un instant d’hésitation avant de verrouiller le casque sur leur combinaison étanche. Ils ont laissé leurs épées dans leurs chambres, mais ce n’est pas ce qui les ennuie le plus. On ne sait jamais ce qui peut arriver dehors. Les accidents deviennent rares, mais ils sont toujours possibles. Bien sûr même une fuite de leur scaphandre ne devrait pas pouvoir les tuer, mais après tout à leur connaissance aucun Immortel n’a encore affronté le froid absolu de l’espace. Comment savoir ?
Ils en sont là de leurs réflexions quand le guide les pousse d’une tape dans le dos pour les faire monter sur le véhicule de sortie. Ils s’y accrochent sans plus hésiter et retiennent leur souffle alors que les portes géantes du sas s’ouvrent sur le vide.
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Bureau européen du Comité pour la Libération des Etats, Paris (Union Européenne)
- Wesley, j’ai le rapport de Reims.
- Très bien, donne.
- Les nouvelles ne sont pas très bonnes...
- C’est à dire ?
- Nos gars ont perdu Vendran après seulement dix minutes de filature. C’étaient les meilleurs que j’avais sous la main, mais il est très fort...
- Il est surtout très vieux. Passe des siècles à te cacher et à fuir les polices et toi aussi tu esquiveras les meilleurs de nos agents. Nous l’avons sous-estimé. Nous les sous-estimons toujours d’ailleurs. Ils ont de la ressource et plus ils sont âgés plus ils sont difficiles à trouver. Je n’aurais pas dû le laisser filer l’autre jour !
- Si tu l’avais retenu, il n’aurait jamais collaboré, tu le sais bien.
- Oui, en effet. Mais pour remettre la main dessus maintenant...
-Tout n’est pas perdu messieurs, dit une nouvelle voix venue se mêler à la conversation.
Jaillissant de l’armoire vide où il se cachait, Grégoire s’avance d’un pas détendu entre les deux agents stupéfaits. Il a troqué son costume tâché de la dernière fois pour un ensemble plus décontracté et un long imperméable noir.
- Alors, surpris de me voir ?
- Mais bon sang comment êtes vous entré ici ? Comment même avez-vous trouvé où nous étions ?
- Disons que j’ai réfléchi à votre proposition d’embauche et qu’elle ne m’a finalement pas paru si inintéressante. J’ai alors fait des recherches sur mon futur employeur, c’est normal, non ?
- Oui, mais ça ne répond pas à la question... En tout cas cela confirme que vous convenez pour le poste !
- Je suis d’accord, mais j’ai mes conditions.
- Quelles sont-elles ?
- Premièrement, quel que soit ce qui se passe par la suite, promettez-moi que si vous reprenez le pouvoir véritable vous ferez tout pour préserver les cathédrales et les vestiges historiques. Pour certains des miens cela n’a aucune importance, mais pour moi si.
- Accordé, vous avez ma parole.
- Ensuite, je ne suis pas meurtrier par plaisir. Si j’ai ce genre de boulot à accomplir je ne le ferai que si je suis entièrement d’accord, et vous ne m’y obligerez jamais. C’est valable dans l’autre sens d’ailleurs.
- Accordé... mais vous savez, la réalité sur le terrain est parfois...
- Ne commencez pas à chercher des excuses. Sachez aussi que je travaille seul.
- Je ne peux garantir cela.
- Dans ce cas, ce sera à votre gars de suivre, pas question que je ralentisse pour l’attendre ou que je risque ma tête pour l’aider s’il échoue, c’est clair ?
- Très clair.
- De plus...
D’un grand geste théâtral Grégoire écarte brusquement un pan de son manteau et dégaine son épée à la garde frappée d’un emblème rouge qu’il place sous la gorge de Paterson avant même que celui-ci ait le temps de porter la main à son revolver.
- De plus je garde mon épée avec moi en plus des autres armes. Enfin, si vous cherchez à me prendre en traître, je disparaîtrai et je vous promets que le jour où vous me reverrez sera aussi le dernier de votre vie.
L’agent déglutit avec peine tout en acquiesçant. Il commence à comprendre pourquoi, alors qu’ils sont informés de leur existence depuis plus de cinquante ans, les gouvernements ont toujours évité de travailler avec des Immortels. Il se demande s’il ne fait pas une grosse erreur en s’en servant lui-même. Bien sûr, il n’y a aucun risque que les Immortels qu’il a embauchés découvrent pourquoi il tient tant à les avoir avec lui. Mais si c’était le cas un jour ? Il verra bien à ce moment, mais prie pour que cela n’arrive pas.
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Seacouver (Fédération Nord-Américaine, secteur Ouest)
En tenant sa femme par la main, Harry déambule d’un air absent le long des avenues commerçantes près du port. Le désœuvrement lui pèse et il est gêné d’encombrer Richie de sa présence, mais il n’ose pas revenir chez lui à Milwaukee, de peur que Chandrila soit toujours dans les parages.
Il s’immobilise soudain, manquant de faire trébucher les gens qui marchent derrière lui. Avec un petit gémissement de douleur, Maggie retire sa main de la sienne qu’il crispe. Un buzz. Richie a beau lui avoir répété que la meilleure façon de ne pas se faire remarquer dans ce cas-là était de faire comme si de rien n’était et de continuer son chemin sans même lever la tête, il est paralysé de peur. L’épée que lui a donnée Ryan une décennie auparavant est bien là, sous son manteau qui l’encombre et lui tient trop chaud, mais il ne se sent vraiment pas capable d’affronter un Immortel de mille ou même cent ans. En tremblant il fouille dans sa poche à la recherche de l’arme de petit calibre qu’il ne quitte plus.
Le buzz s’intensifie. Il devient énorme, emplit l’espace de sa tête et l’obnubile, brouille sa vue et sa pensée. Quel que soit l’âge de l’ennemi qui approche, il est sans doute très puissant.
- Tiens Harry, quelle surprise ! Vous êtes passé voir Richie ?
Le coup de feu a claqué comme le tonnerre, couvrant pendant l’éternité d’une mortelle seconde le brouhaha de la rue. Le temps que l’Immortel touché en plein cœur s’effondre à terre, la foule alentour fuit en criant et – déjà ! – on entend des sirènes hurler.
Horrifié, Harry contemple ce qu’il vient de faire, tandis que l’homme abattu murmure « Oh pas encore... pas ici... » avant d’expirer. Le meurtrier ne voit plus ce qui se passe autour, il n’entend pas les policiers l’encercler ni sa femme pleurer. Il ne peut que répéter sans cesse « Mac Leod... Je suis désolé... je... »
- Haut les mains, jetez votre arme !
La police a déjà pris position autour des Immortels. Sans leur obéir, Harry se relève. Il lui suffirait de tirer en l’air et de les menacer pour se faire abattre et pouvoir ensuite tranquillement quitter la morgue mais il n’y pense pas, il n’a aucune expérience.
Déroutant les policiers, il court vers l’un d’eux, encaisse un rayon paralyseur dans le bras et une balle dans la jambe mais il continue, tire à bout portant sur celui qui est en face de lui et saute dans une voiture publique qu’il démarre en trombe, droit vers le ciel, aussitôt pris en chasse par les véhicules de police bien plus rapides.
Il a à peine parcouru six cents mètres verticalement que sa voiture bloque les commandes, prise en main par les policiers qui la suivent. Elle s’arrête en vol stationnaire mais le fugitif n’attend pas l’arrivée des autorités. Il tire dans le pare-brise, sort sur le capot et saute dans le vide. La chute est longue. Au passage il heurte deux véhicules volant en sens inverse, se brise la colonne vertébrale sur un troisième et finit sa chute, déjà mort, dans l’eau sombre et agitée du port.
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Base internationale Luna 3 (Territoire neutre)
- Il faut que j’y retourne. Je dois en avoir le cœur net.
Planté devant une baie vitrée, les mains sur les hanches, Ibrahim contemple le paysage désertique. Assise quelques pas derrière lui, Mary-Ann tente de le raisonner.
- Mais enfin ça n’a pas de sens ! Tu conviens avec moi que ce n’était aucun des membres du groupe ni un accompagnateur ?
- Non, bien sûr. Nous l’aurions senti beaucoup plus nettement.
- Alors comment veux-tu qu’il y ait un buzz perdu tout seul au fond d’un cratère de la Lune ! Un Sélénite Immortel ? Et je te répète que moi je n’ai rien perçu.
- Je suppose que tu étais plus loin que moi quand nous sommes passés à côté ou peut-être est-ce parce que je suis plus âgé que toi, mais je t’assure que je n’ai pas rêvé. C’était faible, mais c’était un buzz, j’en mettrais ma tête à couper.
- Et bien retournons-y, nous verrons bien ! Ce n’est pas que la balade était tellement rassurante mais au moins tu seras plus tranquille.
- Oui. Et cette fois je prends une épée.
- Mais... Comment veux-tu la rentrer dans ton scaphandre ! C’est une chose de la cacher dans un imperméable, cela en est une autre de la glisser dans une combinaison de sortie spatiale... Et même si tu y parviens, tu auras l’air malin si tu la crèves alors que tu es dehors. De toute façon tu ne pourras pas combattre dehors, sois raisonnable.
Une heure seulement après être rentrés de leur première sortie, Ibrahim et Mary-Ann sont à nouveau en tenue et prêts à affronter le désert lunaire. Ils ont dépensé une petite fortune pour louer un véhicule et un accompagnateur individuels mais ont bien autre chose en tête que de regarder ce que désigne leur guide, comme la cloche de verre qui protège la toute première empreinte humaine posée sur la Lune, presque un siècle auparavant. Les deux Immortels se souviennent de cet événement fascinant comme s’il s’était passé la veille. Pour Ibrahim surtout, il a symbolisé le bond technologique et la furieuse accélération des découvertes qui ont quelque peu mis à mal sa tranquille assurance d’Immortel que son âge lui donnerait le savoir et l’avantage en toutes circonstances.
Leurs pensées sont soudain interrompues par un buzz très discret mais néanmoins perceptible. Ils font arrêter le véhicule et descendent en quelques bonds au fond du cratère près duquel ils roulaient. La radio d’Ibrahim cliquette un instant. C’est Mary-Ann, qui lui fait de grands signes pour attirer son attention.
- Tu as raison, j’avoue, moi aussi je le ressens. Mais nous sommes visiblement les seuls ici. Ce sont peut-être des rayonnements cosmiques qui perturbent notre sensibilité au buzz, ou une forme de radioactivité des roches...
- Enfin Mary, nous ne fonctionnons pas comme un vulgaire détecteur. Non, je suis convaincu que si nous sentons cela c’est qu’un Immortel est présent.
- Je serais aussi tentée de le croire, mais regarde autour de toi. Et que sais-tu de nos réactions dans l’espace ?
- On en reparle dans un siècle ou deux, quand j’aurais plus de recul sur ce sujet. En attendant...
Ibrahim est interrompu par un signal prioritaire sur sa radio ainsi que par un flash lumineux venant du bord du cratère. C’est leur guide qui les rappelle, leur réserve d’oxygène s’épuise ; il est temps de rentrer à la base. Cette simple distraction fait perdre aux Immortels le signal ténu qui les a guidés jusqu’ici. Bredouilles ils remontent donc, bien décidés à revenir dès que possible et plus directement jusqu’à la source.
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Bureau européen du comité pour la libération des Etats, Paris (Union Européenne)
Grégoire, plus impressionné qu’il veut bien l’admettre par l’incroyable attirail technologique déployé sous ses yeux, attend patiemment de se voir remettre le kit du parfait petit espion, gadgets mortels compris. Au moment de lui poser les micros émetteurs, toutefois, le technicien lève un sourcil étonné et se tourne vers l’agent Paterson qui attend en retrait. A son tour il regarde l’écran que lui montre l’homme et, portant la main à son arme, il fixe l’Immortel droit dans les yeux.
- Vous essayez de nous doubler, Vendran ?
- Je vous demande pardon ?
- Nous avons convenu de bosser en confiance autant que faire se peut. A quoi jouez-vous, pour qui d’autre travaillez-vous ?
- Expliquez-vous nom de Dieu, qu’est ce qu’il y a !
- Vous êtes truffé de micros et de localisateurs, voilà ce qu’il y a ! Dire que vous êtes introduit jusqu’au cœur de notre base... Aucun signal ne peut en sortir mais l’endroit même où il s’éteint suffit à en donner la position. Vous compromettez la sécurité de milliers de personnes et l’avenir même du monde libre, vous vous en rendez-compte j’espère !
- Eh la, une minute, je n’ai rien compromis du tout, moi, qu’est ce que c’est que cette histoire ?
- Voyez-vous même : Le talon de votre chaussure droite, ce bouton sur votre veste, l’autre à votre col et la boucle de votre ceinture renferment une balise de positionnement. Dans votre montre, l’ourlet de votre pantalon et le revers de la veste, ce sont des micros enregistreurs et émetteurs.
- Mais d’où viennent-ils ?
- J’espérais que vous me l’apprendriez, mais votre déni semble sincère. Le temps nous manque pour enquêter là-dessus. Nous allons simplement vous en débarrasser pour l’instant et nous aviserons plus tard.
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Quartier général des guetteurs d’Europe, Prague
« Abel Piersen » contemple d’un air absent la salle déserte où miroitent des dizaines d’écrans que personne ne regarde. Le boulot de guetteur n’est plus ce qu’il était... Chaque Immortel est tracé, son parcours enregistré minute par minute, ses paroles engrangées mot à mot dans les immenses bases de données automatisées des guetteurs, legs de la génération précédente. S’ils avaient su que leur travail acharné à la recherche du guet infaillible allait tuer l’un des plus anciens métiers de la terre, ils auraient peut-être hésité un peu plus avant de le confier à des machines.
Certes, plus rien ne leur échappe. Chaque Immortel connu, bardé à son insu de dizaines de micros et de traceurs, écrit lui-même sa chronique précise dans les moindres détails. Grâce ou à cause de ce système, l’Europe entière ne compte plus qu’une dizaine de guetteurs. Leur travail consiste simplement à renouveler les émetteurs grillés lors d’un quickening ou à en installer dans les vêtements neufs ou les nouvelles résidences des Anciens. Ils n’ont même plus besoin de rechercher les nouveaux-venus, un ordinateur aussi est dédié à cette tache. Inlassablement, il parcourt les millions de news diffusées sur Internet, compile les archives des hôpitaux et des polices, les témoignages des journaux à la recherche de spectaculaire, pour en sortir avec une précision exemplaire l’identité et les coordonnées du jeune Immortel qui se retrouve fiché et tracé parfois avant même d’avoir pris conscience de ce qu’il est ! Le système en profite pour effacer ces traces lorsque cela lui est possible, afin que des non-initiés ne puisse en tirer les mêmes informations que lui sur l’existence des Immortels.
Celui qui se fait appeler « Abel », fils supposé d’un « Adam » devenu théoriquement trop vieux pour travailler, s’ennuie ferme dans sa salle de contrôle. Il est guetteur par intermittence depuis des millénaires et cela n’a pas toujours été facile, même si les connaissances que cela lui a apportées sur ses compatriotes lui ont en bonne partie permis d’atteindre l’âge qu’il a actuellement.
En soupirant, Méthos décapsule une nouvelle bouteille de bière, l’avale presque d’une traite en grimaçant. Depuis que la loi sur les boissons les empêche de dépasser 1° d’alcool, la vie a perdu un peu plus de son charme. Un nouveau bâillement fait craquer sa mâchoire. Il est tenté d’arrêter le guet au moins pour un moment, une décennie, un siècle peut-être, mais il sait que s’il le fait, plus personne ne gèrera ce centre, qui a tout de même besoin d’un minimum de maintenance humaine. Et puis, qui d’autre en Europe peut embaucher des mortels capables d’approcher des Immortels sans attirer leur attention ? Il a parfois l’impression que les guetteurs n’existent plus que pour lui. Ils guettent sans vraiment de conviction, perpétuant la tradition mais sans la foi. La preuve, il n’y a plus d’historiens, plus personne pour lire avec émerveillement les chroniques des grands Immortels. Ils stockent l’Histoire sans l’apprendre.
Le plus vieux des hommes se renverse sur sa chaise et pose les pieds sur son bureau, entre le micro et la souris qui ont depuis longtemps remplacé le fusain, le calame, la plume, le stylo ou le clavier qu’il a au cours des âges utilisés pour écrire son journal. Il s’apprête à plonger dans une nouvelle sieste quand un bip strident et répétitif lui fait lever un sourcil. Sans vraiment y croire, il descend en quelques pas lestes dans la fosse des ordinateurs, en contrebas de son bureau de supervision. Sur l’un des écrans des courbes s’affolent, des fenêtres clignotent pour attirer son attention.
- Comment ça Grégoire Vendran n’émet plus ?
Méthos lance quelques requêtes hâtives, mais n’apprend rien de plus. Son signal a disparu, c’est tout.
- Enfin, ce n’est pas possible, tous ses émetteurs ne sont pas tombés en panne au même moment !
Il ne prête même pas attention à l’alerte plus discrète car plus banale du moniteur d’à côté dont le dossier est en train de se clôturer et d’être transféré vers les baies d’archivages tandis que précisément au même instant un autre, quelques pas plus loin, voit une bonne partie de ses émetteurs mis hors services par le quickening du vainqueur d’un duel. Les analyses le confirment, Vendran ne s’est pas battu, et même si c’était le cas, il n’aurait pas grillé l’ensemble de ses espions qui sont conçus pour résister au moins en partie à la puissance dévastatrice des quickenings.
Au lieu de le déranger, ce problème fait plutôt plaisir à Méthos. Il a enfin quelque chose à faire !
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Une côte escarpée, fédération Nord-Américaine (Secteur Nord)
Grelottant dans ses vêtements trempés, Harry escalade péniblement la falaise qui surplombe la côte où il s’est échoué. Il a perdu son pistolet dans sa chute et sa noyade, mais par miracle son épée est toujours présente à sa ceinture. Il ignore combien de temps il a dérivé et même où exactement il se trouve mais c’est loin d’être ce qui le préoccupe le plus. Par sa faute, MacLeod, l’ami de son mentor, est mort en public et va être obligé de quitter sa ville. Plus grave encore il a tué, pour la première fois de sa vie, il s’est ouvert un chemin sanglant à travers les policiers qui tentaient de l’arrêter. Il a même laissé sa femme en plan au milieu de la pagaille, et tout cela parce que sa peur et son manque total d’assurance lui ont fait perdre la raison...
Que faire à présent ? Son portefeuille a dû glisser de sa poche pendant qu’il flottait mort entre deux eaux et il n’a plus de papiers, de cartes de paiement, de téléphone. Même sa montre est hors d’usage, ayant probablement encaissé un mauvais choc lors de sa chute de la voiture.
A quelques centaines de mètres de la rive il parvient à une ancienne route goudronnée. A défaut de mieux il la suit vers ce qu’il suppose être le sud, espérant vainement croiser un véhicule terrestre, oublié de la révolution des voitures à répulseurs. Si encore il s’était agi d’une ancienne autoroute, il aurait pu croiser un convoi de marchandises ou un transport économique de passagers, mais aussi loin des grands axes ses chances d’être trouvé sont minimes. De plus... Il se regarde un instant et se rend compte que, même s’il rencontre quelqu’un, il est peu probable que le conducteur s’arrête pour le faire monter vu son état lamentable. Son costume est en lambeaux, couvert de sang, il empeste le sel et le varech... Un véritable mort-vivant !
Un violent éternuement secoue le corps de l’Immortel encore débutant. S’il l’avait pu, il aurait sûrement attrapé une pneumonie. Le vent forcit à nouveau, la température n’est guère au-dessus de zéro et l’air est trop humide pour lui permettre de sécher. Des conditions idéales pour les vacances !
Tentant vainement d’empêcher ses dents de claquer, il soupire, resserre autour de lui ce qui reste de son manteau et continue sa lente marche solitaire vers - il l’ignore encore - Anchorage.
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Quais de Paris (Union Européenne)
Pour la centième fois en dix minutes Patrick Ramstein regarde sa montre. Son nouveau coéquipier a plus de deux heures de retard, et ce n’est que leur troisième rencontre. Une relation difficile en perspective. Ils l’ont pourtant bien prévenu au QG que c’est un gars spécial à qui il ne faut pas poser trop de questions.
Lorsque enfin sa silhouette s’approche de la terrasse du pub où ils ont rendez-vous, le jeune agent se lève et débite toute la critique qu’il a eu le temps de ruminer durant sa longue attente.
- Enfin Vendran, vous vous rendez-compte qu’en étant aussi peu ponctuel vous compromettez l ‘équilibre de la mission ? Dans une équipe il faut se faire confiance et se parler pour que le boulot avance et...
- Ecoute gamin, je n’ai pas demandé à bosser avec tes patrons, encore moins avec toi, alors estime-toi déjà heureux que je sois venu, OK ?
- Mais... mais...
- Pas de mais. Au lieu de perdre du temps, tu ferais mieux de me briefer sur la mission de tout à l’heure.
- Bon, d’accord, mais qui que vous soyez je ne vous autorise pas à me parler sur ce ton. Et puis qu’est ce que c’est que cet imperméable, vous vous croyez dans un western du XXeme siècle ou quoi ?
- Cela ne te concerne pas non plus. Alors, synchronisation des montres et tout le toutim ?
- Mais voyons, toutes les montres sont synchronisées en permanence sur la net-time depuis plus de trente ans !
- Je sais, c’est l’habitude...
Le soir même, embusqués dans une voiture discrète non loin de la propriété de l’un des pontes de la Coratec, Grégoire et Patrick se relayent aux jumelles tandis qu’un spécialiste installé à l’arrière tente de pirater le système de sécurité de la maison. Un peu plus loin, dissimulés de la même façon, trois autres véhicules les accompagnent. Leur objectif semble simple, mais il comporte de gros risques. Ils doivent, en se faisant passer pour un groupe d’indépendantistes italiens, kidnapper le directeur européen du développement, afin de l’interroger et de lui soutirer l’un des éléments les plus importants dans leur lutte contre la multinationale : l’identité du CEO, le P.D.-G. de la Coratec Corporation lui-même. Son anonymat paraît impossible, mais l’homme est d’une discrétion telle que son nom n’a jamais été impliqué directement dans les affaires publiques. Il est pourtant devenu la cible prioritaire, l’homme à abattre pour se libérer du joug de la compagnie tentaculaire. Et s’il le faut, ce sont tous les directeurs qui seront éliminés un par un.
Le problème c’est qu’une société comme celle-ci ne laisse pas les membres de son conseil d’administration sans surveillance. La maison qu’ils doivent prendre d’assaut est truffée de caméras, de pièges et de vigiles armés. Il va leur falloir jouer en finesse pour éviter que le kidnapping ne finisse dans un bain de sang, sachant qu’au pire ils sont prêts à en payer le prix tant ils sont aux abois.
Impatient, l’Immortel regarde sa montre. Il sait que ses collègues n’attendent pas la relève de la garde, ceux-ci sont trop méfiants pour se remplacer tous en même temps. Quoi alors ? Aucun des membres de l’équipe d’assaut n’a tous les détails, pour éviter qu’en cas de capture l’un d’eux puisse mettre les autres en danger.
Patrick le pousse légèrement du coude.
- Regardez, notre diversion arrive.
Du coin de la rue déserte, un ancien camion-citerne approche en zigzaguant dangereusement et va s’écraser contre le mur de la propriété. Le temps qu’un détachement de gardes vienne voir ce qui se passe, l’épaisse fumée rougeâtre qui s’échappe par bouffée de la cuve renversée a envahi la zone.
- Et maintenant, que faisons-nous ? demande Grégoire.
- On attend, tout n’est pas encore en place.
Comme pour illustrer ses dires, un concert de sirènes se déclenche progressivement, de pompiers, puis de police, à mesure que les énormes véhicules volants se stabilisent au-dessus de l’accident et l’arrosent de neige carbonique. Une escouade de sauveteurs en combinaison intégrale descend jusqu’au sol et évacue le conducteur tandis que d’autres pompiers, posés directement dans le jardin, tentent d’emmener les gardes. Mais au lieu de les suivre ceux-ci se replient tous dans la maison.
Patrick jure et attrape son micro, brisant le silence radio.
- Le plan A ne passe pas, les gardes sont toujours là et concentrés sur la zone C2 ! On continue quand même, tactique Gamma-Delta. Une fois sur place, autorisation d’ouvrir le feu.
Puis reposant son communicateur il explique à Grégoire
- La citerne est censée contenir un produit chimique très dangereux. Nous pensions qu’ils emmèneraient le directeur à l’abri sans prendre le temps de monter le système de sécurité et d’escorte qu’il a toujours en déplacement, et nous aurions attaqué le convoi sous-sécurisé.
- Bien vu les gars. Et maintenant qu’il s’est deux fois plus barricadé dans sa maison où il a probablement au moins un abri anti-atomique, vous faites quoi ?
- On attaque.
- Vous voulez débarquer là-dedans à la Rambo, descendre tout le monde et embarquer votre type ?
- Qui est Rambo ?
- Le héros d’un vieux film en 2D. Non, écoutez, on va essayer quand même de rentrer en douceur... Vous avez vu sa garde personnelle ? Ils vont vous descendre en moins de deux.
- Nous n’avons pas le choix, Vendran. C’est notre dernière chance.
- Au contraire, vous allez griller votre dernière chance. Pour l’instant, il ne croit qu’à un banal accident. Quand l’alerte sera passée, il ressortira de sa coquille et nous pourrons essayer autre chose. Si vous chargez maintenant, il verra à quel point vous le voulez et vous n’aurez plus jamais la moindre chance de l’approcher.
Patrick hésite un moment. Sa radio crépite à nouveau.
- Lieutenant Ramstein, confirmation de l’ordre d’attaquer ?
- Non sergent, on annule l’opération. Je prends la responsabilité de la reporter. Faites évacuer vos hommes, en toute discrétion.
Il se retourne alors vers Grégoire.
- J’espère que vous avez raison. Si à cause de vous toute cet OP est gâchée, vous aurez affaire à moi.
- Croyez-moi, j’ai l’habitude. Ce n’est pas en l’acculant avec 50 GI’s que vous ferez sortir l’animal de sa tanière.
- Vous avez déjà bossé pour la CIA, le FBI peut-être ? Je n’ai pas eu accès à votre dossier.
- Non, mon rayon, c’était plutôt les Chevaliers et les Hussards, mais ça revient au même.
- Je vous demande pardon ?
- Je plaisante. Rentrons, mieux vaux ne pas traîner plus longtemps dans le coin.
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Base internationale Luna 3 (Territoire neutre)
Attablés au restaurant panoramique surplombant la base lunaire, Ibrahim et Mary-Ann dînent en faisant attention à ne pas faire de gestes trop brusques pour ne pas envoyer le contenu de leur assiette flotter jusqu’au sol. Soudain, ils lèvent ensemble la tête et portent de concert la main à la ceinture où se trouvent d’ordinaire leurs armes. Mais il est bien difficile de justifier le port d’un manteau long dans les couloirs climatisés de la station, aussi leurs épées sont-elles restées dans leurs chambres. Même Ibrahim a délaissé son burnous de Targui pour se fondre dans l’anonymat des touristes ordinaires.
Tout en faisant semblant de continuer à parler pour ne pas se dévoiler, les deux Immortels parcourent discrètement, la salle des yeux, à la recherche de celui des leurs qui vient d’arriver. Ce vacancier en chemise à fleur, là-bas ? Ou ce serveur en tenue peut-être ? A moins que ne ce soit l’hôtesse qui guide le groupe de Japonais...
Le buzz s’intensifie, il devient très fort. Même Ibrahim qui n’est plus tout jeune est impressionné par une telle puissance. Un homme en combinaison d’employé de la base, d’une vingtaine d’années d’apparence, se détache d’un groupe de techniciens et vient s’asseoir à leur table avec un fin sourire.
- Bonjour, bienvenue sur la Lune. Rassurez-vous, je n’ai pas non plus mon épée et de toute façon je ne cherche pas le combat.
- Vous travaillez ici ? demande Mary-Ann, comment se fait-il que nous ne vous ayons jamais ressenti ?
- Je suis souvent en extérieur ces temps-ci.
- Du côté de la mer de la Tranquillité par exemple ?
L’inconnu accentue son sourire.
- Oui par exemple.
- Et vous aimez vous y cacher sous le sable pour que l’on ne vous y trouve pas ?
- Quelle perspicacité ! Je crois que nous devons parler sérieusement, Mary-Ann.
- Qui vous a dit mon nom ? Nous sommes-nous déjà rencontrés ?
- Non, je n’ai pas eu ce plaisir, mais la Lune est un peu mon territoire, vous comprendrez que vous et Ibrahim - ne soyez pas si surpris ! - ne pouviez passer inaperçus en débarquant ici avec des épées dans vos bagages.
- Mais comment le savez-vous puisque les détecteurs ne les ont pas vues ?
- Il se trouve qu’il y a quelques décennies, j’ai vu venir le jour où les systèmes de sécurité seraient trop performants pour nous permettre de garder nos épées avec nous, et donc nos têtes. J’étais informaticien alors, et je me suis arrangé pour produire les puces qui traitent le signal des détecteurs et en analysent les résultats. J’ai fait du bon boulot, à tel point que ce sont mes puces et leurs descendantes qui équipent aujourd’hui pratiquement tous les détecteurs du marché et qui les rendent aussi performants. A un détail près. Elles savent très bien reconnaître les épées, sabres et autres katanas et les passer sous silence. Sans cela vous pensez bien que 5 ou 10 kilos d’acier dans une valise seraient systématiquement remarqués, il ne faut pas être naïf au point de penser qu’envelopper une lame dans un sac plombé suffit à la cacher ! J’ai fait cela dans notre intérêt à tous, mais il est normal que je ne laisse pas une telle information se gaspiller et que je m’en réserve l’exclusivité. Grâce à cela, comme nous sommes bien les seuls de nos jours à nous promener avec ce genre d’accessoires, je sais à coup sûr que l’un des nôtres est ici, puisqu’il n’y a pas trente-six façons d’arriver sur la Lune et d’y habiter. Comme quoi la technologie ne joue pas forcément en notre défaveur !
- Et sans indiscrétion, que faites-vous sur la Lune ?
- C’est indiscret. Nous en parlerons plus tard si vous le voulez bien. En attendant, accepteriez-vous d‘être mes hôtes ce soir ?
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Etat d’Alaska, Fédération Nord-Américaine (Secteur nord)
Avec un sifflement rauque, Harry recommence à respirer. Il vient de mourir d’hypothermie pour la troisième fois de la journée et cela devient lassant. Ses ampoules et ses coupures ont disparu mais il se sent toujours aussi exténué, il faut dire que parcourir l’Alaska à pied à la fin de l’hiver sans équipement ni nourriture n’est pas une chose facile, même pour un Immortel.
Il reprend un peu de courage en distinguant au loin les lumières d’une ville qu’il sait être Anchorage d’après les restes de panneaux indicateurs de l’ancienne route qu’il suit. Ce qu’il fera une fois là-bas, il n’en sait rien. Il n’est que peu probablement recherché par la police qui l’a vu mourir, mais comment expliquer son état et sa provenance sans dévoiler son identité ?
Il a encore plus de vingt kilomètres pour y réfléchir, peut-être moins s’il peut attirer avant l’attention d’un véhicule volant bas. L’amnésie serait un bon prétexte, il dira s’être écrasé dans la mer au volant de sa voiture et ne se souvenir de rien d’autre. Cela lui fera sans doute gagner un peu de temps pour se remettre d’aplomb et aviser pour la suite.
Faire un pas, encore un, un autre encore. Il récupère très vite à chacune de ses pauses et sait que quitte à mettre une année entière il finira bien par arriver à destination puisque que rien ne peut vraiment l’arrêter, mais pour le simple fonctionnaire qu’il a toujours été l’épreuve est particulièrement pénible.
Alors qu’Harry est sur le point de succomber une fois de plus au froid et à la fatigue, un véhicule se détache du flot lointain de l’aéroroute et se dirige droit vers lui. Sans qu’il ose vraiment y croire, la voiture abaisse progressivement son altitude et se place en position d’atterrissage.
Les dernières choses que l’Immortel a le temps de voir avant que ses membres gelés et son cœur épuisé le lâchent une fois de plus sont les silhouettes des occupants de la Ford noire venue à son secours sauter à terre et s’approcher de lui.
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Alpes suisses (Communauté Helvétique indépendante)
Dans le chalet abandonné depuis des années, car construit sur un terrain trop escarpé pour poser une aérovoiture, on n’a jamais vu tant de remue-ménage. Au milieu d’un salon nettoyé à la va-vite et débarrassé de ses meubles, un homme en costume noir est ligoté sur une chaise. Malgré son bâillon et ses yeux bandés, il se tient très droit, presque aussi impérial que lorsqu’il siège en conseil d’administration. Cet homme et ses semblables passent leur temps à négocier sur des mises énormes. Ses ravisseurs ne sont en fait que des concurrents comme les autres, et que sa propre vie soit l’enjeu de la négociation ne l'émeut pas outre mesure. Plus grand chose ne l'affecte, de toute façon.
Dans la pièce mitoyenne, soigneusement isolée, Patrick n’arrive toujours à y croire.
- Nom de Dieu, Vendran, mais comment avez-vous fait ! Von Goghenard est l’un des hommes les plus étroitement protégés de la planète, et vous nous l’amenez seul et sans une égratignure. Je comprends pourquoi les chefs vous ont embauché, mais ça n’explique pas comment vous vous y êtes pris.
- C’est un tour de magie ! Et n’oubliez pas qu’un magicien ne révèle jamais ses trucs. Bon, vous l’interrogez, votre gaillard ?
- Oui, de ce pas. Vous pouvez y assister mais n’ouvrez pas la bouche. Nous sommes censés êtres des indépendantistes italiens et Von Goghenard parle très bien la langue. Laissez faire Tomasini et d’Arno, ils n’ont aucun accent.
- Je parle très bien italien vous savez.
- Peut-être, mais il faut avoir vécu dans le pays pour parler comme eux.
- Oui en effet. Je ne suis resté à Florence que quatre-vingt dix ans, ce n’est pas assez, vous avez raison.
- Je vous demande pardon ?
- Non, je plaisante, comme d’habitude. Allons-y.
L’interrogatoire est long et fort douloureux, le directeur est coriace, il refuse de se laisser intimider. Ce n’est qu’en enfreignant assez profondément la convention de Genève que les agents parviennent à lui soutirer des informations, et encore, elles ne les renseignent pas beaucoup.
Alors que Patrick et ses hommes prennent une pause, Grégoire marche autour du chalet, savourant la fraîcheur de l’air printanier. Les premières étoiles s’allument dans le ciel, mais sont vite éclipsées par la pleine lune montante. Grégoire la contemple et il se remémore en même temps ses longues discussions avec Copernic et les publicités tridimensionnelles vantant les séjours à la base de loisirs Luna-3. Il faudra qu’il y aille un jour tout de même... Tant de trajet accompli par les sciences, et personne ne semble s’en rendre compte et apprécier à sa juste valeur ce que le simple fait d’avoir de l’eau chaude représente.
Soudain, un bruit incongru dans le paysage vient interrompre ses réflexions. L’Immortel tend l’oreille et court vers la maison.
- Loro uomi di la Coratec arrivani !
Les deux agents qui comprennent l’italien se jettent sur leurs armes, mais Patrick lui fait signe qu’il n’a pas compris. Au diable la couverture !
- Les hommes de la Coratec arrivent, répète l’Immortel en français. Je savais qu’ils le retrouveraient, mais pas si vite, fuyez !
A cet instant le son des répulseurs des aéro-Hummers en approche devient perceptible de l’intérieur du chalet, mais ce n’est pas à lui que les hommes prêtent le plus d’attention. Un autre bruit le couvre en partie, suraigu et beaucoup plus dangereux à court terme.
- Couchez-vous ! hurle Grégoire.
Dans un sifflement assourdissant, deux roquettes thermiques parties des transports d’assaut frappent le chalet de plein fouet. Grégoire, qui s’est vivement approché de l’homme ligoté au centre de la pièce, n’a que le temps d’attraper Patrick par les épaules et de se rouler en boule avec lui sous une table avant que toute la maison n’explose en une énorme boule de feu et de débris incandescents.
Lorsque les flammes et la fumée se dissipent un peu, plus rien ne bouge dans les débris du chalet. La chaleur a soufflé les parois de bois mais l’on distingue encore les restes d’une chaise avec un corps dessus, et un peu plus loin deux autres cadavres noircis, des mitraillettes à la main. De l’autre côté, protégés par une lourde table de chêne, deux autres corps semblent un peu moins abîmés.
Celui du dessous bouge même encore un peu. En gémissant, Patrick repousse le corps de son coéquipier qui vient de lui sauver la vie par son sacrifice (Il a une main couverte de sang, le dos carbonisé, plusieurs éclats de bois, de verre et de métal y sont plantés) et rapproche ses membres meurtris. L’agent se relève en prenant garde à ne pas peser sur sa jambe blessée et regarde autour de lui en soupirant. Quel gâchis ! pense-t-il. Ses collègues sont tous morts et l’homme pour lequel ils se sont donnés tant de mal ne parlera plus jamais à personne. Il s’apprête à quitter les lieux en clopinant quand un bruit et un gémissement derrière lui le font sursauter. Il se précipite pour aider Grégoire à se relever.
- Bon sang Vendran, vous allez bien ? Je suis désolé de vous avoir laissé là, je vous ai cru mort ! Montrez-moi vos blessures, il faut sûrement aller à l’hôpital...
- Non, c’est inutile Patrick, je t’assure, ce sont juste des égratignures.
- Vous vous moquez de moi, ces éclats étaient assez tranchants pour traverser un gilet pare-balles ! Retournez-vous !
Sans laisser à Grégoire le temps de réagir, Patrick passe derrière lui, écarte délicatement les débris de son costume et reste interdit en découvrant sous les lambeaux de tissu et le sang séché une peau immaculée, impeccable, sans une éraflure. Il est pourtant bien certain d’avoir vu de près ce dos en charpie quelques instant seulement auparavant !
L’Immortel se retourne et secoue l’agent stupéfait.
- Venez il ne faut pas rester ici, ils sont sans doute simplement allés chercher un terrain plus propice pour atterrir et risquent d’arriver d’une minute à l’autre pour nettoyer le chantier. Ils ne seront pas très contents de voir que le boulot n’est pas fini.
- Mais... Vous...
- Je vous expliquerai plus tard, dépêchez-vous !
En écho à ses paroles, des voix rauques et des bruits de bottes se rapprochent dangereusement.
Remettant toutes ses questions à plus tard et serrant les dents pour oublier la douleur de son mollet ouvert, Patrick disparaît dans la forêt sombre à la suite de Grégoire. A tout prendre, mieux vaux un mort-vivant qu’une escouade de tueurs lourdement armés.
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Base souterraine secrète 21 km au sud de Luna 3
Impressionnés, Ibrahim et Mary-Ann suivent leur hôte dans les couloirs d’une ancienne installation scientifique abandonnée.
- J’ai découvert cette base par hasard il y a dix-huit mois. J’étais là avec l’équipe d’architectes pour la transformation de Luna 3 en centre de loisirs et je me suis demandé ce qui provoquait un décalage dans les relevés géosismologiques. D’après les documents que j’y ai trouvés, c’était un programme secret du gouvernement : Il y a quelques années des chercheurs ont découvert ici même un immense monolithe noir fait d’une matière inconnue et bourdonnant, un peu comme un buzz pour les mortels semble-t-il. Ils ont installé à grand frais et en toute discrétion cette base pour l’étudier mais il a disparu un jour, les laissant seuls avec le sable. Du coup ils ont tout laissé sur place et sont repartis. Je n’ai eu qu’à rénover la ventilation et réparer la régulation thermique, le reste est impeccable. L’avantage, c’est que je ne suis pas dérangé par les voisins... ni les nôtres, en tout cas jusqu’à ce que vous promeniez vos buzz au-dessus de ma tête.
- Il faut dire que votre signal est difficile à manquer, même un débutant vous sentirait de loin en terrain découvert.
- Je sais bien, et j’espérais que des dizaines de mètres d’acier, de plomb et de roches lunaires suffiraient à le masquer, mais il faut croire que ce n’est pas encore assez, à supposer même que cela ait le moindre effet sur les buzz. Je voulais étudier ça plus en détail, voir si fabriquer un détecteur d’Immortel est possible, mais sans avoir eu le temps jusqu’à présent.
- Mais pourquoi la Lune et toutes ses contraintes ? Il reste suffisamment de coins isolés sur Terre, non ?
- Non, pas pour mon activité. Voyez-vous Ibrahim, je me considère comme l’Immortel expert en informatique. Je suis né avec elle, j’ai suivi toute son histoire, et je peux vous dire que nulle part sur terre on est à l’abri du regard intraitable des satellites et protéger un point d’accès au Réseau ou une base de données y relève de l’exploit. L’avantage de la Lune, c’est que c’est moi qui en ai monté toute la structure réseau et le backbone de connexion Internet, le moindre bit d’information échangé avec la Terre passe sous mon contrôle. Je suis sûr ainsi d’être protégé et discret. C’est dans la maîtrise des réseaux qu’est le vrai pouvoir, vous savez.
- Attendez, vous dites êtres né avec l’informatique ? Au milieu du XXème siècle ?
- Oui, presque vers la fin même. Pourquoi, vous me donniez quel âge ?
- A votre buzz, au minimum deux mille ans ! Comment pouvez-vous détenir une telle puissance en n’ayant même pas un siècle !
- C’est une longue histoire. Au fait, je ne me suis toujours pas présenté : Aaron Leblanc*.
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Seacouver (Fédération Nord-Américaine, secteur Ouest)
Harry ouvre les yeux. Il a ressuscité depuis longtemps, mais son corps était malgré cela si fatigué qu’il a dormi de longues heures. Il est allongé dans des draps propres, sur la table de nuit à ses côtés, une carafe d’eau, un verre et un sandwich le tentent, il n’a rien mangé depuis si longtemps ! Il résiste à l’envie de se rassasier tout de suite, tenant d’abord à rencontrer et à remercier ses sauveteurs.
L’Immortel se lève, revêt les habits propres qui l’attendent au pied de son lit avec son épée et alors seulement il sursaute en remarquant dans un coin sombre de la chambre la silhouette assoupie dans le fauteuil. Il s’en approche en tremblant et, n’osant y croire, lui touche délicatement la main.
- Maggie...
Les traits tirés par la fatigue, elle accuse plus que d’habitude l’âge qui avance inexorablement, tandis que son mari reste dans la cinquantaine qu’elle a pourtant quitté, en même temps que lui, plus de dix ans avant. Elle ouvre les yeux et le regarde d’un air sévère.
- Bonjour Harry. Ils t’attendent en bas. Tu leur dois des explications je crois... A moi aussi, mais nous en parlerons plus tard.
Intimidé par cet accueil froid, l’Immortel se contente de baisser les yeux et d’obtempérer. Il sort de la chambre et parcourt la pièce des yeux avant de repérer l’ascenseur pour descendre. Il se trouve dans le vieux Seacouver, dans un immeuble en bon état mais si ancien qu’il a encore des murs de pierre. L’ascenseur lui-même, plutôt le monte charge, est d’une vétusté incroyable, sa peinture verte ne se distingue plus que par endroits et il n’a même pas de commande vocale. Toutefois la mécanique est bien entretenue et il remplit son office en l’emmenant à l’étage inférieur.
Harry fait quelques pas dans une grande salle boisée, pratiquement vide à part de très anciens appareils de musculation et, sur les murs, des bâtons et des épées d’entraînement. Les deux hommes qui s’y entraînent à l’escrime s’interrompent à son approche. Il baisse les yeux, honteux.
- MacLeod... je suis... désolé. Je ne voulais pas...
- Je le sais Harry. Rassurez-vous. Richie est arrivé et m’a emmené avant que la Police puisse m’identifier, tout occupée qu’elle était à vous poursuivre, et vous serez sans doute heureux d’apprendre que le policier sur lequel vous avez tiré va bien. Il portait son gilet pare-balles, il s’est relevé presque tout de suite. Vous voyez, ce n’est pas si grave. Mais j’espère que cela vous aura servi de leçon et vous incitera à plus de calme.
- Mettez-vous à ma place. Je n’ai aucune chance dans une rencontre !
- Nous sommes tous passés par là, ce n’est pas en vous le répétant que cela changera. Et puis vous ne risquiez rien en pleine foule de toute façon.
- C’était plus fort que moi... Je ne me contrôlais plus. En tout cas, merci, merci de continuer à me faire confiance. Votre aide m’est précieuse vous savez. Mais comment m’avez-vous trouvé ?
- Jim Dawson, le fils d’un ami, a retrouvé votre trace par satellite.
- Ah je vois.
En fait, cette explication ne le satisfait qu’à moitié, mais il a compris au ton de la voix de l’Ecossais que c’est une question qu’il vaut mieux ne pas approfondir.
- Harry, j’ai quelque chose d’important à vous proposer. J’en ai parlé à Richie, il pense aussi que ce serait une bonne idée. Bien que je n’aie plus pris d’élève depuis cinquante ans, je vous propose de continuer votre formation. Ce ne sera pas facile, je vous préviens, mais il n’y a aucune raison que vous n’ayez pas la possibilité de vous défendre. Si vous êtes d’accord, nous partons dès demain pour l’Europe.
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Alpes Suisses, position exacte inconnue
- Vendran... Arrêtez ! Je... je n’en peux plus...
A contre-cœur, l’Immortel ralentit le pas. Ils ont dévalé la pente abrupte sur des centaines de mètres en courant pour échapper aux hommes de la Coratec et il devient évident que l’homme blessé ne pourra aller plus loin pour le moment. Grégoire regarde vers le haut, mais le chalet d’où ils viennent est masqué par les arbres. La nuit est trop douce pour que des détecteurs de chaleur les trouvent de si loin, des branches les protègent des satellites, les sons de la forêt couvrent les leurs... L’endroit semble sûr, nul ne les trouvera ici, autant faire une pause.
Patrick se laisse tomber en gémissant sur un lit de fougères.
- Fais voir ta jambe, ordonne Grégoire. Bon, ce n’est que superficiel. Ca doit faire mal mais ça n’empirera pas tout de suite, serre les dents et ça ira.
L’agent blessé tente de sourire à travers sa grimace de douleur pour essayer de faire croire qu’il en a vu d’autres, mais Grégoire ne se laisse pas avoir. Depuis presque cent ans les hommes luttent à tout prix contre la souffrance, même lorsqu’elle est positive. A se faire anesthésier au moindre picotement, ils ont perdu toute endurance lorsque vient le moment de faire vraiment face. De son temps, les hommes vivaient en permanence avec la douleur physique, et si ce n’était guère agréable au moins cela leur permettait de résister lorsque venaient les vrais tourments.
- Vendran ?
- Mmh ?
- J’ignore ce qui vous a sauvé la vie, mais... merci d’avoir sauvé la mienne.
- De rien. Contrairement à ce que j’ai dit à ton boss, je n’allais quand même pas te laisser mourir sans rien faire.
- Mais je vous ai vu pratiquement mort, vous. J’en suis sûr. Je sais tout de même reconnaître un mourant quand j’en vois un. Vous étiez sur moi le dos ouvert jusqu’aux entrailles il n’y pas un quart d’heure, et nous sommes en train de discuter. Je veux savoir.
Grégoire soupire longuement. Il regarde la lune, l’herbe, le rocher. Peut-il faire confiance à cet homme au point de lui révéler son secret ? Il ne lui reste guère le choix. Il sait d’expérience qu’il est parfois plus prudent de dire à vérité à quelqu’un qui l’a découverte sans y croire que de tenter de la lui cacher et de faire empirer les choses.
- Okay. Si tes patrons m’ont embauché, ce n’est pas pour mes beaux yeux. J’ai l’avantage sur les agents comme toi de ne pas craindre les balles, le poison ou même les roquettes thermiques de la Coratec. Je ne peux pas mourir. Si cela arrive, je me relève quelques instants plus tard.
- Si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux en étant sûr d’être à jeun, je vous aurais ri au nez. Mais là... Comment est-ce possible ?
- Je n’en sais rien, honnêtement. Certains naissent aveugles, d’autres roux, d’autres encore sont Immortels. C’est comme ça.
- N’empêche que nous ramener Von Goghenard seul, c’était très fort.
- C’est un tout. Je suis mort quatre fois de suite pour l’approcher et l’avoir, et j’avais l’expérience qu’il fallait pour me débrouiller une fois qu’il était avec moi. Sans compter que si j’avais été si bon que ça, ils ne nous auraient pas retrouvés aussi vite.
- C’est déjà pas mal. Dommage que l’on ait pas eu le temps d’en apprendre assez.
- Dommage aussi pour Tomasini et d’Arno qui y sont restés, tu ne trouves pas ?
- Si bien sûr, mais... c’est le boulot.
- C’est terrible, ça, c’est toujours pour vous autres mortels que la vie humaine compte le moins...
- Au fait, qu’entendez-vous par expérience ? Vous ne mourez pas... depuis combien de temps ?
Grégoire soupire une fois du plus. Il espérait minimiser un peu la chose, ne pas tout dire d’un coup, mais c’est mal parti. Et inutile de lui mentir maintenant qu’il s’est tellement avancé.
- Je suis né en Provence vers 1370, 1380, je ne sais pas trop au juste, nous n’avions pas la net-time pour nous dire la date précise ! J’étais berger et homme à tout faire pour les moines d’une abbaye, mais comme l’un d’entre eux m’apprenait à lire, un peu les chiffres et le latin aussi, je serais peut-être devenu moine à tour et aurais vécu une vie sans risque jusqu’à m’éteindre de vieillesse mais...
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L’Isle sur la Sorgue Provence, fin du XIVème siècle
- Grégorius !
- Oui frère Michel ?
Epongeant d’un coin de sa tunique son front couvert de sueur, le jeune homme planta d’un dernier coup sa hache dans le tronc qu’il était en train de débiter et se retourna pour accueillir le moine qui approchait en relevant le bas de sa soutane pour ne pas qu’elle traîne dans la boue. Chassant la volaille criarde sur son passage, le gros religieux jetait autour de lui des regards de suspicion.
D’un air de conspirateur, il prit Grégorius par l’épaule et l’entraîna avec lui pour marcher. Le jeune homme se méfiait car il craignait que le moine renouvelle ses tentatives de corruption des corps, mais ce n’était pas ce qu’il avait en tête ce jour là.
Depuis plusieurs heures, le futur novice cheminait péniblement sur la caillasse, se tordant les chevilles et brûlant sous le soleil. Son outre était vide et il était parti sans même avoir le temps d’emplir sa besace d’un peu de pain et de pommes comme il le faisait lorsqu’il devait aller d’un village à l’autre. Un lièvre détala devant lui, il fut tenté un moment d’essayer de le capturer, mais cela lui aurait fait perdre du temps, et le frère Michel avait bien insisté sur l’urgence de la mission. Mais si cela avait été si pressé, pensait Grégorius, autant lui laisser emprunter le cheval de l’abbaye. Il savait assez bien le monter pour un roturier, et la vieille jument ne risquait pas de partir au galop !
Epuisé, le jeune homme décida malgré tout de faire une pause. S’asseyant à l’ombre d’un pêcher, hélas trop jeune pour donner des fruits, il se mit à mâchouiller un brin d’herbe pour tromper sa faim et sortit de son sac la lettre qu’il portait au seigneur. Dans sa précipitation, le moine n’avait même pas pris le temps de la cacheter, aussi, sans penser à mal et ne voyant là qu’une occasion de travailler sa lecture, Grégoire se mit à parcourir l’écriture nerveuse et peu soignée. Pour un courrier adressé au seigneur, il était étrange que le scribe ne se soit pas plus appliqué. Et pourquoi passer par lui plutôt que d’envoyer le héraut ? Sans doute parce que Michel le pensait aussi analphabète que les autres serfs. S’il savait que le père François l’éduquait en secret depuis trois ans ! Cela signifiait donc que frère Michel cachait quelque chose... Que disait la lettre ?
Mon gentil seigneur,
Il est de la plus extrême importance que vous vous rendiez au domaine de Roussillon sans tarder. Le Comte d’Estrandère y sera jusqu’à la fin des moissons, sans ses troupes qu’il a envoyées en Normandie soutenir la lutte contre les Anglais.
Vous aurez ainsi une occasion unique de vous venger en le supprimant tout en ternissant la réputation de sa famille. J’ai pour cela confectionné toutes les preuves qu’il vous faudra.
Je me rendrai moi-même à Roussillon peu avant votre rencontre pour vous fournir ces documents et recevoir la somme convenue.
Vous pouvez sans crainte confier votre réponse au serf que je vous envoie, il m’accorde confiance et ne saurait déchiffrer ces missives.
Votre acquis,
Frère Michel
De surprise, Grégorius faillit en laisser échapper la lettre. Le moine ne conspirait rien moins que l’assassinat du Comte ! Bien sûr, sa condition l’empêchait de savoir ce qui se disait en haut lieu, mais les bruits de taverne lui avaient appris que c’était un homme bon, qui luttait contre l’enrôlement du peuple dans d’inutiles guerres au risque de dépeupler les campagnes.
- En gros, j’ai voulu agir, mais n’ayant aucun autre droit que celui d’obéir sans condition aux seigneurs et aux religieux, je n’ai rien réussi d’autre que me faire prendre. Ils m’ont épargné sur le coup, mais c’était parce qu’ils manquaient de chair à canon pour envoyer en Normandie. Imagine, je n’avais jamais tenu rien de plus dangereux qu’une faux ou une hachette... Je suis mort à la première attaque de pillards, nous n’avions même pas quitté le Comtat de Provence. Les autres ne sont jamais arrivés en Normandie non plus.
Abasourdi, Patrick regarde celui qu’il a toujours considéré comme un agent ordinaire d’un autre œil. Le Moyen-Âge ! Dire que cet homme a vu tous les grands événements de l’histoire, la découverte de l’électricité, les premiers ordinateurs, les premiers implants bioniques, les premiers vols habités vers Mars... Il était là lors de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, il a vu le jour où Bill Gates en est devenu président, il était déjà là lorsque la Coratec n’était qu’une start-up parmi tant d’autres...
Pendant que l’agent de la CIA tente d’assimiler ce qu’il vient d’apprendre, quelqu’un d’autre écoute et enregistre les paroles de Grégoire tout en prenant des notes à l’ancienne, avec un stylo. Se tenant à distance respectueuse pour ne pas se faire trahir par son puissant buzz, Méthos ajuste les réglages de ses capteurs ultrasensibles. Eh bien voilà ! La chronique de Grégorius Vendran ne commençait que vers 1610, grâce à lui d’ailleurs, et ces informations de sa bouche même vont les compléter. Reste qu’il a eu beaucoup de chance de retrouver cet Immortel, il faut maintenant pouvoir l’approcher suffisamment pour lui poser de nouvelles balises et de nouveaux micros, quitte à investir dans ceux de la toute dernière génération, indétectables.
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Base secrète, proche de Luna 3
Aaron et ses hôtes sont en plein dîner lorsqu’un bip insistant attire leur attention. Le jeune homme se lève pour consulter un moniteur et revient vers Ibrahim et Mary-Ann, la mine sombre.
- Mes amis, l’un des nôtres est sur la Lune, et croyez-moi c’est loin d’être le plus pacifique.
- De qui s’agit-il ?
- Morton Kyser, vous le connaissez ?
- Hélas oui. Il poursuit Mary-Ann depuis presque trente ans, nous ne savons pas pourquoi il lui en veut spécialement, mais il est décidé à prendre sa tête. Et vous ?
- De réputation seulement. Vous pensez qu’il est venu pour elle ?
- Ce n’est pas impossible, s’il n’est pas là pour vous ni par hasard...
- Rares sont ceux qui viennent sur la Lune par hasard, vous savez.
- Nous sommes bien montés en simples touristes, nous !
- Ce n’est pas faux, mais je n’exclue pas qu’il puisse être venu pour moi. Disons que j’ai tendance depuis mes débuts à attirer les duettistes en mal d’adversaires. Et s’il me cherche, il trouvera à qui parler !
En disant ces mots, Aaron fait un geste devant un capteur et un pan de cloison bascule, découvrant une épée à deux mains fixée au mur. Il s’en saisit et la fait tournoyer devant lui d’un air menaçant. Des éclairs passent dans ses yeux, il semble avoir encore grandi. Le jeune homme calme a disparu pour laisser place à un terrible guerrier doté d’une lame démesurée. Même Ibrahim, pourtant habile combattant et difficile à impressionner, a un instant de recul. Il n’aimerait vraiment pas devoir affronter Aaron en colère. Son histoire, pourtant brève, reste un mystère pour lui mais quelqu’un qui dégage un tel buzz n’est de toute façon pas un Immortel qui se provoque à la légère. Si Morton Kyser a vraiment l’intention d’affronter le jeune homme, sait-il seulement à quoi s’attendre ?
- Et que faisons-nous pour Kyser alors ? Il ne peut pas nous trouver ici de toute façon, non ?
- J’en doute en effet. Mais il est maintenant sur mon territoire et j’ai beau ne pas être violent, je me ferai un plaisir de cueillir sa tête qui, de plus, ne me revient pas. Vous savez ce qu’il a fait à Cory Raines ? Et à Penelopa Alvarez ?
Ibrahim et Mary-Ann hochent la tête. Kyser est réputé pour sa cruauté et son goût immodéré pour la torture et les morts lentes, fussent-elles celles d’Immortels.
Un sourire un peu carnassier sur les lèvres, Aaron passe sa lame sous son affûteur-laser, une invention de son cru qui rend les lames aussi coupantes que possible en seulement quelques secondes.
- Je vais chasser, ça fait longtemps. Si vous m’accompagnez, n’oubliez pas de ne pas le décapiter n’importe où. J’ignore quels seraient les effets d’un quickening sous la grande verrière mais je ne tiens pas trop à le découvrir. Les mortels de la base n’apprécieraient guère de se retrouver dans le vide spatial et à vrai dire moi non plus. Attendez d’être aux baies de déchargement, je crois que si elles résistent aux décollages de brute des Américains elles supporteront bien quelques éclairs.
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Transport de la SECA (Société Européenne des Chemins Aériens) Genève / Paris
Assis tranquillement dans un compartiment de première classe, Grégoire contemple, pensif, le sol qui défile loin en dessous. Patrick le presse de questions qu’il ignore. Plus tard les réponses, pour l’instant, mieux vaut se concentrer sur son plan d’attaque. Loin de se laisser décourager par le mutisme de l’Immortel, l’agent de la CIA revient à l’assaut.
- Mais expliquez-moi, Vendran ! Déjà ramener Von Goghenard je n’ai toujours pas compris comment vous avez fait. Mais là, nous faire monter en toute tranquillité dans un aérotrain officiel qui appartient sûrement au moins à 51% à la Coratec comme toutes les sociétés du monde, alors que toute sa milice doit être à nos trousses, ça me dépasse. Et n’allez pas me dire que c’est un truc du Moyen-Age qui vous permet de passer outre le système de sécurité le plus perfectionné qui soit !
- Non, bien sûr. Mais ce qui n’a pas changé depuis cette époque qui te semble si différente de la tienne, c’est le pouvoir de la réflexion et de l’analyse. Alors tais-toi et réfléchis plus, tu parleras moins.
Ainsi rembarré, Patrick se renfrogne et croise les bras. Il se retient, mais on sent bien qu’il a du mal. Le voyant un peu almé, Grégoire accepte de lui en dire plus.
- J’ai le bio-marqueur de Von Goghenard.
Pour le coup, Patrick ne dit rien. Stupéfait, il regarde Grégoire comme s’il venait de lui annoncer les résultats de la loterie de la semaine suivante.
- L’une des règles de la survie est d’agir vite, une autre est d’anticiper même dans l’urgence. Avant que le chalet ne brûle, je l’ai arraché au directeur et je me le suis implanté.
- Mais c’est impossible !
- Pas facile, certes. Je n’étais pas sûr qu’il soit resté actif d’ailleurs, mais il semble bien que ce soit le cas. J’ai passé une partie du XIXeme siècle au Mexique et y ai appris entre autres choses plus ou moins utiles à arracher le cœur encore battant d’un ennemi pour l’offrir aux Dieux. Oui, je sais, c’est assez gore, mais « O Tempora O Mores ». Et puis, Von Goghenard n’avait aucune chance de survivre aux roquettes de toute façon.
- Bon, soit, admettons que vous ayez pris son cœur et son bio-marqueur avec avant que la maison explose... mais après... ne me dites pas que...
- Si... Vois-tu Patrick, être Immortel ne m’empêche pas de ressentir la douleur physique, mais le rapport aux blessures change. Il n’y a plus d’appréhension sur le long terme, au pire la plaie est gênante un moment, mais pas de handicap, pas de rééducation, pas même de cicatrice à craindre. Je ne me m’ouvre pas le torse par plaisir, mais si cela peut me sauver la vie par la suite, alors je n’hésite pas. Jusqu’à un certain point je peux occulter complètement la douleur, puisque l’information qu’elle transmet ne me sert pas vraiment. Et puis, je n’ai pris que la puce, pas l’organe quand même.
- Vous vous êtes auto-greffé à vif et en quelques secondes le bio-marqueur de quelqu’un... Si vite qu’il n’a pas eu le temps de se désactiver, réagissant au pire comme un bref arrêt cardiaque... C’est la chose la plus dingue que j’ai jamais entendue.
- N’empêche que tu as devant toi, du moins du point de vue de tous les ordinateurs de la planète, Monsieur Von Goghenard en personne. L’un des hommes les plus puissants qui soit, avec un compte en banque virtuellement illimité. Pratique, non ?
- Mais comment se fait-il que la Coratec n’aie pas désactivé ses accès ?
- Pourquoi l’aurait-elle fait ? Il n’est pas mort dans sa base de données. Et puisque Von Goghenard avait plus de cinquante ans, son marqueur est de quatrième génération seulement, trop ancien pour pouvoir transmettre seul sa position par GPS...
- Mais c’est terrible ça, vous vous rendez-compte de ce que cela signifie ? Vous avez le pouvoir de l’un des hommes-clé de la Coratec, ça n’a pas de prix !
Malgré son verrouillage, la porte du compartiment s’ouvre brusquement. L’agent Paterson se tient dans l’encadrement et les menace de son arme. De l’autre main, il tient le système d’écoute qui réceptionne et décrypte le signal des micros-espions de l’Immortel.
- Moi, je m’en rends compte.
Sans une émotion, sans même que sa respiration s’accélère, Wesley fait feu sur Patrick qui se croyait pourtant son ami. La balle l’atteint en pleine poitrine, il s’écroule. Pointant ensuite son arme vers Grégoire, l’agent écarte un pan de son manteau où est suspendue en évidence une petite machette militaire.
- Maintenant, monsieur l’Immortel, on fait moins le malin, n’est ce pas ? Vous allez me suivre, bien gentiment. Je vous ai à l’œil et même si je dois m’y prendre à dix fois, je finirai bien par vous couper la tête avec ceci après vous avoir abattu si vous tentez quoi que ce soit, c’est clair ?
- Très clair, à deux détails près. Si vous me tuez, vous pouvez oublier votre précieux bio-marqueur, et encore faut-il pour me décapiter que vous m’attrapiez après m’avoir abattu.
Vendran dégaine brusquement son épée dans l’espace restreint de la cabine et fait un pas vers l’agent surpris qui tire droit devant lui sans viser. Pourtant, même de si près, le projectile ne frappe pas Grégoire qui a anticipé le tir. En une fraction de seconde il s’est jeté de côté et la balle ne fait que traverser un pan de son manteau avant de s’écraser sur la vitre de l’aérotrain. Le hublot est épais et blindé, mais il n’est pas conçu pour résister à un projectile si puissant, surtout de l’intérieur du wagon. Pendant une fraction de seconde le temps est comme suspendu tandis que les deux hommes immobiles contemplent le carreau qui craque, se fissure de plus en plus jusqu’à l’instant précis où il ne peut plus résister à la différence de pression et implose.
Aussitôt, la cabine luxueuse et bien rangée se transforme en un maelström de verre et de tissu, tandis que tout est aspiré vers l’extérieur, les alarmes retentissent dans tout le train et les masques à oxygène tombent du plafond. Paniqué, Welsey se cramponne aux sièges, aux ceintures, à la porte, tout ce qui peut l’aider à lutter contre la terrible force d’aspiration. Grégoire au contraire saute souplement dans l’ouverture, se contorsionne pour passer par le hublot, craint un moment d’être coincé par son épée mais passe finalement.
L’Immortel se retrouve éjecté dans le vide loin du train, avec une curieuse sensation d’immobilité alors qu’il est lancé à plus de 1200 km par heure à 6000 mètres d’altitude. Sans parachute, cela va de soit, mais avec un impératif. Quoi qu’il lui arrive, son cœur ne doit pas cesser de battre plus de quelques secondes, pour ne pas désactiver le bio-marqueur.
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Base internationale Luna 3 (Territoire neutre)
Minuit ne sonne pas dans la base dépourvue d’horloges mécaniques, mais les couloirs y sont surnaturellement déserts. La saison vient d’atteindre son point le plus bas, les touristes se font rares, beaucoup de personnel est en vacances, seules quelques caméras et deux ou trois robots parcourent encore les anciens laboratoires reconvertis.
Dans un parfait silence et en toute discrétion, Aaron se déplace dans la base qu’il connaît parfaitement. Il a son épée en mains mais ne craint ni d’être vu par les caméras ni d’être surpris par un touriste noctambule, car il porte sa balise personnelle. Comme le reste du réseau informatique de la Lune, le système de sécurité est passé à un moment entre ses mains expertes et il s’est arrangé pour le rendre aussi efficace en général qu’il est aveugle pour lui en particulier. A son approche, les objectifs détournent le regard, les robots de patrouille changent de chemin, les portes se déverrouillent... Dans l’autre sens, il reçoit sur le terminal portable qu’il ne quitte jamais le rapport de ces mêmes équipements qui l’ignorent sans perdre un mouvement des autres.
En cet instant précis, il suit sur son écran les pas de Mary-Ann et d’Ibrahim qui cheminent ensemble dans la zone des restaurants et des boutiques. D’après le registre des visiteurs, Kyser est sensé loger dans la suite 65.2A, mais bien sûr Aaron a vérifié et il ne s’y trouve pas actuellement. Se sait-il traqué à ce point ? Se doute-t-il au moins qu’en plus de la cible assez facile de Mary-Ann se trouve sur la Lune le célèbre et redouté Aaron à la Grande Lame ?
Une alerte clignote sur son terminal pour lui annoncer que la recherche visuelle qu’il a commandé quelques instants avant a abouti. S’interfaçant sur le réseau de surveillance, le jeune homme affiche à son écran la vue de la caméra qui vient de l’appeler. Elle montre la grande salle autrefois utilisée comme auditorium par les scientifiques, actuellement transformée en holo-cinéma de luxe. Sur l’estrade, une longue épée noire sur ses genoux croisés, un homme est assis en tailleur, immobile. De toute évidence, il se sait espionné et attend le duel. Peut-être est-il venu pour lui après tout. Dans ce cas, le jeune Immortel n’a pas l’intention de le faire attendre. Aaron se dirige droit vers la salle, envoyant en chemin un message à ses deux amis pour leur dire qu’ils peuvent interrompre leur recherche.
Aaron entre dans le cinéma par la porte du fond noyée dans l’ombre mais sait que son adversaire est déjà au courant de sa présence, ne serait-ce que par le buzz. Il verrouille la salle derrière lui pour garantir sa tranquillité et commande l’allumage des projecteurs. D’obscur, l’amphithéâtre devient éblouissant de lumière, faisant d’autant ressortir l’apparence effrayante de Morton Kyser. Il
s’est levé et se tient au milieu de la scène, la tête baissée, ses longs cheveux de neige recouvrant son visage. En guise de vêtements, il porte une combinaison de cuir noir partiellement recouverte de plaques de titane également noires. Une armure moderne des plus efficace, à même de détourner les plus violents coups d’un match de Roller-Ball et en l’occurrence ceux d’une épée. Un rictus sardonique déforme ses lèvres blêmes lorsque Kyser relève la tête et fait face à Aaron. Sa peau est d’une pâleur parfaite, qui n’a d’égale que l’immaculée blancheur de ses cheveux. Ce visage fantomatique est accentué à la limite du démoniaque par ses yeux, deux rubis maléfiques flamboyant de haine pure. L’Immortel albinos cache sous sa maigreur une grande force nerveuse et, outre sa réputation de bourreau tortionnaire, il est connu comme un adversaire redoutable. En signe de défi, Morton lève son épée, une grande claymore entièrement noire à l’exception de fines inscriptions d’argent courant sur sa lame.
Sans un mot, sans un son, Aaron se met en garde. Pendant quelques instants, les deux Immortels se jaugent du regard, les yeux noisette du plus jeune soutenant sans faillir ceux rouge feu du plus âgé. La première attaque est lancée par Aaron, pour une fois. A une vitesse terrifiante il abat sa lame énorme en diagonale mais Morton pare le coup, reculant toutefois sous sa puissance. Se ressaisissant aussitôt, il frappe par l’arrière, mais là encore, ce n’est que métal contre métal. L’écho résonne encore dans les gradins et les étincelles n’ont pas touché le sol que déjà la botte suivante est enchaînée, puis une autre, une suivante, une autre encore.
Chaque attaque parée fait vaciller Morton Kyser, mais il tient bon et revient à l’assaut sans se laisser déstabiliser. Le duel s’annonce long et technique, c’est d’ores et déjà l’un des adversaires qui a résisté le plus longtemps contre Aaron, surtout en prenant en compte le fait qu’il n’est pas comme lui habitué à la faible gravité lunaire qui oblige à repenser les mouvements et les esquives, puisque les chaussures lestées qui les aident à rester au sol entravent beaucoup la mobilité des jambes.
Voyant que le combat menace de stagner, Kyser dégaine de sa main libre la dague glissée dans l’étui de son mollet et, jouant de ses deux lames, il parvient à entailler le bras, puis l’épaule d’Aaron. Surpris, celui-ci recule un instant. C’est la première fois depuis près de cinquante ans qu’un adversaire parvient à le toucher. En ce cas, à son tour d’utiliser des méthodes peu orthodoxes mais efficaces.
Utilisant l’un de ses coups secrets, il simule une attaque frontale mais au dernier moment fait pivoter son épée et frappe de la lourde garde d’acier le visage de son adversaire, brisant pour un instant son nez et ses arcades sourcilières. Il pourrait profiter de ce que Morton est aveuglé par le sang et la douleur pour l’attaquer à nouveau, mais il sait que l’albinos est trop habile pour se laisser prendre de cette façon. Il recule donc de quelques pas et déverrouille rapidement les semelles magnétiques de ses bottes avant de se remettre en garde.
Balayant du revers de la main le sang qui coule sur ses yeux, Kyser se positionne à son tour. Depuis le début de l’échange, pas un mot n’a été échangé, par un cri, pas même un grognement d’effort ou une plainte de douleur. Seules les épées s’expriment, elles chantent un duo macabre, un duo de mort ponctué de notes aiguës, de vibrations profondes et de coups sourds.
Cette fois-ci Morton tente de prendre l’avantage de l’assaut. Il se jette en avant en faisant tournoyer son épée, mais a la surprise de voir son adversaire esquiver son coup en sautant, et ce n’est pas un saut ordinaire. Libéré de ses bottes, Aaron s’envole vers le plafond, manquant même de s’y cogner avant de redescendre doucement plusieurs mètres plus loin. Luttant contre la force magnétique qui ralentit ses pas, l’albinos court presque et l’attend à l’atterrissage, mais Aaron, qui vit depuis le début de sa colonisation sur la lune, sait parfaitement se mouvoir en pesanteur réduite. Il pivote sur lui même en l’air et c’est tête et lame vers le bas qu’il arrive au contact de son ennemi. Le premier coup qu’il pare le maintient en lévitation et plusieurs passes sont ainsi échangées dans cette posture surnaturelle, l’Immortel au sol semblant se battre contre son reflet au plafond.
Toutefois la pesanteur n’est pas nulle et malgré son poids d’à peine un sixième de celui qu’il pèse sur Terre, Aaron ne peut rester ainsi longtemps suspendu dans l’air. Profitant d’un coup puissant pour se repousser loin de l’albinos, il reprend doucement contact avec le sol et regarde avec satisfaction Kyser profiter du léger répit qui lui est ainsi accordé pour ôter à son tour ses semelles lunaires. C’est exactement ce à quoi Aaron voulait l’amener. Maintenant, ils se battent vraiment sur son terrain.
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Un affluent du sud du Rhin, Union Européenne
- Vivre sur une péniche, c’est curieux. Il y a longtemps que vous l’avez ?
- Pas très, cent cinquante ans tout au plus. Je l’ai souvent gardée à Paris, mais depuis qu’ils ont construit une autoroute sur la Seine ce n’est plus possible. Je dois bien avouer que je suis plus tranquille ici mais il n’y a pas grand chose à faire le soir. Vous voulez un café ?
Duncan et Harry profitent des derniers rayons du soleil tranquillement assis sur le pont de la péniche lorsqu’un buzz approchant à grande vitesse leur fait lever le nez. Quelqu’un leur tombe dessus ! Repérant la rivière, l’homme s’oriente de telle façon qu’il dévie légèrement sa chute et au dernier moment se roule en boule avant de frapper l’eau comme un météorite, projetant de l’eau jusque sur le pont du bateau.
N’écoutant que son instinct de boy-scout, l’Ecossais plonge à son tour et remonte avec le corps fracassé d’un Immortel. A sa grande surprise, celui-ci respire encore faiblement.
- Je vous en prie... Ne me laissez pas mourir...
- Mais vous êtes Immortel !
- Mon... cœur... doit battre.
Ces mots semblant avoir absorbé le peu de force qu’il lui restait, l’inconnu perd connaissance. Se doutant qu’il ne demande pas cela sans raison, Duncan le tire doucement et l’allonge sur la berge tandis Harry le rejoint.
- Mais pourquoi ne préfère-t-il pas mourir ? Au moins il ne souffrirait pas le temps de guérir. Quelle horreur, il ne doit plus avoir un seul membre intact...
- Je n’en sais rien mais il avait l’air d’y tenir. Sans quoi c’est évident, je l’aurais achevé pour qu’il puisse ressusciter en paix. Restez avec lui, Harry, j’ai du matériel de premiers soins dans la salle de bains, nous allons tenter de le maintenir. Un mortel n’aurait aucune chance, mais lui peut en avoir assez pour que ses fonctions vitales repartent avant de lâcher complètement.
Abel Piersen pensait avoir de nouveau perdu la trace de Grégoire quand, par un heureux hasard, leurs routes se croisèrent en approchant de l’aérogare. Il semblait très pressé, au point qu’il ne chercha heureusement pas à savoir de qui venait le buzz qu’il n’avait pu manquer. Courant jusqu’à sa voiture, Méthos avait décollé en trombe à la suite du train, mais il ne put le suivre, son véhicule n’étant pas assez rapide.
Au diable cet Immortel qui le faisait tant courir depuis quelques jours ! Après tout rien ne l’obligeait à se donner tant de mal. Et puis le challenge n’en serait que plus grand de le retrouver par la suite.
En quittant à basse altitude l’Est de la France, Méthos réalise qu’il n’est pas loin du nouveau mouillage de la péniche de MacLeod. Et si son ami y était ? Ce n’est qu’un petit détour, autant essayer. Le plus vieil Immortel change de cap et réduit encore l’altitude aux limites du réglementaire. Quelques minutes plus tard, il survole les eaux lumineuses du sud du Rhin.
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Base internationale Luna 3 (Territoire neutre)
Alertés par le message d’Aaron, Mary-Ann et Ibrahim viennent d’arriver devant l’amphithéâtre fermé. Utilisant le badge d’administrateur que lui a confié Aaron, le Touareg déverrouille un accès, pénètre dans la grande pièce brillamment éclairée et, rejoint par son amie, contemple éberlué le duel d’Immortels le plus étonnant auquel il lui ait jamais été donné d’assister.
Les adversaires se battent au sol, sur les murs, au plafond, bondissant sur dix mètres à la poursuite l’un de l’autre, chaque coup repoussant l’attaquant comme l’attaqué jusqu’à ce qu’il trouve un point d’appui pour se relancer et repartir à l’assaut. Sans la présence d’Aaron, à l’apparence bien plus traditionnelle hormis son épée, Morton Kyser flottant dans l’air avec sa pâleur mortuaire et ses yeux rouges ressemblerait plus que jamais à un spectre évanescent.
Les arrivants ne savent pas depuis combien de temps dure le combat, mais le jeune homme porte plusieurs traces de blessures alors que l’Albinos semble intact à l’exception de son visage. Les Immortels en comprennent vite la raison lorsque, tournoyant sur lui-même après avoir sauté du troisième balcon, Aaron parvient à porter un terrible coup de la lame dans le ventre de son adversaire.
Entraîné par le contrecoup de son attaque, il repart en arrière tandis que Kyser est projeté violemment vers le sol dans une gerbe d’étincelles. Un filet de sang coule de ses lèvres mais son armure de titane, même profondément rayée, a résisté une fois de plus à l’épée d’Aaron.
Les combattants remarquent alors Ibrahim et Mary-Ann.
- Te voilà enfin, toi, dit Morton à la Galloise.
C’est la première phrase qu’Aaron l’entend prononcer. Sa voix rauque est presque aussi effrayante que son visage et il a un très fort accent d’Europe de l’Est.
Dégageant de sa ceinture une petite grenade, il la jette droit sur Ibrahim qui dégaine à une vitesse surhumaine et la frappe de l’un de ses Wakisashis avant qu’elle le touche mais elle explose tout de même.
Lorsque la fumée se dissipe, emportée par les bouches d’aération, Aaron vient juste de rechausser ses bottes gravitationnelles. Les dégâts matériels sont mineurs mais Ibrahim est hors d’état pour un moment et surtout Kyser a disparu. Avec Mary-Ann. Le jeune homme neutralise rapidement l’alarme et le système d’incendie pour ne pas alerter les occupants de la base que l’isolation phonique du cinéma a protégée du bruit de l’explosion.
Guidé par les caméras de surveillance, Aaron se lance à la poursuite de l’albinos mais celui a trop d’avance pour qu’il puisse bloquer les portes devant lui et l’arrêter. Le jeune Immortel accélère encore le pas en voyant qu’ils approchent des zones d’embarquement. Kyser a-t-il lui aussi réalisé qu’il ne doit pas décapiter un Immortel dans la base ? Au détour d’un couloir, Aaron croise un couple fort occupé à s’embrasser. Ils le sont même tellement qu’ils ne prêtent aucune attention à l’homme en combinaison de technicien qui coure aussi vite que les bottes-G le permettent tout en brandissant une épée de tournoi vieille de huit cents ans.
Aaron commence à manquer de souffle lorsque enfin il rattrape Mary-Ann et son ravisseur. Sa combinaison est en lambeaux après l’explosion de la grenade devant elle mais son visage a déjà cicatrisé. Kyser la maintient d’une poigne de titane en la traînant à côté de lui, pressant sa dague effilée contre son cou. En un éclair, Aaron analyse la situation : Kyser a l’intention de voler l’Airbus A3320 Chinois stationné baie 4. D’une façon ou d’une autre il sait qu’Aaron ne peut agir sur les appareils chinois (Le jeune homme aurait pu bloquer à distance la plupart des vaisseaux touristiques mais le réseau asiatique est trop fermé pour qu’il ait pu y implanter ses relais). Débloquant à la hâte la porte que l’albinos a verrouillée derrière lui, le jeune homme se jette dans la première partie du sas, mais est bloqué par la seconde. Après celle-ci, il ne reste que deux sas avant le vide et même pour lui les sécurités sont difficiles à contourner car la protection de la base toute entière en dépend.
Hurlant de rage, il frappe la vitre blindée du poing et regarde impuissant l’Immortel maléfique monter à bord de l’avion en entraînant Mary-Ann. Tant pis pour la sécurité, quatre portes devront suffire, Aaron tourne deux fois sur lui-même pour prendre de l’élan et frappe de son épée la porte du sas en son point le plus faible, le panneau de contrôle. Ôtant la plaque de métal ainsi délogée, il arrache les fils et les tuyaux qui maintiennent la pression du sas et ouvre manuellement la porte. Il faut faire vite, le cycle de lancement de l’avion est déjà activé !
Juste avant de fermer le sas d’accès à l’appareil, Morton apparaît une dernière fois, gardant toujours la Galloise serrée contre lui. Sans un mot, il pointe un long doigt décharné vers Aaron puis il le ramène son pouce vers sa gorge et d’un geste vif le déplace de droite à gauche. La haine est un courant palpable entre les deux hommes, et Mary-Ann profite de ce que l’attention de son geôlier est détournée pour lui lancer son coude dans la mâchoire. Surpris, Kyser recule et lâche l’Immortelle qui saute hors de l’avion et se dirige vers l’entrée du sas. Dans un rire diabolique, son ennemi scelle la porte de l’Airbus et achève la procédure de décollage.
De l’autre côté de la porte, Aaron frappe la vitre, hurle un long « non ! » désespéré. Le regard chargé d’incompréhension de Mary-Ann devient paniqué lorsqu’elle comprend pourquoi le jeune homme réagit comme cela. A l’autre bout du hangar, les deux dernières portes avant le vide se soulèvent tandis que de puissantes pompes aspirent tout l’air de la baie de départ pour ne pas le gaspiller dans l’espace. Dans un parfait silence, l’air étant déjà trop rare pour transmettre le son, l’avion décolle et file vers la terre tandis qu’Aaron, presque aussi blanc de colère que l’Albinos, regarde le corps congelé de la Galloise flotter à travers le hangar. En même temps que le vide, c’est le froid absolu de l’espace qui est entré...
Ibrahim, enfin ressuscité, s’agenouille à côté d’Aaron dans la même communion de douleur. Lentement, très lentement, le corps de Mary-Ann redescend vers le sol.
Comme un enfant qui se présente mal à l’accouchement, sa tête est du mauvais côté. Elle heurte le sol mi-rocheux mi-métallique avec un angle singulier, son cou gelé casse net. A moins 270 degrés, rien ne résiste au plus petit choc.
Luttant contre ses émotions, Aaron bondit vers la porte qu’il a forcée et la referme manuellement. A ce petit jeu, il ne reste plus que deux sas fermés, ce n’est pas suffisant pour protéger Luna 3 du vide le temps que les portes extérieures se referment ! Il vient juste de la sécuriser lorsque des éclairs le frappent en même temps qu’Ibrahim. Si les premiers coups, peu puissants, se contentent d’utiliser la conductivité des montants métalliques du sas, les suivants veulent plus. Mary-Ann n’était pas très âgée, peu combattive, mais son quickening n’est pas négligeable pour autant.
Bientôt, dans une gerbe de flammes vertes et d’étincelles, le sas hermétique cède et explose en tous sens. Il est conçu pour le vide de l’espace mais rien ne saurait arrêter la puissance d’un quickening libéré. Les portes extérieures se referment juste à temps pour éviter que l’appel d’air soit trop fort pour le sas interne, et dans l’espace ainsi confiné la foudre de vie résonne et roule, rebondit et lutte contre l’isolation totale du portail spatial avant de se dissiper et de se fondre dans les corps des deux survivants. Avec un Immortel plus puissant, sans même imaginer s’il s’était agi d’Aaron, les conséquences pour les occupants de Luna 3 auraient pu être bien pires, mais le quickening de Mary-Ann ne détruit pas entièrement les systèmes d’étanchéité.
Tremblant plus de colère et de chagrin que des effets du quickening et de la température qui a eu le temps de chuter bien en dessous de zéro avant que les portes extérieures se referment, Aaron et Ibrahim se relèvent.
- Il me le paiera. Il est le seul qui m’ait jamais échappé, je ne vais pas le laisser faire, surtout maintenant.
En quelques minutes, le jeune homme maquille les enregistrements et efface les archives de la sécurité pour faire croire à un court-circuit. Et l’avion disparu ? Les enquêteurs concluront à un pirate ou un vulgaire voleur. Pendant ce temps Ibrahim s’occupe des restes de son amie.
Aaron et le Targui se rendent ensuite de l’autre côté de l’aérogare où sont parqués les rares véhicules privés et sans perdre une seconde le petit jet du jeune homme décolle, ses moteurs à peine chauds, à la poursuite de l’Immortel albinos.
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Péniche de MacLeod, sud du Rhin Union Européenne
Lorsque Grégoire ouvre les yeux, il a du mal à se situer. En fait il lui manque un morceau de temps entre son saut par la fenêtre de l’aérotrain et maintenant. Il est allongé dans une chambre qu’il ne connaît pas, dans des vêtements trop amples qui ne sont pas les siens et son épée n’est pas en vue. L’eau qu’il aperçoit par la fenêtre ronde en forme de hublot et le mouvement régulier de toute la pièce lui font prendre conscience qu’il se trouve sur un bateau.
Encore un peu faible, il titube jusqu’à la porte qu’il ouvre doucement et arrive dans une grande pièce toute en longueur dans laquelle deux Immortels sirotent un café.
- Tiens, voilà notre oiseau qui se réveille ! Vous allez mieux ?
- Euh... oui... Ah je me souviens... Je suis tombé dans l’eau, vous m’en avez sorti. Est-ce que je suis mort ?
- Non je ne crois pas. Nous avons fait ce que nous avons pu pour l’éviter, bien que je ne comprenne toujours pas pourquoi vous teniez tant que cela à rester en vie vu votre état.
- C’est une longue histoire. En tout cas je vous remercie monsieur...
- MacLeod. Duncan MacLeod du clan MacLeod. Voici Harry Cartman. Vous ne risquez rien de nous, comme vous l’avez constaté.
- Oui en effet. Je suis Grégoire Vendran, et de façon générale je ne cherche pas non plus le combat.
- En ce cas votre épée est à côté de la cheminée... Alors, qu’est ce qui vous amène de si haut, monsieur Vendran ?
Grégoire fait quelques pas dans la pièce et boucle la ceinture de son fourreau. Même en intérieur et malgré l’encombrement, il n’est jamais vraiment tranquille sans son arme à portée de main et cela l’a plusieurs fois sauvé au cours des siècles.
- Disons que j’ai manqué mon train. MacLeod, MacLeod... Votre nom me dit quelque chose. Nous sommes nous déjà rencontrés ?
- Ma foi c’est possible, mais je ne peux le garantir. Pourtant j’ai une excellente mémoire des visages et des noms des Immortels...
- C’était en Normandie en 1600 et quelques je crois...
- Je n’y étais pas pourtant. Peut-être mon cousin, Connor MacLeod ?
- Oui, Connor, c’est cela. Comment va-t-il ?
- Hélas il est mort, au tout début du XXIeme siècle.
- Je suis désolé.
Remarquant que l’Ecossais serre les poings à l’évocation de cet épisode douloureux, Grégoire s’apprête à changer de sujet quand un puissant buzz interrompt la conversation en même temps que le chuintement de répulseurs à l’atterrissage.
D’instinct il porte la main à son épée et analyse les réactions de ses hôtes. Harry semble paniqué et ne fait guère d’effort pour le cacher, ne cherchant même pas son arme, tandis que MacLeod a déjà dégainé et attend, sûr de lui.
L’Immortel qui vient d’arriver crie à travers la porte close
- On ne me saute pas dessus comme des enragés s’il vous plaît. Merci !
Visiblement, Duncan connaît cette voix. Il aborde un large sourire, rengaine son katana et court ouvrir la porte.
- Ad... Abel Piersen ! Ca fait plaisir de te voir mon vieux. Décidément ce soir c’est réunion chez moi. Entre, je te présente.
Méthos a eu le temps d’apprendre à maquiller les expressions de son visage depuis le temps, mais il a bien du mal à cacher sa surprise de se retrouver nez à nez avec Vendran chez MacLeod ! Cela ne l’arrange pas vraiment car...
- Monsieur Pierson vous dites ? C’est curieux votre visage me rappelle quelqu’un mais pas votre nom...
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1610, Jérusalem
Drapé dans un grand burnous bien pratique pour passer une arme dans l’enceinte sacrée malgré leur interdiction, Grégorius cheminait le long des rues poussiéreuses. Dire que c’était pour cette ville que tant de gens étaient morts, avant même d’en voir les murailles...
Il venait de pénétrer dans la grande mosquée lorsque...
Le son trident d’une sirène de police tire Grégoire de ses souvenirs avant qu’il en arrive à sa première rencontre avec Méthos. Se précipitant vers un hublot, il constate avec résignation que quatre véhicules de la CIA viennent de se poser sur la berge proche de la péniche de MacLeod.
- Duncan, où avez-vous mis mes vêtements ?
- Ils sèchent sur le pont, pourquoi ? Les flics viennent pour vous ?
- Sans aucun doute. Il faut vous débarrasser de ces habits, brûlez-les, jetez-les au fleuve, ce que vous voulez, mais éliminez-les, ils sont truffés de capteurs et d’émetteurs, je n’y pensais plus. Je dois partir, tout de suite. Merci pour votre accueil, j’espère vous rendre la pareille un jour. Harry, « Abel », au revoir. Je prends votre voiture, Piersen, j’espère vous la ramener intacte.
- Non, attendez !
Trop tard, Grégoire est déjà sur le pont d’où il saute sur la rive et court vers la Volvo du prétendu Abel Piersen où il s’engouffre en coup de vent. Méthos se croyant dans un lieu tranquille a omis de verrouiller son véhicule, heureusement pour Grégoire. Le temps de démarrer, les agents de la CIA sont déjà après lui. Il décolle en faisant hurler les répulseurs et fait tout de suite demi-tour sur lui-même, si bas que son véhicule touche presque le sol, pour filer droit sur ses poursuivants qui s’égaillent autour pour l’éviter. Le temps qu’ils se positionnent dans sa direction, il a pris un peu d’avance mais ne pourra pas la conserver très longtemps. La voiture de Piersen n’est pas ce qui se fait de plus rapide, et les agents sont très bien équipés. Toutefois il sait que s’il arrive à les semer ils ne pourront théoriquement plus le retrouver maintenant qu’il est débarrassé de tous ses capteurs.
Sur le pont de la péniche, Méthos regarde consterné Grégoire filer avec son véhicule.
- Allons, lui dit MacLeod, ce n’est pas dramatique... Prends la mienne en attendant !
- Ce n’est pas pour la voiture, Duncan, je me moque de cette guimbarde. Mais il y a dedans mon matériel et même un tome de mon journal, celui de 860-872 auquel je tiens beaucoup. Je pensais être tranquille chez toi !
- Moi aussi figure-toi. Tu sais comment ce Grégoire est arrivé ? En tombant du ciel ! J’ignorais que les Immortels volaient aussi. Non, sans blague, il a l’air d’avoir des soucis.
- Plus encore que tu le crois. En tout cas je veux récupérer ce journal. Prenons ta voiture, il n’est peut-être pas trop tard. Harry, ça ne vous dérange pas d’attendre ici ?
Un instant plus tard, la Ford de Duncan s’élance à son tour dans le ciel clair à la poursuite de la poursuite.
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Haute atmosphère, au-dessus de l’Europe
Le jet d’Aaron est plus rapide que l’Airbus volé par Kyser, mais alors qu’il l’a presque rattrapé en arrivant sur Terre, il doit beaucoup plus ralentir pour pénétrer dans l’atmosphère que le gros porteur, perdant du coup l’avance qu’il a gagnée.
Son monoréacteur grince et craque tant le jeune homme le malmène, la température et les radiations passent largement le seuil de sécurité mais les deux Immortels n’en ont que faire, concentrés sur l’albinos qui risque de leur échapper.
- Bon sang, si ce futur ressemblait déjà plus à celui des films, j’aurais eu des canons lasers pour arrêter ce salaud ! Là mon avion va nous claquer dans les mains et nous aurons l’air fins !
Mais finalement les indicateurs de température consentent à revenir dans la zone normale et la coque passe graduellement du rouge à sa couleur habituelle. Arrivés dans la stratosphère, c’est Aaron qui reprend l’avantage et bientôt l’airbus est en vue. Maintenant, c’est lui qui risque de détruire son avion à piquer comme il le fait, réacteurs à fond et nez vers le sol pour tenter d’échapper au jet rapide.
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1500 mètres au-dessus de l’Allemagne
Ecrasant l’accélérateur de la Volvo, Grégoire regarde le compteur qui peine à franchir les 450 km/h. Son regard se porte sur les rétroviseurs dont les écrans montrent derrière lui plusieurs véhicules noirs bien plus puissants qui se rapprochent inéluctablement. Heureusement, la vitesse est déjà trop grande pour qu’ils puissent sortir des armes par les fenêtres et la loi intraitable sur la sécurité aérienne empêche tout véhicule, même militaire, d’en embarquer.
Une soudaine déflagration secoue son habitacle. Tiens donc. Il semble que la loi n’est qu’européenne et que la CIA n’y est pas soumise, voilà qui n’arrange pas ses affaires car bien évidemment ce n’est pas son banal véhicule de série qui dispose de contre-mesures ! Il va falloir en plus de leur échapper éviter leurs tirs... Cela se complique.
Comme si la situation n’était pas assez délicate, son radar lui indique un nouveau groupe de véhicules rejoignant leur petite poursuite depuis le sol. La police ? Un zoom des rétroviseurs lui fait passer un frisson dans le dos. C’est pire que la police. Trois Hummers de la milice de la Coratec se joignent à eux. Le tout est de savoir s’ils vont s’attaquer en priorité à lui ou à la branche renégate de la CIA...
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8000 mètres au-dessus de l’Allemagne
Toujours en piqué direct alors qu’il traverse des couloirs aériens potentiellement empruntés par d’autres avions, Morton Kyser pilote bien, quoi qu’on en dise. Il évite de justesse le train Bruxelles / Tokyo et arrive à conserver son appareil dans l’axe de vol là où un pilote moindre aurait déjà décroché. Mais quelques dizaines de mètres à peine derrière lui, un autre pilote chevronné prend tout autant de risques, voir de plus grands encore puisqu’il faut qu’il gère en plus les turbulences de la traînée de l’avion qu’il poursuit et a pratiquement rattrapé.
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2000 mètres au-dessus de l’Allemagne
Les tirs cessent soudain autour de sa voiture quand les hummers se placent entre Grégoire et la CIA. Les agents américains n’osent tout de même pas faire feu sur la Coratec, et Vendran se rend compte avec étonnement que loin de l’attaquer, les miliciens le couvrent ! Son esprit travaille à toute allure et la réponse s’impose d’elle même en regardant le tableau de bord de la Volvo. Le bio-implant de Von Goghenard qu’il porte est toujours actif et s’il n’est pas capable de transmettre sa position directement à un satellite, il fournit tout de même à la voiture des informations sur l’état de santé et de veille du pilote. Et elle, elle communique avec les satellites. Forcément, le directeur doit être l’homme le plus recherché de la planète s’ils n’ont pas identifié son corps dans les décombres du chalet, tous les réseaux sont à l’affût du moindre indice le concernant.
Les Hummers volent à présent en formation serrée autour de la Volvo, mais la CIA ne lâche pas prise et se rapproche aussi, à son tour suivie de près par une Ford civile.
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4000 mètres au-dessus de l’Allemagne
Aaron ne souhaite pas attendre que la circulation devienne plus dense et lui fasse lâcher prise sur l’Airbus, aussi augmente-t-il encore la poussée de son avion. Il est à plus de 130% de la puissance et son engin hurle et vibre, prêt à exploser.
Il passe bientôt sous l’avion de Kyser et d’un audacieux mouvement de palonnier se retourne sur lui-même, vrillant en plus du piqué, il le contourne et vient percuter de son nez blindé pour l’entrée en atmosphère la cabine de l’airbus. Son plan fonctionne, et sous le choc la cabine, point faible de la carlingue, est enfoncée et implose en rejetant Kyser dans le corps de l’appareil. L’Airbus, devenu incontrôlable et dépressurisé, effectue de grotesques figures au hasard de la direction de sa tuyère libérée. Mais hélas pour le jeune Immortel, lors d’une embardée un aileron du gros porteur perfore l’une des ses ailes et y reste fiché, si bien que les deux appareils unis en une même carcasse de feu et d’acier tombent de concert sans plus aucun moyen de se diriger ou de ralentir, lancés sur une trajectoire courbe à la destination inconnue.
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3000 mètres au-dessus de l’Allemagne
D’un coup, dans tous les véhicules lancés dans cette étrange farandole loin des couloirs habituels, des alarmes se déclenchent. Obstacle ! De Grégoire en tête à Duncan en queue, chacun pense à un dysfonctionnement, il ne peut y avoir d’obstacle en plein ciel puisque la route est dégagée devant eux... Vendran le voit le premier, mais ne peut rien faire pour l’éviter. Sa seule chance est de freiner, mais si la Volvo s’arrête aussi lentement qu’elle démarre, il ne passera tout de même pas... De toute façon, c’est la seule option, alors il cesse la pression sur l’accélérateur et, prenant le risque de lâcher le volant en plein vol, il active simultanément les rétrofusées et coupe les compensateurs d’accélération qui augmenteraient la distance de freinage.
Le surprenant par sa réaction plus mordante que prévue, la vieille Volvo gronde et décélère violemment, se faisant dépasser par les hummers et les véhicules de la CIA qui ne l’évitent que de justesse.
Tant qu’à choisir, ils auraient mieux fait de percuter la voiture, car juste devant, à l’endroit précis où se serait trouvé Grégoire s’il n’avait pas ralenti à temps, l’énorme carcasse d’un avion de ligne, accroché à ce qui semble être un petit business-jet, passe en flammes. Deux Hummers se trouvent entraînés dans la chute, un troisième percute la queue et part s’écraser quelque part, tandis que deux des voitures de la CIA sont prises dans les flammes et brûlent à leur tour en tombant, percutant une troisième au passage en un mortel billard aérien. Profitant du désordre causé par la catastrophe, le dernier pilote américain, plus audacieux, plus chanceux aussi, parvient à éviter l’Airbus et revient droit vers la Volvo qu’il mitraille copieusement, détruisant son bloc de propulsion. La chance de ce pilote s’arrête là, puisqu’en reprenant de l’altitude, aveuglé par la fumée du crash et de la voiture de Vendran touchée, il rentre droit dans le dernier véhicule intact, celui de Duncan, brisant ses répulseurs avant et faussant sa direction.
Tout cela se passe en moins de trois secondes, et lorsque la fumée se dissipe un peu il ne reste plus aucun véhicule en l’air. Tel un strike au bowling, l’airbus a entraîné tout le monde, directement ou non.
Des milliers de mètres plus bas, dans un carnage de carrosseries déchiquetées et de moteurs en feu, tout un pan d’une forêt heureusement déserte est ravagé. Rien ne se passe pendant plusieurs minutes, on n’entend que le crépitement des flammes. Puis, sous les yeux ébahis de l’un des rares humains encore agonisant, deux hommes sortent, apparemment indemnes, des débris du jet et se précipitent dans ceux de l’airbus. Quelques instants plus tard, ce sont les occupants de la voiture civile qui émergent, en même temps que celui de la Volvo qu’ils poursuivaient. MacLeod aide Grégoire à sortir de son engin tandis que Méthos, indifférent à la chaleur des plaques de métal qu’il touche, fouille les décombres à la recherche de son précieux journal.
- Il est là, à peine roussi, dieu soit loué. Dites-donc, Vendran, la prochaine fois que vous m’empruntez ma voiture, prévenez-moi auparavant, que je pense à l’oublier ce jour là. Quel gâchis bon sang !
Autour d’eux, tout n’est que ruines et chaos. Soudain, comme deux silhouettes émergent des restes de l’avion de ligne, de nouveaux buzz alertent les Immortels qui lèvent la tête. Les arrivants sont vêtus de combinaisons spatiales ignifugées qui ont mieux résisté aux flammes que leurs vêtements et ils ont leurs épées au clair, ce qui provoque la même réaction chez les autres. L’un des arrivants, le plus grand des deux, n’est pas inconnu à Duncan et Méthos. Ils s’avancent à la fois respectueux et un peu craintif, épée levée au cas où.
- Aaron ? Aaron Leblanc, c’est bien vous ?
- Oui, en effet. Bonjour messieurs... Rassurez-vous, vous pouvez ranger vos armes, ce n’est pas vous que je cherche. Vous n’avez pas vu passer un Immortel albinos par hasard ?
- Albinos... Morton Kyser ? Il est toujours en vie depuis le temps ?
- Hélas oui. Il s’en est fallu de peu mais... Il s’est échappé. Tout.. ceci... est de sa faute.
D’un geste théâtral, Aaron montre le décor ravagé et achève les présentations en taisant cependant la véritable identité de Méthos, qu’il est l’un des rares à connaître, respectant ainsi sa promesse prononcée plus de soixante ans auparavant.
Il vaut mieux ne pas rester ici, les secours et la police ne vont pas tarder à arriver. Pour tenter de masquer leurs responsabilités dans cet énorme accident, les Immortels répartissent des corps de mortels dans les cabines broyées des véhicules qu’ils conduisaient. Plus aucun véhicule n’étant en état de voler, les Immortels partent à pied après avoir vérifié qu’il ne reste aucun survivant coincé dans les décombres.
Duncan rentre retrouver Harry, Aaron et Ibrahim partent à la recherche de Kyser et Grégoire, seul et sans ressources à présent, se dirige vers Reims où il lui faut s’approvisionner et se refaire une vie. Méthos n’ayant rien de plus pressant à faire et voulant terminer sa mission auprès de lui propose de l’accompagner.
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Ancienne frontière France/Allemagne
Grégoire et Méthos se reposent un instant. Ils viennent de marcher pendant des kilomètres à travers la forêt depuis le lieu de l’accident. D’un accord tacite, ils ont convenu de ne pas aborder leurs précédentes rencontres, l’un comme l’autre n’appréciant guère de parler de leur passé.
Quelques heures plus tard, ils atteignent un bar-tabac oublié du temps, resté seul au bord d’une route terrestre depuis longtemps désertée. Un vieil homme est encore au comptoir, attendant des clients qui ne viennent plus. C’est à peine s’il lève un sourcil surpris en voyant entrer deux hommes aux vêtements brûlés et déchirés, qui discutent entre eux en latin pour garder leur conversation secrète. A ce petit jeu Méthos est bien plus fluide que Grégoire malgré le manque de pratique, mais ils tiennent trop à leur discrétion pour s’exprimer ouvertement devant de potentiels micros-espions. Très rares sont les gens parlant encore les langues mortes pour traduire leurs paroles et les logiciels de reconnaissance vocale n’y sont par défaut pas adaptés non plus.
L’agent Paterson n’a pas menti, plus aucune des cartes de crédit de Grégoire ne passe, elles ne font au mieux que signaler sa position. Puisque l’argent liquide n’a plus cours depuis longtemps, c’est Méthos qui paye leurs bières avec sa carte et les deux Immortels reprennent rapidement la route vers l’ouest.
Pour la plupart des gens, traverser la France entière sans véhicule ni vêtements présentables ni même de quoi payer tout en étant sans doute poursuivi simultanément par l’Europolice et la milice de la Coratec relèverait de la gageure, mais les deux hommes sont loin d’être des débutants et c’est sans encombre qu’ils atteignent, cachés dans un transport de matières premières, la banlieue de Reims après une journée de voyage silencieux.
Les deux Immortels viennent de descendre du camion lorsque le communicateur de Méthos se met à siffler furieusement.
- Bon sang, j’ai une alerte prioritaire de type 1A ! Brèche de sécurité dans mon système, il faut que je vous laisse, Vendran. Tenez, voilà mon numéro. Appelez-moi pour me dire où vous en êtes, OK ?
Grégoire jette un coup d’œil suspicieux à son aîné. Ils se connaissent à peine, pourquoi tient-il tant à savoir ce qu’il fait ? Il accepte tout de même la carte que lui tend « Abel Piersen » et le regarde s’éloigner rapidement en direction de la gare. Il trouvait déjà étrange qu’il tienne à l’accompagner jusqu’à Reims... Ce n‘est sans doute que de la sympathie, mais Vendran a appris à se méfier des siens, même si MacLeod et ses amis semblent plutôt sympathiques.
Gêné par la barbe postiche qu’il s’est procurée en chemin pour masquer son visage trop connu dans la région, Grégoire se dirige à grands pas vers les quelques blocs survivants qui forment la vieille ville. Un frisson d’horreur lui parcoure la colonne quand il constate que les engins de démolition sont revenus. Ils ne sont pas encore en action, heureusement, mais ils sont prêts, n’attendant plus qu’un ordre ou la signature de quelque officiel corrompu pour reprendre leur tâche interrompue. L’Immortel doit bien admettre que malgré ses efforts, il ne pourra triompher de la Coratec Corporation. Elle est trop grande, trop puissante ! En sacrifiant tout ce qu’il avait, en entraînant des centaines de gens dans son mouvement et en alertant l’opinion publique toute entière, il n’a réussi à leur faire perdre que quelques jours ! C’est à désespérer. A moins que...
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Au cœur de la Forêt Noire (Union Européenne)
Silencieux, Aaron suit à travers les broussailles Ibrahim qui marche courbé, le regard fixé au sol sur une trace que lui seul peut voir. Cela fait des heures qu’ils cheminent ainsi lentement, à la poursuite désespérée de Morton Kyser. Lorsque le Targui s’arrête et se redresse, le jeune homme soupire, car il sait déjà ce que cela veut dire.
- Je suis désolé Aaron. Sur mon terrain j’aurai sans doute été plus efficace, mais avec la pluie qui vient de tomber je l’ai perdu.
- Il ne perd rien pour attendre. Je ne sais pas encore comment, mais je le retrouverai et j’aurai sa tête.
- FIN DE LA PREMIERE PARTIE -
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